Voici maintenant une requête faite pour une amie. Quelque chose d'un peu moins ...d'un peu plus... que d'habitude. :p Une petite réflexion d'Aramis qui se pose des questions sur sa vie, si ça avait été autrement... PG.

Et si… ?

Première partie

Jean marchait lentement le long d'une rue animée de la capitale. Malgré le brouhaha joyeux qui éclatait autour de lui – les poissonniers, les boulangères, les vendeuses de fleurs, les amuseurs publics, les badauds affairés – sa mine sombre et triste contrastait avec le bonheur qui l'entourait. Personne ne remarquait non plus le petit gamin de huit ans avançant dans une brume de mélancolie, aveugle au plaisir tout alentour.

Esseulé, découragé, il s'assit à un endroit isolé sur le bord de la Seine. Admirant le soleil qui miroitait ses milles feux à la surface de la rivière, il songeait à sa mère.

« Maman…où es-tu ?...» murmura-t-il dans un soupir.

Il s'ennuyait des caresses de sa mère, de ses baisers, de ses bras qui l'entouraient alors que, de sa voix douce, elle lui chantait des berceuses….

« Tu viens souvent ici ? » fit une voix claire derrière lui.

Il se retourna pour faire face à la personne dont il avait reconnu le timbre. « Bonjour, Aramis. »

« Hééé… » Elle s'approcha de lui et se pencha pour être à sa hauteur. « Tu en fais, une tête ! Quelque chose ne va pas ? »

Jean prit un caillou et le lança à l'eau. « Je m'ennuie de ma maman… »

Elle sentit son cœur fondre. Elle avait toujours été surprise de la manière dont les enfants pouvaient avouer leurs sentiments sans honte. « Ca doit être très dur…tu as beaucoup de courage, tu sais. » Aramis aurait voulu trouver les mots justes pour encourager Jean. Elle aurait aimé que ses paroles soient une véritable promesse. Elle lui caressa la tête et joua avec quelques mèches de ses cheveux bruns. « Mais ne te décourage pas… » Elle regarda autour d'elle, s'assurant qu'ils étaient bien seuls. « Je suis certaine que tu la retrouveras un jour, » ajouta-t-elle à voix plus basse, malgré leur solitude.

Jean sourit devant l'allusion qu'Aramis avait fait de sa féminité. Que savait-il d'elle, mis à part le sexe différent de celui qu'elle affichait ouvertement ? Rien, en fait. Il ne savait absolument rien. Il avait longuement réfléchi aux raisons qui auraient poussé Aramis à ce travestissement…Au début, il était intimidé, ne sachant que trop penser de ce comportement étrange. Mais plus il la côtoyait, plus il réalisait qu'elle n'agissait pas de la sorte de gaité de cœur. Il avait senti qu'elle aurait préféré ne pas mentir, porter des robes, faire étalage de sa beauté…il se doutait que tout ce qu'elle faisait était un mal nécessaire. A part les autres mousquetaires, elle était toujours seule, et ne parlait jamais de sa famille.

« Vous avez des enfants ? » demanda le gamin de but en blanc.

Interloquée de se faire demander, venant de nulle part, une question aussi personnelle, Aramis rougit un peu. « Non, je n'en ai pas. »

« Vous n'avez jamais été mariée ? »

Un sourire triste se dessina sur les lèvres de la femme.

« Non, jamais. »

Malheureusement, Jean ne le remarqua pas. « Ce n'est pas en étant déguisée en homme que vous vous trouverez un mari ! » ricana-t-il, toutefois sans méchanceté.

Ne disait-on pas que la vérité sortait toujours de la bouche des enfants ? Aramis laissa les paroles de Jean s'infiltrer en elle. « Oui…tu as raison… » lui répondit-elle avec absence en s'allongeant dans l'herbe à côté du gamin. Elle ferma les yeux et soupira… Un mari…elle avait bien failli en avoir un ! Mais c'était quoi, se marier ? Mis à part la robe blanche que sa tante avait préparée pour elle, la cérémonie à l'église, le baiser échangé devant tout le monde….qu'y avait-il après ?

Elle rougit encore. Ah oui…elle se souvenait…Peu de temps après qu'il eut demandé sa main et que les bans des fiançailles eut été affichés sur le mur de l'église, sa tante l'avait amené voir la veuve du village. Cette dernière lui avait expliqué ce que ça signifiait, être mariée. Que les liens du mariage étaient sacrés, qu'aucune relation ne devait avoir lieu en dehors de ceux-ci, car « celui qui désire quelqu'un d'autre, même sans l'avoir touché, celui-là avait déjà commis l'adultère dans son cœur. » Et qu'enfin, le rôle d'une bonne épouse consistait à obéir à son mari…et de porter ses enfants.

Alors était venu le moment d'expliquer en quoi consistait le devoir conjugal. Avec maints moulinets des mains, de joues cramoisies, de toussotements, de regards détournés, la veuve avait tant bien que mal fourni une réponse. Explication beaucoup plus évasive que celle qu'Aramis avait déjà entendue d'Athos qui, un matin, était gaiement entré à la caserne en s'exclamant « Je l'ai peut-être engrossée ! »

« Engrossée ? » avait demandé Aramis, visiblement incertaine d'avoir compris le sens des paroles de son aîné.

Athos avait regardé l'autre homme avec qui il discutait, d'un air incrédule. « Oui….engrossée... » Devant l'air toujours interrogateur d'Aramis, il avait poursuivi. « Je l'ai peut-être engrossée ; elle porte sans doute mon enfant… »

« Oh. Oohhh, je vois… » Elle avait détourné le regard et cherchait à s'affairer pour changer le sujet, et ne pas lui laisser voir la gêne sur son visage.

« Vous n'avez jamais couché avec une femme, n'est-ce pas ? » avait demandé Athos d'une voix moqueuse.

« Cela ne vous regarde pas ! » s'était-elle écriée, son teint ayant viré à l'écarlate.

« Ça veut donc dire non… Allons, la leçon du jour est celle-ci…»

« A quoi pensez-vous ? » demanda Jean en la voyant pouffer, main sur la bouche, alors qu'elle s'empourprait.

Aramis rit de plus belle. « Oh, rien ! » C'avait bien été une des rares occasions où Athos s'était ouvert à un tel sujet de conversation ! Et combien avait-il rit lorsqu'elle lui avait rétorqué « Mais c'est de l'adultère ! » avec un air scandalisé !

Jean se mit à bouder devant le refus d'Aramis d'avouer le pourquoi de son hilarité.

« Allons, » elle mit sa main sur l'épaule de l'enfant. « Tu veux venir chez moi ? Je ne suis pas en service, aujourd'hui…je pourrai te cuisiner des galettes ! »

Le visage du garçon s'illumina aussitôt. « Ouais ! »

« Même si vous avez détaché vos cheveux, je persiste à dire qu'il est étrange de voir un homme faire la cuisine ! »

Aramis tapota le comptoir de ses doigts en soupirant.

« Je n'irai pas mettre une robe seulement pour te faire plaisir. J'ai beau ne pas être en service aujourd'hui, si quelqu'un arrive ici, je dois être toujours prête.»

« Mmm, mmm… » acquiesça l'enfant avant de changer de sujet. « C'est bientôt prêt ? » L'odeur chaude et sucrée des galettes d'avoine chatouillait ses narines.

« Oui, viens voir ! »

Jean s'approcha du feu avec excitation. Aramis le prit dans ses bras et le souleva, afin qu'il puisse bien voir la belle couleur dorée des gâteaux. « On mélange de l'avoine avec du miel et un peu d'huile ; On les pétrit en belles galettes plates ; Ensuite, on les fait cuire jusqu'à ce qu'elles brunissent et durcissent un peu. »

« Ça sent bon ! »

« C'est une des rares recettes que j'ai apprise de ma nourrice… On m'interdisait tout le temps de m'approcher du feu. 'Vous aller vous salir ! Vous allez vous brûler !' qu'on me répétait sans arrêt.»

« Pourquoi donc ? Une femme doit apprendre à faire la cuisine, après tout. »

« Sans doute ! » Elle reposa Jean par terre. « Mais pas la nièce d'un baron. »

Il eut une grimace. « Vous êtes aristocrate ? »

« J'étais, oui. Mon père était baron. A sa mort, son frère – mon oncle - a hérité de ses titres…et de moi.» Sur ces mots, elle prit les pans d'une robe imaginaire et fit la révérence.

« Vous n'avez donc plus de contacts avec votre famille ? » demanda l'enfant, comprenant les allusions de la jeune femme.

« Non. »

« C'est quand même une drôle d'idée de tout abandonner et de devenir mousquetaire... »

Aramis eut un petit haussement d'épaules tandis qu'elle posait les galettes chaudes dans une assiette.

Insatisfait de ce silence, il poursuivit son interrogatoire. « Pourquoi vous ne vous êtes pas mariée ? Ma maman à moi, elle était mariée.»

« Et bien, considère-la chanceuse, » répondit la femme avec une pointe d'amertume toutefois imperceptible.

« Mais mon papa est mort… »

Aramis se retint de dire qu'elle aussi, son 'mari' était mort. « Je suis désolée, » fit-elle, sincère, en posant la main sur l'épaule de l'enfant.

« Je ne l'ai pas beaucoup connu… » Il sembla perdu dans ses pensées pour quelques secondes. « Mais vous n'avez pas encore répondu à ma question ! »

« Je ne veux pas parler de cela, » répondit Aramis. Sa réponse sortit un peu plus sèchement qu'elle ne l'aurait voulu. Donc, pour briser le froid qui s'était installé entre elle et Jean, elle attrapa une galette et la mangea avec un air exagérément boudeur, ce qui eut pour effet de faire rire le gamin. « Le jour va bientôt tomber…tu devrais rentrer, sinon d'Artagnan va s'inquiéter ! »

Jean attrapa deux galettes et lança à Aramis un sourire moqueur. « D'accord… » Il se dirigea vers la porte. « On se voit demain, n'est-ce pas ? Et ne mangez pas toutes les galettes !»

Aramis acquiesça de la tête en riant, tout en lui envoyant la main, légèrement soulagée de ne plus avoir à subir les questions de ce gamin curieux. D'ailleurs, elle était fatiguée. Elle en profiterait pour se coucher tôt…

La jeune fille était couchée dans un large lit drapé de blanc. Un doux soleil d'automne filtrait à travers les grandes fenêtres de la chambre et emplissait la pièce de sa chaleur. Dehors, on entendait les oiseaux chanter tandis qu'à l'étage inférieur de la demeure montaient les voix de deux hommes qui conversaient.

Un jeune homme entra à pas de loup dans la chambre et s'approcha doucement du lit. Alors qu'elle regardait le nouveau venu, elle se cachait timidement le nez sous les couvertures. Toutefois ses yeux brillaient de pure joie.

« Renée, pourquoi le médecin est en bas ? Vous êtes malade ? »

Elle étendit la main et prit celle de son interlocuteur, tout en secouant lentement la tête.

« Il m'a dit que…je…je vais avoir un bébé, Philippe… »

Le visage de Philippe s'illumina. « Un bébé ? C'est vrai ? Alors François …? »

Renée approuva de la tête en souriant. Tous deux se retournèrent et virent, dans l'embrasure de la porte, François qui, les bras croisés sur la poitrine, regardait avec fierté sa femme et son protégé.

[…]

Il y avait encore un peu de neige à l'extérieur, le soleil du printemps n'ayant pas complètement terminé son œuvre. Elle prenait de profondes inspirations et frottait le bas de son énorme ventre, tentant de soulager la douleur qui la tourmentait. Au travers de la fenêtre, elle espérait apercevoir François revenir rapidement avec la sage-femme et…

Une vive douleur lui traversa l'abdomen une seconde fois : Aramis, main sur le ventre, se réveilla en sursaut. A bout de souffle, elle regarda autour d'elle : elle était seule, dans sa chambre, à Paris. Le jour se levait doucement. Elle soupira en se frottant les yeux.

« Maudit rêve absurde », grommela-t-elle tout haut. Elle se leva et sentit soudainement son entrejambe qui…

Elle porta la main à l'intérieur de son sous-vêtement, puis retira ses doigts tachés de sang. Quelle ironie…Au moins, je suis encore femme ! A quand remontaient ses derniers saignements ? Ils se faisaient bien rares, depuis qu'elle était entrée chez les mousquetaires ! Bien avantageux, quand on essaye de se faire passer pour un homme, mais…

Rappelez-vous, mademoiselle, que lorsque vous n'aurez plus vos saignements, ce sera un signe que vous attendez un heureux événement !...

« Ou bien qu'on arrive au terme de son utilité féminine. Ouais, je sais tout ça, » grogna-t-elle encore, la voix de la vieille veuve résonnant à ses oreilles. Mais vingt-deux ans…n'était-ce pas un peu trop jeune pour ne plus avoir d'enfants ? Aramis compta rapidement ; si elle s'était marié à 16 ans, et aurait eu son premier enfant dans l'année suivante…et avec une moyenne d'un enfant à tous les deux ans, ou moins…ça ne lui aurait fait que deux ou trois enfants. Quatre tout au plus. Non, vingt-deux ans n'était pas trop jeune pour cesser d'enfanter, surtout vu la taille de certaines familles !

Mais tout ça n'avait pas d'importance. Elle n'aurait jamais d'enfants, de toute façon. Il y a des choix dans la vie qui font que certaines choses arrivent, et que d'autres n'arrivent pas.

Elle tira de sous son lit un seau où elle gardait, toujours prêt, un amas de bandages propres.

« Bonne et heureuse semaine, Aramis… » se dit-elle en retirant son pantalon, avant que celui-ci ne soit complètement taché.

A suivre!