Chapitre 1 : Very bad trip

Le commissaire Laurence releva la tête. Plongé dans sa lecture, il ne s'était pas rendu compte que Marlène avait rangé son bureau et s'apprêtait à partir. Il était si tard que ça déjà ? Il consulta sa montre et constata qu'en fait, il n'en était rien.

« Vous partez bien tôt, Marlène… » Lui fit-il remarquer doucement. « … Vous avez un rendez-vous ? »

La secrétaire eut un grand sourire.

« Tim et moi allons au cinéma ce soir. Nous allons voir le dernier film de Marilyn Monroe… Je suis tellement impatiente. »

« Tim ? »

« Timothée Glissant. C'est notre troisième rendez-vous. »

« Ah ?… »

« Il est charmant et tellement drôle ! »

Laurence parut décontenancé. A la vérité, il était plutôt déconfit. Sa secrétaire sortait en douce avec le médecin légiste et il n'avait rien vu ? Oh, il avait bien remarqué le manège de Glissant depuis quelque temps, mais il pensait que Marlène le verrait venir et l'enverrait gentiment paître... Après tout, Marlène n'en pinçait-elle pas pour lui ?

On frappa et avant que le commissaire ait eu le temps de répondre, la porte s'ouvrit sur un Timothée Glissant tiré à quatre épingles.

« Bonsoir Commissaire, Bonsoir Marlène… Ouah ! Vous êtes splendide ! »

Le médecin vint immédiatement aux côtés de la jeune femme et lui glissa un baiser sur la joue, qu'elle lui rendit avec un grand sourire. Laurence éprouva une pointe de jalousie devant cette familiarité affichée.

« Vous n'êtes pas mal non plus... » Répondit Marlène, en admirant le complet marron bien coupé de Tim et qui ressemblait à s'y méprendre à ceux que portait le commissaire.

« Bonsoir Glissant… Alors, comme ça, vous m'enlevez ma secrétaire ? »

« Je sens comme une note de possessivité dans votre ton, Laurence. Ça vous dérange si je sors avec Marlène ? »

Devant la question directe, le commissaire parut soudain mal à l'aise et haussa les épaules.

« Non… »

« En effet, ça ne regarde que Marlène et moi. » Ignorant le policier, le médecin légiste proposa son bras à la jeune femme et lui sourit. « On y va ? »

« Un instant, Glissant ? Je peux vous dire un mot en particulier ? »

L'expert médico-légal hocha la tête et rejoignit Laurence près de son bureau. Marlène les observa avec incertitude.

« Marlène est quelqu'un de très sensible et dont le cœur a été brisé de nombreuses fois par de faux espoirs… » Chuchota Laurence. « … Si jamais vous vous jouez de sa naïveté, si vous vous comportez mal avec elle … »

« Laurence, je vous arrête tout de suite ! Il n'est pas question que je fasse du mal à Marlène. C'est une jeune femme remarquable pour laquelle j'éprouve beaucoup d'affection. Mes intentions sont tout à fait honorables. »

Laurence eut un regard dubitatif.

« D'ailleurs, si j'en juge par ce que j'ai vu, vous êtes très mal placé pour me faire ce genre de remarques, Commissaire. Votre comportement envers Marlène et les femmes en général, laisse à désirer. Vous les prenez et vous les jetez comme des mouchoirs en papier, une fois que vous n'en avez plus l'usage… Alors, Laurence, toujours tenté de jouer le donneur de leçons ? »

A ces paroles, le sang de Laurence ne fit qu'un tour et il prit un ton menaçant :

« Je vous préviens, Glissant, si vous faites du mal à Marlène, je vous briserai… »

« Marlène sait très bien se défendre toute seule, Commissaire, elle n'a pas besoin de quelqu'un qui se donne bonne conscience en se faisant passer pour son chevalier servant… »

« Marlène est ma secrétaire. Si sa vie privée empiète sur son professionnalisme, je suis en droit d'émettre des réserves quant à ses fréquentations… »

« Non. C'est faux, et vous le savez très bien. Encore une fois, mêlez-vous de vos affaires et je ne mêlerai pas des vôtres à l'avenir… Maintenant, je vais vous laisser, sinon nous allons être en retard. Vous ne voulez pas gâcher la soirée de Marlène tout de même ? »

Laurence serra la mâchoire. Il regarda Glissant rejoindre une Marlène inquiète. Galamment, il lui ouvrit la porte. La jeune femme glissa un dernier regard soucieux vers son supérieur au visage fermé. Elle le connaissait suffisamment pour voir que cette situation ne lui plaisait pas du tout…

« A demain, Commissaire. »

« A demain, Marlène. »

La porte se referma sur Laurence, mais pas sur sa rage…

oooOOOooo

Le commissaire était encore bien énervé dix minutes plus tard, quand Alice Avril fit son entrée de façon inopinée. Mal lui en prit…

« Sortez, Avril ! »

« Mais je viens à peine d'arriver ! »

« Ouste ! Vous êtes la dernière personne que je souhaite voir ce soir ! »

« Sympa, l'accueil… Qu'est-ce qui vous est encore arrivé ? »

« Rien. Dehors ! »

Au lieu d'obtempérer, elle s'assit sans y être invitée devant son bureau.

« Vous vous êtes fait larguer par votre dernière conquête ? Enfin une qui a retrouvé ses esprits en vous voyant sous votre vrai jour, charmant et attentionné ?… »

Laurence lui lança un regard noir et ne lui répondit pas. Il allait commettre un homicide s'il laissait exploser sa colère.

« Pourquoi vous êtes là, d'abord ? » Demanda-t-il avec sa brusquerie habituelle.

« Je passais prendre des nouvelles. Marlène n'est pas là ? »

« Non, elle est partie au cinéma avec son petit ami. »

Le tout dit avec raideur. Fine mouche, Avril devina que c'était la raison pour laquelle Laurence était de mauvais poil.

« C'est donc ça ! Vexé de ne plus être le centre d'intérêt de Marlène, Commissaire ?... »

« Ça va, Avril, vous pouvez garder vos réflexions pour vous ! » Il se leva et s'empara de son imperméable.

« … Ou tout simplement jaloux à cause d'un rival ? » Demanda-t-elle, en enfonçant le clou.

Furieux, il haussa les épaules et sortit en claquant la porte derrière lui, laissant Avril seule, mi-amusée, mi-préoccupée.

Marlène avait un nouveau petit ami. Alice était ravie pour elle, ravie surtout que le prétendant ne soit pas Laurence lui-même. Enfin, la secrétaire modèle s'affranchissait de la coupe de son patron, qui l'exhibait trop souvent fièrement comme un trophée.

Aussitôt, Avril trouva qu'elle était injuste. Laurence appréciait réellement Marlène. La secrétaire avait bon cœur, et c'est ce qui la perdait la plupart du temps, sauf avec Laurence. Le commissaire devinait son attachement et en jouait, mais jamais de manière lâche ou intéressé. C'était l'une des rares femmes qu'il respectait et dont il écoutait les avis, aussi farfelus soient-ils parfois. Marlène amusait Laurence, et quand il y avait une urgence sérieuse, il ne savait pas lui dire non. Combien de fois Marlène l'avait-elle ainsi sauvée en suppliant le commissaire d'intervenir ? Sans elle, Avril devait reconnaître qu'elle serait morte au moins plusieurs fois…

La journaliste soupira en sortant du commissariat. Elle espérait seulement que Marlène n'irait pas vers une nouvelle déception amoureuse, que celui-là serait le bon… Et en même temps, elle était triste. Elle risquait de perdre sa meilleure amie. Bien sûr, c'était dans l'ordre des choses, rencontrer quelqu'un, faire sa vie avec cette personne, fonder éventuellement une famille, s'y consacrer et puis s'éloigner inexorablement… Mais tout de même… Elle, par exemple…

Surtout ne pas aller par là ! Elle écarta la déprime permanente qu'était sa vie de célibataire qui arrivait à peine à joindre les deux bouts dans sa piaule minable. Avec une détermination nouvelle, elle se dit que c'était ce qu'elle avait choisi, que la vie de famille n'était pas pour elle, qu'elle faisait le boulot qu'elle aimait et que pour rien au monde, elle ne se marierait et se coltinerait des gosses à torcher ! Jamais !

Forte de cette idée, elle enjamba sa Vespa et prit le chemin de sa chambre.

oooOOOooo

La voix soyeuse d'Ella Fitzgerald remplissait agréablement le salon cosy. Assis dans son fauteuil, Laurence l'écoutait en buvant du scotch et en laissant ses pensées vagabonder. Il ne savait plus trop à combien de verres il en était, mais l'alcool mettait un voile cotonneux sur ses sentiments.

A cet instant, il se sentait délicieusement anesthésié, libéré de sa colère et de sa jalousie… De la jalousie, moi ! Allons bon ! Quelle idée stupide ! Je suis au dessus de ça, n'est-ce pas ? Marlène n'est que ma secrétaire. Je l'aime bien, mais ça va pas plus loin... Oui, je l'aime bien, elle... Mais pas cette fouineuse d'Avril qui réussissait toujours à mettre un nom sur ce qu'il ressentait, alors que lui-même était dans le noir complet et ne voyait rien venir ! Non, je ne suis pas jaloux, pensa t-il, alors qu'il savait qu'il se mentait à lui-même… je suis juste… juste… juste, quoi ?...

malheureux… lui souffla son esprit.

Laurence grogna et ferma les yeux. Avec l'alcool, il se retrouvait aussi face à lui-même, terriblement lucide sur le vide sidéral qui définissait sa vie. A cinquante ans, seul, sans ami, sans famille, sans amour… sans Maillol… il avait le sentiment d'avoir tout loupé, doutait de son pouvoir de séduction, doutait de lui tout court. Pourtant, ce n'était pas dans sa nature de s'apitoyer sur son sort. Mais depuis qu'elle était partie, plus rien n'était pareil…

Laurence se passa la main sur le visage. Il avait été honnête envers Maillol, jouant cartes sur table comme jamais auparavant avec une femme, en lui affirmant qu'il était amoureux d'elle, certainement trop sincère, et il l'avait fait fuir… Elle avait eu peur de succomber face à la pression qu'il lui avait mise et elle avait préféré partir. Et maintenant, il ne la reverrait plus, sinon dans sa mémoire… La douleur sourde de son absence enfla en lui et il éprouva le besoin de prendre l'air. En chemise, indifférent au temps de chien qu'il faisait dehors, il sortit sur le balcon et resta là, à faire taire la voix de la culpabilité.

La pluie glaciale qui tombait, chassa le brouillard alcoolique dans lequel il baignait. La rue en contrebas était déserte, le mauvais temps avait découragé les gens de sortir et chassé les derniers piétons. Il vit arriver un taxi qui s'arrêta devant sa porte, en descendit une femme cachée par un parapluie et qui ne s'attarda pas. Il s'agissait sans doute d'une de ses voisines qui rentrait après un dîner.

Quelques instants plus tard, Laurence fut surpris quand il entendit la sonnette insistante. Machinalement, il jeta un œil vers la pendule murale qui n'affichait que 21h15. Trempée comme une soupe, il rentra à l'intérieur et alla ouvrir. La surprise le laissa muet pendant quelques secondes, alors qu'il dévisageait Avril des pieds à la tête en n'en croyant pas ses yeux.

« Vous… Vous avez pris une douche tout habillé ? » Lui demanda la jeune femme qui l'observait avec la même curiosité.

« Non, Avril, ça fait des heures que je vous attends dehors... Mais qu'est-ce que c'est cette tenue ? »

« Oh, ça ! J'ai ouvert mon placard et je me suis retrouvée face à cette robe qui m'a rappelé des souvenirs. Je sais pas pourquoi, j'ai eu envie de la mettre, et… et… Je peux entrer ? »

Le visage d'Avril était tendu et il reconnut les signes d'une angoisse latente. Sans un mot, il s'effaça et referma la porte derrière elle.

Dans le salon, Avril aperçut la bouteille aux trois quarts vide, en comprit la signification et s'éclaircit la voix quand elle se retourna, inquiète. Transparente, la chemise de Laurence lui collait au torse mais il semblait totalement indifférent à sa relative humidité.

« Vous devriez vous changer. Vous allez attraper froid… »

Laurence sembla sortir de sa torpeur et se rendre compte de sa tenue. Il fila dans sa chambre et en revint quelques minutes plus tard, après avoir enfilé un peignoir et séché sommairement sa chevelure avec une serviette.

En l'attendant, Avril s'était assise et se frottait les mains anxieusement, en se demandant pourquoi elle était venue. Sans doute un pressentiment. Après ce qui était arrivé à Laurence suite au décès accidentel de Maillol, elle se faisait davantage de souci pour lui. Il n'était plus ce rock solide sur lequel elle pouvait s'appuyer quand ça allait mal. Au contraire. Ce soir, ce ne serait pas lui qui lui remonterait le moral.

« Je voulais vous inviter à prendre un verre, mais je vois que vous avez commencé sans moi… » Dit-elle en lui montrant la bouteille bien entamée.

« Ne vous gênez pas, servez-vous… » Répondit Laurence avec indifférence.

Il s'assit en face d'elle et resta un moment à regarder dans le vide.

« Ça n'a pas l'air d'aller fort, vous non plus… » Hasarda-t-elle prudemment.

Avril ne reçut qu'un grognement en guise de réponse et elle s'inquiéta. Même les joutes verbales avaient perdu de leur pugnacité ces derniers temps. C'était stupide mais ça lui manquait, toute cette énergie qu'ils mettaient un point d'honneur à dépenser en hargne et en exaspérations diverses. C'était un signe de bonne santé dans leur relation.

Pendant qu'elle se faisait cette réflexion, Laurence focalisa son attention sur elle et promena ses yeux sur sa personne. Quelle idée de mettre une telle robe par un temps pareil ? Pensa-t-il tout à coup, et il eut un rire sans joie. Typiquement du Avril dans le texte

« Je sais, je suis ridicule… » Commença la jeune femme en baissant la tête, prête à recevoir une remarque acerbe. « Quand je l'ai vue, je sais pas ce qui m'a pris… »

« Elle vous va bien, cette robe verte… » L'interrompît-il.

Avril releva la tête, surprise par son compliment.

« C'est vrai ? Elle vous plaît ? »

Il hocha lentement la tête et Avril eut un sourire éclatant.

« Merci. C'est pas souvent que vous dites des choses agréables. »

Il se leva et lui tendit la main.

« Vous voulez danser avec moi, Avril ? »

Elle le regarda, interloquée.

« Euh, Laurence… Vous êtes sûr ? Vous allez l'air tout bizarre ce soir… »

« Avril… »

Le ton devenait moins engageant. Alice se leva d'un bond et s'approcha maladroitement de lui. Elle hésita avant de mettre ses mains dans les siennes et commença à bouger, tendue tout à coup, incertaine.

« Ne soyez pas aussi raide… Laissez-vous aller. »

« Ok… C'est que j'ai pas l'habitude… surtout avec vous… Vous pouvez être… intimidant… »

« Chut… »

Avril se tut pendant quelques secondes en tâchant de se détendre. Au bout d'un moment, elle releva la tête et observa Laurence. Il avait fermé les yeux et semblait absorbé par le rythme lancinant de la musique.

Tommy Edwards déversait sa voix chaude sur « It's all in the game ». C'était un slow. Même si elle ne comprenait pas le sens des paroles, on ne dansait pas un slow à cinquante centimètres l'un de l'autre ! Après avoir pesé le pour et le contre, elle se rapprocha ostensiblement de lui. Instantanément, Laurence se raidit, mais finalement, ne la repoussa pas. Ils continuèrent à évoluer en silence, proche l'un de l'autre, chacun perdu dans ses pensées…

Ils échangèrent un long regard. Celui de Laurence était clairement ailleurs, préoccupé, nostalgique aussi. Celui d'Avril, grave et inquiet. Elle se décida à briser le silence.

« Vous voulez qu'on en parle ? »

« Non. »

« J'peux quand même vous raconter ce qui m'est passé par la tête ce soir ? »

Il soupira, la mort dans l'âme.

« Si je vous dis non, ça n'y changera pas grand-chose, hein ? »

Avril secoua la tête vigoureusement et se lança immédiatement avant qu'il ne fasse une autre réflexion.

« Je suis rentrée chez moi. C'était tellement le bazar partout que j'ai voulu faire du rangement. Comme c'est pas grand, ma piaule, je jette au fur et à mesure, vous comprenez, histoire de ne pas me laisser envahir… Parfois, c'est un vrai crève-cœur. J'ai ouvert une vieille boîte à chaussures où je garde des trucs, et je suis tombée sur cette photo… »

« Quelle photo ? »

« Je vais vous montrer… »

Elle se sépara de lui et alla fouiller dans son sac. Avril sortit le cliché et le lui montra. C'était une photo d'elle avec la mère du commissaire, et Laurence. Ils souriaient tous les trois, soulagés, après le réveil d'Alexina. Laurence la contempla avec indifférence.

« Comment elle va, votre mère ? »

« Bien… On ne se parle pas beaucoup, mais elle me demande à chaque fois de vos nouvelles. »

« Je l'aime bien, Alexina… Elle me manque. »

« Vous lui manquez aussi. »

« Vous savez quoi ? Vous devriez aller la voir. »

« Avril, moins je vois ma mère, mieux je me porte… »

« Elle sera pas éternelle, vous savez… »

Le commissaire fronça les sourcils, suspicieux.

« C'est quoi ce truc avec ma mère ? Qu'est-ce qu'il vous prend de me parler d'elle, comme ça, sans raisons ? ? » S'énerva-t-il tout à coup.

Avril baissa les yeux et sembla se faire toute petite.

« On a récemment perdu des gens qu'on aimait, vous, Marlène et moi… Même que, quand vous avez cru que j'allais mourir, vous m'avez dit des choses très gentilles qui m'ont touchée... Vous pourriez vous réconcilier aussi avec votre mère, non ? »

« Je comprends maintenant pourquoi vous avez mis cette robe... Si vous croyez une seule seconde que ça va marcher, vous vous mettez le doigt dans l'œil jusqu'au coude… »

« Non, la robe, c'était pas pour ça ! Je voulais vraiment vous emmener boire un verre quelque part, pour vous changer les idées, dans un endroit chic et sympa… La robe, c'était pour pas que vous ayez honte de moi… »

Laurence ouvrit la bouche et la considéra un long moment en silence. Avril la généreuse, Avril le cœur sur la main… Il n'avait plus envie de la railler car la réaction spontanée de la jeune femme partait d'un bon sentiment. Elle avait fait un effort pour lui plaire.

« Je suis désolé, Avril. Je ne suis pas de très bonne compagnie ce soir. »

« Justement, ça va vous faire du bien de sortir… On pourrait même danser si ça vous dit ! »

« Non. Non, merci. »

« Arrêtez de broyer du noir tout seul dans votre coin, vous allez me mettre le cafard aussi ! Déjà que c'est pas la joie ! J'en ai besoin, vous en avez besoin ! J'vous promets, vous le regretterez pas ! »

« Avril… »

« Ah non, pas de Avril ! Mettez-vous sur votre trente et un, on sort !... Allez ! Bougez-vous, Laurence, c'est à ça que servent les amis ! »

Avril se figea, puis se mordit la lèvre, incertaine tout à coup, quant à sa réaction possible devant son autorité et son affirmation, un geste qu'il trouva irrésistible… Il tiqua. Depuis quand trouvait-il qu'Avril pouvait être… irrésistible ? Surtout quand elle se comportait de façon aussi… dominatrice ?

N'empêche que grâce à ce geste, elle venait de dégoupiller toute velléité de sa part.

« Ne me regardez pas comme ça… »

« Comme quoi ? » Demanda la journaliste, soudain confuse.

« Ce que vous faites en ce moment ! Vous essayez de me prendre par les sentiments ! »

« Et ça marche ? » Demanda-t-elle, légèrement amusée cette fois.

Devant sa mine défaite, Avril éclata de rire.

« Ça marche ! Oh oui, ça marche ! »

Il essaya sans succès de dissimuler un sourire, avant de rendre les armes. C'était un combat qu'il n'avait pas la force de mener. Pas ce soir. A la vérité, il n'en avait pas envie non plus.

« D'accord. Vous appelez un taxi pendant que je me change. »

« C'est parti. »

oooOOOooo

La première chose qu'il ressentit, ce furent les battements de tambour réguliers sous son crâne. Puis, quand il ouvrit les yeux, la lumière du jour l'agressa. Machinalement, il se retourna pour lui échapper et se retrouva blotti contre un corps chaud aux courbes définitivement féminines…

Cette fois, pour le coup, il ouvrit les yeux et tenta de deviner à qui cette épaule à la peau laiteuse et parsemée de tâches de rousseur appartenait… Des boucles rousses en bataille couronnaient une tête qui se tournait lentement vers lui… L'inconnue était réveillée… Avril le regardait…

ALICE AVRIL !

Il fit nettement un bond en arrière, alors qu'Avril couvrait brutalement sa nudité en tirant sur le drap avec un hurlement, dévoilant celle de Laurence...

Tous les deux s'observaient avec horreur, incapable de faire la connexion, incapable de comprendre comment ils en étaient arrivés là… Là ! A poil, dans le même plumard !

« Oh, merde ! Merde ! Merde ! » N'arrêtait pas de répéter la journaliste qui se mordait le poing.

« Fuck ! fuck !… » Disait le commissaire, qui n'aurait pas pu mieux décrire leur situation présente.

Après s'être couvert avec sa robe de chambre, ce fut lui qui se reprit le premier.

« Je peux savoir ce que vous faites nue dans mon lit ? »

La journaliste secoua la tête en fronçant les sourcils, visiblement choquée.

« Vous croyez qu'on a… ? » Demanda-t-elle en faisant une grimace éloquente entre leurs deux corps.

Des flashbacks de la soirée défilèrent devant les yeux de Laurence. Ils avaient fait la fête tous les deux, jusque tard dans la nuit, dansé et bu plus que de raison, c'était sûr... Ils s'étaient racontés des histoires, avaient ri et chanté devant un parterre de gens autant hilares qu'eux... La honte, en public ! Ils avaient aussi pleuré, s'étaient consolés en se tenant dans les bras l'un de l'autre, pour finalement s'embrasser après qu'il lui ait dit…

Oh, Seigneur !…

Il s'en souvenait à présent. Un retour en taxi où ils contenaient difficilement leur impatience, des baisers volés et des rires nerveux, une étreinte maladroite dans l'ascenseur, et la passion qui finalement les enflammait et dévorait tout… Laurence se frappa le front avec la paume de la main…

Ils l'avaient fait… et pas qu'une fois !

Laurence n'osait pas regarder Avril. A ses : Oh non ! Non ?! Noooon ! Non ! catastrophés, il comprit qu'elle avait compris et qu'elle se souvenait, elle aussi…

« Rappelez-moi de ne plus jamais boire avec vous, Avril… » Se contenta-t-il de dire avant de se lever et de quitter la chambre.

Dès la sortie, il butta sur des petits tas de vêtements épars qui menaient à la porte d'entrée. Sans culpabilité aucune, il se souvint qu'ils avaient mis du cœur à l'ouvrage pour s'effeuiller l'un et l'autre plaisamment… Avec un soupir, il ramassa chaussures, cravate, vestes, chemise, petit soutien-gorge (qui était plutôt sexy…) et la fameuse robe dont le décolleté lui avait visiblement complètement tourné la tête.

C'était la seule explication possible… et il s'en fichait. Dans le brouillard de ce lendemain de fête, alors qu'il n'avait pas encore mesuré les conséquences de leurs actes, il était comme anesthésié, K.O. debout.

Au fond, il n'avait pas non plus envie de faire face et de réfléchir. Tout ce qu'il savait, c'est qu'il n'éprouvait aucun remord, et ça lui convenait pour l'instant. Après tout, ce qui était fait, était fait. Le mieux était encore d'oublier et de passer à autre chose… N'était-il d'ailleurs pas bientôt l'heure de se rendre au commissariat ?

Dans la cuisine, il rassembla tous les ingrédients anti-gueule de bois qu'il avait sous la main, les mixa et but. C'était immonde de goût, mais plutôt efficace comme traitement. Pour faire bonne mesure, il ajouta deux Alka Seltzer et passa dans la salle de bain où il prit une douche. Avec un peu de chance, quand il sortirait, Avril serait partie, rongée par le remord et la honte, alors que lui serait un homme neuf…

Ça lui apprendra à m'entraîner dans une virée nocturne, pensa-t-il avec délectation sous le jet d'eau. Des flashes de la nuit lui revinrent en mémoire, et il devait en convenir, ce n'étaient pas que des souvenirs totalement désagréables…

La jeune femme avait effectivement mis les voiles précipitamment, à tel point qu'elle lui avait laissé un cadeau pour le moins embarrassant : sa petite culotte, celle assortie au soutien-gorge qu'il avait trouvé coquin… C'était une pièce à conviction lourde de conséquences qu'il se ferait un plaisir d'utiliser à la moindre incartade d'Avril…

Pour la première fois depuis des mois, il partit au travail en sifflotant, un léger sourire aux lèvres.

A suivre…

Grosse, grosse incursion dans le what if ?... en anticipant certains événements d'un futur épisode (sans spoilers). J'espère que ça vous plaît. Vous pouvez me laisser vos commentaires, qui sont bien évidemment encouragés et appréciés… La suite, très vite.