Salutations camarades !
Me voici, faisant mes premiers pas sur ce site, avec une petite Stony des familles qui me trottait en tête depuis des mois. Que dis-je, des années ! Tout est parti d'un OS post-Civil War que j'avais achevé il y a un moment déjà, et puis petit à petit une suite a pris forme, et un an et demi plus tard, une poignée de nouveaux films Marvel et des nuits d'écriture (et de réécriture), je me décide enfin à en publier le premier chapitre !
Mon idée, de base, était d'écrire la suite de CW, donc une histoire canon à ce film et à tous les précédents. Bon, je me garde des détails, mais le pari est plus ou moins réussi, je pense x)
En ce qui concerne l'histoire, c'est une Stony qui a évolué en superfamily (j'avoue je l'avais pas vu venir ! mais je n'ai pas pu m'en empêcher…). Il devrait y avoir 8 chapitres (celui-ci étant clairement le plus long), mais je ne peux pas dire pour sûr puisque je n'ai pas tout à fait fini encore (je suis ultra lente, c'est impressionnant o_o mais j'arrive bientôt au bout !)
Bref, je ne veux pas trop en dire, peut-être quelques warnings ? Rated T (parce que je ne suis pas trop sûre, en vrai K+ conviendrait je pense…), du développement de personnages, un peu de angst, de fluff, mais surtout, la mort d'un personnage secondaire. (Désolée.)
Je ne veux vraiment pas en dire trop (j'en ai déjà trop dit ?), alors euh, bonne lecture, je suppose ?
Jour 1
- Boss, la signature du Bifröst a été détectée.
La voix grêle de Friday résonna dans l'immensité du workshop où Tony triturait de manière absente un tournevis sur sa dernière création. Ce n'était qu'un prototype, mais lorsqu'il donna un petit coup pour faire rouler sa chaise hors de son plan de travail à l'annonce de Friday, il s'autorisa un regard approbateur. Il allait devoir s'assurer de l'étanchéité des joints, qui devaient être aussi flexibles que son propriétaire s'il voulait garantir leur efficacité. Il savait que les quatre pattes mécaniques tiendraient le coup – il les avait dessinées lui-même. Mais il reconnaissait qu'il s'en voudrait si le gosse venait à être en mauvaise posture à cause d'une sous-estimation de ses capacités, et du pétrin quand lequel il était parfois capable de se fourrer. Les vidéos youtube ne mentaient pas.
Il se fit une note mentale de procéder à une deuxième vérification avant de commencer l'assemblage du costume, et de sa mise en forme. Le rouge et or avait fait ses preuves, le gamin allait adorer.
Évidemment, qu'il allait adorer.
Quel genre d'araignée n'avait que quatre membres, de toute façon.
Il tourna son attention à l'hologramme bleuté que Friday avait fait apparaître un peu plus loin, affichant la carte du pays que les satellites Stark conservaient en surveillance permanente, comme le reste du monde. Une région était entourée de rouge, à deux pas au sud de New York. La fenêtre zooma à l'intérieur de cette région et les calculs avaient dû s'affiner, car la zone mise en valeur se réduit à un point bien précis, au cœur d'une petite ville à en juger par les reliefs environnants.
- Parle-moi, Friday.
- Caroline du Nord. Une centaine d'individus.
- Thor ?
- Toujours aucun signe.
Tony jura dans son bouc, et se leva pour se diriger vers le fond de son labo où le grand mur ébène s'éclata en une dizaine de panneaux vernis s'éclipsant pour dévoiler le dernier modèle de l'armure Iron Man, reposant dans son cercueil de soie dorée. L'armure flamboyante s'activa à l'approche de Tony qui s'y engouffra après avoir laissé tomber ses gants de travail. L'interface s'activa dès lors que le casque se referma sur son nez, il ne prit pas le temps de contempler son plan de vol qu'il s'élançait déjà vers l'ouverture au plafond. Il attendit d'être dans les airs au-dessus de la Tour Stark pour mettre toute la puissance dans ses réacteurs, et dépassa aussitôt le mur du son. Il porta finalement attention à ses écrans.
Plus de six minutes ? Dix dollars qu'il y serait en moins de cinq.
Le trajet se fit dans le silence et la concentration. Pas que maintenir une vitesse de pointe lui demandât beaucoup d'efforts, mais il était perplexe. Pourquoi Loki multipliait-il les attaques insignifiantes à coups de monstres solitaires ou d'armées à effectifs réduits ? Cent individus était peut-être le plus grand nombre à avoir traversé le Bifröst en une fois, mais après tout pourquoi pas. Si des pieuvres géantes pouvaient franchir le portail, alors pourquoi pas toute une horde d'ennemis.
Malgré le manque de preuve flagrante, il s'agissait forcément de Loki. Tony ne pouvait pas raisonnablement penser à un autre esprit suffisamment barré pour utiliser le portail asgardien juste pour foutre la merde sur Midgard. Quant à comment il avait eu accès au Bifröst, Tony gardait la question bien au chaud pour quand il mettrait la main sur Thor. Pour l'heure, il se félicita simplement de pouvoir tracer sa signature.
Bien sûr, il pourrait remercier Banner et son algorithme de traçage, même si c'était sa technologie qui faisait ensuite tout le travail. Il se ferait un plaisir de montrer toute sa reconnaissance à l'homme au monstrueux problème de tempérament en l'invitant au japonais – qui faisait des suprêmes makis au caviar, il saliva à cette seule pensée – entre la 57e et Park Avenue. Oui, même Tony Stark savait reconnaître le génie quand il en rencontrait. Non, vraiment, il adorerait le féliciter.
Si cet abruti n'avait pas disparu.
Il refoula la pensée d'un soupir et se concentra sur son objectif. Si seulement Loki en personne pouvait avoir franchi le portail cette fois-ci, Tony se ferait une joie de l'accueillir, en le remerciant au passage pour avoir choisi l'État d'à côté et non pas une nouvelle île paumée du Pacifique. Il n'avait pour l'instant pas réussi à déceler un schéma de récurrence dans les attaques chaotiques du dieu capricieux, mais ses interventions aléatoires avaient au moins le mérite de casser la routine du milliardaire. Il avait oublié à quel point la Tour Stark pouvait être grande. Silencieuse.
Quatre minutes et trente-quatre secondes. Le clignotement de son interface le délivra de ses mornes pensées, et un sourire narquois déforma ses lèvres. Dans les dents, Friday.
Il entama sa descente et ralentit progressivement. Dès qu'il traversa la dernière couche de nuage le séparant du plancher des vaches, il marqua un temps d'hésitation en ralentissant légèrement plus. La horde d'aliens ne s'était pas dispersée, elle était agglutinée sur ce qui semblait être la marque du Bifröst. Elle était désordonnée, en se rapprochant Tony se demanda s'il ne s'agissait pas de chitauris. Fortement improbable, mais leur silhouette était similaire bien que leur équipement différent.
Peu importe leur origine, conclue-t-il rapidement à la vue des centaines de citoyens qui fuyaient, paniqués, hors de leur voiture et vers les magasins environnants. Le portail s'était ouvert en plein milieu d'un carrefour et les rues avaient rapidement été submergées par les nouveaux arrivants. Quelle diva ce Loki.
C'était à une centaine de mètres au-dessus du carnage que Tony découvrit avec étranglement la raison de l'égarement de l'armée extraterrestre. Il était vêtu de noir, ce qui le rendait difficilement distinguable de ses assaillants, mais Tony connaissait la chorégraphie de ses combats par cœur. Il pouvait reconnaître Captain America même lorsqu'il bataillait sans son inestimable bouclier.
Avant de regretter une seconde pensée, Tony plongea dans l'action. Il para sa descente au dernier moment en plaçant ses mains devant lui, gardant suffisamment d'élan pour écraser deux ennemis au sol de part et d'autre, un genou à terre, tête baissée. Il se releva sans attendre, pivota sur un pied pour placer un coup de réacteur derrière l'épaule droite de Steve où un alien allait profiter du temps mort du soldat pour lui assener un coup létal.
La menace éliminée, Tony désarma son bras. A peine essoufflé, l'homme blond se redressa prudemment, restant sur ses gardes et sans quitter des yeux l'homme de fer.
Le cœur du milliardaire rata un battement en croisant ce regard dont il avait oublié la bleuté. Hum, non, ok, en fait il ne l'avait jamais oubliée. Ce qui rendait le souvenir encore plus douloureux, et l'instant présent encore plus fiévreux. Comment aurait-il pu de toute façon ? Comme si les soixante-dix années passées dans la glace s'étaient littéralement matérialisées dans ces iris, un regard qui dans toutes ses formes et intentions revêtait une telle douceur perçante que Tony se félicita d'être caché sous son masque pour cacher son désarroi. Bien qu'il ne soit pas sûr que l'homme en face n'ait pas des rayons X dans ce regard qui ne le lâchait pas.
Les cheveux en pagaille du soldat n'étaient cette fois-ci écrasés par aucun casque, permettant à Tony d'autant mieux saisir l'expression de… Joie ? Crainte ? Confusion ? exprimée par le Captain. Soulagement peut être ? Réflexion faite, Tony ne saisissait en rien cette expression. Était-ce un sourire ?
Cette fois-ci ses fusils d'épaule s'armèrent, et une demi-douzaine de missiles contourna le soldat pour se planter dans le front d'autant de guerriers un peu trop entreprenants.
En réponse, Steve leva son bras gauche d'où un bouclier noir métallique apparu – non, c'était plus une sorte de protège-avant-bras un peu trop large en forme d'hexagone étroit dont l'un des coins était renversé. Si les caractéristiques défensives de l'engin étaient discutables, cela représentait de toute évidence une arme offensive redoutable car d'un mouvement de bras un nouvel ennemi tombait, la jugulaire tranchée par le coin affûté de l'arme.
Le frisson qui commença à parcourir l'échine de Tony fut rapidement interrompu par deux nouveaux ennemis, qu'il mit hors d'état de nuire par deux coups de propulseurs dans les genoux. Il se redressa pour en abattre trois de plus de son arme de poing, et Steve pivota pour lancer son nouvel attirail sur une autre victime derrière Tony.
Et la danse commença. Les deux héros virevoltaient dans cette valse macabre en semant des corps inertes à chaque pas. Tony préférait les propulseurs pour les ennemis proches, cette arme était peut-être moins précise mais permettait un combat rapproché bien plus aisément que les missiles, qu'il consacrait aux cibles plus éloignées. Rarement il en venait aux poings, si ce n'était quand ses adversaires étaient déjà sur lui.
Mais son cavalier leur en laissait rarement l'occasion. Il s'occupait des assaillants les plus proches en les assommant la plupart du temps d'un coup, parfois de deux pour faire bonne mesure. Le corps-à-corps de Steve était foudroyant.
Tony en avait fait l'expérience, il pouvait témoigner.
Coups de pieds, de poings, de tête, de bouclier, il fit la passe à Tony en assenant un croche-pied à un ennemi tandis qu'Iron Man lui passait par-dessus en un frôlement d'épaules pour aplatir le nouvel arrivant de son poing.
Chaque enchaînement était exécuté comme s'ils l'avaient répété, comme s'ils pouvaient lire dans les gestes de l'autre les prochains mouvements, déduisant exactement la marche à suivre, les pas à faire, parer les coups qui sont hors de portée de l'autre, couvrir ses arrières en cas d'adversaire récalcitrant, s'occuper des angles morts de chacun comme ils avaient pu jadis procéder. Cette mécanique était beaucoup trop bien huilée, beaucoup trop naturelle.
Tony actionna ses propulseurs pour s'élever dans les airs et dévier une voiture – une voiture ?! – qui leur fonçait dessus, capot le premier. Après avoir paré le vol de l'engin, il dut faire appel à la puissance de son réacteur central pour dévier le bâtiment, qui dans sa chute au milieu de la rue principale écrasa au moins cinq ennemis.
C'est alors qu'un alien survenant de nulle part lui atterri sur le dos, déséquilibrant son vol et le forçant à se poser – ou plutôt, à s'écraser lourdement. Tony ne parvenait pas à attraper l'agresseur qui commençait à sérieusement endommager les circuits de ses jointures, mais Steve était déjà là pour couvrir ses arrières. Il planta une tige de fer dans la cavité de l'extraterrestre et se retourna instantanément pour en assommer un deuxième. Tony roula sur le dos, profita d'être au sol pour flanquer un missile dans la tête de l'un d'entre eux apparemment sans jambe mais rampant vers Tony d'une manière incongrûment menaçante. Il saisit le bouclier du soldat jonchant non loin de là, activa ses propulseurs dorsaux pour se remettre debout, et lança le bouclier à Steve qui s'en saisit immédiatement pour le planter dans un autre monstre en un élégant retournement.
Comment pouvait-il seulement être élégant en tranchant des gosiers ?
Tony se serait bien baffé pour cette remarque si un nouvel ennemi ne l'avait pas fait pour lui. Réorientant sa concentration à l'action, il élimina quelques autres aliens avant de réaliser que beaucoup encore arrivèrent. Il se demanda si Friday savait compter jusqu'à cent, ou si cent était un nombre plus grand qu'il ne le pensait. Il prit une demi-seconde pour jauger la situation. Il n'y avait plus de civils dans les rues, mais ces couillons étaient aux vitres des magasins, capturant la scène avec leur smartphone. Même si à cause d'eux Iron Man ne pouvait pas utiliser ses one-shot sans toucher de civils, Tony ne put s'empêcher de penser au futur buzz que cette vidéo ferait sur le net et réprima un sourire. Pas de one-shot donc, mais des coups précis pour liquider l'escadron sans dommage collatéral. Sans aucun dommage collatéral. Il reprit donc son ballet mortel sans qu'il n'ait été notable qu'il se soit arrêté.
Une dizaine. Une vingtaine. Une trentaine d'ennemis tombèrent, mais Tony ne comptait plus. Il était emporté par la frénésie du combat et par cette concordance tacite avec son partenaire, vers lequel il ne pouvait empêcher des coups d'œil plus fréquents que nécessaire. Rien ne semblait ébranler le soldat, dont la dextérité n'avait d'égale que son assurance. Il sautait, plongeait vers ses ennemis qui dans leur dernier soupir ne devait voir qu'un éclair blond molester de coups quiconque l'approchait de trop près. Saisissant l'arme d'un adversaire pour la retourner contre le suivant, puis se servant de ses poings pour atteindre le troisième. Tony enfermé dans son armure avait du mal à concevoir que l'on puisse aller au combat en étant aussi peu armé. En l'occurrence, la force physique du Captain arrangeait bien ses affaires, car au moindre ninja-extraterrestre glissé dans son dos, Rogers était là pour lui tordre le coup, permettant à Tony de se concentrer sur un plus large nombre.
Leur ballet morbide était une machine à tuer imparable.
Malgré tout, il ne put s'empêcher de noter que les grognements de Steve se faisaient plus âpres à mesure que les têtes tombaient, les cris plus rauques. Était-il possible que le Captain fasse du lactique ? Probablement pas. La transe impétueuse prit fin avec une dernière salve de missiles, mettant à terre la dernière rangée d'opposants d'un trait. Steve assena un dernier coup de poing, et le bruit des armes et des cris fut remplacé par le gémissement plaintif de quelques blessés agonisant.
Tony reprit son souffle un instant – malgré l'armure c'était un véritable travail physique, là-dedans, qu'importe ce qu'en disaient les médias. Et un coup qu'il avait reçu à la tête lui laisserait certainement une belle commotion demain, il sentait déjà la migraine d'ici. Les deux héros s'accordaient quelques secondes de répit lorsqu'un grognement sourd retentit. Ils se tournèrent vers l'origine du bruit qui grandissait à chaque instant, vibrant puissamment par-dessus le fracas de voitures concassées. Ça se rapprochait.
Lorsque les deux dernières voitures sur le passage furent éjectées de part et d'autre, un énorme… taureau mécanique ? apparut, les narines crachant de la fumée et le sabot raclant le bitume. Non, ce n'était pas un taureau, la face écrasée et la largeur des cornes ne permettait pas de s'y méprendre, mais l'armure qui entourait la face et les flancs de la bête faisait définitivement penser à celle de ces limaces chitauris géantes. Tony ne put retenir un soupir exaspéré, laissant tomber ses épaules dans un couinement de pistons, les paumes vers le ciel. Quoi, encore ? Un regard en coin lui indiqua que Steve, lui, ne broncha pas. Il était en position, paré à ce que la bête charge.
Celle-ci mugit et racla du sabot sans s'avancer, comme si elle attendait un geste malheureux de l'un des deux héros pour charger. Peut-être sa vision n'était-elle basée que sur le mouvement ? Tony n'avait pas franchement envie d'expérimenter dans l'immédiat. Un rapide coup d'œil au sol lui fit réaliser qu'il se tenait à côté du bouclier de Steve. Se ressaisissant, il jeta un nouveau regard vers le soldat qui n'avait pas bougé, et qui adressa un hochement de tête succin, comme s'il avait lu dans les pensées de Tony.
Il avait de toute évidence lu dans les pensées de Tony.
Ainsi Tony donna un coup de pied au bouclier pour le lever dans les airs et le saisir d'un mouvement. Ok, en réalité il était incapable de reproduire ce mouvement distinctif de Rogers, c'était l'aimant situé dans le flanc de sa main gantée qui permit d'attirer le bouclier et rendit l'effet absolument stylé, mais les vidéos youtube n'y verraient que du feu. Et le style aussi, c'était important.
Sauf que ça rendit le taureau foncièrement furieux, car il se cambra une nouvelle fois avec un rugissement d'autant plus féroce, avant de foncer.
En moins d'une seconde Tony avait armé deux mini-missiles de part et d'autre du bouclier grâce à des aimants surpuissants, et tel un lanceur de disque il virevolta pour lancer le bouclier vers la face de la bête qui à présent chargeait tête baissée. Au même moment, Steve prenait de l'élan à la rencontre du monstre. En une fraction de seconde, le bouclier propulsé par les deux missiles percuta le front de la bête en plein entre les deux cornes et s'y enfonça légèrement, aidé par l'élan donné par Iron Man. Les deux missiles explosèrent, déstabilisant la chose, qui n'eût pas le temps de voir Captain America foncer les deux pieds en avant pour forcer la pénétration du bouclier dans le crâne métallique du taureau. Les genoux de la bête cédèrent immédiatement, sa tête percuta violemment le sol dans un mugissement d'agonie, mais l'élan donné par la course fit crouler le corps inerte du monstre sur quelques mètres encore. Tony pivota légèrement sur un pied pour laisser le parcours du taureau se terminer un peu plus loin. Le style, vous dis-je.
Finalement arrêtée, Tony contourna la bête et s'avança légèrement pour contempler les méandres de cet affrontement qui, en toute modestie, pourrait rester dans les annales. Les cris de ses groupies derrière la vitre de ce restaurant confirmaient que c'était assuré pour la postérité. Mais le nombre de corps sans vie était impressionnant, ç'avait été un carnage. La ville n'avait pas été épargnée, autant de voitures renversées que de vitrines brisées jonchaient le sol aux peu d'endroits non recouvert par le sang violâtre des victimes extraterrestres. Après avoir constaté les dégâts dont il n'était pas fier, il finit par lever les yeux vers Steve qui avait roulé de l'autre côté du taureau lors de l'impact, mais qui était déjà debout et qui semblait être en train de le regarder depuis un moment déjà.
Ah, oui. Donc le vrai combat commençait.
Steve restait silencieux, faiblement haletant. Ah, non, il ne l'y prendrait pas, à ne pas entamer la conversation. Tony n'avait aucune envie de lui faire cette faveur. Les derniers mots échangés l'avaient été dans un bunker sibérien après que les deux hommes aient tentés de s'entre-tuer. Nope, Tony serait le dernier à lui rendre la tâche facile. Si Steve avait quelque chose à lui dire, c'était maintenant, Tony en avait assez fait.
Ne pas s'y méprendre : il aurait volontiers fait des efforts et admis qu'il avait pu avoir des torts, lui aussi. S'il en avait eu. Sauf qu'il n'en avait pas. Il ne s'excuserait jamais d'avoir tenté de tuer l'assassin de ses parents. De sa mère. Il ne s'excuserait pas d'avoir tenté de protéger le monde des excès qu'ont pu commettre les Avengers. Ultron à l'appui – il savait de quoi il parlait. Il ne s'excuserait pas pour la division de l'équipe aujourd'hui réduite au souvenir, car pour lui le seul responsable était l'homme qui lui faisait face, en n'ayant jamais accepté de reconnaître la douloureuse nécessitée de contrôler leurs actions. Il avait fait des efforts, déjà, en joignant Rogers dans ce bunker pour y trouver d'autres Winter Soldiers. Il avait fait cet effort, pour découvrir la plus grande traîtrise de ce vingt-et-unième siècle auquel cet homme n'appartenait même pas. Pire que le Watergate, que la théorie de complot du 9/11, que l'HYDRA caché sous les traits du SHIELD ou que la mort de Coulson.
Captain America était un menteur.
Alors non, il ne lui ferait pas le plaisir d'entamer la conversation, pas à cet homme en qui il avait eu confiance, envers qui il avait éprouvé – dans l'ordre – de l'admiration, du dédain, de la compassion, de l'amitié, du dés- aujourd'hui résumés par un inéluctable sentiment de trahison. Aucune faveur.
L'admiration aurait pu être évitée si Papa Stark n'avait pas insisté pour accrocher ce poster de Captain America au pied du lit de Stark Junior. Le dédain, inévitable après s'être rendu compte que c'était ça mon héros d'enfance ? La compassion, Tony ne l'avait jamais avouée qu'à lui-même – il lui reste des standards à entretenir, Tony Stark ne compatissait pas –, mais pour un fossile d'un autre temps, Tony pouvait admettre que le vingt-et-unième siècle devait sembler agressif. L'amitié était encore plus difficilement avouable, certainement que la collocation avait aidé. Oh, et peut-être les quelques combats menés côte-à-côte pour la survie de l'espèce humaine contre des centaines de milliers de forces étrangères n'ayant que comme seule vocation l'éradication des Avengers, aussi.
Et puis ce nœud à l'estomac à mesure que le contact visuel se prolongeait, Tony en était maintenant persuadé, Rogers avait une vision X. Rarement s'était-il sentit aussi désarmé… dans son armure. Il rompit le contact visuel qui semblait s'éterniser et scanna rapidement les alentours, la couleur bleutée de son interface lui confirma l'absence de menace. Physique, du moins.
Quand Tony y repensait, New York lui avait laissé de sacrées séquelles. Les cauchemars, les crises d'angoisse, les pulsions autodestructrices. C'avait été violent, il devait bien l'admettre. Il en avait carrément chié. Mais il était tenté de reléguer tout ça au rang de mauvais lendemain de soirée face à ce que lui inspirait ce regard pesant qu'il sentait même grandissant, de l'homme à quelque pas de là. Comment bordel s'y prenait-il ?
C'en était trop. Tony entama un demi-tour et, ok Cap, tu gagnes celle-là, lâcha de sa voix métallisée :
- Je suppose qu'on en a fini ici.
- Stark.
Tony n'eût pas besoin de désactiver ses propulseurs, il ne les avait pas même mis en marche – tu es un terrible bluffeur Tony. Et puis non, ce n'était pas une menace de fuite. Mais de départ. Peu importe la terminologie, le bond de son estomac était bien concret, lui. A défaut des poings il serra les dents, se retourna vers son interlocuteur, prêt à débourser tout ce que son sentiment de rancœur avait mijoté ces longs derniers mois durant. Lâche-toi Cap, un mot de travers et je me la fais cette dentition parfaite.
Merde, qu'est-ce qu'il était à cran.
- C'est bon de vous revoir.
La baudruche se dégonfla instantanément. Tony décontracta des muscles qu'il ignorait être contractés, desserra les dents pour se rendre compte qu'il s'en abîmait la mâchoire, et reprit la respiration qu'il n'était pas conscient d'avoir retenue. Toute cette rancœur, blottie au fond de ses tripes, toute cette frustration que Tony savait prête à éclater à la face du seul responsable de tout ce bordel, toute cette haine ! Désarmée, comme ça. D'un simple sourire.
Et le pire, c'est que ça marchait.
Bon Dieu, ce sérum devait inclure des pouvoirs psychiques, ou alors Wanda avait encore joué avec sa tête, parce qu'en se tenant ainsi face au Captain, Tony n'avait plus qu'un seul sentiment à exprimer dans cette cacophonie émotionnelle.
Le manque.
Le casque se rétracta sans qu'il ne se souvienne le lui avoir demandé, mais il reconnut que l'air frais de la Caroline du Nord s'engouffrant dans ses cheveux lui fit le plus grand bien. Il s'entendit dire :
- Vous pouvez pas vous empêcher de chercher les ennuis.
Et le sourire de l'autre de s'accentuer.
- C'est parce que je sais que vous n'êtes jamais bien loin.
Tony ne souriait pas – pas exactement. La boutade l'en lui donnait envie, mais les muscles de son visage n'étaient pas vraiment coopératifs, et lui donnaient plus l'impression qu'il allait pleurer dans l'instant. C'était tellement ridicule. Steve ne pouvait pas se douter de l'aparté interne qui se jouait actuellement dans la tête de Tony – ou le pouvait-il ? certainement qu'il le pouvait – puisqu'il s'avança et contourna le taureau inconscient sans lâcher son sourire, bien qu'avec la moindre distance Tony pouvait maintenant dire que c'était un sourire tout aussi fatigué que sincère.
Des sirènes raisonnèrent au loin. Sérieusement ? Tony se demandait si les forces spéciales de ce pays faisaient encore au moins semblant d'être réactives, ou si elles avaient irrévocablement délégué la sécurité des citoyens aux super-héros. Cet événement anodin du quotidien arracha cependant un froncement de sourcil au Captain, qui tourna la tête vers l'origine du bruit et murmura :
- Les fédéraux…
Le sourcil de Tony obtempéra cette fois pour se lever en une moue interrogatrice, avant que son génie ne le rattrape. Fugitif. Évidemment. C'est ce qui arrive, Captain Je Sais Tout, quand on décide de violer une prison ultra-sécurisée en plein milieu de l'Atlantique après avoir dénié l'autorité de l'État, voler la propriété du gouvernement, casser le tarmac d'un aéroport, aider la fuite de l'ennemi public en tête de liste… Ah, les faits sont nombreux, et Tony pourrait les faire défiler s'il en avait envie.
Au lieu de ça, il rabattit le casque sur ses oreilles, engagea ses propulseurs et dit de sa voix de métal :
- Je vous dépose ?
D'un hochement de tête Steve acquiesça, et vint se positionner au flanc de Tony. Celui-ci l'agrippa par la taille, permettant au soldat de passer son bras par-dessus ses larges épaules de fer. Ce mouvement n'était pas nouveau, plus d'une fois en combat et antérieurement à l'entraînement les deux hommes avaient été amené à s'échapper par les airs, c'est donc tout naturellement qu'ils se mirent en position pour prendre leur envol.
Mais le contact fit bouillir Tony. Il tenta de se concentrer sur son équilibre – car soulever deux fois son poids avec un réacteur de moins n'était pas donné – tout en félicitant une fois de plus sa carapace d'acier, et en particulier son système de refroidissement.
Le dernier contact que Tony avait eu avec Rogers, dans ce fichu bunker sibérien, était Steve martelant à coup de poing le casque de l'armure jusqu'à le briser, pour assener un dernier coup de bouclier fatal au cœur de l'armure, maintenant Tony à sa merci, le souffle rauque, le regard glacial. Alors non, Tony ne s'attendait pas à retrouver du confort dans le contact avec le soldat. C'était même la dernière chose raisonnablement envisageable si tant est que son instinct de survie ne fût pas complètement dysfonctionnel. Alors pourquoi bon sang se sentait-il si serein à étreindre le Captain de la sorte ? Ses pulsions autodestructrices ne devaient pas avoir complètement disparues. Il sentit au contraire sa prise se resserrer, peut-être un peu plus fort que nécessaire, amenant Steve à en faire de même.
Le système de refroidissement s'emballa.
Fort heureusement, le vol fut de courte durée, Iron Man entama la descente sur le toit d'un centre commercial à quelques blocs de la zone de combat, leur permettant de garder en vue l'arrivée des fédéraux tout en se dissimulant des regards indiscrets. L'atterrissage et la rupture du contact fut plus douloureux que Tony ne l'admettra jamais.
Il s'autorisa quelques secondes pour se recomposer avant d'ôter son casque à nouveau, puis s'orienta vers le bord du toit pour observer la police arriver sur les lieux. Une douzaine de voitures toutes sirènes dehors, et une poignée de vans sans aucun doute remplis de forces spéciales, prêtes à l'action envahirent bientôt les rues, sécurisant les citoyens et prenant la mesure des dégâts. Tony était conscient que tandis qu'il regardait le cirque se mettre en place, Steve le regardait lui. Mais une fois encore il ne lui ferait pas le plaisir de rendre cette conversation facile.
Ce n'était pourtant pas le nombre de moyens de la démarrer qui manquait.
Alors, ça fait quel effet, de passer du rang d'enfant chéri de l'Amérique à ennemi mondial numéro un ?
Sympa le costume, design soviétique ?
Et bien capitaine, l'équipage a quitté le navire ?
C'est mon Quinjet qui t'as permis d'arriver jusqu'ici ?
Mais une fois n'est pas coutume, les sarcasmes ne parvinrent pas à faire la connexion entre le cerveau et la bouche de Tony, le laissant parfaitement silencieux. Un pincement au cœur l'obligea à se retourner quand Steve rompit le silence.
- Comment ça va, Tony ?
Ah ! Comment ça va ? A quel genre de raisonnement l'homme était en train de procéder pour poser une question pareille ? Comment ça va ?
Tranquille, je risque d'avoir de beaux bleus demain, mais ce combat était d'anthologie, pas vrai ? Ah, pardon, tu voulais parler de comment je vais après avoir découvert que mes parents avaient été assassinés de sang-froid par un meurtrier dont la liste des victimes est plus grande que celle de mes défauts, mais parce qu'un homme que j'ai par mégarde osé appeler mon ami s'est interposé pour se retourner contre moi et protéger ce bourreau j'ai fini en pièce détachées dans un bunker sibérien avec un arc réacteur et une confiance réduits en miette ? Super !
Comment ça va ? Tony réprima un soupir, ou un rire narquois, ou un sanglot, il ne savait pas trop – cette boule dans la gorge embrouillait même son dédain – comment ça va ? Je t'en poserai des questions, Rogers.
- Super.
Tiens, débrouille-toi avec ça. Mais pour faire bonne mesure, il ajouta :
- Débordé.
Non, Tony ne tournait pas en rond dans cette Tour Stark devenue mille fois trop grande pour le milliardaire seul : il se réappropriait l'espace. Non, il ne cherchait pas à retrouver une dynamique d'équipe en investissant l'apparition de Spider-Man sur la scène publique et en permettant au gamin d'avoir accès à des technologies que Tony refusait en temps normal même aux chercheurs du SHIELD : il s'assurait simplement de créer un rapport cordial avec la nouvelle génération.
Non, il ne cherchait pas à retrouver la fébrilité des combats avec les Avengers en traquant Loki et en espérant à demi-mot et à chaque fois voir apparaître un dieu de la foudre, ou un géant vert, ou un sniper moyenâgeux, ou une espionne russe venimeuse, ou une expérimentation allemande aux pouvoirs psychiques, ou qui que ce soit d'autre terrassant déjà le-quelque-nouveau-monstre-que-ce-soit : il endossait son rôle d'Iron Man solo qui lui seyait si bien.
Non, il ne travaillait pas une seconde fois sur son deuil. Il entretenait le souvenir de ses parents.
Non, il ne pleurait pas la rupture de Pepper. Il se disposait pour de nouvelles rencontres.
Non, il ne pleurait pas le handicap de Rhodes. Il aidait la médecine à avancer.
Non, il n'avait pas désespéré de revoir Rogers. Il avait simplement des comptes à régler.
Quant à son estomac qui faisait des nœuds, ce ne pouvait être que le fruit du burrito un peu trop épicé qui lui avait fait office de petit-déjeuner. Ne t'y méprend pas Rogers, ni toi ni les autres ne m'êtes indispensables, je vais très bien, seul.
Le problème, c'est que les pouvoirs télé-kinésiques du super soldat n'avaient pas l'air d'acheter ce mensonge, à en juger par le léger haussement de sourcils qui déformait dorénavant le visage parf- le visage de l'autre. L'armure semblait soudain bien étroite, Tony retourna son attention au remue-ménage du carrefour en bas où le nettoyage avait commencé. Pauvres hommes. Tony retint une grimace au souvenir de la cervelle qui s'était dispersée lorsqu'il avait collé ce missile dans la tête de l'une de ses victimes. Cela lui rappelait vaguement le travail que devait effectuer son équipe de nettoyage quand Dummy loupait un smoothie, car s'il y avait bien une chose que Dummy faisait en toute splendeur, c'était louper.
Tony sentit Steve s'avancer à sa hauteur, et joindre son regard au sien, porté sur la scène de ménage.
- Vous savez, finit-il par dire. Les Avengers, ce n'est pas fini.
Tiens donc, v'là autre chose. Étrangement, Tony avait un sentiment bien différent, à avoir affronté tous ces dangers mortels seul ces derniers mois. Si encore il avait eu des signes de vie de ses anciens coéquipiers, mais pas un ne semblait vouloir être retrouvé. Pas que Tony ait essayé, non plus, mais aux dernières nouvelles il n'avait pas changé la serrure des quartiers généraux. Pour autant aucune trace de vie n'avait été détectée dans l'établissement depuis qu'il l'avait quitté.
Bruce Banner avait disparu depuis Ultron déjà, pas étonnant qu'il n'ait toujours pas refait surface. Mais Tony suspectait Natasha d'être partie à sa recherche, car sa disparition à elle était bien plus récente, expliquée notamment par son soudain virement de camp suite à la bataille de Leipzig. Et étant donné que tout ce qu'elle avait en tête depuis la Sokovie était de retrouver son amour interdit, il ne faisait aucun doute qu'en retrouvant Banner, on se rapprocherait de Romanoff. Tony avait pu en avoir, des mauvaises idées, mais tenter de retrouver une espionne russe et un génie aux colères dévastatrices alors qui ne souhaitaient pas l'être n'en faisait pas encore partie.
Thor était probablement en train de s'occuper de désagréments d'une autre ère, étant donné que malgré les caprices de son frère on ne disposait d'aucun signe du dieu nordique. Il faudrait un jour que Tony mette au point un téléphone interplanétaire pour contacter le guerrier asgardien, car le manque de moyen de communication commençait à faire grincer l'ingénieur des dents.
Il se demandait par la même occasion si Vision n'avait pas décidé d'aller visiter le voisinage galactique, puisqu'il lui avait mystérieusement parlé d'éclaircir les mystères de son origine, de comprendre son existence... Tout un programme. Tony n'étant parfois pas capable de dire quand l'homme rouge se trouvait dans la même pièce que lui, il pouvait difficilement dire s'ils se trouvaient toujours sur la même planète.
Quant aux autres, Tony ne savait même pas comment les considérer. Barton avait été clair quant à son envie de prendre sa retraite. T'Challa avait pu se battre à ses côtés le temps d'une branlée, mais le roi wakandais avait certainement mieux à faire que de joindre un cirque pareil. Ce mec à la physique improbable… Ant-Man, de ce qu'il avait pu entendre dire – si tant est que les fourmis mesuraient maintenant quinze mètres de haut – n'avait jamais fait partie de l'équipe, tout comme Spider-Man qui de toute façon faisait un boulot correct en solo. Maximoff avait plutôt raison de se faire discrète, quant à Wilson… c'est vrai tiens, Tony était surpris de voir Rogers sans son fidèle serviteur. Et Rhodes était hors service. Pauvre Rhodey.
Alors non, Tony ne voyait pas ce que Rogers entendait par le fait que ce n'était « pas fini ». Si être recherché par toutes les polices du monde pour haute trahison ne retenait pas le soldat de refaire surface, Tony se demandait ce qui pourrait bien le faire. Quand bien même, quand bien même tous ces énergumènes étaient individuellement retrouvés et amenés à s'asseoir autour d'une table, leur vision de l'équipe et de ses objectifs était trop discordante pour permettre la genèse d'un nouvel esprit d'équipe capable de maintenir un semblait de coercition entre eux. Les membres des Avengers avaient disparu, il en allait autant du concept.
- Et qu'est-ce qui vous fait penser le contraire ? demanda Tony en se tournant vers le blond.
- Parce que le monde a besoin de nous, répondit-il, inébranlable face au regard dubitatif de l'homme à l'armure.
Tony voulut ouvrir la bouche pour protester, mais se ravisa face au caractère péremptoire de la rhétorique du soldat. Il marquait un point. Le cri d'une femme découvrant les restes d'un extraterrestre probablement aplati sur sa voiture vint renforcer l'argumentaire du capitaine, et Tony ne put s'empêcher un coup d'œil vers la victime. Pauvres civils. Tellement vulnérables face à ce qui se jouait au-dessus de leur tête. Des combats démesurés aux enjeux burlesques, allant de l'asservissement de la race humaine jusqu'à son extinction pure et simple. Ce combat pour la survie de l'espèce humaine, ce n'était pas ce pourquoi Tony avait empilé. Il n'avait jamais envisagé de se retrouver dans une situation aussi extrême. Comment aurait-il raisonnablement pu ? Armer les militaires américains pour protéger sa nation, cela lui était apparu comme une évidence, un héritage. Désarmer les cellules terroristes qui s'étaient procuré ses armes et les utilisaient pour très exactement menacer la sécurité de la Mère Patrie, cela s'était révélé à lui comme un devoir, une erreur à rectifier, un mea culpa à adresser à l'Amérique, et au monde. Mais en un battement de cils, la situation s'était retrouvée hors de contrôle. Comment en était-il arrivé là, un homme en armure, condamné à protéger l'humanité ? C'était un combat qu'il ne pourrait pas gagner, si son intuition était la bonne – et jusqu'ici elle lui avait rarement fait défaut – rarement – quelque chose de bien plus grand se jouait. Et seul, il serait bien impuissant.
Donc ça lui faisait mal au cul de l'admettre, mais il savait au fond que Rogers visait juste. Tôt ou tard, il faudrait bien plus que des justiciers solitaires s'ils voulaient encore prétendre pouvoir assurer la sécurité de leur bout de planète. Seulement dans l'immédiat, Tony avait bien du mal à imaginer comment.
Face au flottement de l'homme de métal, et comme pour répondre à son monologue interne, Steve lança une invitation.
- Qu'en dites-vous ?
Tony grimaça, les sourcils froncés, et ne pouvant se résoudre à faire face à ces grands yeux bleus plein d'assurance qui ne le lâchaient pas.
- J'en dis que c'est pas si simple.
Pour toutes les raisons qu'il avait déjà énumérées et plus encore, Tony n'allait pas juste donner sa bénédiction au Captain qui ne semblait attendre que ça. En réalité, il n'avait aucune envie de lui concéder le moindre point. Comment un homme avec autant de convictions pouvait-il être autant à côté de la plaque ? Réunir l'équipe et contourner les conflits politiques représentaient déjà de sacrés obstacles en soi, mais Rogers ne semblait pas se rendre compte du véritable défi auquel il se confrontait en l'instant.
Il n'était pas près de regagner la confiance de Tony.
Alors certes, l'osmose du combat était toujours là, et Tony savait, au fond, que dans des situations pareilles Rogers restait son meilleur allié. Mais non, qu'il ne s'attende certainement pas à ce que le milliardaire lui emboîte le pas uniquement parce qu'il aura revêtu son plus tendre regard de bébé labrador. À vrai dire, Tony commençait à être sérieusement agacé par la présomption non dissimulée du soldat. Il ne pouvait pas juste débarquer toutes dents dehors et demander à Tony de le suivre les yeux fermés. Déjà en temps normal ç'aurait été culotté. Mais alors après lui avoir refait le portrait dans ce cimetière sibérien ? C'en devenait carrément insultant.
Steve ne se démonta pas pour autant, et osa même insister.
- Ça ne revient jamais qu'à nous de déterminer si on veut rendre ça simple, ou compliqué.
Ha ! HA ! Ce toupet ! Venait-il juste d'insinuer que c'était Tony qui en faisait des tonnes ? Venait-il juste d'assumer que si la situation était telle qu'elle était, c'était parce que Tony rendait ça compliqué ? Dans quel monde de bisounours pensait-il sincèrement vivre pour oser prétendre que si Tony voulait bien calmer ses excès d'humeur, alors le monde entier s'en porterait mieux ? Ha ! et ce regard dégoulinant d'empathie qui lui filait la nausée. Cet air condescendant et ce trop-plein d'assurance, ce jamais-aucune-remise-en question permanent. Tony serra la mâchoire, fixant sans le voir le remue-ménage d'en bas, avant de décider que c'en était trop.
- Va falloir arrêter de penser que tout ne repose que sur vos bonnes volontés Rogers. Attendez voir, j'crois qu'y a un mot pour ça. Vous savez, quand on cherche à avoir toujours raison, à tout contrôler ? Sans n'avoir aucun compte à rendre ? Quand on se croit au-dessus de tout, et de tout le monde ?
Il débitait ces mots en s'éloignant du bord du toit, mimant une réflexion intense.
- Mince, je l'ai sur le bout de la langue… Despotisme ! C'est pas ça ? Faudra que je redemande à Loki, à l'occasion...
Rabattant son casque sans laisser à l'autre – qui était resté coi une seconde de trop – le temps de répondre, il se prépara à prendre son envol.
- J'en ai assez entendu, répondit sa voix métallique à l'appel de Steve qui lui demandait de rester.
Et il activa ses propulseurs, lui permettant de s'éloigner le plus rapidement possible avant qu'il ne regrette sa décision, décide de faire demi-tour, et de finalement céder à son envie de lui faire une nouvelle fois manger son poing.
Quelle suffisance ! Tony pestait dans son armure tandis qu'il franchissait les épais nuages le séparant des couches supérieures de l'atmosphère. Était-ce une piètre tentative de manipulation doublée d'une naïveté mal placée, ou est-ce que l'homme était sincèrement convaincu que Tony serait prêt à lui accorder une deuxième chance ? Allez citer une raison valide pour que Tony accepte seulement de l'écouter ! Ah, comment avait-il pu penser un instant que Captain America valait mieux que tous ces présupposés qu'il avait pu avoir à son égard ? Toujours se fier à sa première intuition. Non seulement il était un fossile décongelé d'un autre âge se pensant au-dessus de la complexité du monde dans lequel il évoluait, mais il était en plus d'un présomptueux mégalomaniaque qui le mènerait lui, et tous les idiots à qui l'envie prendrait de lui faire confiance, à leur perte.
Arrivé au-dessus de l'épais tapis cotonneux, il donna un coup d'accélérateur et atteint sa vitesse de pointe. Il fallait qu'il s'éloigne de cette mauvaise blague, se sermonnant au passage pour ne pas être parti à la première occasion.
Il ne put s'empêcher de ressasser tous les épisodes où Captain Parfait avait pu montrer aussi peu de considération pour ce que Tony pouvait bien en penser. Avec un peu de mauvaise foi il parvint à en lister un certain nombre – de la découverte de l'armada du SHIELD grâce à la technologie du Tesseract à la création de Vision, en passant par la signature des Accords de Sokovie, le mensonge sur ses parents, et son refus d'admettre que la pizzeria de la 15e était bien meilleure que celle de Little Italy.
Il s'énerva tout seul de bonnes minutes encore avant que Friday ne l'arrache de ses pensées.
- Boss, j'ai une demande d'établissement de contact radio.
- Hein ? De qui ?
- Du Quinjet.
Tony jura et se maudit d'être si distrait. Un rapide coup d'œil à son radar indiquait qu'effectivement, un appareil furtif le suivait de près. Le Quinjet n'était qu'à quelques dizaines de mètres derrière lui, et avait ajusté sa vitesse au rythme de croisière de l'homme en armure. Tony ajouta rapidement « borné » à la liste des défauts de Steve Rogers.
- Refusé, adressa-t-il à l'attention de Friday.
Et il vira subitement de bord, plongeant par là même dans les nuages, avant de changer de nouveau de direction pour réajuster son cap, entamant un léger détour vers sa destination finale. Pour une fois, Tony bénit l'épaisse couverture de nuage recouvrant la région : Rogers perdrait au moins son visuel.
Il ne voyait rien dans cette brume épaisse grisâtre, et pria silencieusement pour ne percuter aucun oiseau – ou de quelconques autres objets volants. Seule la lumière de son interface lui donnait encore un semblant de repère. Après de longues secondes sans autre perturbation que le bruit du vent et le ronronnement des propulseurs, Tony apprécia enfin le fait que le Quinjet ait disparu des radars.
- Friday ?
- Je ne le localise plus. En mode furtif le Quinjet n'est repérable qu'à faible portée, donc je dirais que vous l'avez semé, boss.
- Reste alerte. Je ne lui fais pas confiance...
Il scrutait s'en rendre compte ses radars, redoutant la réapparition du vaisseau, avant de constater avec soulagement qu'il était à deux doigts d'entrer dans la zone aérienne de New York. Malgré la technologie de pointe avec laquelle il avait équipé l'appareil, jamais le Quinjet ne serait capable de s'introduire dans le périmètre new-yorkais sans se faire repérer. Recherché comme il était, Rogers ne prendrait jamais un risque pareil.
… pas vrai ?
S'il n'était pas déjà à plein régime, Tony aurait accéléré à l'idée du double whisky qui l'attendait. Mais l'interface de l'armure se brouilla soudain, et la voix de Friday se fit trouble, comme si une friture parasitait la communication avec son IA.
- T-ony, articula la voix hachée de Rogers.
Il sursauta autant que son armure le lui permit. Il tenta de trouver une explication en parcourant frénétiquement son interface des yeux, mais il ne voyait toujours rien sur son radar. D'où est-ce qu'il pouvait bien venir ? Et comment bon sang avait-il réussi à pirater Friday ?!
- Je- souhaite juste vous parler, finit-il en bien meilleure qualité.
Tony soupira.
- De toutes les mauvaises idées que vous avez pu avoir ces derniers temps, celle de venir jusqu'ici mérite sans aucun doute un prix spécial.
Il aurait juré avoir entendu Steve sourire.
- C'est que vous ne rendez pas les choses faciles.
Quel effronté, voilà que c'était encore de sa faute ! Le milliardaire était en colère. Oui, il était à deux doigts de l'envoyer paître une fois de plus, une demi-douzaine de remarques lancinantes l'invitant à aller voir ailleurs sur le bout des lèvres. Mais complètement déshabité, il ne put en formuler une seule. Quelque chose, une curiosité viscérale, un besoin de plus, l'en empêchait.
- Accordez moi cinq minutes, continua la voix fantôme de Steve, et je repartirai comme je suis venu.
L'interface était de nouveau lisible, et Friday opérationnelle. Tony se mordit inconsciemment la lèvre, et observa la distance le séparant de la Tour Stark. Moins de deux minutes.
- Tu parles, marmonna-t-il ironiquement à lui-même.
Il gardait les yeux rivés sur son interface, comme à la recherche d'une solution désespérée qui ne vint pas à lui. Une minute et vingt-deux secondes. Il venait de sortir de la couche de nuages, et voyait la skyline de la ville se dessiner devant lui. Du fait de la météo obstruée et de la faible luminosité, la ville avait arboré ses lumières. A moins que ce ne soit déjà la fin de journée ? S'il portait la moindre attention à ses écrans lumineux, il pourrait voir qu'ils étaient effectivement déjà en début soirée, mais il regardait à présent dans le vide, fixant ses écrans sans les voir. Il ne s'entendait plus penser, n'était pas tout à fait sûr de ce qu'il était censé faire. Quel était le problème, déjà ?
- Une minute boss, intervint Friday sans rien ajouter d'autre.
Sans doute consciente de la situation.
Il venait de dépasser la Statue de la Liberté. Malgré le silence radio, la communication était crépitante, la ligne toujours active. Quarante-huit secondes. Merde.
- Friday, active les protocoles d'atterrissage du Quinjet. Adapte-les au mode furtif, et assure-toi de faire de la place dans le hangar. Met la Tour en confinement maximal.
Merde !
Il ralentit enfin en dépassant l'Empire State Building, et vint se positionner en position verticale au-dessus de la Tour Stark, dont le toit s'était ouvert à son approche. Il constata en contre-bas les rails d'atterrissage émerger du balcon de la tour, certainement légèrement rouillés après de nombreux mois d'inactivité. La façade du bâtiment avait fait place à une ouverture béante donnant un accès direct à l'intérieur de la demeure. Surplombant son édifice, Tony restait figé en vol, scrutant le moindre remoud de nuages qui trahirait l'arrivée de l'avion de chasse. Mais le ciel obscur était impénétrable, et les secondes furent longues.
Tout d'un coup deux énormes réacteurs apparurent d'entre les nuages dans un vrombissement assourdissant. L'appareil franchit la faible distance le séparant de sa piste d'atterrissage en quelques secondes, et enclencha ses trains d'atterrissage aux rails sans manœuvre supplémentaire. Avant même que le Quinjet ne soit complètement stabilisé les rails se rétractèrent vers l'intérieur de la tour, et la façade du bâtiment se referma. Les vitres s'étaient teintées d'un noir opaque. Toujours assez peu revenu à lui-même, Tony s'engouffra dans l'ouverture du toit et une fois sur le sol de son workshop s'extirpa de son armure en moins d'une seconde. Il sortit de son labo et prit les escaliers menant au rez-de-chaussée, où son visiteur l'attendait déjà très certainement. Il préféra cependant porter son attention au whisky qu'il s'était promis. Triple.
Sauf qu'il n'avait pas encore atteint le bar qu'il aperçut effectivement le soldat à l'autre bout de la pièce. Il ne ralentit pas sa course, et alla se réfugier derrière son comptoir. Il saisit la bouteille de scotch en évidence sur le buffet, et commença à se servir un verre généreux. Lorsqu'il leva les yeux, ce fut pour constater que Rogers s'était à peine avancé. Debout de l'autre côté de l'immense pièce à vivre, l'homme blond semblait hésitant. Attendait-il une invitation ?
Comme à son habitude après un retour de mission, il s'était délesté de son gilet de combat pour faire place à un simple haut stretchy noir. Cela devait faire une éternité qu'il n'avait pas remis les pieds dans la Tour Stark. Après Ultron, le leader avait établi ses quartiers à la base des Avengers au nord de l'État, tandis que Tony était resté à Manhattan avec Pepper. Elle lui paraissait loin, l'époque où ils vivaient ensemble, partaient en mission, et se retrouvaient après coup pour célébrer leur réussite autour d'un rafraîchissement bien mérité, qui une fois sur deux était un poil trop arrosé. La Tour Stark n'avait jamais été autant animée que durant ces quelques mois de cohabitation. Outre la vie d'équipe, ce qui manquait le plus à Tony était de se savoir entouré de gens comme lui. A la nuit tombée, lorsqu'il souffrait d'une énième insomnie, il pouvait se lever en sachant qu'il trouverait Rogers à se défouler dans la salle de gym, Clint à dévaliser le frigo de la cuisine commune, ou encore Banner à se triturer les méninges dans son workshop aménagé à l'occasion. Ces quelques mois de cohabitation avaient permis à Tony, pour la première fois de sa vie, de se sentir à sa place, avec des gens auxquels il pouvait enfin s'identifier. Mais cela avait fini aussi vite que ça avait commencé.
Face à l'air indécis de son invité et à ce souvenir, Tony ne put s'empêcher une once de ressentiment. Tantôt si condescendant, Rogers lui évoquait à présent une amère tristesse. Le soldat finit néanmoins par lever le regard pour rencontrer celui du milliardaire. Celui-ci s'autorisa une gorgée de sa boisson maltée pour dissiper cette soudaine aigreur dans la gorge. Whisky en main, il contourna son bar et afficha ce sourire qu'il réservait généralement aux caméras.
- Je vous offre un verre Captain ? Sans chercher à vous saouler – ce qui est de toute façon impossible – je crois me souvenir que vous appréciez le scotch irlandais. Je viens d'en ouvrir un oublié dans la cave à vin, il est presque aussi vieux que vous... Personnellement je les préfère légèrement boisés, mais celui-c-
Tony s'étrangla lorsque son regard, jusqu'alors plutôt évasif, se posa sur la raison certaine de l'égarement momentané de Steve.
Le bouclier était juste là.
Reposant à l'autre bout du large canapé d'angle, bien en évidence, Steve n'avait pas pu le louper. Encore égratigné de son dernier combat, de la poussière ternissait sa peinture d'ordinaire flamboyante, et trois traces de griffes avaient éraflé ses couleurs patriotes. Cela ne dura qu'un quart de seconde, un malheureux quart de seconde où le masque de Tony Stark s'écroula. Submergé par l'amplitude et la complexité des sentiments qui refirent violemment surface. Tous ces mois passés à panser la blessure, rouverte à vif en un instant, par la simple réunion de l'arme du crime et de son bourreau. Qui était à quelques pas de là, inexpressif, telle une statue de cire.
Un quart de seconde.
Il ne voyait plus le bouclier. Il l'avait déposé ici, il y avait maintenant un an de ça, et n'y avait jamais retouché. Ç'aurait été un coussin assorti au sofa que cela lui aurait fait le même effet.
Et soudainement, il ne pouvait plus l'ignorer. La douleur du souvenir lui tordit les boyaux.
Il n'y avait pas d'armure, pas de combat, de horde d'extraterrestres hostiles et de poussée d'adrénaline permettant de masquer le traumatisme. Il n'y avait qu'eux deux, isolés, silencieux, sans distraction pour dissimuler la plaie béante. Sans distraction permettant d'ignorer l'éléphant dans la pièce. Tony ne s'était jamais senti aussi vulnérable. Une furtive bouffée de chaleur lui avait fait oublier comment respirer.
Un quart de seconde.
Et son visage se referma. Sans finir sa phrase, il tourna les talons et se dirigea machinalement vers son refuge de prédilection : son workshop. Comme un réflexe de survie, quand il s'agissait de préserver ce qui lui restait de santé mentale.
Ayant repris une allure régulière, il monta les marches une à une. Il n'y avait pas d'urgence. Il avait juste du travail. Il franchit les dernières marches menant à la mezzanine et entra calmement dans son labo. Il posa de manière absente son verre à peine entamé sur le plan de travail à l'entrée de la pièce, sans se douter qu'il ne le reprendrait jamais. Un si bon bourbon... Il se saisit du tournevis qu'il avait abandonné quelques heures auparavant, roula sur sa chaise et se positionna au-dessus de sa fameuse création qu'il savait inachevée, tentant de se remémorer quelle était la note mentale qu'il s'était fait avant de partir. Il avait une dernière vérification à apporter avant d'entamer l'assemblage… Ah, oui, la flexibilité des joints. Appliqué, il commença à jouer avec son matériel comme s'il n'avait jamais quitté son poste, sous un doux bruit de cliquetis et de vissage.
Tant il était absorbé par sa mécanique, il n'en entendit pas Steve pénétrer à son tour dans le labo. D'abord hésitant, le soldat finit par s'avancer face à l'absence de réaction de l'ingénieur, qui semblait faire abstraction de tout élément étranger à son travail. Le silence était entrecoupé de claquements métalliques réguliers.
- Un nouveau projet ? tenta enfin le soldat d'un air faussement décontracté.
Ce à quoi, à sa plus grande surprise, Tony répondit.
- Mh mh. Ce n'est pour l'instant qu'un prototype. J'ai imaginé une nouvelle armure pour Pet… hem, Spider-Man.
Steve resta silencieux, l'incitant à continuer. Tony ne se fit pas prier.
- Son costume est pas mal, mais il y a encore largement de quoi l'améliorer. Une idée m'est venu de ce type qu'il a arrêté récemment, qui dévalisait une banque avec ses quatre énormes bras métalliques, expliqua Tony en mimant les tentacules d'un poulpe. J'ai pensé reprendre le concept des extensions mécaniques en adaptant le protocole de l'armure au style beaucoup plus souple du gamin.
- Des membres supplémentaires ? reprit Steve, s'avançant nonchalamment dans la pièce, effleurant le bric-à-brac encombrant la plupart des plans de travail, mais sans rien toucher au bazar du milliardaire.
- Plus comme des extensions, vraiment. Ma théorie est qu'il n'a pas seulement acquis la dextérité d'une araignée, mais également le contrôle moteur de huit membres indépendants. Je crée juste des prothèses des quatre membres manquants.
Steve était à présent de l'autre côté du workshop, respectant ouvertement une distance de sécurité entre lui et l'ingénieur.
- Ce Spider-Man… un sacré gosse, hein ?
- Mh mh.
Steve n'insista pas, ne voulant briser cette amorce fragile de discussion – la première réelle qu'ils avaient depuis des mois. Tony s'était replongé dans son bricolage – sans jamais vraiment l'avoir quitté – marmonnant à lui-même – ou à Friday, Steve n'aurait su dire. Le soldat continua donc de vagabonder en silence, observant continuellement l'ingénieur d'un coin de l'œil qui à présent semblait souder, sous le discret pshh du fer brûlant sur l'éponge. Il déambula, jusqu'à ce qu'un plan de travail moins encombré que les autres attire son attention.
Toujours aussi furtivement il s'en approcha. Et réalisa la raison du moindre débarras sur ce bureau-ci.
Sans réfléchir, il saisit un petit téléphone à clapet noir qui reposait sur une lettre. Cette lettre, grande ouverte sur la table, était celle qu'il avait adressé à Tony il y avait des mois de cela. La place du téléphone qu'il venait de soulever se révéla être immaculée, carré blanc tranchant avec la poussière et le cambouis qui avaient terni le reste du papier. Steve relit sans s'en rendre compte ces mots qu'il avait rédigés il y a si longtemps déjà, le cœur lourd. Ses excuses, sur la vérité au sujet de la mort des parents de Tony. Son regret, sur leur mésentente par rapport aux Accords. Sa promesse, sur le fait qu'il serait là, s'il avait besoin de lui, quoi qu'il arrive. Cette promesse, et ce téléphone.
Je serai là.
Il soupira sans bruit à la troisième lecture de cette dernière phrase, avant de relever la tête. Le workshop était devenu terriblement silencieux. Plus un bruit de mécanique, de vissage ou d'agitation des bots. C'était comme si Friday avait retenu sa respiration, et par la même celle de l'entière Tour Stark.
Stark, lui, fixait Rogers d'un regard qui l'aurait certainement tué s'il avait été armé. Adossé contre son plan de travail, les bras croisés. Aussi longtemps que la déroute de Steve dura, le regard de Tony ne s'adoucit pas. Le soldat ne reposa pas le téléphone pour autant, il le faisait au contraire lentement tourner dans sa main, comme pour aggraver sa situation. Il avait les sourcils froncés, le regard hagard, malgré l'impatience de Tony qui ne bougeait pas plus que Steve semblait vouloir réagir.
Ce dernier finit cependant par rencontrer ce regard armé de reproches.
- Vous… auriez pu appeler.
Le ton hésitant si peu caractéristique du Captain n'apitoya pas Tony pour un pesos, qui répondit en haussant légèrement le menton de dédain.
- Tout le monde n'a pas continuellement besoin de vous Cap'. Je n'ai pas besoin de vous.
- Ce n'est pas ce que je voulais dire.
- Pour quelles autres raisons j'aurais fait une chose pareille ? Vous souhaiter un joyeux anniversaire ?
Steve soupira contre son gré.
- Nous ne sommes pas ennemis Tony.
Tony se tortilla légèrement pour ajuster sa position, et répondit à l'attitude confondue de Steve par un rictus dénué de toute joie.
- C'est donc ça – et vous qualifieriez ça comment alors, on est collègues ? Associés ? Camarades ? Des connaissances peut-être ? Oh non non non, je vous défends de dire – de penser même, à dire amis.
Il haussait le ton, s'était sensiblement raidit et légèrement penché en avant, les bras inséparables sur son poitrail.
- De ce que j'en sais, les amis ne se passent pas à tabac, continua-t-il. Ils ne se mentent pas les uns aux autres. Il ne se trahissent pas les uns les autres !
Steve tenta de conserver un ton aussi neutre que la situation le lui permettait.
- Je ne vous ai pas trahi.
- Vous m'avez trahi ! Tony criait maintenant, dévoilant sa main gantée qu'il avait cachée par ses bras refermés sur sa poitrine. C'est exactement ce que vous avez fait !
Le gant de l'armure, chargé, pointait droit sur Steve qui n'avait toujours pas bougé. Le soldat avait par contre cessé de jouer avec le téléphone, qu'il reposait machinalement sur la lettre, sans quitter Tony des yeux.
- J'ai fait une erreur, et j'en suis désolé. Sincèrement désolé.
A peine le téléphone reposé, Tony activa son arme et tira de toute la puissance de son propulseur sur le téléphone, la lettre, et tout le plan de travail qui fut aussitôt projeté – ou du moins ce qu'il en restait, à l'autre bout de la pièce dans un fracas assourdissant.
- Je m'en tape de vos excuses ! Si vous aviez été désolé, c'était là-bas qu'il fallait me le prouver !
De surprise Steve s'était brutalement écarté, maintenant en position défensive, il leva une main légèrement en avant, cherchant de toute évidence à éviter la confrontation.
- Tony, si c'était à refaire-
- Vous referiez exactement la même chose ! Geste pour geste, mot pour mot, vous vous pavanez en prétendant être concerné, mais vous en avez rien à foutre ! Ça fait combien de temps que vous nous mentez comme ça ? Que vous manipulez tout le monde dans cette équipe, et moi le premier ! Vous avez promis quoi à Wanda ? A Clint ? Pour les embobiner dans votre traîtrise et exposer notre putain de planète à l'extinction parce que maintenant y'a plus personne pour la protéger ?! Une amitié éternelle ? La même amitié que celle que vous m'aviez promis ?
Vulnérable, Steve reculait aussi sensiblement que Tony s'avançait.
- Vous êtes un putain d'égoïste Rogers. Vous ne pensez qu'à votre gueule, faites vos choix selon votre petite personne, sans jamais considérer une seule seconde ceux qui vous entourent, les conséquences de vos actes. Ouvrez les yeux bordel ! Vous pensez qu'à votre passé, tentez de revivre cette prétendue grandeur, mais ouvrez les yeux bordel de merde ! Ça n'a jamais été réel ! Y'a plus de Bucky, y'a plus de Peggy, Captain America n'était qu'une vaste fumisterie destinée à la propagande américaine, vous êtes une expérience foirée sortie d'une putain de bouteille, manipulée dans le seul but de faire rêver les plus naïfs d'entre nous. Aujourd'hui j'ai compris qui vous étiez vraiment, vous êtes un enfoiré qui n'a aucune considération pour rien n'y personne, et qui laisserait la planète y passer du moment que ça satisferait son ego et sa soif de pouvoir ! Du reste, vous n'en avez rien à foutre !
Il n'avait pas baissé son arme, s'avançait dangereusement. Susceptible de laisser partir un coup à tout moment. Le bouchon avait pété, l'amertume coulait à flot.
- Vous n'êtes qu'un malheureux soldat du vingtième siècle perdu dans un monde qui vous dépasse, c'est bien la première chose que j'ai vu chez vous. Mais j'ai ravalé ma fierté, je vous ai laissé une chance, vous ai donné ma confiance, moi, et ces pauvres autres clampins maintenant perdus à cause de vous. Vous avez ruiné les Avengers, c'est vous !
Le gant à deux doigts d'expulser la prochaine décharge, Steve était acculé dans un coin du workshop et ne pouvait plus reculer davantage. Bien que toujours en position de défense, il n'avait pas fléchi aux accusations du milliardaires et tenait tête. Paradoxalement, Tony semblait bien moins confiant que Rogers qui accusait maintenant d'un ton ferme et doux.
- Je vous entends.
- LA FERME !
Ordonna-t-il, pourtant implorant pour une réponse. Même si, il le savait, elle ne le satisferait pas. Face à ce regard bleu d'une sérénité insolente... Le coup allait partir. Il ne savait pas ce qui le retenait de le faire partir.
- Tony. Si c'était à refaire… Tout serait différent. Je sais que je suis loin d'être irréprochable.
Steve prit quelques secondes pour poser son souffle, pesant manifestement le choix de ses mots, toujours alerte face au moindre mouvement menaçant de l'ingénieur.
- J'ai des regrets, plus que j'aime à en admettre, articula-t-il. Beaucoup vous implique, Tony. C'est pour ça que je suis là.
- Pourquoi vous êtes là ?
- Pour toi.
Hein ?
Temps mort d'hésitation.
Et cette tendresse infinie dans le regard. Cette confiance suffisante, parce qu'il savait que Tony ne ferait pas partir la décharge. Comment pouvait-il le savoir ? Même Tony ne le savait pas. Mais tout dans le regard, dans l'attitude, montrait qu'il savait.
Le bras armé s'abaissa légèrement. Le temps mort s'étira, l'homme à l'armure de fer était dérouté.
Pour toi ? … Pour toi. Comment ça, pour toi ? Depuis quand se tutoyaient-ils ? Cela avait dû arriver à Tony plus d'une fois après un verre en trop, mais de la part de Rogers ? Pour toi.
Percevant l'égarement de l'ingénieur, Steve osa sortir de son impasse pour se rapprocher de son agresseur. Instinctivement Tony réarma son gant comme pour prévenir tout rapprochement trop prématuré. Il fallait d'abord qu'il réussisse à remettre de l'ordre dans ses pensées – ce qui était loin d'être gagné. Steve s'arrêta aussitôt l'arme brandie.
Patient.
- Boss, le Secrétaire Ross, intervint Friday.
Quoi ? Là, maintenant ?!
Le bras toujours tendu, il tenta d'analyser l'intervention de Friday en une fraction de seconde. Ross. Le Secrétaire Ross. Son supérieur hiérarchique. L'homme à qui il devait des comptes, sa garantie en tant qu'Iron Man. L'homme du gouvernement à qui il devait lécher les bottes pour rester qui il était, pour faire ce qui le maintenant en vie, pour protéger le monde. Ce Ross là, l'appelait maintenant, alors que Rogers était juste là. Rogers, recherché pour plus haute trahison par ce même Ross, disparu depuis des mois et aujourd'hui à deux pas de Tony. Rogers, qui avec un pour toi aussi énigmatique qu'insupportable avait réussi à semer le désarroi dans la tête déjà en vrac du milliardaire.
Ok, peut-être qu'il dut prendre deux fractions de secondes.
Il ne savait pas ce qui le perturbait le plus. L'appel franchement mal venu de Ross et ce qu'il allait encore lui reprocher, son excès de colère soudain qu'il n'avait pas plus anticipé qu'il n'avait pu contrôler, ou l'aveu de Steve qui admit être ici… pour toi. Sans réussir à lui demander d'une manière ne serait-ce qu'un poil plus spécifique ce qu'il entendait par ce fichu pour toi.
Bordel de merde.
Il finit par abaisser son bras et se détourna de sa cible qui s'était raidit à l'annonce de Friday.
- Passe le moi.
Aussitôt l'hologramme de l'homme d'État apparut face à Tony, qui avait fait attention à se déplacer suffisamment loin du soldat pour qu'il n'apparaisse pas incongrûment en arrière-plan. Tony ne regarda cependant ni l'un, ni l'autre, préférant reporter son attention à… quoi que ce soit, vraiment. N'importe quoi d'autre.
- Ross ! Alors ça y est, vous avez eu vent de la Caroline du Nord ? Dieu ce que les infos vont vites.
Il leva la main qui n'était pas armée en même temps que les yeux et continua à un tel débit que l'homme en hologramme n'eût le temps de commencer à parler.
- Non pas de dieux asgardiens, que ce soit Thor ou de Loki, bien qu'il s'agissait manifestement d'une téléportation via le Bifröst. Une centaine d'individus, tous éliminés – y'a pas de quoi, vous me remercierez plus tard – d'une espèce non identifiée, je crois pas en avoir déjà vu d'autres comme ça, mais bon ils se ressemblent un peu tous. Sauf que eux avaient le sang violet – enfin ça je crois qu'on le saura, y en avait vraiment partout. Oh et une espèce de gros taureau mécanique aussi, dit-il en mimant les cornes de la bête.
- Tony.
- Les secours sont arrivés… mh… on va dire qu'ils sont arrivés, ce qui est déjà un exploit en soi. De vous à moi, c'est vraiment quelque chose sur lequel vous devriez travailler, le déploiement des forces spéciales et tout ça, vous savez, en cas d'urgence. Je dis pas qu'ils ne font pas tout ce qui est en leur pouvoir… C'est juste… qu'il en aurait besoin d'un peu plus, de pouvoir. Sauf si, enfin, vous savez, la sécurité des civils n'est pas prioritaire, dans ce cas ne changez rien, c'est parfait.
- Tony.
- J'ai précisé qu'il y avait un taureau mécanique ?
- Vous n'avez rien d'autre à signaler ?
Il roula des yeux pour mimer la réflexion, évitant consciemment de s'attarder sur Rogers qui restait tapi à l'autre bout du labo.
- Non je crois que c'est tout. Vraiment, y'a pas de quoi. Vous m'enverrez des fleurs. Ou des chocolats. Évitez ceux avec la liqueur de cerise par contre, gardez ceux-là pour récompenser vos hommes… aux forces spéciales.
Ross regardait à présent vers le bas de l'écran, avant de lever la tête et de montrer à l'hologramme son smartphone qui chargeait une vidéo youtube.
- Et ça ?
Sur la vidéo de qualité amateur tournée derrière une vitrine, on voyait clairement Iron Man et Captain America – dénué de son costume à bannière étoilée – conjointement tataner de l'alien, assenant des coups comme s'ils avaient répété la chorégraphie un millier de fois. Tony ne put s'empêcher de regarder la vidéo quelques secondes, bien conscient que Steve avait droit à la même – inversée – de là où il était. Il ne l'avait pas vu venir. Mais ne se laissa pas abattre.
- Déjà trois millions de vues ! Pas si mal, ça fait longtemps que j'ai pas fait un buzz pareil en si peu de temps.
- Où est-il ?
- J'ai pas pris le temps de lui demander, j'étais un peu occupé à ce moment-là.
- Tony.
- Ross.
- Où est Rogers ?
- J'en sais rien ! Il m'a pas laissé de carte de visite. Il s'est juste… pfiout. Envolé.
Ross soupira, regarda de nouveau son téléphone avant d'afficher une nouvelle vidéo. Cette fois-ci la bataille était achevée, les deux hommes reprenaient leur souffle. Ils eurent un bref échange avant de se rejoindre, pour s'envoler hors champ.
Ross rangea le téléphone et infligea à Tony ce lourd regard questionneur, sans ajouter un mot.
- Je ne réponds pas des actes de Rogers, fut la réponse de Tony.
- Où est-il maintenant ?
- Je viens de vous le dire, c'est pas mes oignons. J'ai aucune idée de où il est allé.
L'hologramme de Ross se pencha sensiblement en avant, et prit un ton presque paternaliste.
- Tony, vous savez ce qu'il a fait, et les mesures qui doivent être prises. Je peux être clément et fermer les yeux sur le fait que vous ne l'ayez pas arrêté sur-le-champ. Mais si vous savez quoi que ce soit... vous devez nous aider à l'appréhender, finit-il en détachant soigneusement chaque mot.
Sans répondre, Tony jugea consécutivement Ross, puis Rogers à travers l'hologramme, qui était ironiquement aligné avec le Secrétaire d'État. Il se demandait ce qu'il pourrait lire dans l'esprit du fugitif s'il avait lui aussi cette habilité, ou ce qu'il ferait s'il était à sa place. Le blond ne pouvait ignorer qu'il avait mis Stark en danger en cherchant à lui parler, mais avait-il délibérément fait courir ces risques à Tony ? Était-ce là le but de l'opération, griller sa position vis-à-vis des Accords ? Foutre la merde, comme il savait si bien le faire ? Ce foutu pour toi semblait témoigner du contraire.
Donc était-ce là une situation qu'il aurait voulu éviter, et serait-il suffisamment chevaleresque pour se livrer et éviter à Tony des représailles que lui seul aurait provoquées ? Attendait-il que Tony le dénonce ? Le capture ? Les qualités de mentalisme de Tony ne lui permirent pas de percer le regard appuyé que Rogers lui envoyait de l'autre côté de la salle. Il ne savait pas s'il devait y lire un "vas-y, dis-lui" ou un "tu parles, t'es mort". Ce qui était plutôt embarrassant.
Ross se redressa, impatient.
- La moindre rétention d'information, le moindre manquement de votre part, sera considéré comme complicité avec le coupable. Si vous savez quoi que ce soit que vous refusez de partager avec nous… Vous serez arrêté au même titre que Rogers. Vous ne vaudrez pas mieux que lui. Vous savez ce pourquoi vous avez signé Tony, agissez en conséquence. Ne tombez pas avec lui.
Tomber ? Tony ne comptait pas "tomber", il ne "tomberait" que si… oh. Oh ! Voilà ce qui expliquait le délai que Ross mit avant de passer ce coup de fil. Tony pouvait enfin lire dans ce regard lourd de reproches que lui adressait le Secrétaire. Il savait pertinemment où Steve était. Il le savait à la Tour. Ce n'était pas une invitation à coopérer, c'était un ordre. Il lui fallait livrer Rogers maintenant, s'il ne voulait pas enfreindre son contrat, et faire irrémédiablement sauter sa position.
Rogers l'avait certainement compris, ce qui expliquerait ce regard si appuyé. Dieu ce que Tony se détesta en l'instant pour avoir été aussi lent. Il préféra ne pas réfléchir plus longtemps au dilemme qu'il n'avait de toute façon pas le temps d'examiner, et répondit à l'intuition.
- Hem… Oui. A la réflexion, il y a… peut-être quelque chose.
Il leva la tête, Steve n'avait toujours pas bougé, et le regardait avec toujours la même intensité. Putain ce que Tony haïssait cet homme.
- Monsieur le Secrétaire d'État, dit-il en prenant le soin de regarder l'hologramme dans les yeux, et d'afficher un sourire sans joie. Allez vous faire foutre.
Et il coupa la conversation, l'hologramme disparut pour laisser place à la mine soulagée de Steve dont les épaules s'étaient sensiblement relâchées.
Pas un mot ne fut échangé.
Mais un énorme fracas de verre.
Une détonation rugissante.
Un puissant éclair lumineux.
Et le noir.
Un trou noir, et la prochaine chose que Tony su est qu'il était au sol, cherchant désespérément à retrouver ses sens de la vue, de l'audition et de l'équilibre. Tout était affreusement blanc, n'était-il pas dans son workshop ? Où était son travail, son prototype, où était…
Une nouvelle détonation, non, un bruit sourd, terriblement sourd et terriblement bruyant, il leva les mains devant le visage par réflexe, et sentit alors mille douleurs sur le dos de l'une de ses mains remonter jusqu'à son coude, en un millier de picotements… C'était… du verre ? Des éclats de verre ? Il était allongé au milieu d'une piscine d'éclats de verre, ceux qui s'étaient logés dans sa main auraient sans doute dû atteindre son visage. Il toussa, l'air était devenu trop épais, il lui saisissait la gorge, il lui fallait de l'air, il fallait qu'il parte d'ici, il fallait qu'il se relève, il devait sortir de là. Peu coopérative, son oreille interne ne semblait pas être décidée quant à la marche à suivre pour se relever, pourquoi diable était-il si étourdi ?
Comme pour répondre à son vœu il sentit soudain deux bras musclés le soulever. Il lui semblât qu'il fût debout, il trébuchait plus qu'il ne marchait mais les bras le maintenaient fermement en position verticale. Où était la sortie ? Non, attends il lui fallait ses armures ! Elles verraient pour lui, Friday ?
- Friday ! tenta-t-il avant de s'étouffer tant il manquait d'air, les bras étaient encore là pour le retenir quand sa toux manqua de le faire tomber.
Il avait avancé, il lui semblait être hors du workshop. Sa vue s'éclaircit enfin, ou plutôt s'assombrit – ce qui était une bonne chose – bref disons qu'il y voyait mieux. D'autres vitres se brisèrent, une nouvelle explosion lui fit perdre son équilibre, il tomba, une soudaine bouffée de chaleur, de la fumée, beaucoup de fumée. Les bras n'étaient plus là. Qu'est-ce que… Où étaient passés ses escaliers ? Il tentait de retrouver ses esprits, allongé dans les débris qui jonchaient le sol de sa mezzanine. Mezzanine qui n'avait plus d'escaliers. Mais qu'un tas de débris, quelques mètres en dessous de lui.
Sa vue gagnait en netteté. Était-ce Steve qu'il entrevoyait en contre-bas, dans les décombres de ce qu'il restait de ses escaliers ?
- Steve ! cria-t-il alors que le super soldat se relevait des débris, enchaînant sans temps mort pour accueillir les nouveaux arrivants.
Tout de noirs vêtus, savamment protégés du casque jusqu'aux orteils, ils étaient déjà une douzaine dans le salon. Encore plus de vitres brisées, et des énormes flèches noir qui fonçaient à présent sur Tony. Poussant une exclamation il se jeta en arrière, et les flèches s'ouvrirent pour faire place à des grappins qui vinrent se ficher dans le mur juste derrière lui. Les cordes attachées aux grappins tendues, et c'était trois nouveaux assaillants qui franchirent les vitres brisées, agrippés à leurs tyroliennes. Sans réfléchir Tony arma le gant dont il ne s'était pas délesté, et tira un coup bien ajusté pour trancher les trois cordes, obligeant leurs propriétaires à un atterrissage d'urgence.
Un coup d'œil en contre-bas révélait Steve en difficulté, mais toujours debout. Il allait donner l'ordre à Friday de déployer toutes ses armures, mais il fut devancé, admettant avec contentement que son IA portait bien son nom. Une demi-douzaine d'hommes d'acier avaient en effet pris part au combat aux côtés du soldat – non, moins, un était déjà à terre après avoir reçu un malheureux projectile court-circuitant.
- Donne m'en une !
Alors qu'il envisageait un moyen pour descendre de son perchoir, ce fut cette fois ci un missile qu'il eut le temps de voir arriver à travers les vitres brisées de son séjour. Le missile fonçait droit vers son comptoir, autrement dit juste en dessous de la mezzanine où il se situait.
- Friday !
Il voyait une armure arriver vers lui, main tendue, prête à le saisir pour le sortir de là, et l'explosion du missile retentit. Une nouvelle bouffée de chaleur étouffante, et le sol se déroba sous ses pieds. Il chuta brutalement, ne put qu'effleurer les doigts de son sauveur de fer qui n'était pas arrivé à temps. Dans la descente il activa son gant en mode propulsion pour tenter de ralentir la chute mais il était déjà trop tard, il percuta violemment une surface rigide. Le choc lui arracha un cri de douleur, il roula sur quelques mètres avec un ensemble de débris.
Une douleur lancinante lui brouillait tous les sens, comme s'il s'était fait poignarder plusieurs fois. En réalité, une : un éclat acéré s'était fiché dans son épaule droite, à en juger par les premières sensations, plutôt profondément.
Les débris qui le recouvrèrent furent balayés par la même armure qui n'avait pas pu retenir sa chute. Il se releva avec son aide, tentant d'ignorer les complaintes de son oreille interne et la fébrilité de ses genoux. Il ne prit pas le temps de constater la blessure qu'il avait au bras pour savoir qu'il ne rentrerait dans aucune armure avec une plaie pareille.
- Retournes-y ! ordonna-t-il à son armure sans se faire prier.
Une nouvelle explosion le fit tituber alors qu'il tentait d'évacuer l'espace minibar, et deux hommes en noir se rapprochèrent dangereusement. Il en élimina un en tirant de son bras valide, esquiva – plus par chance que par réflexe, vraiment – le filet électrifié que lui envoyait le deuxième, avant de le neutraliser à son tour d'un coup de propulseur bien placé.
Il se déplaçait vers le fond du séjour, le plus loin possible des baies vitrées. Un court vent de panique l'envahit lorsqu'il ne fut plus capable de localiser Steve. Quelques quatre ou cinq armures se battaient maintenant, et quelques bots de sécurité qu'il avait pensé ne jamais remettre en service. Cela semblait suffisant pour contenir la menace assez longtemps pour lui permettre se dérober... Mais il ne voyait plus Rogers, l'avaient-ils eu ? Était-il…
Autre chose lui arrivait maintenant dessus, était-ce… une grenade ? C'était une putain de grenade ?! Un éclair blond, un bruit métallique et le projectile fut expulsé en plein dans le combat des armures contre l'armée. Tony ne vit pas la suite puisqu'il était protégé par un bouclier bien trop familier. Mais il comprit à l'éclair de lumière blanc qu'il s'agissait d'une autre grenade étourdissante.
Avant que Steve ne se soit pleinement relevé, Tony profita de la force de sa main gantée pour lui saisir son bras libre et l'attirer avec lui vers le fond de la pièce.
- Vous êtes blessé ! s'exclama Steve qui se faisait tracter sans protester.
Sans prendre le soin de répondre il s'engouffra avec Rogers dans l'ascenseur qui s'était ouvert à son approche, et ordonna le hangar à Friday. L'ascenseur entama une descente surprenamment rapide, déconcertant très brièvement les deux hommes.
Ayant pris une profonde respiration, Tony saisit le débris de verre qui s'était planté dans son bras, ferma les yeux et le délogea d'un coup sec, laissant échapper au passage un juron de douleur. Aussi profonde qu'il le craignît, la plaie était en plus très large. Au sommet de son bras droit la peau était ouverte sur une bonne dizaine de centimètres de long. Il soupçonnait son muscle d'être sérieusement abîmé, étant donné la difficulté qu'il avait à ne serait-ce que lever le coude, et de la douleur que cela impliquait. Au bout de quelques secondes seulement l'ascenseur s'arrêta tout aussi brutalement qu'il avait démarré. L'ouverture des portes dévoila le hangar du milliardaire, habité majoritairement par d'excentriques voitures de luxe. Il se dirigea sans hésitation vers la Maserati grise qui, selon ses goûts, était encore la plus sobre. La voiture démarra quand Tony s'approcha.
Steve marqua un temps d'hésitation
- Vous êtes sûr de vous ?
- Je conduis, répondit-il simplement en s'engouffrant dans la voiture, côté conducteur.
La portière fermée, il prit d'abord le temps d'enlever le gant de son armure qu'il relégua à l'arrière, avant de s'installer – comme son bras blessé le lui permit – au volant. Il fut rejoint par Steve qui se trouva cependant rapidement encombré par son bouclier étant donné l'espace restreint offert par la sportive.
- J'ai, hem… J'ai dû vous l'emprunter mais je, je peux le laisser là si vous préférez. Je n'avais pas l'intention de…
- Mettez-le à l'arrière.
- Oui, ok, c'est mieux.
Et tandis que Tony démarrait, le soldat procéda à maladroitement faire entrer l'appareil dans la partie arrière de la voiture, qui pour son plus grand malheur n'était qu'une deux places. Une fois qu'il y parvint il ajusta sa position, se racla la gorge et regarda ses pieds sans rien ajouter de plus. Tony était parti en trombes, ils étaient sortis de la Tour Stark, et s'engageaient maintenant à pleine vitesse dans le trafic new-yorkais qui avait arboré tous ses feux étant donnée la nuit tombée. Une fois sur la route, Tony ne put s'empêcher un coup d'œil dans le rétro qui lui dévoila les multiples hélicoptères rôdant autour de la tour comme des mouches autour d'un fumier.
Il préférait ne même pas penser à ce qui venait de se passer. Et merde. Il y pensait. Il venait d'abandonner sa tour. Son édifice, sa demeure, son bébé… Détruit, et laissé aux mains de ces terroristes… Non non, le Mandarin était un terroriste. Là c'était de l'État américain dont on parlait. C'était l'État américain qui avait ordonné cette frappe et la destruction de son lieu de vie. Il était devenu un putain de fugitif aux yeux de l'État américain, un fugitif suffisamment dangereux pour qu'on ordonne de tirer à vue ! Et tout ça pour quoi ? Protéger Rogers ?
Non décidément il préférait ne pas penser à ce qui venait de se passer. Il tourna toute son attention à la conduite, slalomant entre taxis jaunes et autres véhicules aussi rapidement que la circulation et son bras blessé le lui permettaient.
- Vous êtes blessé, reprit soudain Steve qui sortit de son silence coupable, vous n'avez rien pour panser la plaie ?
- Est-ce que je donne l'air de conduire une ambulance ?
Steve répondit à la remarque par un regard agacé.
- Vous devez bien avoir quelque chose.
- Hin hin.
Subitement, entre les deux sièges une trappe coulissa, et un mini-service remonta avec une sélection d'une demi-douzaine de bouteilles, glaçons, cacahuètes et serviettes, le tout éclairé par des néons bleus et avec une légère fumée azotée qui se dissipa sans trace. Tout en discrétion.
- Merci Friday, sourit Steve à l'attention de l'IA, tandis que Tony levait les yeux au ciel.
Steve se saisit des serviettes qu'il déchira dans la longueur et noua bout à bout pour obtenir un bandage suffisamment long pour faire plusieurs fois le tour du bras du blessé. Tony constata avec effroi qu'il contemplait aussi les divers alcools à disposition.
- Vous n'y pensez pas.
- J'ai bien peur que si, répondit-il en sélectionnant une bouteille parmi le lot et en en imbibant une serviette. Ça risque de picoter un peu.
- C'est une blague.
- Non je suis très sérieux.
- Vous ne me mettrez pas de la tequila dans le – AAH !
Rogers n'avait pas attendu l'autorisation pour appliquer la solution sur le bras blessé de Tony, le prenant non seulement au dépourvu, mais en plus nom d'un chien ce que ça brûlait ! De surprise il fit un écart notable sur la route, manquant de percuter au moins trois voitures, et ayant droit à de généreux coups de klaxon en retour.
- Vous êtes complètement taré !
- Je n'ai même pas touché la plaie.
- Et bien n'y touchez pas !
- Vous préféreriez que ça s'infecte ?
- Je préférerais que vous ne vous attaquiez pas à mon intégrité physique !
- Attention, j'en remets.
- Je, non – AH !
Gardant – presque – le contrôle de la voiture, la main valide fermement vissée sur le volant et la mâchoire verrouillée, Tony se jura à lui-même que ce coup-ci, ce coup-ci il lui ferait payer. D'une manière ou d'une autre il lui ferait payer.
Et Steve procédait ingénieusement, il s'occupait d'abord de nettoyer les bouts de verre qui s'était incrustés le long de son bras, enlevant les plus petits d'entre eux avec la pince à glaçon. Après avoir désinfecté les plaies en appliquant le feu par l'alcool, il passait quelques glaçons pour atténuer la brûlure, ce que Tony admettait à mi-mot être un soulagement. Ce que le glaçon n'atténuait pas en revanche, était la sensation très étrangère d'avoir Steve Rogers en infirmier. D'une douceur insoupçonnée il manipulait le bras de Tony comme s'il l'avait déjà fait cent fois, et surtout comme si ce genre de contact était tout à fait naturel entre les deux hommes. Les doigts assurés de Steve parcouraient le bras blessé de Tony sans hésitation, à tel point que Tony se demandait s'il n'était pas fou pour imaginer des tensions là où il n'y en avait de toute évidence pas. Sa gêne pouvant facilement être mise sur le compte de la douleur, il décida de ne pas se soucier du problème et tenta de continuer à se concentrer sur sa conduite.
C'était sans compter sur la plus grosse plaie.
- Je n'ai rien pour vous recoudre, je ne peux faire qu'un garrot pour arrêter l'hémorragie. Il ne faudra pas le laisser trop longtemps.
Steve passa simplement une serviette propre, sans alcool, et déjà Tony grimaça. Alors quand vint la serviette imbibée… Il aurait juré sur son entière collection de voiture de luxe qu'il se vengerait. Et la douleur semblait s'éterniser, il pouvait sentir le sang tambouriner dans son bras droit, comme si on lui avait mentit et que son cœur s'était en réalité toujours situé dans son épaule. Forçant une respiration régulière, il tenta comme il put d'en faire abnégation, mais ce n'est qu'une fois sortis de la ville que le calvaire prit fin. Ayant fini de nettoyer la plaie, Steve entreprit méthodiquement de bander le bras de Tony pour mettre en place ce garrot. Les quelques serviettes encore propres tournèrent rapidement au rouge au seul contact avec la blessure. Le soldat effectua plusieurs tours avant de nouer le tout fermement. Puis il lissa délicatement de ses pouces et à plusieurs reprises un bandage qui ne présentait pourtant aucune ride. Un geste doux, fut-il ou non réfléchi, qui fit parcourir le long de l'échine de Tony un frisson inattendu. Il enleva son bras par réflexe, le cœur palpitant. Et le regretta presque aussitôt. Les mains de Steve se rétractèrent en comprenant ce qui avait provoqué cette réaction. Steve porta alors une attention appuyée à son matériel médical improvisé qu'il s'efforça de ranger.
Dix bonnes minutes de torture et de proximité forcée, mais il retira son bras pour une caresse accidentelle. C'était ridicule. Et le silence qui s'en suivit ne fit rien pour améliorer la situation.
Ils avaient enfin atteint une voie rapide, ligne droite quasiment déserte, qui ne demandait pas franchement beaucoup de concentration à Tony. Alors que bon sang, il aurait tué pour une bonne distraction. Mais le silence s'éternisa, couvert seulement par le ronronnement du moteur poussé à pleine vitesse. Son passager indubitablement laconique, Tony soupira silencieusement pour évacuer la tension qui le maintenait si raide. Il plaça son bras blessé sur ses genoux et saisit de là le bas du volant, la main valide en tenant fermement le sommet.
Dieu ce qu'il était fatigué.
Que ce soit à cause de l'effort physique des combats de la journée, de la blessure toujours à vif, ou de la surcharge émotionnelle inattendue, il se sentait désormais complètement vidé. L'excès de colère était passé comme il était venu ; la tristesse aurait tout le temps de se manifester plus tard ; l'amertume s'était transformée en résignation, la rancœur en indifférence.
Steve sortit momentanément de sa léthargie volubile avec un discret mais puissant :
- Merci Tony.
- Je vous hais.
- Je pense l'avoir mérité.
- Vous avez pas idée.
Et le soldat regagna son silence avec un léger rictus coupable, acquiesçant légèrement du menton. Un nouveau soupir fantôme vint dissiper les dernières tensions du chauffeur, décontracta ses derniers muscles crispés, et apaisa enfin son souffle si forcé jusqu'alors.
Pendant de si longs mois, Tony s'était – sans pouvoir s'en empêcher – imaginé tous les scénarios qui le mèneraient à revoir ce perfide de Rogers. Il avait répertorié toutes les situations, anticipé toutes les répliques, prévu toutes les réparties, pour cet exact moment où il pourrait enfin régler ses comptes avec cet antipathique énergumène à présent coincé dans le même habitacle roulant que lui. Il s'y était préparé sans vouloir l'admettre, préparé à lui prouver par A plus B qu'il était la manipulation incarnée et que Tony avait eu raison tout du long. Il avait rodé ce discours imparable sans y penser, n'attendant qu'une chose : de le lui balancer. Au lieu de ça, ils roulaient tous les deux en silence sans que Rogers ne prenne même la peine de demander vers quelle destination. Au contraire, il lui imposait un silence qui le caractérisait si peu. Tony ne se complaisait pas dans le silence ; il préférait en dire bien trop quitte à ce que les gens surinterprètent ses propos ou soient égarés quant à ce qu'il pouvait sincèrement ressentir, pensées appréhendables par les seules personnes suffisamment proches de lui pour se douter de ce qu'il pouvait réellement avoir en tête. Il n'avait jamais su dire si Rogers faisait partie de ceux-là... A la réflexion, il se rendait compte que le personnage qu'il pensait avoir déchiffré comme un livre ouvert dès le premier jour gardait en fait des coins d'ombre.
Et dieu ce que c'était insupportable de ne pas maîtriser une relation qu'il avait pourtant cru binaire.
Au début, ils s'aimaient pas. Après, ils ont appris à s'apprécier. Et de nouveau, ils s'aimaient pas. C'était franchement pas bien compliqué. Du moins, ça n'était pas censé l'être. Qu'est-ce qui lui échappait ? Il était frustré, pas tant parce qu'il n'arrivait pas à comprendre ce que Rogers avait en tête, mais plutôt parce qu'il n'arrivait pas à comprendre ce que lui-même avait en tête vis-à-vis de Rogers. Il lui aurait collé, cette décharge. Dans n'importe quel autre scénario, il lui aurait tiré dessus par rancune. Dans n'importe quel autre scénario, il serait parti dès la fin du combat dans cette Caroline du Nord. Dans n'importe quel autre scénario, il ne l'aurait pas invité à rentrer dans la Tour Stark. Dans n'importe quel autre scénario, il aurait négocié un compromis avec Ross.
Alors pourquoi dans ce putain de scénario appelé réalité, il était devenu un fugitif silencieux à ses côtés ? Cela ne faisait aucun sens. Mais il était vraiment, vraiment fatigué d'être déboussolé. Il déclara donc à lui-même que ça lui importait peu, pour l'instant. Ce serait donc le traitement silencieux.
Comme pour l'empêcher de se complaire dans une décision qu'il aurait finalement réussi à prendre – à savoir, rester silencieux – le terminal de sa voiture s'illumina avec un logo et une tonalité si caractéristique qu'ils n'avaient pas pu échapper à Rogers.
Tony leva les yeux au ciel et ne refoula cette fois-ci pas son soupir, avant d'accepter l'appel par un résigné :
- Décroche.
- Monsieur Stark ! s'époumona une voix encore immature à travers des enceintes dont le volume était beaucoup trop fort pour ce son haut perché. Est-ce que t… Oh ! Hem, Cap'- Captain. Spider-Man. Oh ! Non non non…
Et l'adolescent s'agita frénétiquement quand il comprit que l'appel était également vidéo, et que tout comme il pouvait voir ses interlocuteurs, ses interlocuteurs pouvaient le voir. Sans son masque.
- Pet', tout va bien, calme toi – non att– reviens, calme-toi j'ai dit. Tony poussa un nouveau soupir. Là. Ne bouge plus, tu me donnes le mal de mer.
Le jeune homme avait abandonné l'idée de cacher son visage et accepta juste le fait qu'il était démasqué, la main derrière la nuque visiblement par anxiété.
- Qu'est-ce que tu veux, Peter ?
- Je, hem – il se racla la gorge, j'avais juste vu les infos et la Tour Stark et je… enfin, je savais pas si – tout va bien ? Je suppose que, enfin…
- C'est gentil de t'inquiéter pour moi mais je suis un grand garçon, contacte Happy si tu as besoin de quoi que ce soit. Et prends soin de New-York pendant mon absence, veux-tu ?
- V- votre absence ? Mais... vous allez où ?
- Et ça c'est une très bonne question, je t'appelle si j'ai besoin de toi ok. En attendant continue de faire ce que tu fais, tu le fais très bien. Et ne fais pas de bêtises, pense à Tante May ! Ne m'appelle plus, occupe-toi de la ville. Ok ? Tu peux faire ça ?
- Je, je suppose, mais…
- C'est super Pet', tu fais du beau boulot. On se parle plus tard.
Et aussi rapidement qu'il apparut, le visage de l'adolescent s'évanouit avec en plus une mine déconfite, visiblement éconduite par le très court échange qu'il venait d'avoir.
De manière totalement inavouée, Tony était touché par l'inquiétude du garçon, aussi maladroite était-elle. Il aurait volontiers pris le temps de lui parler plus longtemps, voire de lui expliquer partiellement la situation, si cet intrus de Rogers n'avait pas été juste à ses côtés. Pire, il aurait juré voir une lueur de moquerie dans les yeux de Rogers à l'appel de Peter et face à l'angoisse de ce dernier. Manquerait plus que Rogers soit amusé par la relation de Stark avec Parker, et ce serait la goutte d'eau. La centième.
Tony nourrissait de grands espoirs en Spider-Man. Le garçon avait beau être bien trop jeune et immature, le plus tôt Tony le prenait sous son aile et le mieux il le préparerait. Peter était sa découverte, son poulain, son protégé. Il serait pour lui le tuteur qu'il n'avait jamais eu, et jurait sur sa propre réputation sa protection coûte que coûte. S'il lui arrivait un pépin de travers, cela relèverait de sa responsabilité. Le gosse n'avait même pas l'âge de conduire, et encore moins les moyens de s'acheter une voiture. Alors oui, Tony prendrait soin de lui. Et si Rogers trouvait ça marrant, qu'il aille se faire foutre.
- Ce garçon est vraiment incroyable, dit-il contre toutes attentes.
Ne pouvant dire si Rogers se moquait maintenant ouvertement de lui, Tony préféra ne pas répondre, pas même par un hochement de tête.
- Quel âge a-t-il encore ? Il semble vraiment jeune.
- Si vous voulez le débaucher lui aussi, faudra vous lever tôt.
Steve ne put retenir un sourire.
- Non ce n'est pas mon intention. Je suis juste… étonné.
Tony haussa un sourcil interrogateur. Sors un mot déplacé Rogers, et tu finis sur le bord de la route.
- C'est vraiment bien que vous l'ayez trouvé. Il est entre de bonnes mains.
Pardon ? Donc maintenant, Tony avait de bonnes mains. Si ses mains étaient aussi bonnes, pourquoi bon dieu s'en serait-il éloigné ! Ah puis zut, quoi que le Captain sorte maintenant cela ne ferait qu'un peu plus agacer Tony. Il décida donc une fois de plus de rester impassible.
- Il n'a pas tort ceci étant dit. Où allons-nous ?
Ah, nous y voilà ! Il était temps qu'il pose la question, car ils étaient bientôt arrivés.
- Vous faites bien de demander, parce qu'on y est.
Le regard interrogateur de Steve se détourna vers les environs obscurs pour essayer de déterminer ce que Tony entendait par là, car depuis plusieurs minutes il n'y avait autour d'eux qu'une dense forêt de pins. Et puis, malgré la nuit noire, il sembla réaliser.
- Ce sont les quartiers généraux.
- Bingo.
- Les hommes de Ross vont nous y attendre.
- J'y compte bien. Vous souhaitez peut-être préparer ce bouclier.
Et Tony bifurqua de la route principale pour les routes secondaires, feux éteints, pour leur permettre de se rapprocher un maximum sans être repérés. Steve avait pris le conseil de Tony au sérieux et arma le bouclier tricolore, scrutant désormais la nuit sur le qui-vive. Leur vitesse avait considérablement diminué, empruntant des sentiers de plus en plus étroits, jusqu'à ce que Tony coupe le moteur.
- Continuons à pied.
Et il s'extirpa de la sportive, non sans une grimace lorsqu'il dut mobiliser son bras blessé, ravivant le feu dans son épaule. Il remarqua également les jolies traces de sang qu'il laissait derrière lui, au moins un demi-litre avait dû y passer. Un si joli cuir… il se garda cependant de tout commentaire, attrapa le gant de son armure et s'engagea sans se permettre d'hésiter dans la forêt, Rogers sur ses talons.
Il s'arrêta au bout de quelques minutes seulement.
- Leurs équipements infrarouges nous remarqueront certainement si on s'avance davantage. Friday, éclaire-nous.
Et du gant en métal s'échappa une sorte de drone miniature qui était incrusté dans l'avant-bras et jusqu'alors indiscernable du reste de l'armure. Le minirobot s'enfonça dans les bois sous un léger bourdonnement mécanique. Tony ajusta aussitôt son oreillette pour être en contact avec son IA qui ne tarda pas à faire son rapport.
- Une douzaine de soldats parqués sur les toits, deux à chaque entrée, deux au niveau du hangar.
- Neutralise ces deux derniers.
- Cibles neutralisées. Le reste des soldats ne semble pas couvrir la zone par laquelle vous vous rapprochez.
Ni une ni deux, Tony reprit sa course silencieuse pour accéder rapidement au hangar avant que les soldats assommés ne soient remarqués.
- On y est presque, ouvre les portes.
Après un court silence – ce qui n'était jamais bon de la part d'un programme aussi rapide que Friday – celle-ci annonça :
- Le système est compromis, je n'ai plus accès aux commandes du quartier.
Tony jura, ça ne pouvait évidemment pas être aussi facile. C'était sans compter sur la super-ouïe du soldat qui le filait, qui avait de toute évidence suivi l'échange entre l'ingénieur et son IA, et qui avait apparemment décidé de se saisir du problème. Il doubla Tony sans donner l'air d'avoir véritablement accéléré, et comme un félin surgit des bois pour bondir sur les portes fermées du garage. Un coup de bouclier sourd plus tard, Rogers s'adonna à une séance d'haltérophilie pour soulever les portes mécaniques dont le couinement révélait le mécontentement.
Avant que les portes ne soient complètement ouvertes, Tony s'engouffra dans l'ouverture – avec une aisance bien moins féline, il faut se le dire – et constata avec satisfaction que le jet qu'il pensait y trouver était bel et bien là. La satisfaction fut double quand il reçut la confirmation que Friday pouvait en prendre le contrôle. Il pénétra dans l'engin de guerre et en prit immédiatement les commandes, mobilisant son bras blessé manifestement contre l'avis de ce dernier. Une détonation sourde suivie de tirs rapides lui firent réaliser qu'ils avaient été repérés. Rogers s'introduit à son tour dans l'avion de chasse, le souffle court.
- Je n'ai pas pu ouvrir les portes complètement.
- Ça fera l'affaire, répondit simplement le milliardaire qui avait armé les canons.
L'avion pointait vers la sortie, Tony n'avait qu'à activer deux des missiles les moins puissants pour créer une ouverture suffisante qui permettrait à l'engin de s'extirper du bâtiment.
Et c'est ce qu'il fit aussitôt Steve dans l'habitacle et la trappe refermée. Les missiles lancés, quelques hommes hurlèrent lors de la détonation, ce qui arracha une grimace à Tony qui espérait honnêtement n'avoir tué personne. C'était pas facile à dire, dans cette obscurité. Il engagea finalement les moteurs pour mettre la machine en marche, et après quelques mètres au sol seulement l'avion franchit l'ouverture béante pour gagner les airs.
Ils essuyèrent quelques tirs supplémentaires en prenant de l'altitude, mais rien qui risquait de faire d'autres dégâts que d'abîmer la peinture.
- Ok Friday, active le mode furtif. On prend des vacances.
- Entendu boss.
Le mode pilote automatique s'activa, ce qui permit à Tony de se détendre, se laissant aller en arrière sur son siège. Il avait maintenant la tête qui tournait, il s'autorisa à fermer les yeux quelques instants.
- Des vacances ? intervint l'autre.
- J'espère que vous avez votre maillot de bain, répondit-il machinalement, les yeux toujours clos.
- Où est-ce que vous nous emmenez ? Tony ?
Il aurait bien répondu, mais vraiment la tête lui tournait trop. Il avait juste besoin de fermer les yeux, cinq minutes.
- Tony ? s'acharna la voix sourde de Steve, vous avez perdu trop de sang. Restez avec moi, je vais trouver quelque chose pour arrêter l'hémorragie.
Voilà que Rogers s'improvisait de nouveau infirmer, alors que franchement, Tony était juste fatigué. Mais comment il pouvait concevoir ça, le super soldat ? Tony avait toujours suspecté l'homme de ne même pas avoir besoin de dormir. Il était de retour avec ce qui devait être une trousse de secours, à en juger par le bruit métallique que fit l'objet qu'il ramena lorsqu'il l'ouvrit.
- Aïe ! se réveilla soudain Tony quand il réalisa que Steve avait manipulé son bras meurtri pour lui faire une piqûre.
- Calmez-vous, ce n'est que de la morphine. Ça pourra pas vous faire de mal, et ça me permettra de vous recoudre.
- Me recoudre ?
- Faites-moi une faveur, restez éveillé.
Quel était l'idiot qui avait équipé ce jet d'une stupide trousse de secours… Et Steve se mettait le doigt dans l'œil s'il pensait que Tony lui ferait la moindre faveur. Il n'en avait ni l'envie, ni la force. Il grimaça de douleur lorsque Steve bougea à nouveau son bras, sans raison évidente semblait-il.
- Je suis sérieux, restez éveillé. Friday, combien de temps avant qu'on arrive… là où vous nous emmenez ?
- Un peu plus d'une heure, Captain Rogers.
- Y a-t-il moyen d'appeler les secours sur place ?
- Oui Captain.
- Bien, Tony, restez éveillé un peu plus d'une heure si vous voulez bien.
- Allez vous faire voir Rogers…
- Seulement quand vous serez en sécurité.
Steve mania le siège sur lequel Tony était assis pour allonger complètement le dossier et leva les pieds du blessé sur le tableau de bord, improvisant le siège du pilote en civière amovible. Ainsi allongé, Tony n'avait que davantage envie de se laisser aller. Ce qui n'avait pas échappé à Rogers.
- Tony. Ne m'obligez pas à vous parler pendant plus d'une heure.
- Ha, vous en seriez incapable.
- Ne me provoquez pas.
- Très bien, commencez par me raconter ce que vous avez fait ces douze derniers mois.
Bien que dans le coltard, Tony n'était pas peu fier de cette dernière remarque, car elle cloua le bec du Captain pendant quelques secondes.
- Non je pensais plutôt vous raconter la guerre et l'époque où Captain America n'était encore qu'une vaste fumisterie.
Touché. Voilà que c'était à Tony de rester coi. Il osait s'approprier son argumentaire, ses quatre vérités que l'ingénieur lui avait déversées plus tôt dans la soirée… et qu'il avait de toute évidence prises en compte et bien retenues. Tony aurait bien apprécié perdre connaissance à ce moment-là. Une nouvelle grimace déforma son visage lorsque Steve joua une fois de plus avec sa plaie, quoi que la morphine dût déjà faire effet car il avait plus le bras engourdi qu'autre chose.
- Vous n'êtes pas fatigué de vivre dans le passé ? fut tout ce qu'il était capable de répondre.
- Je... ne pense pas vivre dans le passé, non. J'essaie juste de ne pas oublier. Ça fait partie de moi, de qui je suis.
- Vous vous définissez par bien plus que par le Captain America des années quarante.
Qu'est-ce qu'il racontait maintenant ? Ah mais qu'il tombe dans les pommes une fois pour toutes !
- Il n'y a pas que ça... Vous n'avez pas tort vous savez, quand vous m'accusez de vivre dans un monde qui me dépasse. Je suis complètement largué. Ces nouvelles technologies, conflits supranationaux et rencontres extraterrestres... ça m'effare, j'ai le sentiment d'être complètement impuissant parfois. Et je sais que je ne suis pas le seul.
Était-ce un regard d'empathie qu'il lui adressait ? Quel enfoiré.
- Mais je ne me décourage pas, je garde foi.
- Vous êtes beaucoup trop croyant, marmonna-t-il.
- Venant de vous je me doute. Mais je vous l'ai déjà dit ; je crois aux gens, aux individus.
Même endormie, la mémoire de Tony fit le lien entre les propos du Captain et cette lettre qu'il lui avait adressée il y a des mois de cela, et qu'il n'avait pu s'empêcher de relire. Juste une centaine de fois. Je suis seul depuis que j'ai 18 ans, je n'ai jamais vraiment trouvé ma place, même dans l'armée, écrivait-il. Je crois aux gens. Aux individus. Et je suis heureux de dire que pour la plupart, ils ne m'ont pas déçu. C'est pourquoi je ne peux pas les décevoir non plus.
Voilà qui lui faisait une belle jambe.
- Il y a soixante-dix ans comme aujourd'hui, ce sont les gens qui m'entourent qui me permettent de rester debout, de continuer à combattre pour et avec eux. Je ne serais pas là si ça n'était pour Peggy, Bucky, Howard…
Tony voulu objecter, n'ayant aucune envie d'aborder ce sujet en particulier, mais Rogers fut plus rapide que lui – comme si c'était compliqué, dans l'état dans lequel il était – et enchaîna.
- Aujourd'hui, ce sont les Avengers qui m'animent. Chacun des membres de cette équipe est une bénédiction, je ne laisserai personne derrière. Et certainement pas vous.
De quoi parlait-il maintenant ? Tony n'avait pas le sentiment d'être laissé en arrière, il avait juste concrètement perdu la trace de tous ces prétendus coéquipiers. Et il ne supportait pas que le Captain se fasse grand chevalier quand franchement, Tony lui avait rien demandé.
- J'ai pas besoin de vous Rogers, bredouilla-t-il de manière de plus en plus diffuse.
- Moi j'ai besoin de vous.
Ça recommençait. Pour toi, avait-il dit. J'ai besoin de vous, affirmait-il maintenant. Bon dieu qu'il en aille au fait. Trop étourdi, Tony nicha le sommet de son visage dans le creux de son coude valide. Qu'il en aille au fait, ou qu'il se taise à jamais.
- Je regrette profondément nos désaccords Tony, mais ils ne justifient pas ces derniers mois. Nous ne sommes pas ennemis. Je suis sincèrement désolé de vous avoir caché la vérité sur la mort de vos parents, j'ai fait une erreur. Je suis navré que vous ayez pensé que, parce que j'ai choisi de défendre Bucky, cela signifiait la fin de notre amitié… je voulais juste que vous réalisiez qu'il n'était pas coupable, mais j'ai oublié de voir la peine qui vous incombait alors. Je sais que je vous ai déçu. Et je ne sais pas si je pourrais jamais retrouver votre amitié... Je comprendrais que vous le ressentiez différemment. Mais j'ai le sentiment qu'il peut en être autrement.
Steve soupira. Il prit quelques centimètres de recul pour considérer le travail de guérisseur qu'il avait prodigué à la plaie à présent fermée.
- Pourquoi ne m'avez-vous pas livré à Ross ?
Tony entendit la question, mais décida délibérément de ne pas y répondre. Principalement car il n'en assumait pas la réponse.
En plus de l'engourdir, la morphine semblait avoir abaissé toutes les barrières derrière lesquelles il s'était réfugié. Il n'avait plus de rempart, plus de filtre ; ses mensonges avec lesquels il se berçait depuis des mois, voire des années, volèrent en éclat. Son esprit, bien qu'embué, y avait rarement vu aussi clair. Il alla jusqu'à trouver puéril de ne pas avoir embrassé cette vérité plus tôt, qui avait toujours été là, et qu'il n'avait jamais accepté que par fragments.
Il ne l'avait pas dénoncé, car il mourrait d'envie de reformer les Avengers. De retrouver une équipe, une bande, des gens un peu bizarres comme lui, avec qui il assumait pleinement son potentiel. Avec qui il se sentait spécial, mais pour les bonnes raisons. Avec qui son génie n'était pas qu'un outil à fabriquer des machines de guerre, où son argent n'était pas qu'un moyen pour se la jouer dans la société. Mais avec qui il pouvait au contraire servir une vraie cause, des vraies valeurs, sans que les médias roulent des yeux en criant au traumatisme et à la déraison. Des gens avec qui il nouerait de vrais liens, des amitiés sincères.
Sa rencontre avec Banner avait été une aubaine, leur duo scientifique lui permettait de s'épanouir comme jamais dans ses activités créatives. Romanoff lui apportait ce sarcasme et cette capacité de le remettre en question que personne n'avait jamais égalé. Clint était son pied sur terre, un super-héros du quotidien dans une famille bien trop banale – un idéal que Tony savait qu'il n'attendrait jamais, mais dont il ne pouvait s'empêcher de rêver. Thor était sa tête dans les étoiles, son espoir extraterrestre, sa preuve vivante que même par-delà les galaxies, il résidait des alliés, des amis.
Et Rogers était un putain de nœud dans l'estomac dont il n'arrivait pas à se défaire. Il représentait tout ça, et plus encore. Il était l'extraordinaire niché au cœur du quelconque, la bonté incarnée par l'arrogance, l'esprit de leader aux relents de dictateur. L'amitié improbable, car tout, absolument tout, les opposait. Il était un soldat quand Tony défiait sans cesse l'autorité. Il était un ancêtre quand Tony était probablement l'humain le plus à la pointe de la technologie. Il était prêt à se sacrifier dans l'anonymat quand Tony ne pouvait considérer ne pas faire les gros titres. Il était d'une confiance insolente quant à son rôle quand Tony ne cessait de douter quant au sien. Il faisait confiance quand Tony remettait en cause. Il était dévoué quand Tony était égotiste. Il rassemblait quand Tony divisait. Il était tout ce que Tony n'était pas, et inversement.
Ainsi, le plus frustrant était sans aucun doute cette affection incohérente qu'il avait développée pour le soldat. L'année de cure forcée n'ayant fait qu'aggraver le phénomène, Tony n'était en mesure ni d'expliquer ni de freiner ces pulsions nerveuses qu'il ne parvenait à dissimuler que sous grand couvert de haine. Car très honnêtement, rien dans le comportement du soldat, ni dans sa mentalité, ne justifiait un tel emballement.
Pourtant il ne pouvait croiser ce regard d'un bleu glacé sans en avoir l'intestin retourné. Dieu sait si Tony en avait fréquenté, des hommes séduisants. Sportifs, mannequins et autres playboys. Mais le problème qu'il rencontrait ici était d'un nouveau genre, et le besoin qu'il avait nourrit ces longs mois durant de revoir le super-soldat n'était pas né d'une attirance purement physique. Il savait qu'il y avait autre chose, mais il ne mettait pas le doigt dessus.
Il ne voulait pas mettre le doigt dessus.
Pour cette raison très particulière, et parce que Tony savait encore différencier les dangereux maniaques de ses alliés, il semblait évident qu'il n'allait pas le vendre à Ross. Mais il se gardait bien de lui expliquer tout cela.
Cela n'avait cependant pas l'air de satisfaire Rogers qui s'inquiéta de l'absence de réponse.
- Tony ?
Il lui saisit le bras qui recouvrait son visage, et glissa la main jusqu'à son poignet manifestement pour lui prendre son pouls.
- Ouvrez les yeux, restez avec moi.
Là encore Tony entendit le soldat, mais n'obtempéra pas. Pourquoi le ferait-il ? Elle était confortable, sa civière improvisée. Il ne sentait plus le sang tambouriner dans son épaule meurtrie ; il ne sentait plus son bras droit tout court. C'était plutôt plaisant. Il voulait profiter de cet état de félicité pour se reposer, juste quelques instants... Il se sentait enfin léger, détaché. Il n'avait aucune envie que ça s'arrête, et donc ne fit aucun effort pour revenir à la raison malgré l'insistance de Steve. Il sentit des mains enserrer son visage, il percevait la voix de Steve se faire plus pressante, il se sentait remué légèrement. Mais ses paupières étaient irrévocablement closes, il ne pouvait plus les ouvrir. Les sensations physiques se dissipaient, il oubliait où il était, qui il était.
Tout était juste noir.
Silencieux.
Indolore.
