- Cosette, va chercher de l'eau au puits !
- Au puits madame ? Mais il fait nuit…
- Et alors ?
- Non rien, madame.
Cosette était une petite fille douce et obéissante. Elle ne cherchait pas à se rebeller, bien qu'elle fût parfaitement consciente de l'injustice de son sort. Sa vie chez les Thénardier était difficile : elle vivait comme une esclave, servait la famille, passait constamment la dernière, n'avait jamais de nouveaux vêtements et devait abandonner le peu de choses qu'elle possédait à ses sœurs. Pourtant, elle ne se plaignait jamais. L'aînée des enfants Thénardier s'appelait Eponine. Elle était brune, grande et maigre et ne s'occupait jamais de Cosette. Elle ne lui prêtait pas grande attention, la considérant elle-aussi comme une domestique dans l'auberge de ses parents. La seconde se nommait Azelma. Elle était gentille, douce et ne parlait pas beaucoup. Elle ne parlait jamais à Cosette, mais elle ne parlait rarement plus aux autres. Puis arrivait la benjamine de la famille, Lena. Celle-ci était toujours joyeuse malgré sa misère et aimable avec les autres. Elle ne maltraitait jamais Cosette et l'aidait souvent à remplir ses tâches. Elle était bonne et pure, et avait appris à considérer la jeune fille comme l'une de ses sœurs, peut-être ceci étant lié à son jeune âge lors de l'arrivée de Cosette dans leur famille.
Alors que Cosette sortait de la maison, elle entendit un petit chuchotement non loin d'elle. C'était Lena qui arrivait dans sa direction, en regardant autour d'elle pour vérifier que ses parents ne la voyaient pas.
- Je vais venir avec toi Cosette ! s'exclama la petite fille, à peine âgée de 8 ans. Comme ça, je pourrai t'aider à porter le seau. Sans mon aide, tu auras des difficultés.
Couverte de suie après avoir passé une journée éreintante à nettoyer la cheminée – étant la plus petite de la famille, c'était toujours à elle que revenait ce genre de sordides tâches – Lena n'en avait pourtant pas perdu son sourire innocent.
- S'ils te voient, tu seras punie. Et moi aussi, dit Cosette, hésitante.
- Ils ne nous verront pas. Ils sont occupés pour le moment et j'ai bien fait attention à ne pas être vue. Ne t'inquiète pas, allons-y vite.
C'est ainsi que les deux petites filles se dirigèrent vers le sentier qui menait au puits. Une fois là-bas, elles eurent toutes les peines du monde à soulever le seau rempli d'eau, et Lena se félicita d'avoir accompagné sa camarade. Elles étaient sur le point de repartir quand un homme se dressa devant elle. Grand, costaud, terrifiant. Lena se mit à crier et se cacha derrière Cosette, qui fixa l'individu d'un air curieux.
- Ce seau est trop lourd pour vous, déclara l'inconnu. Laissez-moi le porter.
- Allez-vous en monsieur, on ne vous connaît pas ! s'exclama la petite Lena.
- Comment vous appelez-vous ? demanda l'homme, sur un ton plus sérieux que jamais.
- Je m'appelle Cosette monsieur, répondit l'enfant qui ne paraissait pas aussi intimidée que sa jeune camarade. Et voici Lena.
- Je cherche un endroit où passer la nuit. Pourriez-vous m'en indiquer un ?
Lena et Cosette échangèrent un bref regard.
- Mes parents tiennent une auberge, déclara Lena, timidement. Vous pourrez y loger pour la nuit et avoir de la soupe.
- Cela me semble parfait. Pourriez-vous m'y emmener ?
Tandis que les jeunes filles hochaient la tête, l'inconnu s'empara du seau et, d'une seule main, le souleva comme s'il ne pesait rien. Lena, oubliant toute sa timidité et son effroi face à un homme si grand, s'exclama :
- Vous êtes drôlement fort ! Vous n'êtes pas un méchant homme ?
- Non. Je te promets que je ne vous veux aucun mal.
L'homme avait une voix douce, et Lena, calmée, fut convaincue qu'il disait la vérité. Alors, elle se tourna vers Cosette et lui fit un sourire.
- Viens, rentrons maintenant. Papa et maman vont être très contents, tu verras !
- Alors tu t'en vas vraiment ? chuchota Lena, en essayant à tout prix de cacher les larmes qui brouillaient sa vue.
- Je penserai très fort à toi, lui répondit Cosette en la serrant dans ses bras.
Lena avait été la seule à agir comme l'aurait fait une sœur. Pour cela, elle ne pourrait jamais l'oublier. La petite fille se tourna vers Valjean, qu'elle observa intensément pendant plusieurs secondes.
- Vous prendrez soin d'elle, n'est-ce pas ?
- Bien sûr.
Lena lui fit signe de se pencher. Elle avait une confidence à lui faire. Il obtempéra, curieux de voir ce que la petite voulait dire de façon si secrète.
- Cosette n'était pas heureuse avec nous. Je le voyais bien, mais mes parents ne le voyaient pas. J'essayais d'être gentille avec elle, autant qu'elle l'était avec moi. S'il vous plaît, ne soyez jamais méchant avec elle. Elle mérite beaucoup de bonheur.
Puis, incapable de retenir plus longtemps ses larmes, elle se jeta dans les bras de cet homme, si grand, si fort, et qui lui prenait sa Cosette. Pourtant, au lieu de lui en vouloir, elle l'étreignit, comme si c'était son père qui la quittait, car elle savait que Cosette ne serait plus malheureuse en partant avec lui. Touché par cette petite fille, l'ancien forçat lui tapota gentiment la tête, avant de s'agenouiller pour se mettre à son niveau. Là, il déposa dans la petite paume un bijou. Un collier serti d'une petite pierre bleue qu'il avait prévu d'offrir à Cosette avec la poupée.
- Merci monsieur. Je ne vous oublierai jamais, et je n'oublierai jamais Cosette.
