/!\ Spoil des scans 199 et 200 dans cette fiction vous êtes prévenus.


Aimer.

C'est un mot simple, si simple, de deux syllabes seulement, de six petites lettres de rien du tout. Il regorge de choses et d'autres, de beaucoup trop de choses , noirs et blanches, multicolores, souvent trop fades, trop ternes, mais il n'en reste pas moins un mot simple. Seulement un mot simple. Rien qu'un mot simple.

Simple.

C'est la définition que moi, Yaku Morisuke un lycéen bien lasse, donnerait à ce terme, à ce sentiment.

La simplicité est omniprésente, je la vois chez cette homme d'affaire qui ressort promu du bureau de son patron pour ensuite rentrer chez lui et embrasser sur le front l'enfant que j'étais il y a encore quelques années, je la vois dans les yeux de mes camarades bruyants qui se plaignent sans cesse de ce qu'ils finissent par surpasser enthousiastes, je la vois dans les discussions qu'il m'arrive d'écouter au détour d'une rue piétonne, d'un supermarché, entre chacun des termes utilisés par mes proches, dans tous les termes que j'utilise, je la vois dans l'amour, dans la vie.

Et cette simplicité me lasse complètement.

J'ai couru au travers de ma pensée, effrité les roches épaisses qui l'entravaient, l'empêchaient d'avancer. J'ai inventé des détours pour que les chemins aujourd'hui dégagés soit plus long à arpenter. Et aujourd'hui chaque détour ne me parait plus en être un, l'habitude, après avoir parsemé mon quotidien de son fléau, s'est répandue sur toutes les suites de dalles de mon esprit. Je m'ennuyais. Alors je suis tombé amoureux. J'espérais enivrer mes sens et me duper moi même, dépasser l'habitude, dissimuler la simplicité, mais l'amour n'est qu'une drogue à laquelle on s'adapte. On l'ingère. On s'accoutume.

J'avais choisi un lycéen d'un an mon ainé, une sorte de tête de classe modèle, trop modèle pour que personne ne s'intéresse à lui, à part moi apparemment. J'étais persuadé qu'un type toujours plongé dans un océan d'ouvrages complexes m'aiderait à trouver l'inconnu. Mais sa complexité n'était en fait rien de plus qu'une simplicité faussement complexifiée, elle ne m'apportait rien à moi, ne m'aidait pas à sortir de ma lassitude, et je présume qu'elle n'apportait rien non plus à son détenteur, au mieux elle était bénéfique pour son futur, pour son égo?

Je l'avais choisi, et en était vraiment tombé amoureux.

Il était devenu aussi important que le passage devant le miroir de ma mère le matin, aussi important que les vérifications assoiffées des sms des élèves après chaque cours, aussi important que les sucreries préférées que l'on dévore en milieu d'après midi. Il était devenu vital peut-être? Je l'observais d'un coin de l'œil en rougissant, m'irritait quand il abordait cette fille à l'horrible poitrine débordante de son uniforme serré, tentait chaque jour d'en savoir plus sur lui. Une avidité habituelle qui ne m'apprenait que du sable poudreux sans grande valeur, qui ne m'apprenait que de la simplicité sans pareille que je stockais studieusement dans un coin de mon cerveau sans m'y intéresser grandement.

Un jour ce garçon m'a adressé la parole, une simple excuse due à une bousculade soudaine. J'avais souris bêtement le reste de la journée. C'était stupide. Stupide! Le bonheur ne m'était jamais parvenu! Ce n'était qu'illusion. L'inattendu n'était rien d'autre qu'une simple illusion... L'amour n'était qu'illusion...

Je pense que j'ai peur du temps qui passe, j'en suis même sûr. Je ne m'attache à rien et rien ne s'attache à moi. L'horloge vide ses minutes comme un ivrogne vide les verres et bouteilles d'alcool. J'ai peur de perdre quelque chose dans ce temps qui galope sur le pré bouillant de mes entrailles enchainées. Bientôt je serais en deuxième année de lycée, puis en troisième, puis j'irai autre part loin, et il se pourrait tout à fait que bientôt je sois un vieil homme. Qu'aurais-je perdu alors? J'aurais perdu du temps certes, mais j'aurai perdu autre chose. Une chose qu'il me manque, une chose qui n'est pas dans ma définition de la simplicité, une chose dont j'ai besoin pour être heureux.

Je pense que j'ai peur de la mort, j'en suis même sûr. Je me replie un peu plus sur moi même et serre cette douleur que je connais parfaitement entre mes poignes crispés. On me demande si tout va bien, un automatisme, et je me rends à l'infirmerie sans un mot ni expression. Je ne me sens pas de subir les cours aujourd'hui, encore moins que d'habitude. Les professeurs et leur incrédule domination. Les lycéens et leur terrible besoin de savoir. Je veux disparaitre, simplement disparaitre, me faire tout petit, encore plus petit que je ne le suis, m'enfoncer dans la terre mère... Je ne sais pas...

Je ne veux pas mourir mais je veux disparaitre. J'ai besoin d'un moment de répit dans cette vie de simplicité et d'effroi. Je pense que j'ai besoin de divertissements... Un renouveau que je ne trouve pas... d'une passion? En espérant qu'elle ne soit pas si faible que celle que j'ai pour ce garçon intello!

Je toque à la porte de l'infirmerie, personne ne répond alors j'entre.

Un dos à une fenêtre ouverte, un ciel dégagé sur un soleil étouffant, des rideaux rosés s'élevant au grès d'une bouffé d'air chaude. Des cheveux noirs de jais, un visage angélique, une esquisse, un sourire... Je ne le connais pas, mais il me regarde d'un air joueur. Il a des rouleaux de bandages dans les mains et en fait tourner un autour de son indexe. Et puis, il engage la conversation.

«Il fait un temps magnifique aujourd'hui.»

Tout le monde se plaignait des températures trop élevées.

«Un temps parfait pour faire du sport»

Quelle personne censé voudrait faire du sport sous une température pareille?

«Je parie que tu es là pour admirer la belle vue qu'on a d'ici.»

N'importe qui penserait que je suis là pour me faire soigner...

«Dis moi tu es inscrit à un club?»

«Non»

«Il parait que c'est bon de pratiquer des activités pour le moral.»

Son sourire était charmeur.

«T'es plutôt petit, mais je t'ai beaucoup observé, t'étais un excellent libéro.»

Petit? C'est qui celui là?

«Alors tu en penses quoi? Ça te dirait, de rejoindre le club de volley?»

La passion.

J'avais fait du volley au collège en effet, j'avais joué quelques matchs, même été titulaire en début de dernière année, mais je ne puis dire si cette pratique ait été une passion. Je m'étais arrêté net alors que je commençais seulement à développer de véritables compétences en tant que libéro. Alors que j'étais sur ma lancé, trop de choses à l'époque avaient détournés mon attention de ce sport, m'avaient fait arrêter, abandonner, et je pense que rien ne m'aurait poussé à me replonger dans cette univers épuisant de compétitions si ce grand lycéen à l'air supérieur ne m'avait pas proposer de le faire.

Je m'étais approché de lui irrité, avait porté un coup de pied violent contre sa jambe en déclarant:

«Je déteste qu'on me prenne de haut, ton regard en dit bien long!»

Puis je m'en était allé sans un mot.

J'étais pris d'une inexplicable envie de rejouer au volley.

Les heures qui suivirent apportèrent donc un lot de réflexions sur mon passé avec cette culture physique. Je crois que jamais mes angoisses n'avaient étés aussi englouties par un plaisir si fort que lorsque je m'étais pleinement investi dans cette activité au collège. Ce n'était pas un sport simple, loin de là, surtout pour moi, le 1m65, le petit. Je déteste vraiment qu'on me rappelle la dure réalité de ma taille. Cette dernière avait élevé le niveau de difficulté à un tel palier que je n'avais plus le temps de m'ennuyer. Je m'entraînais sans cesse, à chaque instant, le plus que je ne le pouvais. Puis, je m'en rappelle bien, c'était un jour où il faisait froid aussi bien dehors que dans mon coeur, on m'avait proposé de m'orienter vers la place de libéro et j'avais accepté par ambition, par dépit... C'était définitivement la seule place à laquelle je pouvais me battre d'égale à égale avec les autres joueurs.

J'avais aimé le volleyball, aussi bien pour sa difficulté que pour lui même. C'est drôle d'ailleurs que je ne me souvienne de son effet sur moi que maintenant, ce n'était peut-être pas une passion à proprement parlé, mais en tout cas il était devenu un divertissement si fort qu'ayant connu son influence, l'ennui était devenu encore plus insupportable.

La vie quand je ne jouais au volley était insupportable, mais bien vite le temps consacré au jeu le deviens aussi.

Les défaites s'étaient enchaînés, et la frustration m'avait gagné.

L'équipe de collège s'était vue démunie en dernière année de tous ses plus grands atouts. J'étais devenu titulaire, et avait ainsi engendré ma chute. Mes coéquipiers et moi n'arrivions pas à nous coordonner, à nous élever à la victoire, peut-être que nous manquions de réels capacités, peut-être... Mais c'était les éclatements de rages et de frustrations qui nous avaient brisés. Nous gagnions un match, l'espoir empourprait nos visages heureux, puis nous glissions à nouveau dans le néant de la défaite.

Ce sport était le seul moment de répit contre la lassitude de mes angoisses, et après avoir rendu ces désarrois encore plus fort, il avait fini par lui aussi devenir un instrument de ma torture.

Tristesse.

Colère.

Frustration.

Lassitude.

Au final il avait tout rendu plus insupportable, et c'était une des raisons qui m'avait poussé à arrêter le volleyball.

Après mon séjour à l'infirmerie j'étais retourné suivre un cours de géographie, suivre étant un bien grand mot puisque des images altérées du passé me revenaient constamment à l'esprit: les gymnases colorés de marron orangé scintillant à l'impacte de rayons de lumières éblouissants, le frottement des chaussures sur le parquet meurtri par des courses et chutes brutales, et les voix soulevées d'enthousiasme concentré des membres du club. Je me souvenais aussi des douleurs infligées à mon corps à chaque saut, à chaque balle sauvée, et ces images survolaient fièrement, de leurs ailles gigantesques, celles transmises à ma rétine d'un prof à barbe grotesque et des notes brouillonnes sur lesquels j'aurais du être attentif.

Le cours fini je décidais de me rendre au lieu de rendez-vous des volleyeurs du lycée. Je passais au vestiaire me changer de ma tenue de sport habituelle avant de rejoindre quelques élèves, tous plus grands que moi, que je saluais hâtivement avant de prendre un ballon pour m'échauffer dans un coin en solitaire.

Je redécouvris les sensations de mon corps tendu et au aguet, de mes mains crispées et de mes pieds prêts à me précipiter, à n'importe quel instant, au contact insatiable du ballon. Je me sentais bercé par la violence de ces contacts, j'en voulais encore, toujours plus, mais un regard inquisiteur me transperça d'un frisson et je stoppai mes activités. Je me détournais alors furtivement pour découvrir le garçon de l'infirmerie qui me scrutait mesquinement un sourire aux lèvres. Puis ces sourcilles se froncèrent et son esquisse s'effaça, surement à la remarque de mon air révolté de son expression.

Je n'aimais pas ce gars là. Étant donné que les terminales et premières années avaient rassemblé tous les joueurs pour la dernière heure d'entrainement qu'il restait, je décidais de totalement l'ignorer.

Ainsi se termina ma seconde rencontre avec le volley. Je m'étais dit cette fois: ne place pas tes espoirs en cette discipline, pratique la dans le seul but de parer tes ennuis, ainsi tu ne l'aimeras pas au point d'être encore plus lassé par ce qu'est la vie en dehors d'elle, ni déçu par de quelconques défaites. Et au départ j'étais parvenu à cette objectif. Je jouais consciencieusement mais sans trop d'enthousiasme, nous n'avions aucun match de prévu et, un terminal y siégeant déjà, je savais bien que la place de libéro titulaire ne serait pas à ma portée.

Il y avait bien une chose qui me rebutait tout de même avec ce sport, et ce n'était pas lui à proprement parlé mais bien quelqu'un avec qui il fallait l'exercer: Tetsurou Kuroo, le mec insupportable de l'infirmerie, celui qui m'avait redonné envie de faire du volleyball.

Un soir cette idiot m'avait dit que son équipe du collège avait perdu contre la mienne, c'était au gymnase alors que j'étais resté, comme lui, un peu plus longtemps que les autres:

« Vous avez tous les deux choisis le club de volley? Je suis Kai Noboyuki en première année classe cinq, heureux de vous rencontrer.»

Nobuyuki était ce genre de simpliste social un peu trop tolérant à mon goût, mais j'avais très vite sympathisé avec lui.

«Classe deux, Kuroo Tetsurou»

J'étais déjà certain que je ne pourrais jamais sentir ce gars égocentrique.

« Je suis Yaku Morisuke de la classe trois.

« Je sais ça.»

D'abord je ne me présentais pas seulement à lui, je le faisais aussi pour Nobuyuki, et en plus même si il me connaissait déjà ce n'était pas une raison pour être ainsi agressif. Je pense qu'en vérité le coup de pied à l'infirmerie lui était passé au travers de la gorge. Et je ricane à cette pensée.

« Ah on s'était déjà rencontré avant?

«Aux rencontres sportives au collège.»

J'étais frustré de ne pas m'en souvenir. J'aurais tout donné pour me remémorer de son expression de déterré après sa défaite.

« Je ne m'en rappelle pas, est-ce que tu pourrais déjà arrêter de me regarder comme ça?»

Son regard a toujours été offensant...

Cela faisait bien longtemps que je n'avais pas été rongé par la colère, et peu importe ce qu'on en dit s'énerver intérieurement contre quelqu'un aidait à ne pas sombrer dans la dépression, surtout quand on ne le fait pas ouvertement. J'étais chaque jour confronté à la difficulté de contenir ma rage et chaque jour ma lassitude impassible se transformait un peu plus en rogne agité.

Je me suis découvert colérique et je me suis découvert un esprit de contradiction.

Et puis mes humeurs se mouvèrent à nouveau un mardi en apparence comme les autres. Je restais à la bibliothèque après les cours pour terminer un oral qui aurait lieu le lendemain. Plongé dans ma concentration j'entendais les douces aiguilles de l'horloge de la pièce marquer les secondes et minutes, et le son du clavier que je tapotais régulièrement entre-coupé par des instants de pause. À l'une d'elle mes yeux se posèrent sur un étudiant plongé dans sa lecture à quelques mètres de moi.

C'était l'intélo qui faisait battre mon cœur d'une tiède monotonie. Il était assis, droit, sur une chaise en bois, près du petit enclos d'informatique où je me trouvais. Pour certaines raisons sans aucuns sens, ce qui formait l'essence même de l'amour, je ne pus me remettre à mon travail. Je me laissais aller à la contemplation de son visage fin et blanc dont émanait une personnalité fière et ambitieuse, de ses cheveux lisses lui retombant sensuellement sur le visage et dans le cou, et de ses mains de fée qui caressaient le, semblait t-il, lourd et épais bouquin.

Il ferma ce dernier après y avoir fait glisser un marque page et il dut sentir mon regard sur lui car il souleva le sien jusqu'à moi. J'abaissai alors mes yeux et rougis soudainement et sans contrôle. Mince pensais-je, ma réaction était trop évocatrice, pourtant, du coin de l'œil je le vis se lever gracieusement et s'approcher de moi. Mon cœur se mit à battre encore plus fort, si bien que j'eus peur qu'on ne l'entende.

«Est-ce que tout va bien, tu es rouge, tu as de la fièvre?»

Il est entrain de s'adresser à moi? J'avais un peu de mal à me définir dans la situation.

«Non je vais bien, ne vous inquiétez pas.

Merde! Criais la petite voix de ma conscience. Pourquoi je l'ai vouvoyez? Il rit une seconde, je devais tirer une de ces tronches, avant de tirer une chaise et de s'assoir à mes côtés.

«Tu travailles quoi?

-Un... un oral de langue.

Il se pencha un peu vers l'ordinateur où étaient écrites mes notes, et je pus sentir une odeur de lotus, fraiche et sucrée, qui émanait de son cou.

-Je me souviens avoir travaillé sur ce thème l'an passé, tu es avec Keiko-san?

-Keiko-san?

-Ah excuse moi, ha-ha! C'est une très bonne amie de mon père, je l'appelle par son prénom. Je parlais de Keiko Nobunaga-san, la prof de japonais ancien.

-Hum oui, je suis avec Nobunaga-san.»

On discuta jusqu'à la sonnerie, de sujets en rapport avec les cours, mais aussi de son père un homme très riche et connu, et de ses propres projets pour l'avenir. Il s'avéra être plus bavard et bien moins introverti que je ne le pensais.

La paix intérieur. Une fumée multicolore de béatitude se dégageait de ma démarche alors que je marchais seul dans le noir en direction de mon casier. Mes lèvres s'étiraient stupidement de bonheur jusqu'à mes oreilles. Arrivé à destination je sortis une petite clef de ma poche, ouvris l'étroit casier pour y déposer un ou deux cahiers et le refermer tout aussi vite. Je gravis les couloirs silencieux de nouveau, et puis boum; ma joie s'échappa et sautilla loin loin à l'horizon.

«Ah c'est toi, tu pourrais t'excuser quand tu bouscules quelqu'un.»

Kuro Tesurou: ma hantise.

«Et toi qu'est-ce que tu fais planter là comme un piquet dans le noir? Demandais-je.

-Je réponds à un sms, ça te pose un problème?

-Quoi? Et t'es obligé de t'arrêter pour faire ça?»

Son visage, éclairé par la lumière de son portable, me dévisagea comme jamais.

«Non, mais je sais même pas pourquoi je prends le temps de te répondre.»

Il se détourna en grognant, et je crus apercevoir comme une fine lueur de tristesse recouvrant ses yeux. Un mirage, une illusion, un mec comme lui ne pouvait pas pleurer, me convainquais-je. Je ne connaissais pas encore les problèmes auxquels il faisait face, je ne connaissais rien, ni sur lui, ni sur moi, ni sur les autres, ni encore moins sur l'avenir. Je n'étais qu'un ignorant qu'y pensait tout savoir.

Dans la pénombre ambiante, je dus forcer sur mes yeux noisettes pour scruter le large dos courbé de Kuro s'effacer à un croisement.