Je suis
là, assise depuis tellement de temps que je ne sais plus quel jour
nous sommes ni l'heure qu'il est. Je suis simplement là, à te
regarder inconscient, si proche et si loin de moi à la fois.
La
révolte a depuis un moment désertée mon cœur. Seule la douleur
rendu sourde par la résignation reste présente.
Je me souviens
inlassablement de ce que nous avons étaient et de ce que nous ne
serons plus. Comment et pourquoi en sommes nous arrivés là ? Je ne
pourrais pas l'expliquer.
Je sais juste que la tourmente de la
guerre nous a aspirée, sans que nous ne puissions rien faire pour
lutter contre elle. Cela m'a conduite ici aujourd'hui, à me
retrouver sur cette chaise d'hôpital en te regardant partir sans
pouvoir rien y faire.
Seuls mes souvenirs remplissent mon cœur
qui me semble si vide à présent.
Je me souviens du jour où nous
avons su que la guerre allait commencer, de la prise de conscience
soudaine et violente que ce n'était plus cette chose abstraite
dont nous parlions sans arrêt et pour laquelle nous nous étions
tant préparés.
Je me souviens de la terreur que j'ai ressenti
lorsque la réalité m'a frappé, dure et froide. Je me suis rendu
compte que nous n'étions pas prêt a affronter ça, que personne
ne pouvaient l'être. Et de l'horreur qui m'a saisie lorsque
j'ai croisé ton regard et que j'ai lu la même chose dans tes
yeux.
Je me suis enfui ce soir là, loin de tous, loin de toi.
J'ai voulu une dernière fois me réfugier dans mon monde
solitaire, celui que j'avais crée et qui allait s'écrouler sous
peu de temps.
Je suis allée trouver refuge sous cet arbre ; que
tu chérissais tant, sous lequel toi aussi tu aimais te retrouver
seul ; pour être prêt de toi alors que tu étais si loin de moi
afin de trouver l'apaisement au sein de cette nuit si calme qui
semblait ignorer l'horreur qui allait nous frapper.
Mais tu m'a
rejoins, tu t'es assis prés de moi, et j'ai ressentis une joie
profonde qui a illuminée mon cœur, de savoir que tu avais su me
trouver et que toi seul avait compris où j'avais pu trouver
refuge.
Nous sommes restés assis longtemps sans prononcer un mot,
tellement que là aussi la notion du temps m'a quittée. La seule
chose que je savais, c'était que ta présence me réconfortait et
même plus, qu'elle était vitale pour moi.
Et tu as commencé à
parler. Ce que tu m'a dis ce soir là je ne m'en souviens pas
précisément mais les mots avaient finalement peu d'importance. Ce
dont je me rappelle, c'est que tu avais peur toi aussi mais
qu'avant tout, tu voulais vivre. Et même si cela devait être pour
peu de temps, tu voulais te sentir complet ce qui pour toi, t'était
impossible sans moi.
Ce que je garde en mémoire, c'est les
sensations envoûtantes que j'ai ressentis quand tu as prononcé
ces mots : mon être tout entier qui s'est consumé de joie, les
battements désordonnés de mon coeur lorsque tu as pris mon visage
entre tes mains, les frissons qui ont parcouru mon corps lorsque nos
lèvres se sont soudées pour la première fois et le feu de désir
dévastateur que j'ai ressentis lorsque la passion si longtemps
retenu a enfin pu se libérer.
Ce soir là nous avons parlés,
nous avons ris, nous nous sommes découvert et pendant cette nuit
nous avons suspendu le temps, nous avons fait fuir la guerre .
Mais
elle est revenue, elle ne nous a pas laissée en paix. Nous sommes
partis avec notre meilleur amis, notre frère a tout les deux,
décidés à le suivre jusqu'au bout comme nous l'avions toujours
fait.
Je me souviens de la nuit où tu m'a fais tienne pour la
première fois, de la plénitude qui m'a envahis et de cette
certitude d'être enfin complète. Je me suis rassasiée de ta
peau, abreuvée de tes soupirs et nourris de chaque gémissements de
plaisir qui s'échappaient de toi.
Nous avons continués
d'avancer, partageant, dés que nous le pouvions, ces étreintes
fiévreuses remplies d'amour, de désespoir et d'urgence comme si
nous voulions prendre une avance sur la vie, car la mort nous
rattrapait bien trop vite.
Et ce jour funeste est arrivé. Le jour
où tu as reçu sous mes yeux ce sort violent et sanglant. Je crois
que je n'aurais pu me sentir plus morte à cet instant même si
j'avais reçu le sort mortel. C'est comme si toute vie m'avait
quittée alors que je te regardais tomber.
J'ai couru vers toi,
ne me souciant plus de la guerre qui se déchaînait autour de moi.
Je t'ai hurlée dessus, oui, j'ai criée sur toi. Je t'ai
secouée et giflée. Je te suppliais de revenir, de rester avec moi
pendant que je sentais mon cœur se briser en morceaux.
Puis il y
a eu cet attente interminable à Sainte Mangouste. Ces prières
adressées à je ne sais quel dieu, auquel je ne crois même pas,
pour que tu me revienne, que je me réveille en constatant que ce
n'était qu'un cauchemar et croiser à nouveau ton regard azur et
ton sourire si lumineux.
Puis la sentence est tombée, froide,
dure et sans appel. Ils m'ont dit que tout était terminé pour
toi, qu'il n'y avait plus qu'à attendre que le peu de vie qui
te restait s'écoule lentement de toi.
Je me suis souvent senti
impuissante au cours de ma vie, face à la douleur que subissait
notre ami, année après année, face à ta colère lorsque je suis
allé à ce bal avec un autre que toi, face aux sentiments de
jalousie dévastateur qui m'a habitée lorsque tu en a préféré
une autre que moi. J'ignorais ce qu'était la véritable
impuissance, non pas celle face à laquelle je pouvais trouver la
réponse dans un livre, ni celle que je pouvais simplement tenter
d'ignorer. Mais celle qui me forçais à te regarder et à ne
pouvoir rien faire, celle qui me forçait à accepter
l'inconcevable.
J'ai vu ta famille défiler devant moi, unis
dans sa peine, tentant vainement de s'unir à la mienne. Et notre
ami qui souffrait également, me suppliant de partir, et de
m'éloigner de toi.
Mais je ne veux pas, je m'y refuse.
J'ai la conviction profonde que je dois être avec toi, parce que
c'est toi et moi, ensemble jusqu'au bout, et qu'il en sera
ainsi tant que la moindre étincelle de vie subsistera en toi. Parce
que je sais qu'après il faudra que je survive, malgré l'envie
dévorante que j'ai de te rejoindre et peut être à nouveau qu'un
jour je revive. Je sais que c'est-ce que tu aurais voulu et ce sera
ma façon à moi de t'être fidèle par delà la mort, même si je
sais que tu seras la partie de moi qui me manquera toujours, et que
le vide en moi jamais ne se comblera.
Je veux vivre sans regret de
ce qui aurait pu être, mais avec seulement les souvenirs que tu m'a
laissé, fugaces et fugitifs, qui s'impriment à présent dans mon
âme et dans ma chair.
Alors je suis là, assise depuis tellement
de temps que je ne sais plus quel jour nous sommes, ni quelle heure
il est. Encore une fois, toi et moi, nous avons suspendu le temps,
nous avons fait fuir la guerre.
Je suis là et j'attends pour
m'abreuver une dernière fois de ton ultime soupir.
Je suis là…
Haut du formulaire
Bas du formulaire
