Merci à Camhyoga de corriger mes erreurs et de m'encourager. ^^ Je t'adore fort.
NdA : voici le premier OS de la première partie de ce recueil (ça fait beaucoup de premier dites, non ? Remarquez, faut bien commencer par quelque chose...). Alexis, je te dédicace cet OS, en espérant qu'il te plaira. ;)
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Première rencontre
1 - Le lutin des bois
La nuit était fraîche aux Enfers.
On aurait pu croire qu'il s'agissait d'un lieu étouffant, rempli de poches de souffre qui rendraient l'air irrespirable, de même que le fleuve de lave en fusion qui parcourait les terres arides. Et pourtant, si le jour il s'agissait d'une cruelle et chaude vérité, il n'en était rien le soir. Un vent glacial se levait, frappait avec violence les murs du château qui se dressait face à lui, redoublait de puissance lorsque ses précédents assauts s'avéraient vains. Personne possédant un tant soit peu un instinct de survie ne mettrait les pieds dehors ni ne s'aviserait de voyager.
A croire que le petit groupe qui avançait vers les lourdes portes du palais était composé de fous. En tout cas, le petit garçon qui se tenait au centre en était totalement convaincu. Les hommes qui l'entouraient portaient d'étranges vêtements sur eux, comme un genre d'armures bizarres, noires avec des reflets violacés, un peu effrayantes. Enormément en fait, mais il avait vu pas mal de choses déjà dans sa courte vie, ce n'étaient pas six hommes persuadés que le dieu Hadès existait qui réussiraient à le perturber. Quoique, s'ils tournaient encore une fois vers lui leurs visages de tueurs, il ne répondrait peut-être plus de rien…
Ils s'arrêtèrent une fois au pied de la porte, puis attendirent. L'enfant continuait de garder un visage impassible et des yeux inexpressifs, mais au fond il ne comprenait pas ce que faisaient ces hommes et il voulait savoir. C'était en partie pour ça qu'il les avait suivis, pour savoir.
Il avait toujours aimé tout comprendre, aussi bien l'histoire que la physique des choses. Comment se faisait-il qu'on retombe toujours par terre alors qu'on a sauté d'un arbre ? Pourquoi est-ce que les humains aiment se repaître du malheur d'autrui ?
Il faisait peur, avec ses questions, des questions qu'aucun enfant de douze ans n'aurait jamais posées. Mais lui, il le faisait. Avec ses yeux froids, qui dérangeaient, qui lisaient au fond des cœurs et à travers les âmes.
Oui, il avait toujours su au fond de lui qu'il n'était pas normal. Ces gens en armure non plus. Alors, entre personnes bizarres, autant rester ensemble, non ?
Rompant le fil de ses pensées, la porte s'ouvrit, leur laissant un passage gigantesque et sombre à l'intérieur du bâtiment. Le petit groupe se mit en branle et entra dans l'édifice, qui se referma sur eux avec un grondement sourd. Il était prisonnier mais ça ne le dérangeait pas plus que ça. Rien ne le dérangeait vraiment, de toute façon. Comment s'étonner après ça que les gens de son village avaient peur de lui ?
Ils longèrent une allée bordée de colonnes sculptées de représentations mythologiques. L'enfant reconnut Cerbère, le chien à trois têtes ; une des Gorgones*, ses cheveux de serpents se tortillant autour de son visage ; Sisyphe, roulant son rocher avec désespoir et résignation. Ils obliquèrent à un embranchement, le couloir suivant étant décorée de frises somptueuses. Au fond de l'immense allée, une mince lueur semblait les appeler. Plus ils s'en approchaient, plus l'enfant se sentait… différent. Comme si cet endroit, vers lequel ils se dirigeaient, était son chez-lui, l'endroit où il avait toujours été et où il serait pour toujours. Ce qui, en soi, était ridicule, mais il savait qu'il avait raison.
La salle était grande, sobre. Un bureau se trouvait à une extrémité, sur un espace relevé afin de surmonter le reste de ce qui ressemblait à un tribunal.
« Seigneur Rune, vous voici enfin chez vous » dit l'un des hommes avec un ton très solennel.
Rune… Il aimait bien, comme prénom. Il valait aussi bien qu'un autre, en tout cas, et il se sentait plus lui-même nommé ainsi.
« Peut-être souhaitez-vous retrouver vos appartements ?
-La bibliothèque, ordonna l'enfant sans se douter qu'une aura sévère s'était mise à l'entourer.
-Comme vous voudrez, seigneur Rune. Par ici. »
Ils sortirent du tribunal pour rejoindre un nouveau corridor, qui était parsemé de marches. Ils obliquèrent dans une contre-allée, fermée par une porte massive. Rune devança les spectres –drôle de nom pour des hommes en armures noires- et ouvrit la porte. Ou plutôt, celle-ci s'ouvrit à son approche. L'enfant entra, se sentant… revivre.
Des centaines de milliers de livres s'étalaient sous ses yeux. Toute l'histoire de l'humanité, consignée dans cet endroit depuis des siècles, avait été retranscrite. Rune la connaissait entièrement, pour l'avoir vécue, pour l'avoir lue, pour l'avoir jugée. Quoi de plus naturel, puisqu'il devait condamner les âmes de ceux qui étaient morts.
L'aura augmenta encore, au fur et à mesure que l'enfant se souvenait. Les spectres échangèrent un regard satisfait, puis sentirent soudain un cosmos approcher. Ils s'écartèrent vivement, afin de laisser passer le Juge.
Trop pris par l'intensité du lieu, Rune ne le remarqua pas tout de suite. Il ne se retourna qu'en entendant un léger rire, et fit face à un jeune garçon aux longs cheveux pâles. Aussi pâles que les siens.
« J'étais sûr que c'est ici que t'irais en premier, Rune.
-Vous êtes ? » demanda l'enfant avec un air digne.
Son vis-à-vis éclata franchement de rire, tout en s'approchant.
« Vous êtes bruyant, reprocha Rune en plissant les lèvres.
-Je l'ai toujours été, mon petit lutin des bois. »
Rune tiqua. Quelqu'un l'avait appelé ainsi, autrefois. Il observa son interlocuteur avec plus d'insistance : il se dégageait de lui une aura dangereuse, mais qui lui était étrangement familière. Il connaissait aussi ces yeux gris clair, qui le transperçaient tout en le réchauffant.
« Minos ? lança Rune en clignant des yeux.
-Tu en as mis du temps à te souvenir de moi ! se moqua le Juge. Moi je me suis rappelé de toi dès que je me suis réveillé, tu sais. Dire que tu es en charge de tous ces bouquins, tu me déçois, mon petit lutin…
-Vous savez que je n'aime pas ce surnom, protesta le spectre en croisant les bras, la mine sévère.
-Pourtant ça te va bien, avec tes mèches en demi-lune… »
Les deux enfants se regardèrent avec attention. C'était étrange, une nouvelle réincarnation. On était le même qu'auparavant, mais avec un petit quelque chose de changé… C'était un peu comme une nouvelle rencontre, en somme.
« Bienvenue chez toi, Rune. »
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* Selon différents auteurs, il y aurait eu 3 Gorgones : Sthéno, Euryale et Méduse, la dernière étant la plus connue des trois soeurs. Leur affiliation diffère selon les auteurs.
Ces informations ont été prises sur Wikipédia.
