Chapitre 1 – Partie 1
-Papa, Maman. Monsieur et Madame Cullen. Edward et moi devons vous parler.
J'avais fait le plus gros. Ça n'empêcha pas mon meilleur ami de se tendre comme un arc sur sa chaise, mais j'ignorais sa réaction pour me focaliser sur celle de nos parents respectifs.
Evidemment, la surprise n'était pas de mise depuis que l'on se connaissait, Edward et moi, notre amitié semblait être une chanson dont le refrain était les disputes parentales. Elles se ressemblaient toutes, commençaient par les mêmes soupirs et finissaient par les mêmes claquements de porte. C'est pour cela que, lorsque Madame Cullen ouvrit la bouche, je ne fus pas étonnée d'entendre :
-Renée, Charlie, votre fille pervertit mon garçon.
Sauf que ladite perversion que j'exerçais sur Edward durait près de dix ans. Il me lança un sourire tordu, je lui répondis de même.
Comme d'habitude, ce fut ma mère qui répliqua, mi-pincée, mi-désolée.
-Edward semble consentant, votre fils est assez grand pour ne plus se laisser influencer, comme vous le pensez.
J'eus un petit sourire pour ma mère qui me réprimanda en faisant les gros yeux.
Non, vraiment, nos discordances n'avaient pas changé d'un pouce depuis l'année de mon neuvième anniversaire...
-Et si vous en veniez au fait ?demanda Carlisle, Edward senior en quelque sorte, le plus diplomate de la bande parentale.
Ce fut alors au tour de mon meilleur ami de prendre la parole. Il me lança un regard avant d'ouvrir la bouche.
-Nous envisageons de voyager tous les deux, lança-t-il
Esmé, tendre mère Cullen, manqua de faire un infarctus. Mais personne ne formalisa cela restait dans le cadre de notre éternel recommencement.
-Je savais que ça arriverait, grogna mon cher père, je savais que ce satané Cullen prendrait le cœur de ma petite fille.
Ah ? Voilà du nouveau : Charlie m'avait régulièrement fait le coup du papa jaloux, mais avec Edward, c'était une première ! Et il se méprenait totalement ! Mon meilleur ami et moi le rassurâmes de suite, bien qu'un peu violement –l'idée me révulsait quelque peu, non pas qu'Edward soit physiquement repoussant, la seule raison à cette réticence était qu'il était Edward, tout simplement. Mon père parût rassuré et se déconnecta, comme il avait l'habitude de le faire, de la conversation.
-Voyager, voyager !grinça Esmé, C'est bien beau, mais quelle est la destination ? Si vous désirez explorer le quartier voisin, je ne vois aucun inconvénient, en revanche si ça dépasse l'épicerie du coin, je tiens à vous faire savoir que vous n'avez pas mon accord.
La tribu parentale -papa Charlie compris- opina du bonnet comme un seul homme. Edward et moi nous ratatinâmes sur nos sièges.
-Je crains que le périmètre donné ne soit trop exigu, couinai-je alors que mon meilleur ami poursuivit prestement
-On envisageait...
-Oui, visiblement c'est la seule chose que vous savez faire, pesta ma mère contre Edward, envisager !
Cullen Fils ne se découragea pas et reprit :
-Bella et moi souhaitons partir, pour une durée indéterminée, faire un tour des États-Unis, déblatéra-t-il en fixant ma mère puis la sienne, seuls véritables obstacles à nos projets depuis le primaire.
Esmé se leva d'un bond, nous ne contrôlions plus la situation, l'ordre normal des choses venait d'être chamboulé.
-Assez ! Isabella, il est temps que tu sortes de la vie de mon fils et que tu mettes le grabuge ailleurs que dans sa vie ! Depuis votre tendre enfance...
-Endurcie par vous-même, la coupai-je brièvement, sourire aux lèvres
-...tu t'appliques à le pervertir dans toutes ses actions (visiblement, mon intrusion dans sa tirade ne l'avait pas contrariée) ! Cela en est trop, la petite Isabella Swan va gentiment mettre les pieds hors de ma famille, et ce jusqu'à ma mort ! J'espère que j'ai été claire, je mets ceci en application dès à présent ! Oust !
Edward s'était levé prestement au cours du monologue haineux de sa mère. Alors que ma mère et mon père se dirigeaient vers la sortie de la maison des Cullen, je restai à ma place, immobile. Il était hors de question que Madame Cullen m'interdise quoique ce soit, encore moins s'il l'amitié que j'entretenais depuis une décennie avec mon beau gosse de meilleur ami était en jeu. Je plantai mon regard dans les pupilles glacées d'Esmé, elle soutint le regard.
-Maman, s'interposa Edward, ne penses-tu pas qu'il est en mon droit, et en mon devoir personnel, de choisir si mes amis doivent ou non rester dans ma vie ?
Sa politesse à outrance et sa syntaxe parfaitement calibrée m'agaça, comme elle le faisait toujours. Mais je ne m'y attardai pas et remerciai mon meilleur ami d'un sourire.
-Non, trancha Maman Cullen, en revanche, il est en mon devoir de mère de surveiller tes fréquentations.
-Ce "devoir" doit s'arrêter un jour ou l'autre, Maman. Et il se trouve que j'ai dix-neuf ans, soit l'âge raisonnable pour que tu cesses de te mêler de mes relations privées.
Syntaxe toujours bien surveillée, soit, mais Edward semblait se rebeller quelque peu, et ce n'était pas pour me déplaire !
Edward Cullen avait été enfant de chœur, scout, bénévole au profit d'associations caritatives : Edward Cullen avait été l'enfant rêvé, le parfait petit garçon à la tête blonde et au yeux azur.
Mon enfance contrastait drôlement à côté de la sienne : je cajolais des voitures miniatures et rêvais que je sauvais le monde en jean-baskets. Bien loin de l'image de la petite fille aux boucles blondes et aux yeux océan, j'avais été un garçon manqué, mes cheveux marrons fussent coupés courts et mon slogan donné par mes camarades de classe avait été : "Yeux marrons, yeux d'cochon !".
Cependant, à l'adolescence, j'avais remarqué avec une légère satisfaction (narcissique ?) que mon regard avait tiré sur le vert, me dépatouillant par la même occasion de mon apparence si banale.
-Et tes études ?fit Carlisle, d'un coup, me coupant dans mes pensées
Edward haussa les épaules avant de se tourner vers moi, visiblement à court d'idées.
-Tu as conscience qu'une année sabbatique en fac de médecine n'est pas le plus recommandable, fils ?
Papa Cullen avait beau être le plus diplomate, il était aussi d'un génie dingue quand il s'agissait de vous mettre mal à l'aise.
-Et toi Bella, tes études de littérature ?, s'enquit-il, gagnant l'attention de mes parents qui n'avaient pas -semblait-il- envisagé cette question jusqu'alors.
-C'est vrai, Bella, approuva ma mère, tu viens de finir ta première année de licence, ce n'est pas raisonnable.
-On ne vit qu'une fois, tentai-je avec assurance
-On ne vit qu'une fois, renchérit Edward en hochant la tête
La bande parentale nous adressa quelques coups d'œil suspicieux.
Notre émancipation n'allait pas être facile à gagner...
-Je croyais que tu avais des amis, attaqua à nouveau ma mère, visiblement soucieuse. Tu me parlais souvent d'une certaine Angela...
Mes parents prenaient-ils mon désir de voyage avec Edward comme un appel au secours quelconque ? Évidemment, oui, j'avais des amis, une vie agréable, et surtout : j'avais Edward. Et le fait que nous soyons séparés par des projets trop différents -il désirait être pédiatre, moi, journaliste- ne m'enchantait guère, mais ce n'était pas ce qui me poussait à m'envoler faire un tour des États-Unis avec lui.
Effectivement, je crois que nous cherchions juste un moyen de rester ensemble un moment, de partager toutes les choses que nous ne pourrions plus faire une fois enfermés dans un bloc opératoire ou encore sur le terrain, à interviewer des hommes politiques ou autre... Mais ce n'était pas la seule raison. Nous voulions juste voyager, et découvrir notre pays, état par état, ville par ville ; nous enrichir en rencontrant les États-Unis représentés par une multitude de personnes toutes plus différentes les unes des autres, et pourtant formant un tout : notre pays.
Je me rendis compte que j'avais dit tout cela tout haut. Edward me regardait, un sourire un coin. Maman et Papa Cullen oscillaient entre attendrissement et hurlement à outrance. Esmé fit vite le choix.
-Cette fille est malade, elle corrompt notre fils, le déprave ! Faire le tour des États-Unis ? Oh mais va, ma grande, ma chère Isabella Swan, cours jusqu'à Denvers si ça te chante, exile-toi à la frontière canadienne si tu n'as que ça à faire, mais, pour la dernière fois : fous la paix à mon fils !
-Si Bella (mon meilleur ami mis l'accent sur mon surnom, il savait que j'avais horreur que l'on m'appelle "Isabella") s'expatrie à la frontière canadienne -ou même en Roumanie !-, je la suivrai, Maman. Mets-toi ça dans le crâne !
-Si vous partez en Roumanie, je divorce et me fais none, grommela ma mère
L'idée ne parut pas plaire à mon paternel.
-Faites donc, Madame Swan !provoqua Edward, sous mon ébahissement le plus total. Nous ne vous avons pas demandé votre avis, nous vous avons fait part de nos projets.
-Et quels projets !grinça la mère d'Edward
-Et nous partons demain, à l'aube, claqua mon meilleur ami.
-Quoi ?
La tribu parentale et moi-même avions couiné comme un seul homme. J'adorais Edward, j'adorais la façon qu'il avait de montrer ses crocs après des années de "soumission", mais je me demandai si la folie ne commençait pas à le ronger...
Partir le lendemain ? A l'aube, qui plus est ! Il me pria du regard, je cédai, plus pour la forme qu'autre chose.
Mais après tout, je le voulais, ce road trip, et le plus tôt était sans doute le mieux ! Je lui fis un sourire franc et fonçai préparer mon sac.
Nous commencions une nouvelle vie.
