Star Wars est propriété exclusive de Lucasfilm Ltd., elle-même propriété de The Walt Disney Company. Je ne fais aucun usage lucratif ou commercial de mes écrits en relation avec la license Star Wars.

Cover : refonte à partir d'une affiche du Retour du Jedi, et d'un détail de "Return of the Jedi 30th Anniversary final artwork" de MarkRaats trouvée sur DeviantArt. com.

L'inspiration pour cette courte fic me vient des magnifiques "Kindertotenlieder", ou "Chants pour les enfants morts", composés par Gustav Mahler sur des poèmes de Friedrich Rückert. Si vous ne les connaissez pas, je vous conseille fortement d'aller écouter la version de B. Walter et Kathleen Ferrier, qui est disponible sur YouTube. Ou n'importe quelle autre version, mais je trouve celle-ci particulièrement poignante. ;)

Le rating T est là pour la sécurité. Quelques mentions de violence passée (torture), mais rien d'explicite. Le T sert principalement à être sûre que la manière dont j'écris la relation entre Han et Leia ne pose aucun problème.

Je vous souhaite une bonne lecture. Un commentaire fait toujours extrêmement plaisir, n'hésitez pas à en laisser !

10/01/2017 : Correction de détails mineurs.


Maintenant le soleil se lèvera, brillant
Comme si aucun malheur n'était arrivé cette nuit.
Le malheur est tombé sur moi seul.
Le soleil, lui, brille pour tous.

Tu ne dois pas garder la nuit en toi,
Mais la plonger dans la lumière éternelle.
Une petite flamme s'est éteinte dans ma maison.
Que bienvenue soit la joyeuse lumière du monde !

Le feu grondait et crépitait. Alors que les ombres du crépuscule s'allongeaient sur la clairière, que la nuit commençait d'étendre inéluctablement son manteau sur le monde, ses flammes seules continuaient de répandre leur chaude lumière sur les nombreux visages tournés vers lui. La clarté de leurs bras mouvants se tendait vers les étoiles qu'on voyait à travers les branchages, comme s'ils reconnaissaient même de cette distance une brillance semblable à eux, et la fumée qui montait vers le ciel semblait porter un message dépassant la cime des arbres.

Le feu grondait et crépitait, et elle se tenait debout devant lui, immobile, hypnotisée par sa danse fascinante. Ses yeux rouges et hagards suivaient le mouvement insaisissable du brasier sans jamais s'en détacher, elle se brûlait les rétines sans même s'en soucier : en ce moment, rien ne paraissait plus exister que cette fournaise. Elle ne sentait plus le bras passé autour de sa taille, ni la stable présence qui la soutenait et la maintenait ancrée dans ce monde. Elle ne savait plus rien de la douleur, ni du chagrin, ni de la sensation affreuse que l'on éprouve lorsqu'on se voit arracher une partie de soi. Il ne restait que cette beauté béante et dévorante, cette illusion d'oubli sur laquelle était fixé son regard distant. Parfois une forme se dessinait, une silhouette sombre surgie puis aussitôt évanouie, fugace écho d'un jeune homme disparu.

Ils n'avaient rien laissé de lui. Quelques vêtements, une arme, une prothèse, étaient tout ce qui leur était revenu. Ce bûcher qui flambait pour lui n'était pas ce qui l'avait consumé.

L'horreur à son tour était devenue sourde, assommée par le grondement du bois qui peu à peu se changeait en cendres. Une partie d'elle était soulagée de voir que l'épaisse carapace qu'elle s'était bâtie pour se protéger des coups de la guerre demeurait solide, malgré cette nouvelle épreuve.

Levant le regard, elle rencontra une paire d'yeux noisette débordants de détresse et d'inquiétude, une question claire dans leurs brillantes pupilles. Elle leur adressa un sourire mécanique qui se voulait rassurant, puis détourna la tête, incapable de soutenir l'émotion qu'elle lisait en eux. La prise sur sa main se raffermit, et elle sentit un baiser se déposer sur le haut de sa tête, tandis qu'elle s'efforçait de juguler le flot de souvenirs qui l'assaillait sans répit.

Elle se rappela la conversation, furtive et intime, qu'elle avait eue avec le jeune Jedi deux jours auparavant, et qui paraissait plutôt s'être déroulée il y a deux siècles. C'était la dernière fois qu'elle l'avait vu. Moins que les mots, elle se remémora la solennité et l'urgence qui avaient coloré le moment, la détermination qu'elle avait lue sur son visage, sa propre impuissance désespérée à le retenir. Il y avait eu tant de choses à se dire, si peu de temps pour le faire. Ses révélations l'avaient bouleversée, elle avait mille questions, mille pensées, mais avant qu'elle ait pu lui en faire part, il était parti pour ne pas revenir, sa main glissant de la sienne pour la dernière fois.

Tel une étoile filante, il s'était évanoui dans la nuit, après un bref, intense instant de brillance.

Elle ferma les yeux et laissa échapper un soupir tremblant. Son nom brûlait sur ses lèvres, mais elle n'osait le prononcer, effrayée par le douloureux espoir de l'entendre lui répondre qu'elle entretenait en dépit de toute raison. D'autres traces de lui remontaient à sa mémoire, comme pour camoufler la réalité de son absence, et elle succomba un instant à cette illusion tentatrice, à ces doux mensonges lui murmurant qu'il n'avait pas vraiment disparu. Depuis le jour où il s'était élancé dans sa sombre prison impériale sans y réfléchir, il avait été une constante dans sa vie, une lumière dans l'obscurité du deuil qui n'avait cessé de la poursuivre. Comme elle avait chéri ce fougueux optimisme, elle dont l'espérance s'était désintégrée avec son monde d'origine, cette liberté de rêver qui malgré les pertes, malgré les épreuves, ne l'avait jamais quitté. Il était si vibrant de vie que jamais la pensée ne lui était venue qu'il pouvait, à tout moment, quitter son existence aussi brusquement qu'il y était entré.

Malgré son affliction, elle parvint à s'émerveiller du nouveau sens qu'elle découvrait en ces souvenirs, maintenant qu'elle connaissait la vraie nature de leur relation. Elle aurait tant aimé les partager avec lui, voir les traits de son frère s'illuminer dans le sourire qu'elle connaissait si bien, tandis qu'ils se seraient rappelés leurs nombreux moments de confusion… Ils étaient si maladroits, dans leur ignorance. Elle voulait retrouver les plaisanteries stupides qu'il savait parfois faire, entendre à nouveau son rire résonner à l'évocation de ce qu'ils avaient vécu ensemble…

Ce rire lui manquait, encore davantage que tout le reste. Maintenant qu'elle y pensait, elle s'apercevait qu'il ne s'était plus élevé depuis des mois, sinon comme le fantôme de ce qu'il avait été, étouffé par un fardeau trop lourd pour celui qui le portait. Et elle comprenait enfin, trop tard, ce poids qui avait paru s'installer sur ses épaules, ces démons contre lesquels elle l'avait vu se débattre, impuissante, depuis le sinistre jour où Lando, Chewie et elle l'avaient retrouvé, vaincu et ensanglanté, s'accrochant désespérément à une antenne en-dessous d'une cité dans les nuages.

Oh, si seulement elle avait compris à ce moment-là, si seulement elle avait pu voir à travers ses propres tracas, franchir ses barrières afin de porter son secret avec lui ! Peut-être en parvenant à lui parler aurait-elle pu l'aider à accepter la vérité, sans recourir à cette illusion à laquelle il s'était accroché, et qui l'avait perdu… Mais tandis qu'elle imaginait tout ce qui aurait pu être, elle savait bien au fond d'elle-même que cela n'aurait rien changé, et que ces contes qu'elle se créait n'étaient rien d'autre qu'un mécanisme de défense, un moyen de plus d'échapper à la réalité.

Alors qu'elle comparait le jeune pilote enthousiaste aux étoiles dans les yeux et le chevalier Jedi tourmenté qu'elle l'avait vu devenir, elle se prit à songer que le monstre noir qui lui avait pris Luke l'avait peut-être fait bien avant qu'elle ne s'en rende compte.

Le feu grondait et crépitait, et elle le regarda lentement s'éteindre, se sentant en partie mourir avec lui.

Ce ne fut que bien plus tard, lorsqu'il ne resta plus que des cendres, et que les braises se furent un peu tiédies, qu'elle revint à elle, et que sa conscience lui fut pleinement retournée. La nuit était bien entamée. Les pilotes, Lando, Chewbacca, et les quelques autres membres de l'Alliance qui avaient suffisamment bien connu Luke pour vouloir assister à ses funérailles étaient tous partis depuis longtemps. Il n'y avait plus qu'elle et Han, qui la tenait toujours enlacée.

Comme si elle se réveillait d'un rêve, Leia leva la tête et croisa son regard. Han lui adressa un pauvre sourire qui n'atteignit pas ses yeux, et pressa sa main.

– On devrait y aller, dit-il avec douceur, tu ne crois pas ?

Leia hocha la tête, trop éreintée pour parler. Un immense élan de gratitude la submergea, quand elle réalisa qu'il était là, qu'il était resté avec elle tout ce temps, presque davantage pour la soutenir que pour lui-même pleurer leur ami, et qu'il ne la laisserait plus seule. Sans jamais lâcher sa main, elle l'entraîna en-dehors de la clairière, tournant le dos au bûcher funéraire.

Ils n'avaient fait que quelques pas lorsqu'un groupe de personnes passa à côté d'eux, aussi silencieux que leur nombre le leur permettait. Dans la nuit n'apparaissaient que leurs ombres, un mouvement à peine visible dans les ténèbres. Leia frissonna, soudain assaillie par un froid qui n'avait rien à voir avec la température des bois.

– Leia ? s'enquit Han, inquiet.

Sans lui répondre, Leia revint sur ses pas afin de suivre les intrus, son blaster à la main. Une impulsion irrationnelle l'avait saisie, comme un pressentiment : elle devait savoir ce qu'ils faisaient là. Le contrebandier avait lui aussi dégainé son arme, et la couvrait sans un bruit.

Comme elle l'avait craint, ils s'étaient dirigés vers la clairière où reposaient les restes du jeune homme. La lueur des étoiles les éclairait suffisamment, à présent, pour qu'elle puisse apercevoir clairement leurs silhouettes. Elle sursauta.

Ils étaient six. Cinq d'entre eux, l'arme à la main et revêtus de l'uniforme de l'Alliance, surveillaient d'un œil circonspect le dernier homme, dont la forme qui se détachait contre le ciel, noir sur noir, suffisait à donner la chair de poule à Leia. Colossale et menaçante, enveloppée d'une large cape, la figure, dans la nuit, paraissait surnaturelle, sortie tout droit de ses pires cauchemars. Le masque anguleux qui recouvrait son visage lui conférait une aura terrifiante, et le tonnerre mécanique qui lui servait de respiration retentissait violemment, déchirant la quiétude des bois.

Seule la présence de leurs hommes, et la conscience qu'il était un de leurs prisonniers, empêcha la jeune femme indignée de tirer. Que venait-il faire ici ? N'avait-il donc pas causé assez de souffrance au jeune homme allongé là lorsqu'il était en vie, devait-il encore venir le tourmenter dans la mort ? Venait-il contempler son succès, fouler aux pieds l'ultime demeure du dernier des Jedi, l'humilier à nouveau pour que sa victoire lui semble totale ? Elle ne pouvait comprendre comment Mon Mothma avait permis cela – car elle seule avait pu délivrer une telle autorisation.

Elle ne le quitta pas des yeux, tendue comme un arc, tandis que Vador restait immobile devant les restes noircis du bûcher, contemplatif, à l'endroit précis où elle-même l'avait regardé brûler pendant des heures. Ses mains étaient réunies devant lui, dans une posture qui, sans qu'elle sût pourquoi, lui rappelait un peu Luke.

Il se remit à bouger, et Leia remarqua le réflexe d'un jeune soldat, qui avait brièvement levé son blaster vers lui avant que la main d'un de ses aînés se posant sur son bras ne lui exprime que l'alerte n'était pas nécessaire. En effet, le géant n'avait fait que s'agenouiller d'un mouvement lent et précautionneux pour tendre la main vers le feu éteint. Il utilisait seulement la gauche : à la place de la droite, il n'y avait que des câbles sortant de son avant-bras, qui tombait inutile à son côté. D'un geste qui trahissait son hésitation, il effleura doucement le sol, et cette attitude inattendue surprit Leia. Elle l'observa toucher délicatement les cendres, les prendre puis les laisser lentement glisser de ses doigts sans se soucier de leur température. Comment osez-vous, voulait-elle hurler sans oser le faire, comment avez-vous l'audace de souiller cet endroit, de profaner sa mémoire de la sorte, vous qui l'avez persécuté, pourchassé et assassiné…

Tout d'un coup, Vador baissa la tête. Son poing maculé de cendres se serra, en un geste de rage impuissante que la jeune femme n'avait jamais vu si intense. Elle le vit sans comprendre s'effondrer sur lui-même, les épaules voûtées, le dos courbé comme si un poids immense s'était en une fois abattu sur lui. Immobile, recroquevillé près du sol, son masque touchait presque le genou droit qu'il n'avait pas mis en terre, l'arrière de son casque reluisant dans la faible lumière.

Han l'arracha à sa contemplation.

– Viens, murmura-t-il, avant de l'entraîner à sa suite vers la navette.

Elle le suivit sans un mot, non sans lancer un dernier regard à la créature immobile toujours prostrée au pied de la tombe.