Titre : Red Dawn
Disclaimer :
L'œuvre Twilight est la propriété de Stephenie Meyer.
Note : Bonjour à tous. Me voici donc à envahir un nouveau fandom avec une petite histoire sans prétention. Je ne pense pas avoir grand-chose d'autre à ajouter, à part que j'espère que ce premier chapitre saura attirer votre attention Bonne lecture !

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Chapitre I

Le vent soufflait fort ce jour-là. Il balayait les steppes de la Push depuis le matin, et le soleil commençait à décliner à l'horizon. Sous le ciel carmin de cette fin de journée, l'hiver s'installait lentement, plus glacial et austère que le précédent.

Pourtant, dans son short de jean et son simple marcel noir, juché sur la pointe de la falaise, Seth ne frissonnait pas. Il ne sentait pus le froid, n'entendait plus le fracas des vagues contre le promontoire et se contentait de se perdre dans la contemplation des cieux empourprés. A vrai dire, il ne voyait plus que ça.

La bête en lui s'était tue depuis des jours, et il ne s'était jamais senti aussi seul de toute sa courte vie. Ni la présence de sa meute, ni celle de sa propre sœur n'avait suffi à faire disparaitre son malaise. Pire encore, se trouver au milieu des autres devenait une véritable torture. Il ne supportait plus leur contact et ne parvenait plus à se concentrer sur une discussion. Son esprit vagabondait et il se murait dans le silence des heures durant.

Au début, il s'était senti coupable parce qu'il savait que son comportement inquiétait son entourage, et plus particulièrement sa sœur. Il avait tenté de prendre sur lui, de se montrer plus présent, en vain. A présent, il n'avait plus la force de faire semblant et préférait s'éloigner de la meute pour se laisser aller à sa peine. Il ne regrettait même plus la période où « tout allait bien ». Parce qu'à cette période, il n'existait pas encore dans sa vie. Pas comme il s'était mis à exister depuis… ce jour.

La scène se rejouait dans sa tête en permanence, l'obsédait au-delà des mots. Les images, les sensations… tout.

Perdu dans ce souvenir, Seth fit un pas en avant, sans même y penser. Il avait l'impression de voir son visage se dessiner sur l'horizon flamboyant. Hypnotisé, il fit encore un pas en avant, puis un autre. Le vent souffla soudain plus fort et une bourrasque le poussa dans le dos, comme deux mains invisibles. Ses oreilles se mirent à bourdonner et il sentit distinctement son cœur s'affoler.

Il n'était plus qu'à quelques dizaines de centimètres du vide lorsque le lointain écho d'une voix perça le hurlement du vent et les brumes de son esprit.

« Seth ! »

Comme tiré d'un rêve, le jeune garçon cligna des yeux et revint à la réalité. Il prit soudain conscience qu'il se trouvait bien trop près du bord et recula en déglutissant. Déboussolé, il passa une main dans ses cheveux et se tourna enfin vers l'arrivant.

« Jacob ?

- Mais qu'est-ce que tu fiches ici bon sang ? » Grommela son aîné en arrivant près de lui. « Ça fait des heures que ta sœur te cherche partout.

- Oh, excuse-moi, j'étais juste… Je me baladais et je me suis perdu dans mes pensées. Je n'ai pas vu l'heure passer. »

Jacob lui lança un regard sceptique mais après tout, c'était – plus ou moins – la vérité.

« Hm. » Jacob n'insista pas et Seth l'en remercia mentalement. « En tous cas, il commence à se faire tard et ta sœur ne me lâchera pas tant que je ne t'aurais pas ramené.

- Laisse-moi tranquille, je ne suis pas un gamin ! » Se défendit le louveteau, piqué au vif.

- Ah oui ? » Jacob se rapprocha dangereusement de lui, l'air tout à coup bien plus dur. « Alors écoute bien, Monsieur l'adulte, si tu veux être traité comme un homme, comporte-toi comme tel en commençant par éviter à ta sœur du souci inutile. »

Honteux, Seth creusa les épaules et baissa les yeux. C'était bien le loup qui venait de s'exprimer et le sien ne put que se soumettre. Voyant cela, Jacob tenta de conserver une expression sévère mais abandonna rapidement à son tour en secouant la tête. Seth lui semblait parfois si jeune, même pour lui.

« Allez, viens. »

Dans un élan d'affection rare, Jacob passa un bras presque fraternel autour des épaules de son cadet et l'entraîna à sa suite vers sa voiture, garée en contre-bas. Elle démarra dans un vrombissement fatigué tandis que le timbre suave de Tracy Chapman envahissait doucement l'espace.


Appuyé contre la vitre, Seth s'était enfin laissé aller sur quelques accords de guitare et promenait des yeux absents sur le paysage qui s'étendait au loin. Jacob lui avait déjà accordé un long moment de répit lorsqu'il décida de baisser lentement le volume.

« Tout se passe bien pour toi, en ce moment ? » Commença-t-il sur un ton léger, sans même se tourner vers son passager.

- Pourquoi tu me poses cette question ? »

Aïe. Si le gamin se braquait déjà, la suite s'annonçait compliquée, songea Jacob.

« Ça s'appelle « prendre des nouvelles », avorton. » Grogna-t-il en réponse. « En plus, ta sœur a déboulé chez moi comme une furie tout à l'heure et a bien failli me sauter à la gorge tellement elle s'inquiétait pour toi.

- Tu la connais. » Soupira Seth en se renfrognant. « Elle en fait toujours trop.

- Elle se fait du souci parce qu'elle tient à toi. » La vieille guimbarde suivait toujours paresseusement le bord de mer qui s'éteignait peu à peu, englouti par la nuit. « Et puis, ce n'est pas la première fois que tu disparais comme ça ces temps-ci, pas vrai ? »

Du coin de l'œil, Jacob vit Seth s'enfoncer dans son siège, croiser les bras et tourner la tête jusqu'à ce qu'il ne puisse plus voir son visage. Le silence se prolongea quelques minutes et Jacob pensait qu'il ne lui répondrait plus lorsque le louveteau consentit enfin à rouvrir la bouche :

« Je ne veux pas qu'elle se fasse de souci pour moi mais j'ai besoin d'être seul en ce moment. J'ai besoin de faire le point.

- Faire le point ? » L'aîné ricana en secouant doucement la tête. « C'est pas à ton âge qu'on fait le point.

- Tu vois ? Personne ne me prend au sérieux, ni toi, ni ma sœur, ni personne ! C'est pour ça que je préfère rester seul. » Maugréa Seth en se replongeant dans son observation têtue de l'horizon.

- Et si tu arrêtais d'être aussi susceptible ? Je plaisantais. »

Cette fois-ci, il n'eut aucune réponse. Dehors, la dernière lueur du soleil s'évanouissait enfin, laissant la place à une myriade d'étoiles qui se mirent à luire doucement.

« Tu sais, » Reprit patiemment Jacob. « …si tu as besoin de discuter avec quelqu'un, je suis là. »

Seth ne le regardait toujours pas mais l'aîné décida que c'était mieux ainsi. Lui-même ne se sentait pas très à l'aise avec ce genre de discours, mais il était sincère.

Ces derniers temps, il s'était énormément rapproché du jeune Clearwater. Probablement parce qu'il voyait un peu de lui chez ce jeune garçon perdu et privé de repère. Bien sûr, il avait toujours pu compter sur sa sœur et celle-ci s'était démenée pour l'élever correctement – comme son propre père avec lui – mais il leur manquait à tous les deux quelque chose d'indicible l'amour d'une mère, celui d'un père, un foyer uni. Heureusement, ils avaient eu la chance de grandir au sein d'un clan soudé qui leur tenait lieu de famille, à fortiori depuis la découverte de la meute. Mais parfois, cela ne suffisait pas.

Bien entendu, Jacob avait remarqué le changement de comportement de son cadet. Lui si doux, si docile, s'était peu à peu emmuré dans le silence et mis à l'écart. Le jeune home n'avait d'abord pas osé se mêler de ces histoires et interférer entre la sœur et son frère mais l'état de panique dans lequel se trouvait Léah lorsqu'elle était venue le trouver plus tôt dans l'après-midi l'avait convaincu d'intervenir.

« Je ne sais plus quoi faire, Jacob. » Elle lui avait confié ces mots, assise sur les marches devant sa porte, au bord du désespoir. « Je vois qu'il va de plus en plus mal mais plus j'essaye de l'approcher, plus il s'éloigne. »

Alors à son tour, il avait retourné la réserve pour le retrouver. Jusqu'à ce souvenir. Celui de Bella se jetant dans le vide. A croire que cette falaise exerçait une attraction presque magnétique sur toutes les âmes en peine de la région. Le voir si près du bord lui avait fait l'effet d'une bombe mais il avait pris sur lui pour ne pas se jeter sur l'adolescent et le plaquer au sol.

Perdu dans ses pensées, Jacob fut surpris d'entendre à nouveau la voix de Seth :

« Je n'ai pas envie de rentrer maintenant. » Murmura-t-il timidement. « Est-ce que ça te dérangerait que… je reste un peu avec toi ce soir ? »

Pris au dépourvu, Jacob s'apprêtait à refuser, arguant qu'il fallait qu'il le ramène à sa sœur qui devait encore se faire un sang d'encre à son sujet, quand sa propre solitude lui éclata au visage.

« Pourquoi pas. »

Après tout, Billy était de passage chez Charlie pour la soirée et un peu de compagnie n'aurait fait de mal ni à l'un, ni à l'autre. En réalité, sa propre situation était devenue compliquée à gérer ces derniers mois. Cinq semaines plus tôt, Bella rentrait d'Italie, au bras de ce satané vampire. Jacob s'était senti trahi. Et en colère. Mais tout s'était enchaîné si vite.

Les Volturis, sa transformation. Et puis le mariage. La réaction de la meute. Et finalement, cette armée de nouveau-nés qui leur fonçait dessus.

Tout cet amoncellement de problèmes l'avait presque poussé à partir. Et il l'aurait fait. Bon dieu qu'il l'aurait fait si… s'il n'avait rien vu pour Seth. Sans qu'il ne le sache, ce fichu garnement l'avait poussé à rester. Et rester ici signifiait avant tout rester près d'Isabella Swan. Il aurait aimé pouvoir mettre de la distance entre lui et cette fille qui avait joué si cruellement avec ses sentiments mais… il aimait Bella. Bien trop pour l'abandonner. Bien trop pour son propre bien. L'idée de la voir devenir un vampire le rendait malade mais celle de la perdre à jamais… Il y pensait matin, midi et soir, si bien que pour échapper à ses angoisses, il se plongeait corps et âme dans la mécanique et passait des journées entières enfermé dans son garage, les mains dans le cambouis. Un bien triste constat.

Le reste du trajet se passa sans un mot de plus et s'acheva dans le garage des Black. Dès qu'ils furent rentrés, Jacob s'empressa de téléphoner à Léah pour la rassurer et la convaincre de laisser Seth chez lui pour la nuit. Elle s'y opposa, tempêta, maugréa mais finit par abdiquer, amère. Le fils Black comprenait qu'elle soit blessée par l'éloignement si soudain de son jeune frère mais Jacob refusait de laisser passer une occasion pareille de faire parler le louveteau.

Il s'arma de patience et après une petite heure passée à rafistoler une moto qu'il devrait bientôt rendre à Charlie et à discuter de banalités, il se mit aux fourneaux. Le repas fut frugal et deux soupes de fèves au lard plus tard, ils s'installaient tous les deux sur le perron, sous la voûte piquetée d'étoiles. Seth avait déjà replié ses jambes sur une petite banquette en bois lorsque Jacob le rejoignit, une canette dans chaque main. Déconcerté, le cadet le regarda s'asseoir près de lui sans comprendre et se figea lorsqu'il lui tendit une bière.

« Euh, je… je ne suis pas sûr que-

- Prends-la. » Le coupa l'aîné, catégorique, en ouvrant la sienne dans un « pschiit » caractéristique. « Et ne dis rien à ta sœur. Je me passerai de ses leçons de morale. »

Seth hésita encore un instant mais l'attrapa finalement d'une main timide. A son tour, il tira sur la petite languette métallique et avisa d'un air méfiant la mousse blanchâtre qui pétillait à la surface. Quelque part, il se sentait coupable de fuir sa sœur ainsi pour lui désobéir de cette manière. Il songea qu'elle devait se trouver seule, chez eux, et sentit son cœur se serrer.

« Qu'est-ce que t'attends ? Le déluge ? » La voix de Jacob le tira hors de ses rêveries et il se prit à déglutir, comme pour se donner du courage, avant d'avaler d'un coup sa première gorgée d'alcool.

- Beurk ! »

Un grand éclat de rire, comme un aboiement joyeux, tonitrua brusquement dans la nuit tandis que Seth se frottait rageusement les lèvres avec la manche du sweat que son aîné lui avait prêté un peu plus tôt. Ce dernier continuait de s'esclaffer lorsqu'un coude pointu s'enfonça dans ses côtes. Son hilarité s'interrompit dans un « humpf ! » sonore mais un vague sourire demeura au coin de ses lèvres.

« Tu aurais dû voir ta tête, » Gloussa Jacob en avalant une nouvelle gorgée et Seth ne put s'empêcher de sourire à son tour.

- Ce n'est pas drôle. »

La soirée était bien avancée mais Billy n'était toujours pas rentré. La nature chuchotait autour d'eux. L'ambiance était confortable malgré les températures de plus en plus basses et les coups de vent répétés. Jacob, sentant le corps de son hôte se détendre à ses côtés, termina sa bière et décida d'en profiter :

« Et si tu me parlais de ce qui ne va pas, en ce moment. »

Seth soupira. Il n'était pas idiot, il savait très bien que son ami finirait par aborder le sujet mais il n'avait toujours aucune envie de répondre. A vrai dire, il n'avait même pas envie d'y penser. De penser à lui.

« Je ne peux pas t'en parler. » Instinctivement, Seth resserra les pans de son sweat et souhaita disparaitre à l'intérieur.

- Pourquoi ?

- Parce que je ne peux en parler à personne. » Murmura-t-il, de plus en plus mal à l'aise.

- Seth, tu ne peux pas continuer comme ça. Que ce soit avec ta sœur, moi ou qui que ce soit d'autre, il va falloir que tu en discutes. Tu disparais des heures entières, c'est à peine si tu manges et tu as repoussé toutes les mains qui se sont tendues vers toi.

- Tu ne comprends pas… » Gémit soudain l'adolescent en plongeant son visage entre ses mains. « J'ai fait quelque chose de mal, Jacob…

- Quelque chose de grave ? » Insista l'aîné en se penchant en avant pour tenter d'accrocher le regard de son interlocuteur, en vain. « Réponds-moi Seth, quelque chose de grave ?

- Oui… » L'aveu fut presque inaudible.

- Seth, dis-moi ce qui s'est passé. » Ordonna brusquement l'aîné sur un ton plus dur, alarmé.

- Arrête ça ! » Seth se redressa comme un ressort, avec le regard paniqué d'une bête prise au piège. Il luttait visiblement contre ses instincts qui lui ordonnaient d'obéir au loup dominant face à lui. « Je ne peux pas faire ça ! Je ne peux pas lui faire ça !

- Mais enfin, de quoi parles-tu ?! » Le ton montait dangereusement entre les deux hommes et Jacob lui-même sentait l'animal en lui se hérisser face à l'insoumission et la résistance du louveteau.

- Laisse-moi tranquille !

- Maintenant ça suffit ! » Le rugissement du jeune Black fit reculer Seth de peur. « Tu vas m'écouter et m'expliquer ce qui se passe !

- Non ! » Dans un dernier effort, Seth se transforma et d'un bond, quitta la minuscule terrasse pour s'enfuir vers la forêt qui s'étendait derrière la chaumière.

- Seth ! »

Jacob s'apprêtait à le suivre mais ses poings se serrèrent brusquement et il se força à rester immobile.

Ce sale gamin commençait vraiment à lui taper sur le système. Il s'était montré patient et plus que complaisant à son égard et voilà comment il le remerciait ? Que sa sœur et lui aillent au diable, toute cette histoire ne le concernait plus. Après tout, il avait d'autres problèmes autrement plus graves à gérer dans sa vie que de jouer les nounous pour cette petite teigne en pleine crise d'adolescence.

La porte claqua violemment derrière lui lorsqu'il rentra. D'une main, il broya sa canette vide qui vola à travers la pièce et atterrit dans la poubelle après un violent rebond contre le mur. Il allait s'enfermer dans sa chambre lorsque quelques coups retentirent à l'entrée. Il gronda de frustration et fit demi-tour.

S'il s'agissait encore de ce sale mioche pleurnichard, il allait passer un très mauvais quart d'heure.

Il ouvrit la porte à la volée, prêt à hurler de rage, mais toutes ses belles paroles moururent dans sa gorge avant qu'il ne puisse dire quoique ce soit. Face à lui, emmitouflée dans un coupe-vent gris, se tenait Bella. Occupé à se disputer avec Seth, il n'avait même pas vu sa voiture arriver au loin. Surprise par l'accueil si brutal, elle le regardait d'un air inquiet.

« Jacob, est-ce que tout va bien ? » Dans un élan de sollicitude, elle voulut poser sa main sur son épaule mais le loup recula aussitôt. Elle cilla, blessée, mais ne fit aucun commentaire.

- Bella, que… qu'est-ce que tu fais ici ? » Balbutia-t-il, confus, sans oser la regarder dans les yeux.

- Je ne voulais pas te déranger Jacob, mais… j'ai vu Billy à la maison tout à l'heure, alors je me suis dit que… enfin qu'on pourrait discuter un peu, toi et moi. » Elle se hissa sur la pointe des pieds pour jeter un coup d'œil à l'intérieur de la maison par-dessus l'épaule du loup, et s'assurer qu'il n'y avait personne. « Je peux entrer ?

- Euh, je suis désolé mais…

- Ce ne sera pas long mais j'ai besoin de te parler. » Insista-t-elle. « S'il-te-plait… » Il soupira.

- Ecoute Bella, je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée… » Il savait qu'il y avait quelque chose de cruel dans ses mots mais pouvait-il faire autrement ?

- Ce ne sera pas long.

- Bella, s'il-te-plait… Je suis fatigué ce soir.

- Oh bien sûr… Je comprends. Mais, j'aimerais quand même pouvoir discuter. » Son ton devint désespéré « S'il-te-plait Jacob, il s'est passé tellement de choses dans ma vie ces derniers temps et… et… sans toi, c'est tellement difficile… J'ai besoin de toi, Jacob. J'ai besoin de te parler, s'il-te-plait… »

Il aurait dû tirer une certaine satisfaction à la voir si désemparée, le supplier de revenir. Il en avait rêvé souvent, lorsqu'à travers les longues semaines de tristesse perçait parfois la colère et la rancune. Pourtant, il n'en tira aucun plaisir. Tout ce qu'il ressentit ne fut qu'une profonde fatigue. Il se sentait las de ces évènements qui se répétaient en boucle et le jeu n'en valait plus vraiment la chandelle. Il n'était et ne serait jamais que le remplaçant d'Edward à ses yeux.

« Je suis navré Bella mais tu as fait ton choix. » Il plongea un regard résigné dans le sien et secoua doucement la tête. « Mais je ne t'en veux pas. Ou plus, en tous cas. » Il eut un pauvre sourire mais elle avait baissé la tête et ne vit rien sous le rideau de ses cheveux. « Je ne peux plus prendre soin de toi comme je l'ai fait jusqu'ici. Ça ne nous causerait que plus de tort. » Elle hocha timidement la tête mais ne put relever les yeux.

Autour d'eux, même le vent s'était tu et les étoiles semblèrent d'un coup un peu moins brillantes. Ne restait que la nuit noire et pesante, comme le rideau qu'ils tiraient enfin sur leur relation.

« Bien… » Elle essuya dignement ses larmes du coin de sa manche et se força à sourire. « Je comprends. » Elle renifla mais parvint à rassembler tout le courage qui lui restait pour affronter son regard une dernière fois. Ses grands yeux noisette étaient baignés de larmes et son sourire, si douloureux, fut une véritable torture pour Jacob. Il ne flancha pas et se contenta de passer tendrement son pouce sur sa pommette humide.

« Ne m'en veux pas Bella… Il veillera sur toi. » Murmura-t-il puis, glissant sa main sur la nuque de la jeune fille, il colla leurs fronts l'un à l'autre et prit une profonde inspiration. « Et s'il ne le fait pas, je m'occuperai personnellement de lui, d'accord ? » Un petit rire, presque un sanglot, secoua les épaules frêles mais elle hocha la tête à nouveau.

« Merci Jacob. Merci pour tout. » Etaient-ce des adieux ? Un au revoir ? Lui-même ne savait pas. Tout était si flou actuellement. « Tu vas me manquer. » Le dernier sourire qu'elle lui offrit fut de très loin, le plus beau de tous et l'espace d'une seconde, le jeune homme eut envie de la retenir, de revenir en arrière et de la supplier, encore une fois, de le choisir lui. Il se ravisa. Les choses étaient certainement mieux ainsi.

« Allez ma belle, tu dois rentrer. Il t'attend. »

Elle déglutit péniblement et se détourna enfin. Derrière elle, Jacob referma la porte et, le cœur en miettes mais l'esprit clair, posa son front contre le battant. Il se laissait enfin aller à sa peine quand un léger choc contre le battant lui indiqua qu'elle s'appuyait elle aussi contre cet obstacle si mince, et pourtant insurmontable. Il ferma les yeux et il eut la sensation qu'ils glissèrent au sol dans un même mouvement.


22h30…

Lorsque Jacob sortit de la cabine de douche dans un nuage de vapeur, la maison était encore vide. Nouant lâchement une serviette autour de ses hanches, il s'approcha du miroir et posa ses mains sur la vasque du lavabo. Son regard brun rencontra son homologue et il prit de longues secondes pour analyser son reflet.

Il avait le teint grisâtre sur lequel ses cernes violacées se voyaient d'autant plus. Sa mâchoire était plus creuse aussi, et hérissée de poils courts et noirs qu'il frotta de ses doigts. Ce début de barbe ne plaisait pas du tout à son père mais lui s'en était accommodé. Son examen se poursuivit sur son torse, là où les côtes commençaient à saillir, puis sur ses bras secs.

Partir devenait peu à peu une évidence. Il ne pouvait pas continuer de dépérir ainsi.

Son sac était prêt, posé sur son lit, ainsi qu'une lettre qu'il déposerait dans la chambre de Billy en partant. Dedans, il y expliquait sa décision de quitter la Push sans entrer dans les détails. Il n'avait aucune inquiétude par rapport à son père. Il le connaissait, il comprendrait.

Avec un soupir, il enfila des vêtements propres et s'empara de son unique bagage avant de passer la porte. D'un geste ample, il bazarda son sac dans le coffre de sa vieille Ford et s'apprêtait à entrer à son tour lorsque, par-dessus le toit abîmé de la vieille guimbarde, son regard accrocha les reliefs sinistres des nuages qui s'amoncelaient au-dessus de la forêt de pins. Celle-là même où Seth avait disparu une heure plus tôt. Il hésita un moment, jusqu'à ce que le tonnerre se mette à gronder au loin. Avec un soupir de résignation, il referma sa portière et resserra les pans de son blouson en prenant la direction de la forêt.

Chaque membre de la tribu s'était réfugié là-bas au moins une fois. Jacob considérait le lieu comme une sorte de sanctuaire. C'était un endroit propice à la méditation, qui baignait dans un silence éternel, comme isolé du reste du monde. Les loups de la meute aimaient y chasser, s'évader et renouer ainsi avec leur véritable nature.

Pourtant, ce jour-là, la sylve n'avait plus rien de rassurant, ni de familier pour le jeune Quilleute. Les troncs immenses avaient troqué leurs éclats émeraude contre des aspects de barreaux de prison et à mesure qu'il avançait, il s'enfonçait dans un brouillard de plus en plus dense et opaque. L'humidité traversait ses vêtements comme un million d'aiguilles glacées et étrangement, il se sentit frissonner.

Enjambant un arbre couché, il lança un regard aux alentours mais Seth n'avait laissé aucune trace. Rien. Il songea un instant que le gosse était peut-être rentré mais un sombre pressentiment lui hurlait le contraire.

« Maudit gamin. » Songea le loup que ce petit jeu n'amusait plus du tout.

« Seth ! » Il se jucha sur la pointe d'un rocher dévoré par la mousse mais seul l'écho de sa propre voix lui répondit. De plus, il avait beau fouiller les environs depuis une demi-heure, il n'avait pas croisé âme qui vive. Pas un oiseau, ni un rongeur… Même la végétation commençait à se raréfier.

Il réalisa soudain que tout s'était réellement figé autour de lui. Plus de vent, plus de bruit. Et des milliers de gouttes minuscules en suspension dans les airs sur lesquels se réverbérait la lumière presqu'irréelle de la lune.

Cela ne dura qu'une seconde et à nouveau, le vent se mit à souffler et le tonnerre à gronder pourtant, Jacob était persuadé que quelque chose venait bel et bien de se produire sous ses yeux. Et ce satané gamin qui ne se montrait toujours pas…

« Bon sang, Seth… » Grommela-t-il entre ses dents serrées.

Il s'apprêtait à quitter son perchoir et à repartir à la recherche du garçon lorsqu'un mouvement bref et furtif attira son attention près d'un fourré de ronces.

« Seth ? »

Personne ne répondit mais une branche craqua soudain à quelques mètres de lui et des bruits de pas précipités résonnèrent. Il n'en fallut pas plus à Jacob pour bondir dans la même direction et rejoindre la course. Toujours sous forme humaine, il se mit à courir à travers les troncs noirs, évitant tour à tour les branches qui lui fouettaient le visage, les creux et les bosses du sol, les racines qui rampaient hors de la terre comme des mains décharnées. Il trébucha de nombreuses fois mais parvint à conserver tant bien que mal son équilibre au prix de quelques meurtrissures qui cicatrisaient déjà.

Une question lui traversa l'esprit. Que poursuivait-il ? Seth ? Peu probable.

Il redoubla d'efforts mais la chose était bien trop rapide pour lui et s'éloignait inexorablement. Si bien que dans un dernier bond, il se transforma.

L'énorme loup brun fendit l'atmosphère saturée comme un éclair. Il ne discernait toujours rien à travers la brume mais désormais, il sentait la présence de cette chose. De plus en plus près…

Il sentit son cœur s'emballer sous le coup de l'adrénaline tandis qu'il repoussait les limites de son corps. Ses muscles se contractèrent à lui en faire mal et il prit une ultime impulsion qui le propulsa à quelques centimètres à peine du fugitif. Sa gueule s'ouvrit sur un grognement rauque mais alors qu'il apercevait enfin l'esquisse d'une silhouette, celle-ci disparut derrière un nouvel obstacle de branches et de feuilles. Sans réfléchir, Jacob traversa la barrière puis… Puis plus rien.

Il avait atterri au milieu d'une clairière. Le brouillard avait disparu mais la même lumière bleue fantomatique baignait les lieux. Mais ce qui pétrifia Jacob fut la petite forme recroquevillée sous un vieux linge cramoisi qui lui tournait le dos, à quelques mètres de lui. Cette fois, il n'eut aucun doute sur la nature de l'individu c'était une odeur bien humaine qui flottait dans l'air.

Etait-ce un homme, une femme ? Son corps semblait si minuscule. Peut-être un enfant.

Sans un bruit, il souleva l'une de ses pattes mais se figea instantanément en voyant l'individu bouger à son tour. C'était léger, mais il était persuadé que l'étranger avait tourné la tête vers lui. Il sentait le poids d'un regard.

Jusqu'ici, rien n'avait brisé le silence depuis l'arrivée du loup, si bien que le simple bruissement du linge sembla déchirer l'atmosphère lorsque l'inconnu se redressa enfin.

Instinctivement, Jacob se ramassa sur lui-même et se mit à grogner, féroce. Ce ne fut pourtant qu'une petite main brune et tavelée qui émergea du tissu pour se saisir d'une longue canne en bois qui reposait dans l'herbe. Enfin, la masse se souleva dans un concert de tremblements jusqu'à trouver un semblant d'équilibre. Circonspect, le loup-garou cessa de gronder et le visage qui se révéla alors à lui acheva sa vigilance.

L'étranger était une étrangère une femme qui semblait centenaire tant son visage disparaissait sous les rides sèches de sa peau de cuivre. Elle était minuscule, emmitouflée dans son châle et ses cheveux gris, raides comme des baguettes. Il discernait à peine le brun de ses yeux sous ses paupières lourdes, pourtant il n'avait jamais subi de regard aussi perçant.

Le silence était lourd et Jacob ne savait plus vraiment comment réagir. Elle lui paraissait inoffensive mais son pressentiment, lui, ne cessait de s'intensifier.

« As-tu peur de moi, jeune loup ? »

La voix traînante le surprit dans ses songes. Il ne s'attendait pas à l'entendre parler. Après tout, il n'avait pas repris forme humaine. Avait-elle deviné ?

« Pourquoi te cacher sous ces apparences ? »

Ce fut comme un coup dans l'estomac pour Jacob. Comment… ?

A nouveau, il retroussa ses babines sur ses crocs carnassiers, le poil hérissé. En réponse, la vieille femme eut un imperceptible rictus.

« Voilà bien longtemps que je n'avais plus effrayé qui que ce soit. » Son rire fut éraillé, fatigué, semblable à un vieux grincement de porte.

Dans un nouvel effort, elle se détourna et commença à s'éloigner. Elle était sur le point de quitter la clairière lorsque la voix humaine de Jacob résonna à son tour :

« Qui êtes-vous ? »

La vieillarde s'immobilisa mais ne lui accorda pas un regard.

« Et toi, qui es-tu ?

- Je suis Jacob Black et je suis ici chez moi. Je connais chaque visage de cette réserve et vous n'appartenez pas à la tribu, alors qui êtes-vous ? » Répéta-t-il en détachant chaque mot, plus ferme.

- Chez toi ? » Un nouveau rire de gorge ébranla les frêles épaules de l'inconnue. « Tu m'as l'air bien présomptueux.

- Ce territoire appartient aux Quileute.

- Sache que ce n'est pas la terre qui appartient aux hommes, mais les hommes qui appartiennent à la terre, mon garçon. »

Les mots de l'étrangère eurent au moins le mérite de réduire l'indocile au silence, et pour cause, ces mots étaient aussi ceux de son père. Il se sentit soudain embarrassé.

« Suis-moi. »

Elle recommençait à s'éloigner lorsque Jacob reprit pied dans la réalité.

« Attendez, je-

- Tu cherches des réponses, n'est-ce pas ? »

Jacob ne sut quoi répondre. De quoi parlait-elle exactement ?

« Je suis en mesure de te les apporter. » Elle se tourna enfin mais son regard n'avait plus rien de malicieux. Une ombre étrange grandissait sur son visage parcheminé. « Mais tu devras m'aider, toi aussi. »

Puis de son pas faible et claudiquant, elle quitta enfin la clairière, laissant derrière elle un Jacob hagard qui, au terme de quelques brèves secondes de réflexion, reprit sa forme animale et décida de la suivre.

Il ne la voyait plus, ne l'entendait plus, pourtant il n'eut aucun mal à suivre sa piste, comme si le fantôme qu'il avait rencontré un peu plus tôt s'était enfin matérialisé dans la réalité. La brume ne désépaississait pas, et le loup avançait à pas silencieux, le museau et le ventre plaqués au sol. Il eut tout de même l'impression que des milliers de regards surveillaient ses faits et gestes.

Enfin, ses recherches le menèrent au pied d'une petite cabane de bois, dont les planches se recroquevillaient sur une charpente précaire. Elle semblait prête à s'effondrer au moindre coup de vent.

Avec beaucoup de méfiance, Jacob entrouvrit la porte et pénétra alors dans une pénombre glaciale, percée de rayons blêmes, et saturée d'odeurs froides. Le décor était sordide, fendillé et enseveli sous la poussière et les toiles d'araignées. L'habitation semblait avoir été désertée depuis des siècles, pourtant, et malgré ses errances répétées dans la forêt, Jacob ne l'avait jamais aperçue auparavant. Seule une vieille paillasse d'herbes sèches abandonnée dans un coin et quelques babioles posées à même le sol témoignaient d'une présence humaine en ces lieux.

La vieillarde, elle, se tenait assise dans la poussière, devant un cercle de pierres au milieu duquel elle jeta quelques poignées de charbon et d'amadou sec puis, sortant un vieux briquet à silex, fit jaillir des étincelles qui enflammèrent les combustibles. Etouffées par l'atmosphère lugubre, les flammes luttaient et projetaient péniblement quelques lueurs blafardes sur les tentures moisies étendues tout autour. Eparpillés dessus, Jacob crut même distinguer des crânes de petits animaux et se sentit frémir.

Il étudiait chaque détail de ce spectacle sinistre lorsque la porte se referma doucement derrière lui. Il sursauta et se retourna immédiatement mais personne d'autre ne se trouvait dans la pièce.

« Approche-toi. » Se disant, la vieillarde se saisit d'une petite sacoche de cuir et la tira jusqu'à elle pour en extirper une poignée de cendres qu'elle jeta dans le feu qui s'anima brusquement, léchant le plafond de ses pointes bleuâtres.

Jacob sentit l'inquiétude poindre mais avança quand même, presque malgré lui. Les lueurs folles qui dansaient sur les murs l'hypnotisaient. Il avait même l'impression de discerner certaines formes dans les volutes de fumée qui envahissaient peu à peu la cabane.

« Je vois que tu es un loup prudent. » Elle l'observait à travers le spectacle enflammé avec un sourire au coin des lèvres. « Et la prudence vient avec l'expérience, n'est-ce pas ? »

Ces paroles décontenancèrent le jeune loup et il se demanda un instant si cela avait un rapport avec son histoire avec Bella. Mais comment aurait-elle pu savoir… ?

« Je sais énormément de choses, mon garçon. Mais si tu veux des réponses, tu dois te montrer tel que tu es. »

Jacob hésita mais décida finalement de reprendre forme humaine. Même nu devant elle, elle soutint son regard, nullement impressionné. Elle l'observa un moment avec son sourire indéfinissable avant de lui tendre un grand châle blanc dans lequel il s'enveloppa tout entier. Elle l'invita à s'asseoir mais il refusa, impassible. Autour de lui, les longues volutes opaques qui s'alanguissaient contre les murs et s'amassaient sous le plafond comme un nid de serpents limitaient son champ de vision et lui piquaient la gorge.

« Où sommes-nous ?

- Allons, nous sommes ici chez toi. » Elle prit un malin plaisir à lui rappeler ses propres paroles et il se renfrogna. « Tu es toujours dans la forêt.

- Et vous, qui êtes-vous ?

- Moi ? » Elle continuait de remuer les braises avec des gestes lents et mécaniques. « Je ne suis plus personne. Tout juste un fantôme du passé. » Les ombres et les éclats rougeoyants qui dansaient sur son visage lui donnèrent raison elle avait vraiment l'air d'un fantôme. « Je m'appelle Ehawee, et je suis la dernière des Yashee. » Le jeune homme écarquilla les yeux de stupeur.

- Les Yashee… ? » Se murmura-t-il à lui-même. « Mais… Comment est-ce possible ? Ils avaient déjà tous disparu avant la naissance de mon père. »

Billy lui racontait cette histoire funeste lorsqu'il était enfant. Il le prenait sur ses genoux, basculait d'avant en arrière sur son rockingchair, et lui expliquait comment la tribu Yashee, qui avait peuplé les terres du Nord bien avant les Quileutes, n'avait eu de cesse de rétrécir au fil des années suite à de nombreuses épidémies, jusqu'à s'éteindre définitivement lors d'un glissement de terrain qui avait recouvert tout ce qui restait du village et de leur population.

« Pourtant je suis ici, devant toi. »

Jacob quitta ses vieux souvenirs en cillant.

« Pourquoi vous cacher ici ? »

La mélancolie troubla soudain le sourire d'Ehawee et pour la première fois, c'est elle qui détourna le regard.

« Parce que ce monde est devenu dangereux pour moi. » Jacob vit la petite main brune convulser sur le tisonnier. « Ce monde… a tué les miens. Comment pourrais-je lui faire confiance ? » Ses mots devenaient presque inaudibles et inconsciemment, le jeune loup se pencha en avant, comme pour mieux comprendre.

- Qu'est-ce que vous voulez dire par là ? » Elle releva soudain un regard tranchant comme l'acier vers lui et instinctivement, le loup recula.

- Ces réponses ne sont pas les tiennes, jeune loup. » Coassa-t-elle. Puis comme si cet instant n'avait jamais existé, son expression malveillante disparut et son sourire sibyllin reprit sa place sur ses lèvres desséchées. « Mais tu as sûrement d'autres questions à me poser, n'est-ce pas ? » Jacob, refroidi par ce qui venait de se produire, fronça les sourcils et ne répondit pas. « Sur ton amie humaine, et la bataille qui approche, peut-être… »

Il sentit son cœur rater un battement.

« Bella ? » Il s'anima à nouveau, fébrile. « Que savez-vous sur elle ?

- Doucement, mon garçon. Rappelle-toi, j'ai moi aussi besoin d'aide.

- Que voulez-vous ? » Grogna le loup à qui la patience commençait à manquer.

- Vois-tu, je ne suis plus qu'une vieille femme. Je manque de force. Et toi, tu es jeune et vigoureux.

- Je ne comprends pas.

- J'ai besoin de ton énergie.

- Mon énergie ? » Jacob s'apprêtait à faire marche arrière quand les mots d'Ehawee lui revinrent à l'esprit. Il déglutit, de moins en moins sûr de lui. Mais pour Bella… « Que dois-je faire ?

- Oh, absolument rien. Simplement… » Elle lâcha le tisonnier et tendit ses doigts décharnés dans sa direction. « Simplement me donner la main. »

A pas lents, Jacob s'approcha. Confiné dans cette pièce, les effluves de sauge et de ce qui semblait être du tabac lui faisaient tourner la tête et les longs spectres de fumée lui brûlaient les yeux.

« Mes réponses… » Haleta-t-il, de plus en plus confus. « Bella…

- La mort est assise près de toi, jeune loup. Elle guette. » Le feu enfla brusquement et protégeant son visage d'un bras, Jacob recula et faillit trébucher. « Mais ce n'est pas toi qu'elle convoite.

- Qui ?! » Cria-t-il pour couvrir le bruit des flammes qui se tordaient violemment entre eux.

- Le jour de la bataille, c'est ton amie qu'elle prendra, à l'endroit même où tu la penseras en sécurité. »

Jacob étouffait, il sentait peu à peu la réalité se déliter autour de lui. Il sentit le châle glisser sur ses épaules et tomba à genoux, nu comme au premier jour.

« Comment… Comment puis-je la sauver… ? Pitié, dites-moi…

- Il y a des remèdes pour les maladies. Il n'en existe point pour la destinée.

- Non… Je la sauverai… Je…

- Maintenant, donne-moi ta main jeune homme.

- Dites-moi d'abord comment-

- Ta main ! » La voix qui venait de tonner n'avait plus rien à voir avec le filet rocailleux qui s'échappait jusque-là de la bouche d'Ehawee. Ce fut comme si plusieurs timbres s'étaient brusquement mêlés pour parler. « Donne-moi ta main. »

Alerté malgré son état, Jacob voulut reculer mais elle fut immédiatement devant lui, l'observant d'un air impassible, avec ses yeux qui n'avaient jamais été aussi sombres qu'à cet instant.

« Laissez-moi…

- Le marché a été passé, jeune loup. » Un sourire diabolique, comme une longue balafre noire, déchira son visage et elle se pencha vers lui. « Il est trop tard pour reculer désormais. »

Perdu au milieu de la forêt, personne n'entendit le hurlement qui déchira l'atmosphère cette nuit-là.

A suivre…

Merci à ceux qui sont arrivés aussi loin et n'hésitez pas à me laisser votre avis, quel qu'il soit )