Le ciel de cette nuit estivale était clair bien que troublé par quelques rares lambeaux de cotons abandonnés là par un ange pressé. La voie lactée s'étendait dans toute sa majesté au-dessus de Konoha, village paisible où quelques maisons tentaient de faire une maigre concurrence aux étoiles avec des ampoules électriques dont la lumière était tamisée par les stores afin de protéger les secrets des somnambules. En revanche, la chaleur était toujours aussi étouffante, les pavés des rues et la pierre des murs ayant aspiré la chaleur de l'astre solaire tout au long de la journée dans le seul but de mieux la diffuser au beau milieu de la nuit et privant ainsi les habitants d'un répit pourtant bien mérité et d'un sommeil réparateur du même coup.
L'homme supportait néanmoins vaillamment le poids du manteau blanc sur ses épaules, signe de son statut dont il ne pouvait se séparer tant qu'il ne regagnait pas l'intimité de son domicile, tandis qu'il observait les étoiles scintillantes qui semblaient bénir le village. Ces petits bijoux diffusaient assez de lumière pour se passer de tout autre éclairage superflu et cela était plus que bienvenu au vu de sa journée chargée.
Il avait plus que jamais, et comme toujours, besoin de paix.
Et cette vision était l'un des dons de la nature le plus apaisant au monde à ses yeux.
Il était enfin à l'air libre dans les rues désertes du village, son grand chapeau à la main comme si le retirer lui enlevait le poids du devoir, pouvant admirer à loisir les gemmes clairsemant le ciel sans craindre qu'un ninja ne débarque en coup de vent pour une information plus ou moins digne d'intérêt – quoiqu'il n'était pas impossible que l'un d'entre eux ne surgisse de l'ombre avec une nouvelle qui se solderait par une nouvelle nuit blanche – et inspirant en toute quiétude.
Mais il existait encore mieux.
Kakashi détenait le véritable remède miracle à ces interminables journées emplies de paperasse à signer, de responsabilités , ordres à donner, missions à assigner, comptes-rendus et toutes les autres joyeusetés qui lui incombaient en tant que Hokage sixième du nom. Chaque jour lorsqu'il quittait son palais, il avait le dos et les épaules perclus de douleur, un ordre de mission aléatoire tournant en boucle dans son esprit embrumé, déambulant d'une démarche lente et automatique plutôt effrayante.
Mais depuis maintenant un an et deux mois, il quittait le palais du Hokage à une heure avancée de la nuit d'une démarche volontaire, presque allègre, le menton et le nez légèrement dressés en l'air comme s'il humait un discret mais délicieux parfum dont lui seul connaissait le secret de ses délicates notes, les pans de sa veste blanche dansant autour de ses jambes tel un drapeau de paix hissé contre les ténèbres afin de les mettre en fuite.
Auparavant, il aurait pris le temps de flâner au gré de ses envies, les mains fourrées dans ses poches afin de les protéger des intempéries, du froid ou tout simplement car c'était plus agréable, prenant même quelques pauses au bord d'un ruisseau ou à un bosquet afin de se ressourcer en profitant de sa solitude.
Mais depuis un an et deux mois, il avait une raison de hâter le pas et d'enfin jouir de son intimité, de sa vie après le travail, d'être l'homme qui se cachait derrière le ninja consciencieux. Ce pauvre homme qu'il s 'était échiné à enterrer, à étouffer derrière ce masque, ne lui laissant jamais de répit, pas même un instant pour respirer et pointer le bout de son nez. Il n'avait jamais estimé mériter profiter de la vie et se construire une situation stable, de s'accomplir autrement qu'en tant que ninja.
Pendant longtemps, sa farouche détermination ne l'avait nullement perturbé car il excellait en tant que jônin. Mais au fur et à mesure, il avait vu ses camarades disparaître le soir afin de passer du temps en galante compagnie, ne plus discuter que de leur dulcinée, s'installer chez la demoiselle en question et annoncer un beau jour, lors du trajet pour une quelconque mission, qu'ils allaient devenir pères.
Aucun d'entre eux ne erraient plus sans but une fois le devoir pour le village accompli. Tous – à part quelques rares exceptions telles que l'incorrigible Genma – étaient stables, installés en ménage. Heureux.
Au départ, la source de ces petits bonheurs lui avait totalement échappé, à ce petit garçon écrasé par la culpabilité caché derrière cette étoffe noire, cet effrayant sharingan puis sous ce grand manteau blanc d'Hokage.
Mais maintenant il savait.
Au lieu d'emprunter la rue menant à son minable studio qu'il n'avait pas souhaité abandonner lors de sa nomination en tant qu'Hokage histoire d'avoir un point de chute si jamais les événements et ses responsabilités devenaient trop insupportables et qu'il avait besoin de souffler - ce qui était triste lorsqu'on y réfléchissait plus de 30 secondes – il s'engagea dans une ruelle vivement éclairée d'un quelconque quartier résidentiel un brin bourgeois.
Aucune lumière n'émanait des demeures bordant la rue pavée et tous les rideaux étaient tirés, dissimulant ainsi la vie privée des foyers.
Kakashi s'arrêta devant un petit pavillon résidentiel tout ce qu'il y a de plus classique similaire aux autres, se composant uniquement d'un rez-de-chaussée et disposant d'un minuscule jardinet à l'arrière dans lequel un chien n'aurait même pas eu le plaisir de jouer puis observa la porte d'entrée de bois crème quelques instants.
Curieusement, il retint sa respiration avec un mélange d'appréhension et d'excitation, tout comme le premier jour où il avait pénétré dans cette maison en sachant que sa vie allait basculer à jamais.
Et comme tous les autres jours depuis.
Pas un seul jour ne s'était déroulé sans qu'il ne ressente cet intense cocktail d'émotions sur le pas de cette porte, prêt à traverser cette fine barrière entre le quotidien et son paradis, son jardin secret.
Ce lieu où il pouvait enfin être lui-même après des décennies de répression de son propre être sans crainte d'être jugé, de représailles ou de souffrir.
Alors qu'il sortait un trousseau de clés d'une poche de son pantalon de camouflage kaki et en insérait une dans la serrure, un sourire fébrile effleura ses lèvres, caché par le fin tissu noir qui couvrait la moitié de son visage.
Personne ne le savait, mais le sixième Hokage souriait beaucoup sous ce bout de tissu qui attisait tant la curiosité.
Le séjour plongé dans l'obscurité dans lequel il pénétra était désordonné, il le devinait grâce aux timides rayons d'argent que le quart de lune projetait par les deux fenêtres de la pièce et parce qu'il la connaissait par cœur et, malgré toutes ses bonnes intentions, ses mauvaises habitudes revenaient toujours au galop. Un léger parfum de nouilles sautées aromatisées flottaient dans l'air, émanant de l'espace cuisine aménagé à droite de la vaste pièce, là où l'attendait un bol encore un fumant.
Avec le plus de discrétion possible afin de ne pas la réveiller dans la pièce d'à-côté, il retira ses sandales qu'il rangea méticuleusement à droite de la porte d'entrée puis il se dirigea vers la table à manger où l'attendait effectivement un repas complet. Il se composait donc d' un bol de nouilles ainsi qu'un bol de thé vert dont il raffolait et plat en céramique recouvert d'un torchon cachant sans doute quelques biscuits qu'elle avait préparé dans l'espoir de tuer le temps jusqu'à son retour ou bien c'était pour les tester avant de les proposer à son invité pour le déjeuner de demain.
Se languissant d'elle, il se hâta d'avaler son bol de nouilles sautées, manqua de s'étouffer et de recracher les fameux féculents sur la table propre. Il prit donc le temps de savourer celui de thé et, tandis que le liquide chaud commençait à l'apaiser, il s'adossa confortablement contre le dossier de sa chaise et jeta un regard suspicieux sous le torchon.
Privilégiant sa santé au plaisir qu'elle aurait de savoir qu'il goûtait ses hasardeuses expériences culinaires, il quitta la table et se dirigea vers la chambre dont la porte était entrouverte, frémissant d'impatience comme si c'était la première fois qu'il s'apprêtait à rejoindre sa couche après d'amères et tortueuses années de tentation.
Observant sa silhouette endormie sous les draps du futon, il retira son manteau blanc à inscription rouge et le plia soigneusement avant de le poser sur une chaise abandonnée dans un coin. Le ninja copieur retira sa veste puis sa sempiternelle combinaison noire qui montait jusqu'à son nez, son fameux masque donc, sans y réfléchir à deux fois et sans jamais la quitter du regard, cette simple vision l'emplissant de ravissement.
En sa compagnie, il était serein, dénué de honte ou crainte, totalement en confiance.
Épanoui.
L'homme aux cheveux d'argent finit par enfiler un ample pantalon gris qu'elle avait laissé plié à son attention sur le bureau puis il la rejoignit sous les draps avec le soupir de soulagement de l'homme trop pressé, vivant à cent à l'heure, qui arrivait enfin à bon port après une tumultueuse traversée.
Sa peau était douce et encore chaude du soleil auquel elle s'était exposée dans l'après-midi contre la sienne et sa longue chevelure qui lui chatouillait dangereusement le nez sentait néanmoins bon les fruits rouges. Il retint un éternuement qui manquerait de souiller sa crinière puis il enroula un bras autour de sa taille menue.
Vêtue d'une simple brassière noire et d'un shorty assorti, elle dormait à poings fermés... Mais il la connaissait par cœur et savait que tout cela n'était qu'une comédie qui nécessitait un seul petit geste pour prendre fin. Il passa les doigts dans sa crinière à trois reprises, lentement, délicatement, avec amour, puis il déposa un baiser sur sa joue. Un baiser magique qui l'éveilla – comme il l'avait prévu – puis elle se retourna contre lui, les yeux rivés à ses prunelles chocolats.
Plus d'orbe de sang. Plus de Sharingan depuis la guerre.
C'était étrange, même pour elle.
- Ne m'en veux pas... je n'ai pas goûté tes gâteaux, je suis beaucoup trop épuisé, mentit-il effrontément suite à un baiser sur le bout de son nez avant d'étouffer un bâillement dans sa crinière. Ce sera mieux de laisser la surprise à Yamato.
- Saloperie ! Par contre pas de soucis pour les nouilles hein ?! Grogna la femme en lui envoyant une tape indolente sur l'épaule, les sourcils adorablement froncés. Tu avais peur de t'intoxiquer ?
- Un peu oui, finit-il par admettre se retenant tant bien que mal de rire devant sa mine déconfite. Il observa son visage constellé de flaques d'argent avant de l'étreindre au plus près de lui, comme s'il souhaitait la fondre en lui. T'en fais pas, il est trop bien élevé pour te faire la moindre remarque désobligeante, même sur tes piètres talents de pâtissière. Il ne voudrait pas s'attirer les foudres du Hokage.
- Évidemment... Tu as une réunion demain matin ? s'enquit la femme dans un murmure qui se voulait détaché, mais dont le regard lointain dévoilait l'inquiétude.
- Ne t'inquiète pas, je serai là à ton réveil et jusqu'à ton départ, la rassura Kakashi, touché par cette question anodine, toujours répétée, qui en disait beaucoup sur son ressenti vis-à-vis de son rôle. Étrangement, elle s'inquiétait moins pour les missions mais il faut dire qu'il se chargeait surtout de les assigner à présent. Tu ne devrais pas m'attendre le soir, je te l'ai déjà dit un million de fois. Après tu es épuisée et grognon.
- C'est le seul moment où je peux vraiment profiter de toi Kashi, se justifia-t-elle en s'installant à califourchon sur lui et caressant distraitement la cicatrice barrant son œil droit, ignorant royalement la partie de sa remarque concernant son sale caractère au lendemain de ses veillées. C'était pour lui, alors elle estimait qu'il n'était pas en droit de se plaindre... Même si elle savait être vraiment insupportable. Sois rassuré mon chéri, je m'endors déjà. Je voulais juste attendre que tu sois là, en sécurité.
Elle étouffa un bâillement avant de s'étaler de tout son long sur lui, la tête reposant sur le creux douillet formé par son épaule et sa nuque et ferma les yeux, un sourire paisible jouant sur ses lèvres. Prête à s'abandonner aux bras de Morphée, elle parvint néanmoins à murmurer quelques paroles chaleureuses :
- Bonne nuit Kashi, à demain.
- A demain, mon amour.
Oui, lui, Kakashi Hatake, anciennement connu comme le ninja copieur, l'homme au Sharingan avant la guerre, ninja émérite réputé inébranlable, puis Hokage sixième du nom, était à présent un simple homme. Un homme démuni face à l'amour qui s'était révélé à lui après cette misère qu'il pensait infinie, après cette détresse, ce fardeau devenu son fidèle compagnon.
