Un silence régnait dans le QG du NCIS, les premiers rayons de soleil se reflétaient timidement sur les vitres de l'immeuble. Les Agents DiNozzo et David pianotaient déjà depuis un certain temps sur leur ordinateur. Tony soupira finalement, mit ses pieds sur la table et plaça ses mains derrière la tête: il avait fini. Esquissant une mimique, il se tourna vers Ziva, vantard. Cette dernière eut un regard exaspéré.
- Réflexe !! cria Tony en lançant à sa collègue une boule de papier qu'elle rattrapa sans aucun effort.
En voyant cela, le jeune Italien eut une moue boudeuse et marmonna :
- Mais comment est-ce que tu fais…
- Tu l'as dit toi même DiNozzo : réflexe...lui répondit l'ex-agent du Mossad, légèrement moqueuse.
A ce moment là Gibbs arriva, son éternel café en main, Abby sur ses pas.
- Salut !! lança la jeune laborantine, à peine arrivée, l'air enjoué.
- Bonjour Abby... lui répondirent les deux premiers agents du NCIS en coeur.
Jethro ne prit même pas la peine de les saluer. Il s'assit à son bureau et la gothique fit de même, sur l'espace de travail de Timothy McGee. Au même moment, l'ascenseur émit un tintement sonore et s'ouvrit sur le jeune agent du NCIS et une femme inconnue. Mais quelle femme...
Elle était d'une finesse extraordinaire et ce malgré sa petite taille. Ses cheveux, d'un noir de jais, lui arrivaient jusqu'au bas du dos et leur couleur était accentuée par la lumière naissante. Elle avait un visage mince, sans imperfection, excepté une cicatrice récente sur le coté de la joue. Ses yeux étaient magnifiques, en amande, émeraudes, brillants d'un éclat quasi magique, d'un éclat bien familier... Elle avait un nez droit et une bouche naturellement sombre, sensible et finement dessinée.
La jeune femme était habillée d'un long pantalon noir qui masquait des bottes tout aussi noires. Son pull aux longues manches, tombaient sur ses mains délicates. Mains qui portaient un énorme carton qui semblait peser fort lourd. Le silence était roi, régnant sur tout. Le jeune Tim s'assit normalement, comme si de rien n'était, et salua Abby. C'est alors que la mystérieuse femme s'approcha du bureau de Jethro, l'air grave.
Il la reconnut alors. Son éclat, son rire, son sourire, sa voix, tout défila dans sa tête en une fraction de seconde, elle était revenue...
- Mon dieu...balbutia Gibbs
- Je n'ai jamais vu une telle créature...commença Tony.
- Je vois que tu m'as reconnu, ça prouve que tu ne m'as pas oublié, c'est déjà ça, commença la jeune femme d'une voix chaude et grave.
- Comment est-ce que j'aurais pu... répondit l'ex marine toujours abasourdi.
- Je viens te voir en ultime recours Leroy, l'interrompit-t-elle.
- Tu m'appelles toujours de la même...
Il n'eut pas le temps de finir : elle lui posa l'index sur les lèvres, ce qui le réduisit au silence.
- Je ne vais pas faire une séquence émotion. Je vais te dire tout ce que j'ai sur le coeur, parce qu'après cela risque d'être trop tard. Je vais commencer donc par le plus important. C'est déjà un énorme effort que mon cher frère m'ait reconnu...
Le silence qui suivit donna lieu à une certaine gêne. C'était la soeur de Leroy Jethro Gibbs. Tout le monde les regardait à présent, interloqués, mais pas autant que l'intéressé...
- Tu te rappelles de l'enfant qui jouait dans les grands prés avec toi? commença-t-elle doucement mais fermement. La petite fille aux cheveux noirs, aux yeux charbons… Si, je suis sûre que tu te rappelles, comment m'oublier... Cette même fille s'est retrouvée terrifiée lorsque son grand frère est parti et quand sa mère est morte. Restant seule avec un père alcoolique qui rentrait ivre tous les soirs ou presque.
Elle marqua une pause et plongea son regard dans celui de Gibbs qui n'avait pas pipé mot. La jeune femme reprit son histoire, sans tarder davantage.
- Cette jeune fille qui préférait rester dans une cave humide et sordide, plutôt que de monter au salon, où son père la frappait régulièrement. Cette même fille qui a vu, un soir, son père fou, complètement fou. Ce soir là, je me suis retrouvée propulsée contre la belle étagère que tu avais faite un soir d'été. Il a entrepris de me brûler ensuite, se contrefichant de ce que je pouvais avoir comme blessures, avec le chandelier de grand mère. Et lorsque l'incendie a démarré, je ne me suis pas laissée faire et je l'ai laissé périr dans ses flammes, les flammes de l'enfer, qui étaient siennes.
Elle marqua une pause après ce long monologue que personne, pas même Gibbs n'avait osé interrompre. Et avant même d'avoir repris correctement son souffle, elle enchaîna, mais d'une voix toujours aussi calme, posée.
- Trois mois plus tard, je revenais en Israël, car n'est-ce pas mon pays natal? Notre mère y est née aussi… Mais les choses ont changé et je reviens pour te dire Adieu...Tu trouveras dans ce carton toutes les lettres que je t'écrivais quand j'étais au Pays et que je me languissais de toi tandis que tu faisais tes gue-guerres je ne sais où. Tu verras un net changement. Mais sache que j'en écrivais chaque jour ou presque.
Elle déposa le mystérieux carton, fit quelques pas vers la sortie mais se retourna, semblant avoir oublié quelque chose.
- Shalom, Leroy, n'oublie pas que je t'aime...
Et cette fois-ci, elle disparut, happée par l'ascenseur, laissant son frère comme deux ronds de flanc, ne sachant quoi dire. Il sentit qu'une douleur venait de se réveiller et qu'elle ne se rendormirait pas de sitôt…
Le soleil était maintenant haut, mais pas à son zénith. Tony se leva et il aperçut quelque chose au sol qui semblait être un paquet de cigarettes. Il le regarda de plus près. Sur l'une des faces figurait une liste de numéros de téléphone, sur l'autre : un plan griffonné à la va-vite.
- Elle a fait tomber ça, Gibbs... fit le jeune italien d'une voix hésitante.
Son patron ne lui adressa pas un regard, se contentant de lui tendre un papier : une adresse de parc.
- Ah d'accord, souffla Tony après en avoir prit connaissance. J'y vais tout de suite!
L'agent Anthony DiNozzo frottait ses mains, tachant vainement de se réchauffer contre ce froid qui sévissait durement. Il s'assit sur un banc, attendant.
Elle devrait bien arriver... pensa-t-il.
Et au même moment, une jeune femme sortit de nul part et en moins de temps qu'il ne faut pour le dire, déroba son bien qui dépassait de la poche de l'ex-agent de Baltimore. Elle en sortit une cigarette, qu'elle alluma.
- Mon dieu ça m'a manqué... Bonjour, je vous ai vu tout à l'heure, vous êtes?
- Euh... Je m'appelle Anthony...DiNozzo... se présenta Tony, quelque peu décontenancé.
En temps normal, il lui aurait retourné la question, mais il y avait quelque chose qui l'en empêchait. C'était idiot, mais le simple fait de sentir son visage si près de lui, lui procurait un frisson indescriptible. Lui intimidé? Non, ça devait être autre chose...
- Et bien moi, je m'appelle Miranda El Capoln, et comme vous l'avez deviné, je suis la soeur de Gibbs.
Et après un long silence elle ajouta:
- Parlez moi de lui. Dites-moi s'il a changé ? Comment est-il?
Tony comprenait parfaitement où le jeune femme voulait en venir. Miranda était avant tout une soeur en manque de son frère, de quelqu'un qu'elle devait plus que tout aimer, parce qu'il le fallait, ça lui était vital... Alors, il s'éclaircit la gorge et planta ses yeux clairs dans ceux de Miranda, à grand peine.
- Jethro, Gibbs... commença-t-il d'une voix lente, qui cherchait les bons mots. Le boss est quelqu'un qui aime contourner les règles sans le montrer, discrètement à l'insu de tout le monde. Il a cette manie quand il vous regarde… C'est comme s'il allait vous arracher des lambeaux de votre peau. (Tony eut une mimique mi-amusée, mi-sérieuse.) Il a cette manie de toujours apparaître quand vous ne vous y attendez pas… Et toujours quand vous êtes en tords ! Alors vous avez droit à sa petite claque derrière la tête, histoire de remettre tout ça en ordre…Gibbs est terrible dans son genre, mais je sais que je peux compter sur mon patron...conclut Tony le plus sérieusement du monde.
Miranda l'avait écouté parler et ce de façon très attentive. Et sans savoir pourquoi, elle éclata d'un rire cristallin, qui réchauffa le corps de Tony. Décidément, elle était vraiment exceptionnelle.
- Merci beaucoup… Je vais vous laisser à présent, mais sachez que j'ai eu un réel plaisir à vous écouter...
Et sur ce, elle se leva et tourna les talons, abandonnant un Tony encore sous le charme. L'agent du NCIS sourit : le fameux paquet de cigarettes trônait à coté de lui...
L'ascenseur s'ouvrit laissant apparaître DiNozzo, un sourire figé jusqu'aux oreilles. Il posa un regard enjoué sur la pile de rapports qu'il avait à finir et Jethro le regarda faire, surpris.
- Depuis quand des rapports à écrire ou réécrire te font sourire DiNozzo? Mais quel jour est-on aujourd'hui bon sang... demanda Gibbs visiblement agacé.
Tony n'eut pas le temps de répondre, la directrice Sheppard venait de descendre, pressée. Elle se dirigea vers l'homme aux cheveux gris et planta son regard dans celui océan de Jethro.
- Dans mon bureau, et tout de suite, je ne me répéterai pas, ordonna-t-elle d'une voix sèche et méconnaissable.
Le concerné ne se fit pas prier et sous le regard étonné des membres de son équipe, il se leva et suivit la directrice dans son bureau.
- Rentre tout de suite Jethro, fit Jen d'une voix toujours aussi curieusement peu engageante avec même des relents d'agressivité.
- Oui...
La porte s'ouvrit sur le bureau de la patronne du NCIS, et Jethro put enfin voir ce qui rendait Jenny aussi furieuse. La jeune femme aux cheveux noirs semblait attendre, les yeux plongés sur le soleil qui illuminait le bureau à travers les grandes baies vitrées de la pièce.
- Ne te fit pas aux apparences Jethro, les larmes sèchent vite, fit remarquer Sheppard, en face de Gibbs.
- Qu'est ce que...?
- Tu croyais que l'ignorer serait la meilleure solution ? Elle va mourir Jethro… Si nous nous faisons rien, elle est condamnée à une mort certaine, lui expliqua-t-elle.
Et d'un pas étonnamment silencieux, Miranda s'approcha de son frère.
- Regarde moi, Leroy, regarde moi, lui demanda sa soeur d'un ton calme. Mais devant le refus de son frère, elle haussa la voix, montant d'un cran, ou plutôt de dix. Regarde-moi bon sang !! Dans les yeux!
Et c'est ce qu'il fit. Il porta son regard dans celui de Miranda. Et il vit. Il lut le désespoir de la jeune femme, vit sa fatigue, vit qu'elle ne voulait plus continuer mais qu'elle se battait envers et contre tout pour survivre. Pas vivre, non survivre, survivre à ce qu'il ne savait pas et alors il se dit que peu importe ce qu'elle lui demanderait, il l'accepterait, c'était la moindre des choses.
- Ecoute bien, ce que j'ai à te dire, je ne le répéterais pas deux fois. Je ne me ferai pas mal une deuxième fois alors écoute moi bien. Je suis en danger de mort et je suis venue te dire adieu, parce que tu es la seule personne que j'aime qui soit encore vivante. Oui Leroy, je t'aime. Entends bien. C'est tout ce que je te demande.
La jeune femme déglutit et respira un bon coup. "Dernière ligne droite" pensa-t-elle, "après c'est le ravin".
- J'étais du Mossad, j'avais une mission : infiltrer une cellule d'Al Caida. Mais pas n'importe laquelle, elle était dirigé par Salomon Erdife, un nom de roi Israélien pour un mental Irakien. Cet homme n'est connu que dans le coeur même du service terroriste, et surtout malheureusement dans le Mossad. Il est aussi puissant que Ben Laden en personne. J'ai donc été fière d'avoir été choisie pour cette mission.
Miranda eut un léger sourire, semblant se remémorer ces moments vécus. Mais ce sourire laissa bien vite place à une grimace, et elle poursuivit, la voix douloureuse :
- Mais dès le deuxième soir, ça a mal tourné. Je me suis retrouvée coincée contre un mur avec 5 extrémistes de merde. J'en ai bousillé 4, le cinquième était Salomon. Je me suis enfuie, comme une lâche, et alors mon honneur a été bafoué. Je me suis enfuie vers ce toit, on m'attendait… deux autres agents du Mossad, mes meilleurs amis. Tous les deux se sont prit une balle en pleine tête. Le temps que je réagisse, j'embarquais déjà dans l'hélicoptère qui nous avait attendu. J'ai ensuite demandé une protection qui m'a été refusée, je ne sais pourquoi. Alors, comme je sais que je vais mourir, je veux te dire une dernière fois ce que tu as laissé derrière toi. Te dire ce que je ressens pour toi et te rappeler surtout que tu as une soeur.
Un silence se fit. Lourd, répugnant, écrasant, Jethro aurait tout fait pour qu'un bruit éclate, mais rien de tout ça ne se produisit, alors il vit perler au coin des yeux de sa tendre sœur, une larme, brillante, reflétant tristesse et douleur. Il ne put s'empêcher de la prendre dans ses bras. Il essuya cette manifestation sa tristesse et prit son visage entre ses mains, doucement.
- Je ne te laisserais pas, lui chuchota-t-il. Tu vas être mise sous protection rapprochée, et je te jure qu'ils ne te toucheront pas, qu'il ne t'approchera pas... Je vais te pro..
- Non, pas toi, je ne veux pas que tu prennes le risque, toi, de me protéger Leroy, prends ton meilleur agent qui le fera ou laisse-moi mourir.
Il resta de marbre, mais si ça devait juste être ça, il l'acceptait. Il n'eut pas à chercher longtemps. Ce serait Anthony DiNozzo qui s'occuperait de la protection de Miranda, il lui faisait entièrement confiance. Ca faisait 5 ans qu'il travaillait avec lui.
- Il n'en est pas question. Mon meilleur agent étant Anthony DiNozzo, tu seras sous sa protection. Jen, si tu le permets bien sûr.
- Aucune hésitation Jethro, mais...
- ... Où logeront-t-il? Dans ma maison... Il faudra installer des cameras... des micros...
- ... Et je veux absolument que tu la suives partout, DiNozzo, tu lui colleras aux fesses comme personne. Je suis sûr que tu vas bien t'amuser, mais rappelle-toi que c'est ma soeur... insista Gibbs, quand il eut convoqué tout le monde.
- Vu le respect que je te dois... commença DiNozzo
- On va pas faire de formules de politesse, Tony... le coupa Jethro, plus sèchement qu'il ne l'aurait voulu. Vous logerez chez moi. McGee, je veux des cameras absolument partout! Le plus de dispositifs de sécurité possible. Est-ce que c'est clair?
- Euh, oui... bien clair, patron, bredouilla Tim.
- Alors au boulot, Ziva et moi, on s'occupe de trouver ce salopard. Et vous, vous faites ce qu'on vous a demandé! ordonna Gibbs. Et oui, tu t'en occuperas avec McGee, Abby, ajouta-t-il devant le regard suppliant de la laborantine.
Et en moins de temps qu'il ne faut pour le dire, on ne vit que des ombres qui passaient et repassaient. Tout était mis en place pour que Miranda vive, ou plutôt, survive...
MTAC,21 heures
- C'est bon McGee, toutes les cameras sont "opérationnelles"! cria Tony au jeune agent qui se trouvait dans le MTAC et testait le matériel de surveillance. Le jeune italien, quand à lui, avait installé Miranda dans la chambre de Gibbs et testait avec McGee, depuis la maison de son patron, les installations high-tech fraîchement installées pour la sécurité.
Justement Jethro arrivait, son éternel café noir à la main.
- Alors, où est Miranda? demanda-t-il.
- Euh... ben… euh... bredouilla Mc Gee.
- Je lui ai dit de dormir. Normalement, elle est dans ton lit, le coupa DiNozzo à travers la caméra de surveillance.
- Comment ça « normalement » ? questionna Gibbs en insistant sur le dernier mot, faisant planer une menace non dite.
- Oh quand je testais les cameras et les micros avec Le Bleu, j'ai entendu des pas dans l'escalier...
- Et tu n'es pas allé voir!! hurla Gibbs, écrasant son gobelet de café dans sa fureur.
- Je reconnais les pas, ceux-ci ils descendaient, comme je n'avais entendu personne monter, j'en ai déduit que c'était ta sœur. Je sais ce que je fais, ne t'inquiète pas, le rassura Tony.
- J'espère bien… marmonna Gibbs le regard flamboyant. McGee ! Continuez, vous faites du bon boulot. Nous effectuerons des roulements, quand Ziva arrivera, ça sera son tour.
- Pas de problème, Patron!
Cave de Leroy Jethro Gibbs, 23 heures.
Elle ponçait encore et encore. Le bois émettait un frottement continu. Les deux bras passés autour de la rampe de l'escalier, le jeune italien ne pouvait s'empêcher de la regarder à l'oeuvre encore et encore. Il sortit enfin de sa rêverie quand la femme leva la tête vers les escaliers.
- Je ne sais pas ce qu'il y a de si intéressant à regarder, mais vous pouvez venir m'aider, mes bras commencent à fatiguer...
- Oui, j'arrive, attendez.
Dans sa précipitation, il rata une marche et trébucha, Miranda lâcha ce qu'elle avait dans les mains tout de suite et le rattrapa de justesse. Dans ses yeux, avait luit, pendant à peine une fraction de seconde, de la peur. Leurs visages étaient à présent tout près, avec pour seul intervalle une ouverture où même une misérable fourmi n'aurait pas oser se faufiler…
S'ils avaient pu lire dans les pensées de l'autre, ils auraient partagé cette délectation mutuelle de pouvoir sentir leur souffle se mélanger et s'effleurer avec légèreté, les faisant frissonner discrètement de plaisir. Tony sentit autre chose que du désir partagé en elle. Ses yeux… Ses yeux étaient comme ceux de Gibbs, ils semblaient cacher un terrible reflet lorsque l'on y regardait de plus près… Plus qu'une couleur d'iris un peu trop confuse… Un pâle reflet qui ressemblait à une vitre cristallisée par une nuit glacée New Yorkaise. Une vitre brisée d'un appartement nu, sans aucune touche de personnalité… Et il se voyant seul, à l'intérieur de cette boîte, avec pour seul compagnie les ténèbres que l'on laisse entrer dès que la peur s'empare de nous… Qui nous avale… Qui ne nous quitte plus…jamais…
Soudain, Tony réalisa qu'il était allé trop loin… Miranda était totalement pétrifiée. Non seulement parce que Tony avait pu voir clair en elle, mais aussi par l'expression de son visage… Il semblait blême, figé par une peur plus ou moins primaire… Décidée à rompre cette ambiance glaciale, elle dit :
- Vous sentez le sable chaud...
- Et vous, c'est un mélange de vanille
et de cannelle... dit Tony d'une même voix basse et grave.
-
Il serait bien que je vous lâche ou vous voulez entendre vos
louanges toute la nuit? demanda la jeune femme.
En guise de réponse, il se retira et vint se planter devant la table où Gibbs posait ses outils de bricolage. Il les regarda, attentivement, comme un chirurgien de renommée mondiale. Il les toucha du bout des doigts et finit par se baisser pour prendre ce qu'avait laissé tomber Miranda dans sa précipitation. Il se mit doucement devant le bateau et invita Miranda à se placer devant lui.
- Venez, je vais pas vous tuer, placez vous devant moi, choisissez un endroit au hasard, un endroit bien défini du bateau et laissez vous guider, même si vous êtes douée, je vais vous montrer ma façon de faire.
Elle hésita un instant, puis vint se poser devant le jeune homme. Le jeune italien posa ses mains sur celles de la soeur de Gibbs, et elle se laissa guider, dans le sens du bois qui vibrait. Les gestes, toujours les mêmes, se faisaient les yeux fermés. Des mains douces et fortes à la fois… Comme ceux des pianistes qui composent des improvisations en mezzo forte, nous enchantant et nous entraînant dans leur douce folie musicale. Apparemment, elle était habituée à poncer le bois…
Curieux, il laissa Miranda prendre les commandes. Des émotions à perte de vue… Tony n'avait pas l'habitude de se laisser dominer mais il savait que son orgueil typiquement masculin allait briser la magie du moment. Le temps en suspens, son cœur suivant la cadence de Miranda, une illusion fantasmagorique digne des plus grands chefs d'œuvre de Chopin. Il voulait pleurer mais ses yeux refusèrent de se plier à cette volonté futile. Des larmes de joie ? De tristesse ? D'émotion ?
Son corps d'homme virile, lui-même rejetait cette idée de s'abaisser à ce sentiment de « femmelette »… Il le sentait quasi-collé à celui de la jeune femme. Mais «ça » grandissait, « ça » embrasait son être comme un lever de soleil éblouissant le ciel de tons enflammés… Mais ce rêve, Miranda y mit fin en rompant le contact charnel entre leurs mains qui s'étaient entrelacés inconsciemment. Oui… Inconsciemment… Et d'un pas léger, Tony la regarda monter les escaliers silencieusement. Errant encore dans des pensées, on ne peut plus décalées dans cette cave...
