Chapitre 1

Eomer posa un bras sur l'encolure de Piedardent et prit une longue inspiration. Devant lui, la plage s'étendait, lisse et scintillante sous le soleil qui commençait à décliner.

D'un mot, le Rohirrim lança son cheval au petit galop, tendit qu'il courait contre son flanc en s'agrippant à sa crinière. Un brusque élan le souleva pour le poser sur le dos du cheval; mais une foulée plus tard, ses pieds effleuraient à nouveau le sable, de l'autre côté de sa monture.

Ils coururent ainsi tout le long de la plage, Piedardent orientant ses oreilles à droite, en arrière ou à gauche, attentif au placement et aux mouvements de son maître.

Un peu avant d'atteindre l'extrémité de la plage, Eomer dénoua un foulard qui pendait à sa ceinture, et le laissa tomber à terre; puis, d'un mouvement souple, il se remit en selle et fit tourner sa monture. Arrivé au niveau du foulard, il passa ses deux jambes du même côté et se pencha très bas; ses longs cheveux fouettèrent le sable quand il saisit le foulard avec les dents.

Il se redressa et fit brusquement freiner Piedardent. Encore empli de la fougue qu'avait suscitée sa course, le cheval se cabra, tandis qu'Eomer lançait victorieusement un cri guttural.

Du haut des remparts, Imrahil ne put s'empêcher de sourire. Il avait invité Eomer à Dol Amroth pour réfléchir à l'ouverture d'une route marchande entre leurs deux pays; mais chaque fois que sa présence n'était pas nécessaire, Eomer allait chercher Piedardent et l'emmenait courir, ou s'exerçait au tir à l'arc en plein galop. C'était la première fois que le Prince voyait Eomer effectuer de tels exercices, et il était empli d'admiration, tant l'adresse du cavalier et sa complicité avec sa monture était visible.

«-Un Roi qui se prend pour un acrobate? On aura tout vu! grogna Amrothos, son fils cadet, à côté de lui.

-Les Rohirrims étant constamment à cheval, ils doivent connaître parfaitement celui qui les porte, dit patiemment Imrahil. Ce genre d'exercice entraîne l'un et l'autre à oeuvrer ensemble. Ne t'ai-je donc jamais raconté avec quelle dextérité les Rohirrims se sont battus dans les champs du Pelennor, maniant l'épée ou le javelot, et ne guidant leurs montures qu'avec leurs jambes?

-S'ils avaient étudié la stratégie des grandes batailles de jadis, ils n'auraient pas eu besoin de cette ridicule habileté, répliqua Amrothos. Vous m'avez vous-même raconté qu'Eomer avait aveuglément foncé vers le Sud lors de la bataille au Pelennor, se laissant ainsi encercler. Et il pose des questions si… naïves sur le commerce!

-Les Hommes de Rohan se laissent facilement emplir de fureur, mais cela ne retire rien à leur bravoure, répondit Imrahil. Et ils préfèrent poser des questions plutôt que de rester dans l'ignorance. Allons! Cela suffit. Crois-tu donc que les Hommes d'ici n'ont aucun défaut-à commencer par toi, qui te permets de critiquer un hôte dormant sous ton toit? »

Amrothos ne répondit rien, mais s'en fut à grands-pas.

Quand Eomer entra dans la grand-salle pour le dîner, après avoir pansé Piedardent et revêtu des habits propres, il perçut immédiatement que le mépris d'Amrothos à son égard avait encore augmenté. Il avait réalisé depuis son arrivée combien le jeune homme était fier d'appartenir au peuple de Dol Amroth, au point de toujours comparer négativement les autres. Il avait espéré que cette attitude, simple fruit de la méconnaissance de tout ce qui existait hors du pays d'Imrahil, s'adoucirait progressivement; mais il semblait qu'il n'en était rien. Quel dommage qu'Elphir, de sept ans son aîné, fût absent, ainsi que son frère Erchirion!

Son coeur se serra un peu, et, avec honnêteté, il se demanda -comme il l'avait déjà fait des dizaines de fois- s'il avait quelque chose à se reprocher; mais, comme d'habitude, il ne trouva rien, hormis quelques manquements aux traditions locales, telles que les paroles de salutations, que ses interlocuteurs avaient toujours excusés de bon coeur-hormis les serviteurs d'Amrothos, qui imitaient discrètement leur maître et le considéraient avec un mépris à peine masqué.

Ses esprits remontèrent quand il se retrouva plongé dans de longues et passionnantes discussions avec Imrahil et sa femme. Intelligents et cultivés, ils pouvaient converser aussi bien des subtilités des relations géopolitiques avec leurs voisins que de la tradition musicale de Dol Amroth, principalement grâce aux harpistes, formés de père en fils, qui parcouraient le pays. Et comme les Rohirrims, ceux de Dol Amroth avaient le sens de la conversation!

Pendant tout le souper, Amrothos resta plongé dans un silence morose. Quant à sa soeur Lothiriel, elle se contenta d'écouter ses parents et leur hôte, les yeux brillant d'intérêt, ne glissant que quelques questions qui dévoilaient alors sa curiosité et sa finesse d'esprit.

A la fin du repas, la famille princière et Eomer regagnèrent leurs quartiers en longeant un petit jardin qui donnait à l'Est. Selon la coutume du Rohan, Eomer donna son bras à la princesse- qui, de l'autre côté, serrait la main de son mari à la manière de Dol Amroth, formant ainsi un tableau plutôt surprenant que Lothiriel, qui marchait derrière, contemplait en souriant aux côtés de son frère toujours plongé dans un silence buté.

Soudain, l'un des soldats qui marchaient le long des remparts lança un cri:

«Des feux, dans la plaine! »

A suivre...