Déchaînement

- Je viens avec vous !
- Je t'ai déjà dis non, cette histoire ne te concerne pas.
- Comment pouvez-vous dire ça ? Elle me concerne tout autant que vous.

- Ecoute Fili, je vais avoir besoin que quelqu'un reste ici pendant mon absence pour gérer le royaume, je veux que ce soit toi.
- Non ! Maman et Balïn pourront très bien s'occuper de ça sans moi. Je viens avec vous !

Thorïn souffla franchement face à l'entêtement de son neveu. Surtout que l'heure n'était pas aux disputes.

Ils se tenaient face à face, séparés par le bureau du roi qui était en tenu de voyage et qui s'occupait des derniers préparatifs pour son départ malgré son visage sombre aux traits épuisés et inquiétés. La tête de Fili ne valait pas mieux et cela semblait être un miracle que tous les deux puissent encore tenir debout vu l'état dans lequel ils se trouvaient, même si le sang séché qu'ils portaient sur leurs habits ne leur appartenait pas.

- Thorin, vous ne pouvez pas partir seul, vous avez vu vous même les dégâts qui ont été causés, vous ne faites pas le poids.
- Et toi non plus ! Je ne veux pas mettre ta vie en jeu pour une quête qui n'est pas la tienne.
- Il s'agit de mon frère !
- Justement, ta place est à ses côtés.
- Je ne lui sers à rien ici !

Thorin allait répliquer mais Dis, la mine aussi sombre que les deux nains, entra dans la pièce. Immédiatement, les guerriers se tournèrent vers elle, la fixant sans rien oser espérer, si ce n'est ne pas entendre la sentence qui détruira leur vie aussi sûrement qu'une dague plantée en plein cœur. La naine prit soin de refermer la porte derrière elle avant de lever un regard détruit vers eux.

- Il ne s'est toujours pas réveillé…
- Il est toujours en vie ?
- Il va s'en sortir ? N'est-ce pas ?
- Dis, est-ce que tu as réussi à déterminer l'origine de ses blessures ?

- Non, elles n'ont été faites par aucune arme connue et tous les cadavres présents portent les mêmes traces.
- Personne d'autre n'a survécu ?
- Survivre... C'est un bien grand mot..
- Je peux aller le voir ?

La naine hocha la tête et Fili et Thorin se précipitèrent à l'extérieur du bureau. Lorsque son fils passa à côté d'elle, elle lui empoigna le bras en le regardant dans les yeux.

- Attend toi au pire.

Fili la regarda sans sembler comprendre puis se précipita au chevet de son frère, son oncle sur les talons.

Lorsqu'ils entrèrent dans la salle, quelques médecins et infirmières terminaient de lui bander la main, du moins, ce qu'il en restait.

Fili fut effaré de voir à quel point la peau de Kili était blanche. L'horrible plaie béante qui partait de sous sa mâchoire pour terminer sur son abdomen avait été soignée au mieux.
C'était un miracle que la jugulaire n'avait pas été tranchée, du moins, c'était ce que l'on pourrait croire. Kili n'était simplement pas mort sur le coup, il était en train de mourir doucement, ses blessures étaient bien trop graves pour que l'espoir soit permis.

Surtout que ce n'était pas la seule balafre qui ornait le corps du jeune nain. A l'instar de tous les autres cadavres des gens présents lors de l'attaque, la peau de Kili avait été lacérée et déchiquetée d'une manière incroyablement violente.

Le pire de tout, c'était son visage. Impassible, blême, aucune émotion n'y apparaissait. Fili ne l'avait jamais vu comme ça, même dans son sommeil le plus profond son frère exprimait quelque chose.

Le blond senti la main de son oncle se poser sur son épaule et serrer brièvement. Puis Thorin quitta la chambre, accompagné de Dis et des nains soigneurs.

Fili resta seul aux côtés de son petit frère qu'il avait vu grandir, s'épanouir, apprendre à combattre, à aimer et que, selon toute vraisemblance, il verra mourir dans un futur très proche, trop proche pour qu'il parvienne à prendre conscience qu'il risque de ne plus jamais avoir Kili à ses côtés. Ce fut sur cette idée qu'il s'écroula aux côtés du lit où gisait le brun, ses forces l'abandonnant enfin, elles qui ne l'avaient pas lâché depuis que le corps de son frère avait été retrouvé au milieu de la trentaine de cadavres des nains présents lors de l'attentat dans la salle du trône, plusieurs heures auparavant.
Fili avait eu l'impression de vivre une vie durant le temps où les meilleurs soigneurs du royaume se sont échinés à sauvegarder la vie du plus jeune héritier de Thorin, la seule personne qui pourra leur expliquer ce qu'il s'était réellement passé. Leur dire qui ou quoi s'en était pris à eux.

Fili et Thorin avaient étudié les cadavres et tous, nains, naines, gardes et enfants avaient été massacrés sans émotions, froidement. La première théorie quant au fait que Kili ait survécu miraculeusement s'écroulait peu à peu devant la violence de la scène. Personne n'aurait pu survivre à ce massacre, ce n'était pas un miracle, c'était voulu. Ce qui avait fait ça avait tué au moins trois fois chacun des nains présents et aucun n'avait été laissé pour mort.

Sauf Kili.

Thorin n'aurait pu dire ce qui aurait été plus cruel entre retrouver le corps de Kili parmi tous les autres ou bien ça : le voir mourir doucement sans pouvoir rien faire.

Surtout que, aux côtés du jeune nain, gisaient les fragments de son épée brisée. Une lame de haute qualité, affutée dans les meilleures forges d'Erebor. Rien n'aurait dû la détruire. Et Kili était l'un des meilleurs guerriers qui soit au service de Thorin, personne n'aurait dû le défaire.

- Je te l'avais dis qu'il était trop jeune pour être nommé capitaine de la garde.

Dis, souffrant de voir son fils aussi cruellement blessé, n'arrivait plus à contenir sa douleur et cherchait à l'épancher sur Thorin, qui accusait le coup et fermait les yeux douloureusement. Elle lui avait dit qu'il était trop jeune pour assurer ce rôle, tout le monde le lui en avait la remarque, mais il avait été certain que Kili remplirait cette fonction à merveille et il l'avait fait, jusqu'à aujourd'hui. Sauf que Kili et sa troupe étaient tombés sur quelque chose de trop gros pour eux cette fois-ci. Mais comment Thorin aurait-il pu prévoir qu'un événement pareil arriverait ? Il ne savait même pas ce qu'il c'était passé.

La seule raison fondée qu'ils trouvèrent pour expliquer le pourquoi d'une telle attaque, ce fut le trou béant que laissait l'Arkenstone au dessus du trône. Mais cela n'expliquait ni le comment, ni le qui. Et le seul témoin que le ou les attaquants avaient laissé derrière eux était actuellement plus mort que vif.

Fili s'assit sur le lit de son frère, il n'osait pas le toucher de peur de lui faire plus de mal que de bien. Son visage tellement impassible contrastait fortement avec l'état de son corps. Et seul son souffle profond et régulier empêchait le blond d'hurler et de sombrer dans le désespoir. Fili savait que, tant que Kili était en vie, il n'avait pas le droit de se laisser aller.

- Hey Kili, mon grand, tu ne vas pas mourir n'est-ce pas ? Ce n'est pas cette petite blessure qui aura raison de toi… S'il te plait mon frère, ne laisse pas cette petite blessure avoir raison de toi…

Fili ne pouvait toujours pas et ne pourra sans doute jamais exprimer avec des mots ce qu'il avait ressenti lorsqu'il avait appris qu'une attaque avait eu lieu dans la salle du trône alors que lui même et son oncle étaient en plein conseil.

En tant que capitaine de la garde, Kili aurait dû être le premier informé et le premier sur place et donc, ça aurait dû être à lui de venir interrompre le conseil une fois que l'affaire avait été maîtrisé, comme il le faisait à chaque fois.

Fili et Thorin avaient bondit d'un même geste et s'étaient précipités vers le lieu de l'attaque qui était assidûment fréquenté à cette heure-ci, que ce soit par les marchants à la sauvette, les civils qui attendaient l'ouverture des doléances, les soldats qui veillaient à la sécurité ou bien les familles qui venaient montrer l'Arkenstone à leur enfants.
Le carnage qui les avait accueilli là-bas… c'était indéfinissable. Fili doutait de pouvoir dormir tranquillement un jour après avoir vu ça, lui qui était pourtant habitué aux champs de bataille.

C'était Thorin qui, après avoir constaté la présence des corps de gardes attachés à Kili parmi les cadavres, avait cherché trace de son neveu, en ayant peur de ce qu'il retrouverait. Tous les morts portaient les mêmes marques immondes, des blessures béantes qui n'avaient pas été données par des lames et qui couvraient tout leur corps.

Lorsque Thorin avait retrouvé Kili, il avait choisit de ne pas prévenir l'aîné, occupé alors à gérer les équipes de secoures, même lorsqu'il avait constaté que le plus jeune respirait toujours. Il l'avait amené en salle de soin et avait fait venir les meilleurs chirurgiens et médecins nains de la ville.

Il s'était ensuite barricadé dans la salle des archives pour tenter de déterminer si ce genre de chose s'était déjà produit.
Fili l'avait rejoint peu de temps après, sa mère lui ayant interdit l'accès à la salle de soin. C'était la meilleure chose qu'ils avaient trouvé à faire en attendant des nouvelles du plus jeune prince. Ils avaient cherché durant plusieurs heures, sans résultat. Aucun écrit ne consignait un assassina de groupe aussi important, avec de pareilles blessures, pour le vol d'un objet tel que l'Arkenstone.

Le roi avait donc décidé de régler le problème à sa manière : en parcourant la Terre du Milieu Orcrist au poing pour débusquer les auteurs de ce crime et leur faire payer l'affront fait à Erebor, aux familles des victimes et à la famille royale, pour retrouver l'Arkenstone et pour épancher sa propre douleur. Et Fili s'était mis en tête de l'accompagner.

Assis au chevet de Kili, le blond lui parlait doucement, cherchant à lui rappeler qu'il n'avait pas le droit de partir maintenant, qu'il avait encore beaucoup de choses à faire avant et que trop de monde avait besoin de lui ici. Fili n'était absolument pas prêt à faire le deuil de son frère, c'était trop soudain, trop violent, trop inattendu et totalement incompréhensible. Il ne pouvait pas concevoir que Kili puisse mourir ainsi, sans raison et sans lui avoir fait ses adieux, de manière aussi brutale.

C'est alors qu'il vit, du coin de l'œil, sans même un avertissement, le matelas sur lequel le blessé était couché devenir de plus en plus rouge. Il se leva d'un bond et arracha immédiatement la couverture qui couvrait le corps de son frère. Et là, à sa grande horreur, il constata non pas que ses blessures se rouvraient, mais que d'autres apparaissaient de manière aléatoire et saignant abondamment alors que le visage du brun n'exprimait toujours aucune émotion.

- Kili ! Non ! Qu'est-ce qu'il se passe ? AU SECOURE ! VENEZ M'AIDEZ !

Immédiatement, les infirmières, les médecins et Dis entrèrent dans la salle et Fili fut éjecté dehors, au même titre que Thorin qui était venu voir ce qu'il se passait, alarmé par les cris de son neveu.

Ils restèrent une heure à se ronger les ongles et tourner en rond en attendant des nouvelles. Autour d'eux, les requiem chantés par le peuple d'Erebor en deuil pour hommage aux trente-trois victimes de l'attaque foudroyante de la matinée s'élevaient partout dans la montagne.

Fili et Thorin restèrent stoïques, comme l'exigeait la formation guerrière qu'ils avaient suivit. Mais à ce moment plus que jamais, leur cœur était lourd et leurs pensées étaient sombres. Et Fili faisait un effort monstrueux pour ne pas s'enfuir loin de cette porte close, tabasser tous les murs à porter de poing puis pleurer toutes les larmes de son corps dans un coin où personne ne le trouvera plus jamais. C'était arrivé tellement soudainement qu'il n'était plus capable de penser à quoique ce soit. Même pas à son frère qui était parti le matin même, dans sa flamboyante tenu d'officier, en lui lançant une vanne mesquine par apport à ce qu'il pensait des cessions ennuyeuses du conseil auxquelles Fili était tenu de participer.

Au bout d'un moment, l'infirmière de la famille royale sortie, le regard fuyant.

- Messires, il faut que nous parlions.
- Et Kili ?
- Il est toujours en vie, votre mère s'occupe de lui.

Toujours en vie. C'était énorme mais tellement peu comme révélation. Toujours en vie, mais dans quel état ?

- Qu'avez vous à nous dire ?

- Ces blessures ne sont pas habituelles et celles qui viennent d'apparaître diffèrent de celles des autres victimes.
- Avez vous déjà entendu parler de ça ? De plaies qui apparaissent ainsi ?
- Oui, mais ce ne sont que des légendes. D'après moi, il s'agirait d'un mauvais sort, d'une malédiction.

Fili et Thorin se regardèrent, choqués. Qui aurait bien pu lancer un mauvais sort sur Kili après avoir voler l'Arkenstone et tuer des innocents ? Et surtout : pourquoi ? Ca n'avait aucun sens.

- Quel genre de malédiction ? Vous en savez plus ?
- Je suis désolée, je ne sais rien de plus et ce ne sont que des suppositions.

- Vous ne pourrez pas nous dire comment conjurer le sort ?
- Je suis désolée messire.

Thorin serra les dents. La personne qui avait fait ça avait intérêt à s'être trouvé une bonne cachette, parce qu'il avait l'intention de le retrouver et de lui faire payer cette provocation envers Erebor. Il entendit Fili grincer des dents à ses côtés et devina ses pensées avant que celui-ci ne prenne la parole.

- Je vais chercher l'Arkenstone seul, cette quête ne te concerne pas.
- Je n'ai pas parlé d'aller chercher l'Arkenstone, ma quête à moi diffère : je vais trouver un moyen de lever cette malédiction qui plane sur Kili et dans la mesure où notre but est le même, je vous accompagne.
- Kili a besoin de toi ici.
- C'est faux, mis à part le regarder, je ne peux rien faire pour lui, vous ne pouvez pas m'infliger ça !
- Tu penses vraiment que tu seras capable de m'assister et de rester concentré sans avoir les pensées troublées par l'état de ton frère ? Pardonnes moi, mais j'en doute.
- Et vous croyez que je serai apte à diriger ce royaume en sachant que mon oncle est en danger de mort à courir derrière quelque chose inconnu et en voyant mon frère entre la vie et la mort ? Vous voulez prendre ce risque ? De toute façon, la question est close, je pars chercher celui qui a fait ça à Kili, je l'obligerai à lever le sors, si vous ne voulez pas que je vous accompagne, j'irai seul, de mon côté.
- Fili, ton roi vient de te donner un ordre !
- VOUS NE POUVEZ PAS AFFRONTER CA TOUT SEUL !
- Et ce n'est pas toi qui changeras la balance ! Ce qui a fait ça a détruit en moins de dix minutes les meilleurs soldats du royaume !
- C'est parce que vous voulez me préserver que vous m'interdisez de vous suivre ?
- Je viens de perdre l'un de mes neveux, je ne veux pas prendre le risque de perdre le deuxième !

La voix grave de Thorin qui venait de rouler dans le couloir fit frissonner le blond qui répondit avec rage.

- Kili n'est pas encore mort et nous pouvons le sauver.
- Et s'il meurt pendant ta quête ? Le supporteras-tu ?
- Il ne mourra pas. Il ne peut pas mourir, je l'en empêcherai !

Fili venait de détacher chaque syllabe avec détermination et Thorin souffla son exaspération.

- Soit, mais jure moi que tu m'obéiras et que tu ne chercheras pas à prendre d'initiatives dangereuses, d'ailleurs, si tu pouvais me jurer de ne prendre aucune initiative et ne t'en remettre qu'à moi, je me sentirai en paix.

- Je le jure.

Bien sûr, aucun des deux n'imaginait un instant que Fili puisse tenir ce genre de promesse.


Kili ouvrit les yeux et respira un grand coup. Immédiatement sa tête tourna. Il chercha à se lever mais son corps était très lourd. Il resta immobile quelques instant, puis utilisa toutes ses forces pour se redresser. Il dû cligner des yeux, la lumière était très agressive ici. Il regarda son corps et se rendit compte qu'il était totalement vierge de toute blessure.
Il réussit à se forcer à se lever et regarda autour de lui : rien. On aurait dit un paysage fait uniquement de dunes de sables ou de sel. Il vit quelque chose au loin, de manière trouble, comme si un écran de fumée l'entourait. Il se mit en marche vers cette direction. Suivant le murmure qui chuchotait en lui.

Il devait absolument sortir d'ici et retrouver Thorin avant qu'il ne soit trop tard. Le suzerain d'Erebor était en danger et seul Kili savait par quoi il était menacé, même s'il n'avait aucune idée de la manière de l'en protéger.