Chapitre 1 : Aube écarlate

Le soleil commençait à briller sur la jungle luxuriante de Zootopie, la ville s'éveillait au rythme de ces lueurs et retrouvait son agitation quotidienne, les habitants sortaient de leur maison suspendue aux arbres, dont la cime s'élève jusqu'à des hauteurs vertigineuses. La plupart des animaux partaient en direction du centre-ville pour le travail, alors que d'autres profitaient insoucieusement de la chaleur du soleil dans les différents parcs aménagés sur des plateformes suspendues disséminées à travers toute la jungle, et reliées entre elles par des passerelles.

L'astre solaire s'élevait lentement vers le sommet des cieux et commençait à mettre au jour une partie plus profonde et sauvage de la jungle, une zone désertée depuis quelques temps par les animaux à cause de diverses catastrophes naturelles qui ont rendu l'endroit dangereux et inconstructible. Ce lieu abandonné portait en lui un mythe faisant état d'une énorme bête grisâtre et dangereuse, considérée comme le prédateur le plus impitoyable de la région, voire du monde animal. Les rares animaux qui l'avaient vu le décrivaient avec une certaine crainte comme un démon ailé capable de mettre fin à toute vie sur cette terre dans le plus terrible et cruel des massacres.

Au fond de ce « no man's land », se dressaient les ruines d'un immeuble en cours de construction, abandonné suite à un affaissement de terrain qui l'avait fait pencher dangereusement et rendu par conséquent, complètement inhabitable. Malgré l'état extérieur pitoyable de cette bâtisse érodée par le temps ainsi que les intempéries, certaines parties intérieures étaient quasiment intactes et utilisables dans leur état actuel, l'eau et l'électricité étaient encore en état de fonctionnement dans plusieurs pièces.

La lumière chatoyante de l'aube filtrait à travers une fenêtre, salie par la poussière et la saleté déposées par le vent qui dominait cette zone, donnant sur une chambre assez vaste où trônaient quelques meubles en bois sombre légèrement grignotés par les termites, dont un lit blanc métallique où une masse sombre recouverte d'une couette abimée et sale, dormait paisiblement. Dans ce couchage de fortune un ronflement léger et paisible s'en échappait, tandis qu'une épaisse queue grisâtre balayait doucement le sol au gré des rêves de son porteur. Cet étrange animal fut sorti de force des bras de Morphée par la clarté du jour qui illuminait les lieux et chassait les ténèbres qui avaient occupé cette pièce.

Graydz Asher s'éveillait paisiblement avec le soleil, son sommeil fut lourd et tranquille grâce au silence apaisant de cette partie de la jungle non civilisée. Après avoir émis un long bâillement tout en étendant ses bras dont les articulations se débloquèrent à l'unisson, Graydz se leva doucement de son lit grinçant sous le poids des années, en essayant de penser à toutes les tâches qu'il lui incombait d'exécuter sans faute aujourd'hui. Ses yeux dont l'iris avait la forme d'une fente verticale, encore endormis mirent quelques minutes à s'habituer à la lumière du jour qui emplissait la pièce.

Peu après être sorti de son reposant dortoir, il se dirigea vers la salle de bain d'une marche légèrement incertaine, tout en essayant de ne pas renverser les étagères remplies de livres de médecine provenant de diverses époques. La douche se mit en marche dans un gargouillement désagréable qui provenait de la tuyauterie encrassée par le calcaire, avant de laisser s'écouler un filet d'eau légèrement blanchâtre bien glacé au début. Après quelques minutes d'attente, il put enfin laisser un filet d'eau assez chaude pour son organisme, s'écouler le long de son corps. La douche fut agréable elle lui permit de retirer les saletés coincées dans les interstices de son enveloppe, ainsi que de se débarrasser de ses écailles mortes qui s'amoncelèrent dans un coin de la douche.

Après avoir séché son imposant corps à l'aide d'une vieille serviette bleue un peu crasseuse qu'il avait trouvée dans un autre appartement à moitié effondré, il nettoya ses dents aiguisées avec du dentifrice que son cher ami lui avait apporté la veille, il n'oublia surtout pas de limer ses griffes pointues blanchâtres ainsi que sa paire de cornes pour éviter de se blesser ou pire d'abimer ses précieux ouvrages, mais surtout pour diminuer l'aspect féroce que lui donnait son physique déjà assez hors du commun. Après ce brin de toilette, il partit en direction de la cuisine qui était à son grand étonnement, assez bien adaptée à sa taille par rapport au reste de l'appartement, elle était assez moderne avec un four électrique et un réfrigérateur à deux portes qu'il avait réussi avec beaucoup de mal à raccorder au réseau électrique. Il sortit des placards au-dessus du four, quelques ustensiles pour préparer son repas et prit dans le frigo quelques fruits mûrs provenant de la ville, que son ami avait apporté il y a de cela quelques jours en voyant ce que Graydz mangeait habituellement.

Une fois son copieux repas digéré, Graydz s'habilla avec des vêtements longs adaptés pour la jungle, ils étaient confectionnés à partir de tissus colorés récupérés sur le chantier. Il traversa son habitation jusqu`à la cage d'escalier, afin d'atteindre son laboratoire situé deux étages plus bas dont il ouvrit en grand la porte métallique blanche qui débouchait sur une pièce sombre aux murs gris dans laquelle plusieurs alambics distillaient différentes mixtures tout en crachotant de temps en temps une vapeur dont l'odeur écœurante lui fit tirer une grimace. Graydz navigua entre les différents appareils, jusqu'à atteindre une table située dans un coin de la pièce, où il prit parmi la foule de brouillons contenant des croquis de plantes, un carnet décrivant les résultats des différents travaux médicaux qu'il effectuait en ce lieu reculé depuis quelques semaines :

- Mmmh, la dernière expérience fut un échec pour l'avancement de mon élixir, il me faut de nouvelles plantes pour enrichir mon domaine de recherche, pensa-t-il tout haut, avant de se décider à organiser une nouvelle expédition dans les profondeurs de la jungle pour dénicher de nouveaux composants.

Graydz retournait à la hâte dans son appartement pour s'équiper correctement, il prit sa serpette rangée sur les étagères, quelques provisions dans les placards et son équipement de camping rangé dans une cantine métallique verte posée à l'entrée de son habitation. Il enfouit ensuite tout son équipement dans un sac de voyage tout en vérifiant qu'il n'avait rien oublié d'important pour son expédition. Avant de partir, il fit un détour par le salon pour aller se recueillir devant la précieuse relique de ses ancêtres qui reposait sur le mur juste au-dessus de la cheminée, un sabre arborant une lame étrangement rougeâtre dans un fourreau fait de pierres volcaniques grises. Après quelques minutes de silence religieux, Graydz se mit en route en direction du toit, son sac bien accroché à son dos à l'aide de deux solides sangles en cuir. Une fois le sommet de l'immeuble atteint, il referma à clé la trappe d'accès et déplia sa paire d'ailes dorsales membraneuses, avant de prendre son envol dans une bourrasque qui engendra un nuage de poussière et de feuilles mortes.

Graydz Asher ne fait pas partie des races d'animaux que l'on retrouve habituellement dans la ville de Zootopie, ses attributs et sa morphologie se détachent de celles des autres races connues à ce jour. Il est d'une nature assez atypique car il est l'un des derniers représentants de son espèce, celle des Dragoon, des reptiles anthropomorphes ailés dont la taille adulte atteint en moyenne deux mètres, ils arborent à l'âge adulte une magnifique paire de cornes droites et assez longues, qui ressortent juste au-dessus de leurs fines oreilles effilées. La peau des Dragoon se compose d'un maillage d'écailles solides dont la couleur varie suivant les individus, cette solide enveloppe se renouvelle constamment pour éliminer les écailles brisées ou mortes.

Graydz est né dans une citée de pierres noires, au sommet d'une montagne située bien au Nord de Zootopie, il lui avait fallu au moins deux semaines de vol en tout pour arriver dans cette jungle. Cette place resta cachée au reste du monde, du fait que le seul moyen d'y accéder est une voie aérienne protégée par des courants d'air violents qui ne laissent aucune chance aux intrus voulant envahir cette ville. Il a été recueilli très jeune et élevé par un ancien Dragoon qui le trouva ainsi que cette lame sacrée, dans une ancienne maison qui fut détruite par un terrible incendie destructeur, qui ravagea la quasi-totalité de la cité. Graydz échappa au destin funeste de la ville grâce au sacrifice de ses parents qui l'ont protégé des gravats avec leurs corps. Son père adoptif se nommait Vrenis Ragnus, c'était un vieux Dragoon qui habitait en marge de la cité dans une maison à flanc de montagne, il connaissait Graydz car c'était un grand ami de son défunt père. Une fois que Graydz fut en lieu sûr, il soigna ses blessures pendant des semaines à l'aide de la médecine ancestrale de son peuple. Après le rétablissement de Graydz, Vrenis décida de lui inculquer le savoir de son peuple pour qu'il devienne plus tard, un émissaire chargé d'apporter son aide et de faire avancer les connaissances sur les arcanes de la médecine des Dragoon qui se transmettent et évoluent de génération en génération.

Une grande partie des connaissances qu'il enseigna à Graydz portait sur l'utilisation des plantes médicinales entrant dans la préparation de différents breuvages ainsi que sur l'anatomie des différentes espèces animales peuplant ce monde dont son peuple connaissait l'existence de la plupart après des décennies d'observation discrète. Il lui apprit aussi comment effectuer correctement des recherches pour découvrir de nouvelles plantes et comment utiliser le Sengus (un organe propre à son espèce, situé dans la bouche, juste sous la base de la langue qui permet de distinguer la composition exacte des éléments ingérés) pour déterminer les caractéristiques alchimiques d'une plante, mais aussi la composition d'un poison la résistance biologique propre aux Dragoon atténue grandement les effets indésirables des poisons et autres substances.

Le reste de son apprentissage consistait en une formation aux arts martiaux à mains nues, au maniement du sabre ainsi que d'autres types d'armes s'adaptant à chaque situation rencontrée. Cette formation au combat se nommait l'école du « phénix dansant » qui consiste à utiliser les aptitudes propres à sa race pour maîtriser l'adversaire sans le tuer à l'aide des ailes et du souffle enflammé, mais aussi à lui briser sa force mentale grâce à certaines techniques d'intimidation très redoutables. Le reste de la formation prodiguée par l'ancien, consistait en un entraînement à l'art de la voltige, afin d'apprendre à se déplacer silencieusement dans le ciel, ainsi qu'à atterrir sur des zones étroites en freinant au dernier moment.

Dès sa maturité atteinte (environ dix années après avoir été recueilli par son père adoptif), Graydz était enfin en âge de quitter la cité, afin d'explorer de nouveaux horizons, et d'étoffer ses compétences médicales en découvrant des plantes inconnues. Avant son départ, Vrenis remit à son fils des provisions pour la route, un coffret noir portant le sceau de son peuple, cette boîte contenait un set d'outils de chirurgie de très grande qualité (faits à partir d'un mélange d'obsidienne et d'écailles de Dragoon fondues, ce qui les rendait résistants et aiguisés). Vrenis remit aussi avec une certaine peur lisible sur son visage, une grande boite verdâtre métallique scellée par des dizaines d'entraves différentes qu'il demanda à son fils adoptif de garder avec lui, au plus loin de cette cité et de surtout de ne pas l'ouvrir sauf en cas de dernier recours. Graydz connaissait parfaitement la nature de l'artefact maudit qui était contenu à l'intérieur, et que même si cela ne le faisait pas frémir autant que son maître, il savait que l'utiliser causerait inévitablement l'abandon de son honneur de Dragoon. Après avoir remercié l'ancien de l'avoir recueilli et élevé pendant toute ces années riches en connaissances, Gray serra son père adoptif dans ses bras, une larme coulait sur son visage, puis après un dernier signe de la main, il partit de sa terre natale, en direction du Sud d'un coup d'ailes.

Son voyage fut assez mouvementé, surtout à cause de son physique hors du commun qui inspirait la crainte et la peur parmi les peuplades qu'il rencontrait, il fut à maintes reprises pourchassé par des foules en colère. Malgré cette haine qu'elles lui vouaient, il ne leur en tint rigueur, car Graydz comprenait que voir une créature inconnue couvertes d'écailles grises, avec des yeux bleus azur et des dents longues et tranchantes, ne pouvait qu'engendrer une certaine peur primaire chez les animaux dont l'ignorance peut conduire à un comportement de sauvegarde pouvant devenir très violent.

Alors pourquoi Graydz a-t-il décidé de s'installer dans cette forêt humide et sombre, qui est aussi à proximité d'une ville grouillante de vie ? Cela remontait à environ trois mois en arrière, il traversait cette jungle à la recherche d'une résine pour stabiliser une préparation alchimique dont le rôle était d'accélérer le processus de régénération des tissus organiques abimés, cette mixture médicinale devait s'adapter à la constitution de la plupart des mammifères sans entraîner le moindre effet secondaire gênant. La nuit tomba petit à petit et il dut installer son campement dans une petite clairière au bord d'une rivière tumultueuse après avoir cherché ce composant durant toute la journée.

Graydz mit en place une grande tente de fortune contre un de ces arbres vertigineux et prépara une couchette avec des feuilles mortes et une couverture. Puis devant l'entrée de la tente, il se mit à façonner un cercle de pierres pour faire un feu avec des morceaux de bois ramassés autour du camp. Il alluma le brasier à l'aide de son souffle enflammé (une aptitude assez utile en expédition et en combat pour surprendre l'adversaire) et il mit à griller sur une broche des poissons pêchés au bord de la rivière un peu plus tôt. Après avoir avalé son maigre repas, Graydz poussa un bâillement de fatigue, il avait crapahuté dans cette jungle pendant toute la journée sans marquer la moindre pause. Graydz s'étendit sur son matelas improvisé, sous la toile imperméable grise de la tente et commença à sombrer dans un sommeil réparateur, bercé par le souffle du vent dans les arbres et par l'écoulement de la rivière.

Durant la nuit, Graydz fut tiré de ses songes par des bruits lointains, qui ressemblaient à une multitude de voix entremêlées. Malgré le souvenir des mauvaises expériences passées, dues au contact des autochtones, il décida de partir observer discrètement les habitants de cette jungle, en voletant d'arbre en arbre en direction de la source, tout en essayant de rester le plus furtif possible. Après quelques bonds, il atteignit la cime d'un arbre situé juste au-dessus d'une place suspendue, où des lampions dansaient au gré des vents parmi une foule d'animaux diversifiée. Il put distinguer des léopards, des paresseux, des koalas, ainsi que d'autres espèces d'animaux qui faisaient la fête au son de la musique. Cette fête était endiablée il y avait même un feu d'artifice multicolore dont les explosions caressaient la haute cime des arbres. Le Dragoon fut tellement obsédé par le spectacle qu'il ne fit pas attention à la branche morte sur laquelle il reposait de tout son poids, qui rompit et le précipita dans le vide. Sa chute vertigineuse se termina sur la plateforme, quelques dizaines de mètres plus bas. Le bruit de son atterrissage fracassant attira l'attention des animaux, la musique se tut pour laisser place à un silence de mort qui dura quelques secondes (mais une éternité pour lui), avant que des cris de peur résonnent parmi les invités de la fête.

Après s'être relevé difficilement parmi les décombres, Graydz essaya de prendre son envol pour s'enfuir, mais une de ses ailes était abimée. Le temps qu'il réfléchisse à sa prochaine action, des voitures de police commencèrent déjà à affluer de toute part, et la place fut aussitôt remplie d'agents de l'ordre. Ils braquèrent leurs armes dans sa direction mais ne bougèrent pas d'un cil, ils essayaient de comprendre la nature de la bête inconnue et imposante, qui leur faisait face.

Graydz profita de cette situation pour se ruer de force en direction de l'une des passerelles en sautant par-dessus un des véhicules de police. Il courrait à vive allure à travers la forêt humide, la pluie commençait à se répandre autour de lui, diminuant sa visibilité et sa vélocité. Sa course effrénée fut stoppée sur un des ponts au-dessus de la rivière par un des agents de l'ordre qui avait prévu son itinéraire de fuite et qui lui barrait le passage, c'était un énorme buffle musclé avec un regard assez sévère, qui s'approcha de lui en brandissant une matraque, prêt à l'attaquer pour le maîtriser. Graydz fut tenté de sortir sa précieuse lame de son fourreau, mais il ne voulait pas semer la honte sur son espèce. Il prit le temps de se souvenir de l'entraînement au combat enduré durant son enfance, et il se plaça dans une posture de défense, les bras pliés pour se protéger, prêt à recevoir n'importe quel assaut et à le contrer.

Le buffle fut troublé par ses mouvements, mais cela ne l'empêcha pas de l'attaquer, sa matraque fendait l'air en direction de la tête de Graydz qui fit instantanément un pas en arrière et son corps pivota pour esquiver le coup, l'arme du policer lui frôla son torse et finit sa course dans un des piliers du pont. Graydz profita de l'ouverture dans sa défense pour lui asséner un coup rapide, direct dans l'abdomen qui était protégé par un lourd uniforme, avec son poing afin de le faire reculer à une distance raisonnable de sécurité sans le blesser. Cette attaque, lui coupa le souffle comme Graydz l'avait envisagé et le fit faire quelques pas en arrière, mais le Dragoon n'avait pas prévu la perte d'équilibre du buffle qui le précipita dans la rivière en crue.

Après une seconde d'hésitation, Graydz poussa un léger soupir de consternation, avant de se jeter à son tour dans l'eau et se mit à nager en direction du corps du policier assommé par la chute, en évitant les rochers et les troncs acheminés par le courant. Après quelques tentatives ratées, Graydz qui commençait à être exténué, finit par réussir à l'agripper par l'une de ses pattes, malgré la force du courant le ramena lentement vers la berge. Une fois hors de la rivière, le Dragoon reprit son souffle tout en crachotant un peu d'eau, il réfléchissait à ce qu'il allait bien pouvoir faire du buffle. Après une intense réflexion pendant laquelle il tournait nerveusement autour du corps inerte, Graydz décida de le mettre sur son dos et de le transporter en direction de son camp en suivant la rivière afin de le soigner. Après avoir atteint son bivouac, Graydz déposa le blessé dans la tente sur son matelas de fortune pour l'ausculter tranquillement. Le Dragoon était résolu à l'aider malgré son ressentiment vis-à-vis des animaux, car il ne voulait pas avoir un mort sur la conscience, et cette bonne action pourrait devenir une occasion pour lui d'avoir une discussion plus sereine avec un autochtone.

Son examen médical révéla qu'il avait une forte fièvre, ainsi que le bras fracturé, la fièvre pouvait être facilement combattue à l'aide d'herbes médicinales, mais pour la fracture, cela était une autre paire de manches. Graydz conclut qu'il devait l'opérer d'urgence, sinon la blessure allait s'infecter assez rapidement et l'amputation aurait été alors inévitable. Il sortit de son paquetage une trousse qu'il déplia à terre juste devant lui, elle contenait les outils de chirurgiens, offerts par l'ancien.

Après lui avoir administré un somnifère puissant de sa composition, Graydz rasa la fourrure sur son bras et désinfecta la peau mise à découvert pour aseptiser la zone d'intervention. Il incisa le bras et retira les divers déchets et la chair abîmée autour de l'os avant de découvrir les tendons qui par chance n'avaient subi aucun dommage. Graydz remit l'os en place assez facilement tout en utilisant une broche provenant de sa réserve médicale, afin de stabiliser sa position durant la convalescence. Dès cette délicate manœuvre effectuée, il examina avec précision l'os pour étoffer ses connaissances sur l'anatomie des animaux et pour vérifier qu'il n'y avait pas d'autres fêlures. Puis Graydz referma la plaie en la cautérisant à l'aide de son souffle brûlant, ayant au préalable recouvert le tour de la plaie d'un produit pour éviter que les flammes n'abîment la peau sensible.

L'opération se termina au bout de quelques heures, Graydz appliqua une version de son élixir maison sur la plaie qu'il recouvra ensuite de bandages entourant le tout d'une attelle réalisée avec une planche de bois récupérée dans la rivière. Il laissa son patient se reposer dans la tente et retourna auprès du feu pour le rallumer et le protéger de la pluie qui s'était amplifiée en quelques heures. Le Dragoon s'assit à côtés du brasier sur un tronc moussu après avoir mis la plupart des vêtements à sécher près du foyer brûlant, tout en repensant à l'opération chirurgicale, la première expérience pratique de son existence. Graydz était heureux car cette intervention lui avait donné l'occasion de tester son élixir, et les résultats obtenus étaient très encourageants pour la suite de ses recherches. Il surveillait de loin son patient à travers l'ouverture de la tente, tout en frottant la partie souffrante de son aile avec un onguent pour qu'elle puisse cicatriser rapidement.

Les heures passèrent en un instant et les lueurs de l'aube se montrèrent à travers les feuilles gorgées de rosée du matin. Graydz retourna auprès de son malade toujours endormi, sa fièvre était tombée comme prévu, il enleva le bandage pour observer l'évolution de la plaie, le Dragoon fut ébloui par les résultats, la cicatrice était à peine visible, seul l'absence de fourrure le long de la blessure indiquait sa présence. Graydz remarqua ensuite que le buffle commençait à reprendre conscience, il ouvrit difficilement les yeux et au bout d'un moment, il remarqua la créature qui le toisait, et il se mit à paniquer avant de beugler :

- Où suis-je ? Qui êtes-vous ?, m..mons...monstre !, dégagez, dégagez !

- Calmez-vous un peu ! Vous êtes en sécurité, je ne vous veux aucun mal, sinon je n'aurais pas pris la peine de vous soigner ! rétorqua le Dragoon après s'être relevé, tout en le toisant avec un grand sourire sans aucune trace d'animosité.

Le buffle fut surpris par le fait que ce monstre cauchemardesque parlait sa langue avec une telle aisance, il essaya de se mouvoir avant de ressentir une vive douleur parcourir tout son bras et vit le bandage, son cerveau comprit la situation et il se calma. Après un court silence, il tenta d'amorcer une conversation plus sereine.

- Que s'est-il passé ?, ma mémoire est un peu confuse, s'exclama le buffle tout en essayant de se relever malgré l'état de son bras.

- Vous vous ne souvenez pas de notre belle altercation sur le pont hier soir ?, vous avez fait une belle chute dans la rivière dont je m'excuse pour l'avoir involontairement provoquée, expliqua Graydz sur un ton posé, avant d'enrouler la toile de la tente qu'il rangea ensuite dans un sac en toile en l'ayant préalablement égouttée.

- Je…je me souviens, j'ai chuté dans la rivière et ma tête a dû cogner un rocher, conta le buffle tout en se tenant la tête dont la fièvre lui avait laissé une bonne migraine.

- Vous êtes à mon campement situé en aval de la ville, je vous ai remis le bras en état, mais il faudra quand même le faire ausculter plus tard pour s'assurer de sa complète guérison, commenta Graydz tout en continuant à plier les affaires de son campement.

Le buffle l'écouta tout en se mettant debout, tandis que le Dragoon remit ses vêtements secs qui étaient restés étendus près du feu. Après avoir terminé de se préparer, le buffle baissa la tête d'un air gêné, avant de bredouiller :

- Bon, je m'excuse pour mon comportement, je n'ai encore jamais vu un animal dans votre genre, souffla le policier d'une voix distincte, tout en étant moins sévère qu'au début de leur conversation, en comprenant que cette immense créature ne lui voulait aucun mal.

- Je sais, les animaux ont tous un choc en me voyant, lui répliqua Graydz tout en soupirant, il avait pris l'habitude de les voir tous détaler à sa vue.

Le Dragoon décida de nouer un contact avec son patient en se présentant :

- Je me présente, je me prénomme Graydz, Graydz Asher, je fais partie de la race des Dragoon, une espèce ancienne habitant des contrés lointaines plus au Nord, je parcours le monde pour parfaire mes talents en médecine et découvrir ses richesses, raconta-t-il tout en vidant le trop plein d'eau de la tente.

- Je me nomme Bogo, je suis inspecteur en chef des forces de l'ordre de Zootopie, malgré l'embarras de cette situation, je dois vous remercier de m'avoir secouru, vous pouvez me demander une faveur en gage de ma bonne foi, énonça-t-il tout en vérifiant que son attelle était bien en place.

Graydz prit le temps de réfléchir quelques instants, le regard perdu dans la rivière, une griffe tapotant le bout de son museau après une petite minute de cogitation, il lui exprima son souhait :

- Cet endroit me plaît, la végétation est étonnante et très intéressante pour mes recherches, donc je n'aurais pas une mais deux faveurs à vous présenter, si vous permettez : la première serait de ne pas parler de notre rencontre, il vaut mieux pour le moment éviter d'éveiller la curiosité, ma seconde faveur serait d'avoir un lieu de vie fixe dans cette jungle, vous ne sauriez pas où il y aurait une installation même en piteux état, éloignée du brouhaha de la ville ?

Le buffle réfléchit en marchant autour du foyer, avant de répliquer tout en sortant une radio de police de sa poche qu'il régla à une fréquence précise :

- Ok, je vous accorde le premier service, je ne dirai rien à propos de vous, et pour votre autre faveur, je connais un bâtiment abandonné au sud de notre position, un chantier délaissé suite à un séisme, je ne peux vous l'indiquer précisément pour le moment, je dois m'occuper de quelques formalités pour récupérer les clefs du chantier, et activer le réseau électrique.

- Merci, mais comment allons-nous nous contactez par la suite ? demanda le Dragoon, le visage pensif, qui s'illumina en un instant dès qu'il aperçut le buffle lui tendre la radio.

- Prenez cette radio, je vous contacterai dans quelques jours pour vous amener là-bas, ordonna Bogo sur un ton direct.

Graydz prit la radio qu'il rangea immédiatement dans une poche extérieure de son sac de voyage après que le policier lui ait expliqué brièvement son utilisation.

- Bon je dois y aller, mes hommes doivent être en train de quadriller le secteur à ma recherche, on se revoit plus tard, faites attention de ne pas gâcher une autre fête sur votre route !, il ricana joyeusement avant de partir vers la ville, Graydz marcha aussi dans sa direction en ayant préalablement remballé le campement.

Quelques jours plus tard, Bogo le recontacta, et ils se mirent d'accord pour se retrouver discrètement au milieu de la jungle épaisse, où il lui montra sa future demeure, un immeuble grisâtre d'une dizaine d'étages avec la façade lézardée, il devait mesurer au moins une vingtaine de mètres. Il donna à Graydz un trousseau de clés avant de lui faire visiter l'intérieur de cette bâtisse.

L'entrée de l'immeuble donnait directement sur une cage d'escalier carrée, composée de marches blanches et bardée d'une rambarde rouge métallique, elle était dans un assez bon état, à part quelques gravats amassés au rez-de-chaussée. Cet endroit comportait des ascenseurs qui n'avaient pas encore été terminés ni alimentés, ainsi qu'une porte attenante à l'escalier qui donnait sur la cave que le guide entreprit de faire visiter à Graydz dans un premier temps.

La cave était sombre et malodorante, l'air était saturé d'humidité comme en pouvait témoigner la légion de moisissures verdâtres qui recouvrait les murs en parpaings. L'escalier débouchait sur une pièce assez grande, un garage composé d'une série de box individuels, fermés par des rideaux métalliques, la plupart étaient en mauvais état, la rouille avait eu raison d'eux. La cave avait une ouverture vers l'extérieur, deux immenses portes métalliques assez lourdes à manier qui devaient être à l'origine motorisées, mais pour le Dragoon, ce n'était pas un problème, avec sa force il arriverait aisément à les ouvrir pour créer une sortie vers la jungle.

Après avoir quitté ce lieu dont l'odeur donnait au Dragoon un peu la nausée, Bogo fit monter son invité par l'escalier pour accéder aux étages supérieurs de l'immeuble qui contenaient des blocs d'appartements. La plupart étaient dans un état calamiteux, soit l'eau les avait envahis, soit il manquait les murs extérieurs. Il l'emmena à un étage particulier qui avait l'air bien peaufiné par rapport aux autres, c'était le logement prévu pour un lion riche qui avait demandé que son habitation soit prioritaire par rapport aux autres. Il tourna la clé dans la serrure de la porte en chêne, qui s'ouvrit sur un couloir aux murs blancs un peu crasseux, le sol était recouvert de parquet de couleur bois duquel quelques insectes s'enfuyaient à la vue des intrus.

La première porte menait à une chambre de belle facture, les murs étaient en bois massif, elle comportait déjà plusieurs meubles, des placards, une table de nuit et un lit dont le support était en métal rouillé peint avec de la peinture blanche qui s'écaillait. Cette pièce était illuminée par une large fenêtre face à la porte, elle était masquée par des rideaux faits d'une étoffe vert sombre, elle avait une vue magnifique sur la jungle verdoyante.

La prochaine pièce que Bogo fit visiter à Graydz, était la cuisine de l'appartement, elle était assez rustique dans l'ensemble, les murs étaient recouverts de papier peint bleu uni, une table en chêne ronde se tenait au centre avec quelques chaises, les parois étaient toute occupées soit par des meubles pour ranger des ustensiles de cuisines, soit par de l'électroménager pour diverses utilisations, l'ensemble était éclairé par un abat-jour en tissu fixé au plafond.

Bogo termina la visite par le salon, une salle au plafond haut perché où était accroché en son centre, un lustre en métal brun comportant cinq branches dont chacune se terminait par une ampoule électrique. Cette salle incluait une grande cheminée en pierre, où le foyer dont la propreté étincelante montrait qu'elle n'avait jamais été encore utilisée, était délimité par une barrière métallique, elle était encadrée par une immense bibliothèque recouvrant le mur, sauf le dessus de la cheminée qui avait un emplacement prévu pour un quelconque trophée. Le centre de la pièce était occupé par une longue table ancienne en noyer, elle était vernie et disposait de six chaises dont le style était en accord avec la table.

Après la visite guidée il montra au Dragoon l'installation électrique avant de lui donner un paquet contenant quelques provisions ainsi que des livres sur la médecine moderne et des manuels traitant de différentes technologies en vogue dans la ville :

- Tenez c'est un cadeau pour les soins que vous m'avez prodigués, ils sont fantastiques, le docteur ne croyait pas que je m'étais fracturé le bras, dit-il à Graydz avec un petit rire.

Après avoir discuté un peu de divers sujets, le buffle dut repartir au travail, avant qu'il ne franchisse la porte, Graydz lui confia :

- Si vous avez besoin d'aide, vous savez comment me joindre, je me ferai un plaisir de vous rendre service.

- Je sais que je peux compter sur vous, allez au revoir mon cher, lui répliqua-t-il tout en lui faisant un signe avec la main, avant de s'éloigner de l'immeuble à travers la jungle épaisse.

Quelques heures après son départ, Graydz emménagea dans l'appartement qu'il avait visité, et après avoir rangé ses quelques bagages, il se mit à nettoyer de fond en comble son lieu de vie. Cette tâche accomplie il se concentra sur un travail qu'il devait absolument accomplir, il sortit la longue boîte métallique verdâtre de son sac, avant de la cacher dans la cave, bien camouflée dans un mur où l'accès était dangereux ainsi que très difficile. Les préparatifs terminés, Graydz tomba de tout son poids sur son nouveau lit, complètement épuisé par la corvée de nettoyage qui avait été rude à cause de l'état d'abandon de l'appartement.

- Enfin chez moi, pensa-t-il tout haut en admirant le plafond de la chambre, sa chambre.

Il pouvait enfin se reposer, son long périple était terminé, il avait enfin trouvé un endroit qui lui plaisait, et où il avait réussi à se faire un ami de confiance en la personne de Bogo.