A votre avis, qu'est-ce qui pousse les meurtriers à sauter le pas ? A craquer, et se laisser emporter par ses pulsions ? On a tous déjà ressenti cette colère incontrôlable, qui fait bouillir les veines.
Qu'est-ce qui pousse à passer à l'acte ? Qu'est-ce qui sépare, un homme haineux, d'un assassin ?
C'est ce que je me demandais avant. Avant de céder, et d'avoir ma réponse.
Un coup de batte. Puis deux, trois. Une vingtaine. Plus le sang giclait, plus les os craquaient, mieux je me sentais. La réalité se faisait floue. L'euphorie se faisait plus forte, à chaque gémissement de douleur.
La première fois que j'eus envie de le tuer, ce fut à mes neuf ans. Depuis mon plus jeune âge, il m'avait toujours répété la même chose. Que j'étais un boulet, une ordure.
A chaque fois que j'y repense, le souvenir de son haleine alcoolisée, le cliquetis de sa ceinture quand il la défaisait, me reviens de plein fouet.
D'une façon trop nette. Trop forte. Je resserre ma prise contre la lame.
J'ai peur. J'ai l'impression qu'il est encore là. Que son regard vide et fou, me fixe, encore et encore, jamais lassé de me voir souffrir.
L'impression pesante de sombrer dans un puits profond, de tomber dans le vide. La même sensation que je ressentais, quand je me réveillai en pleine nuit, le lit souillé par mes terreurs nocturnes. La sensation de l'attente oppressante que provoquait ses pas lourds, dans le couloir.
-Bang ! Écoute moi bien .. Libère l'otage, il a à peine douze ans .. résonne la voix du négociateur.
La voix me sors de mes souvenirs douloureux. Les flics sont là. La panique remplace la peur, la haine ... Le vide. Je me tourne vers le gosse derrière moi.
Du haut de mes dix-sept ans, j'ai déjà couché à plusieurs reprises avec sa mère. Mon père parlait tellement de sexe, que j'ai cru que ça soignait tous les maux. Une sorte d'échappatoire.
Mais c'était faux.
A chaque fois que sa mère glissaient ses jambes autour de ma taille, la peur revenait. Plus forte encore. La sensation d'être pris en otage, comme le soir, quand j'étais acculé contre le sol, la ceinture martelant mon dos. Pourtant, j'y suis toujours retourné.
Au moins, j'étais loin de lui.
Je relève la tête, et croise le regard paniqué du gamin. Mon voisin. Les cheveux blonds, le visage poupin. L'innocence même. Je me suis toujours senti apaisé, quand je le voyais. Je regrette d'avoir souillé sa pureté.
Il est encore sous le choc. Tout ça s'est déroulé devant lui. Il fixe le cadavre putride. Les larmes coulent. Il est prostré dans un coin de notre studio miteux, terrifié. J'esquisse un geste. Il écarquille les yeux, et me lance un regard suppliant.
Mon estomac se tord. Il me rappelle ce que je viens de faire. Je ferme les yeux, resserrant une nouvelle fois la prise autour du couteau, en l'approchant de ma gorge. Les battements de mon cœur se font tellement puissants que j'en tremble
-Tu sais très bien que je n'oserais jamais te faire une chose pareille ...
Ces mots sonnent faux, je le sais. Après ce que je viens de faire, je suis foutu. Autant lâcher prise pour de bon. Je n'ai plus d'avenir ici. Si je reste là, la société va me bouffer, me ronger, comme l'a fait mon père.
Ma main se crispe sur le manche.
Un dernier regard vers mon géniteur.
Et d'un coup sec, je tranche.
