Un Capitaine sans failles?

Samedi, près de minuit, sur les docks devant l'entrée de l'office de tourisme du Hub, Jack est debout, seul, face à la Baie, son regard azur plongé dans les eaux frétillantes, ses pensées se noient dans les vagues légères et chuchotantes de la Baie.

Rien que lui et la Baie pour tout spectacle, en cette nuit fraîche et calme.

Il est là, telle une statue, depuis un bon moment déjà, mais rien ne semble le distraire, Jack est comme hypnotisé par l'eau, ses reflets, son bruissement, son harmonie.

Jack est bien, il se sent bien. Il est seul, un peu vidé par les derniers jours particulièrement chaotiques qu'ils avaient connus au Hub, mais il est étrangement bien. Trop bien? Soudain, malgré lui, la réalité le gagne, et ses pensées se cognent à son besoin de vide, de total abandon, de ne pas penser…Ah que ce fut agréable de ne penser à rien pendant ces minutes qu'il aurait bien voulu éterniser. Mais voilà que la raison et la réflexion reprenaient le dessus. Maudite conscience! La récréation aura été de courte durée, mais elle fit du bien à Jack.

John Hart ! Quelle déesse de l'enfer avait eu la drôle d'idée de faire revenir John Hart? Et pourquoi maintenant, alors que Jack venait tout juste de retourner auprès de son équipe après des mois (ou plutôt une année qui n'en fut pas une) passés aux côtés du Docteur, de Martha, et du Seigneur du Temps. Son retour fut certes fracassant, du moins c'est ainsi qu'il l'avait envisagé et préparé, mais le temps de la surprise fut bref, le temps des reproches et des questions aussi, malgré l'entêtement rassurant de Gwen.

Après une douloureuse année sacrifiée aux désirs néfastes du Seigneur du Temps, il lui avait fallu penser à reprendre son rôle de chef omnipotent à Torchwood. Et surtout, il lui avait fallu réfléchir à une bonne explication à donner à son équipe, à réaffirmer, malgré son absence et ses mystères tous azimuts, son leadership au sein de Torchwood. Cela allait de soi, nul ne pouvait le remplacer, pour quelle raison, au nom de quelle nouvelle réglementation ? Non, il était et resterait le chef à Torchwood, Cardiff. Ceci étant dit, rien ne l'empêchait de s'expliquer, histoire de reprendre la chasse aux aliens du bon pied. Un minimum de dialogue et d'échanges n'ont jamais nui à son autorité naturelle.

Et au fond de lui, il avait envie d'en parler, de raconter ce qu'il avait appris sur lui et la raison de son immortalité. Se confier, lâcher prise, se libérer de ses craintes, apprivoiser cette nouvelle notion de vie infinie en l'exprimant à voix haute devant quelque un qui saurait l'écouter sans trop frémir, sans le questionner. Sans le considérer désormais comme une aberration humaine, comme avait dit le Docteur.

En préparant son retour inopiné et spectaculaire, il avait ressenti ce besoin viscéral de se confier mais il ne savait pas encore à qui. Gwen? Elle l'aurait sans doute écouté, mais lorsqu'il vit la bague à son doigt, il avait abandonné cette option. Autant ne pas ternir son bonheur présent. Ianto ? Ce cher Ianto, qui lui avait tant manqué ? Non, la nouvelle le braquerait forcément, et leur relation allait en pâtir. Tosh ? Jack sourit en repensant à la douce informaticienne, annoncer une telle ineptie à une femme aussi cartésienne aurait été ubuesque.

Mais il avait confiance, il savait qu'il trouverait une personne à qui parler, tôt ou tard, et peut-être était-ce la raison du rendez-vous qu'il avait instinctivement proposé à Ianto. Il n'était pas sûr d'avoir fait le bon choix, ni même s'il trouverait le courage d'en parler avec son homme à tout faire préféré. Mais le risque était moindre avec Ianto, dont la sagesse propice à la confidence l'avait certainement convaincu …Profiter d'être seul avec lui et vaille que vaille.

Réprimant un soupir de dépit, Jack balaya du regard la Baie, il s'accouda enfin à la rambarde, et poursuivit son introspection.

John Hart? Un démon de son passé douteux lui fit revenir des lustres en arrière. Beaucoup de coups fourrés partagés avec ce diable de John, pas mal d'empoignades mais aussi de bons moments de rires et de filouteries. Et quel partenaire de jeux!!! Le sadisme associé au plus parfait des hédonismes, cela a toujours plu au Capitaine Jack Harkness. Et s'il dut faire une liste de ses meilleurs amants masculins, John Hart aurait galopé en tête. Cochon qui s'en dédit.

Mais cet escroc n'avait pas choisi le bon moment, Jack avait besoin de calme et de retrouver ses marques au sein de Torchwood. Bon sang, était-ce trop demandé, après ce qu'il avait appris ? Pourquoi le torturer ainsi, et pourquoi le confronter à ses vieux démons au moment où il remettait en question sa propre humanité. L'heure n'était pas à la nostalgie. Il lui fallait faire face à l'avenir, à son avenir, et à celui de son équipe.

Son équipe. Jack sourit. Ianto, avec qui il venait de dîner, et qu'il venait de quitter. Ils avaient mangé dans une pizzeria, d'accord c'était un peu cheap comme plan mais il avait voulu s'occuper de la réservation lui-même, seulement le temps lui avait manqué et tous les bons restaurants étaient complets, la mine déconfite de Ianto quand Jack arrêta le SUV devant jubillee pizza, un pur ravissement, Jack avait étouffé un rire, car le jeune homme n'était pas d'humeur badine. Jack s'en sortit avec une jolie pirouette en lui disant que l'important n'était pas de bien manger mais d'être enfin seul avec lui. Ianto se contenta de cette déclaration bidon. Visiblement il ne le croyait pas une seconde. Pourtant, Jack se l'avoua, il disait la vérité. Peu importait l'endroit, du moment qu'ils étaient seuls tous les deux, depuis bien trop longtemps. Malgré tout, Jack s'en voulait un peu d'avoir saboté ce premier tête-à-tête romantique. L'amusement de voir Ianto ébahi le disputait à un remords certain. Il se promit de se rattraper après le repas, et il y mettrait tout son cœur, Ianto oubliera vite cette déconvenue et ce manque de bon goût de la part de son patron.

Ianto avait commandé une salade et une pizza aux fruits de mer, ainsi qu'une bouteille de vin blanc pour marier le tout à son palais de fin gourmet. La noce fut corsée, Ianto forçait drôlement sur la dive bouteille, probablement pour se donner du courage , et Jack bénît le breuvage qui délesterait le jeune homme de toutes ses inhibitions. Pendant tout le repas, Jack observait son compagnon, et mangea sa pizza aux champignons d'une traite, pour pouvoir ainsi bavasser pendant que Ianto vidait sa bouteille. Jack aurait voulu une pizza aux fromages mais c'était fortement déconseillé pour la suite des évènements. L'envie qu'il avait ressentie de se confier à Ianto avait étrangement fait place nette à un désir grandissant de s'adonner à la bagatelle. Son esprit tournait en boucle, quand est-ce que ce dîner prendra-t-il fin ? Quand les yeux de Ianto seront-ils assez brillants pour qu'ils puissent passer aux choses sérieuses ? Ce serait pour bientôt, Ianto se déridait à vue d'œil et de bouteille vide. Il avait défait sa cravate pourpre et son visage commençait à prendre la même teinte ! Ciel que ce spectacle lui faisait du bien. Il se sentait si détendu dès qu'il se trouvait seul avec Ianto. Il était lui-même, un brin cabotin mais en harmonie. Cet homme le rassurait, sans qu'il ne puisse dire pourquoi ni comment, il le réconfortait par sa simple présence. Et Jack se félicitait d'avoir cédé à son harcèlement éhonté à l'époque où ce dernier cherchait à se faire engager à Torchwood. Au diable, le dessein noir et la trahison qui avaient animé Ianto ce moment là. Son amour pour Lisa et les mots durs, tranchants, mortifiants, que le jeune homme lui avait dits devant les autres, était un souvenir pénible, douloureux mais à présent maté, et loin derrière eux.

Le repas touchait à sa fin, Jack paya l'addition, jugea le taux d'alcoolémie de Ianto correct. Le jeune homme était à point, prêt à la consommation avide du Capitaine.

Consumé par son propre désir, Jack n'avait pas pensé une seule seconde à Ianto, et à ce que ce dernier pouvait espérer de ce rendez-vous. Ce n'est qu'en sortant de la pizzeria que cette idée le rattrapa. Et si le jeune homme avait simplement accepté ce rendez-vous par faiblesse, parce qu'il était son patron et que depuis Lisa, il n'avait fait que se plier à ses ordres- à tous ses ordres- comme par rédemption ? Et si Ianto s'était assommé d'alcool pour tenir le coup, pour endurer cette épreuve. Le sourire de Jack s'envola alors qu'il prenait le volant du SUV. Un doute brutal s'empara de lui. Ses yeux se plissèrent, son cerveau s'enflamma. En reconduisant Ianto au Hub, l'endroit qu'il avait choisi pour leur première nuit, Jack se raidit de plus en plus. Il n'avait épargné personne, à cause de leur travail dangereux. Owen avait connu le vrai grand amour avec Diane, venue d'une époque révolue, et avait dû la perdre une semaine plus tard. Quel choc pour le jeune médecin. Owen lui avait tiré une balle en pleine tête, comme Suzie avant lui, et ce geste désespéré résumait à lui seul le désarroi profond dans lequel devait se trouver le jeune homme d'habitude si loyal, malgré le peu d'estime qu'il éprouvait pour son patron.

Gwen. Si amoureuse de Rhys, mais siouvertement attirée par Jack. Il en avait brisé des ménages, durant sa longue vie, mais Gwen ne méritait pas ça. Il avait mis Tosh en danger en l'entraînant en plein Blitz, de 1941, sans compter la belle romance de la jeune femme avec Mary, une alien papillon qui avait profité de sa gentillesse mais surtout de sa solitude pour la pousser à la pire des bassesse qui soient : lire dans les pensées intimes de ses amis, trahir leur confiance, pour finalement l'enfoncer encore un peu plus dans sa solitude, pauvre Tosh.

Estelle, pour qui il fut le seul et unique amour, avait succombé aux fées, par sa faute. Il aurait dû la protéger autrement que par de simples consignes de sécurité. Il ne l'avait pas fait. Et elle est morte.

Quant à Ianto, si dévoué mais aveuglé d'amour pour Lisa, que l'équipe avait criblée de balles, tel un peloton d'exécution militaire ! Le traumatisme dut être lourd pour le jeune amoureux éperdu. Et il en était responsable, d'une façon ou d'une autre. Jack est toujours le responsable. La cause directe ou indirecte. C'est le prix à payer quand on travaille pour Torchwood. Quand on travaille pour Jack. Aucune échappatoire. Aucune alternative possible. Tout ou rien. Et pour Jack, c'était toujours rien.

Lui-même vivait de temps à autre ce calvaire impossible. Il n'y a pas si longtemps, il rencontrait le véritable Jack Harkness, dont il avait usurpé l'identité. Ce soldat brave et droit, Jack l'avait poussé à se dévoiler au grand jour, en le séduisant malgré lui. Et le coup de foudre fut partagé. Mais leur unique baiser, si fort et électrique qu'il fut, s'était scellé par une déchirure, une séparation brutale et définitive. Le Capitaine Jack Harkness était tombé au champ d'honneur le lendemain même. Enflammé dans son propre avion. Emporté en un claquement de doigt. Que de sacrifices, que de douleurs pour lui et son équipe, et tous ceux qui avaient le malheur de croiser leur route maudite.

Ils étaient arrivés au Hub. Les deux hommes ne s'étaient pas adressé la parole une seule fois, ce qui pour Jack présageait ce qu'il avait craignait. Malgré l'état d'ébriété dans lequel se trouvait Ianto, ce dernier était resté silencieux durant tout le trajet. Jack comprit aussitôt. Ianto avait dû remarquer l'expression noire sur le visage de son patron, il savait que quelque chose n'allait pas. Ou bien, et Jack revint à sa première inquiétude, Ianto appréhendait la suite de la soirée. Quelle que fut l'explication de ce silence, Jack finit par prendre la bonne décision, la seule qui puisse dissiper ce climat peu engageant. Ils descendirent du véhicule, Jack releva le col de son manteau, Ianto plissa les yeux puis entreprit de scruter ses chaussures. Jack fit le tour de la voiture et s'approcha de lui. Ianto le regardait en biais, adossé à la portière, il serrait ses bras contre son torse, il avait froid. Jack prit une profonde inspiration, et enveloppa le jeune homme de ses bras solides.

-Ce n'était pas si mal comme dîner, je veux dire pour un premier dîner… , lui murmura-t-il au creux de l'oreille. Ianto se dégagea de son emprise, Jack n'insista pas.

-On va dire ça.

Jack sentit son coeur s'emballer. Il lui fallait mettre un terme à cette mascarade.

-Tu sais, tu as beaucoup bu ce soir, ce ne serait pas raisonnable de… 

-Tu as raison.

Jack se raidit. Le ton sec dans la voix de Ianto lui coupa les jambes. Le jeune homme se redressa et commença à partir en direction du centre-ville. Jack n'en croyait pas ses yeux.

-Tu fais quoi, là ? Où vas-tu comme ça ? cria le Capitaine en courant pour le rattraper.

Ianto continua de s'éloigner, il lui marmonna en retour sans prendre la peine de se retourner.

-Chez moi, où veux-tu que j'aille ?

Jack stoppa sa course. Ianto était déjà loin, et après tout c'était bien ce qui devait arriver. Il regarda Ianto s'éloigner, en reprenant son souffle. Le visage dur et le ton laconique du jeune homme avaient fait fuir chez Jack toute envie. Bizarrement, il se sentit soulagé, même s'il n'avait du tout prévu de se retrouver seul à cette heure de la soirée. Mais que lui arrivait-il ? Il ne s'était jamais posé autant de questions dès qu'il s'agissait de prendre du bon temps. Il trouvait assez d'occasions de devenir cérébral pendant le boulot, mais le devenir juste avant de satisfaire ses sens, voilà une nouvelle énigme qui risquait de le travailler encore un sacré moment. Il étouffa un juron et prit la direction du Hub.

C'est à cet instant précis que la Baie l'avait attiré à elle. C'est là que cette étrange sensation de bien-être l'envahit complètement. Avait-il fait le bon choix en épargnant Ianto? Incontestablement, malgré le désir qu'il éprouvait pour lui et qui, à ce qu'il en savait, était réciproque. Ianto ne résistait pas à Jack, qui le pouvait ? Jack se mit à rire. Mais il n'avait pas le droit, il n'avait plus le droit, après avoir disparu sans rendre de comptes à qui que ce soit, il n'avait plus le droit de tout exiger sans rien promettre en retour. Et il ne pouvait rien promettre au pauvre Ianto, si ce n'est une escapade occasionnelle dans le pays des plaisirs charnels. Ianto était capable d'aimer, mais Jack ne l'était certainement pas…autant. Sauver Ianto de ses pièges sulfureux, la meilleure chose qu'il ait pu faire depuis son retour. Sans compter Gwen, à qui il avait souhaité mille choses pour son futur mariage avec Rhys.

John Hart avait finalement eu raison de se rappeler à son bon souvenir, ou était-ce son voyage chaotique auprès du Docteur. Jack inspira à plein poumon, il était content de lui, satisfait de ne pas avoir cédé, libéré d'un joug dont il ignorait tout mais il trouverait un jour la réponse à son marasme mental. Foi de Capitaine Jack.

L'avenir de Jack Harkness était en bonne voie, et celui de son équipe aussi. Il se languit de les retrouver tous demain matin, prêts à déclarer la guerre aux méchants weevils et autres créatures toxiques pour l'Humanité.

Des pas se rapprochaient de lui. Ianto qui revient ? Jack se retourna en un éclair. La silhouette d'un homme grand, élégamment vêtu d'un pardessus noir, se dessina sous la lumière des lampadaires. L'homme venait dans sa direction. Jack se redressa totalement et adopta sa posture favorite : les mains dans les poches de son pantalon, les pans de son manteau volant sous la brise légère. Le visage de l'homme se fit plus net. Jack ne le connaissait pas. Arrivé à quelques pas de lui, l'homme mit sa main droite dans la poche de son pardessus et tendit l'autre à Jack. Celui-ci ne bougea pas d'une pichenette.

-Capitaine Jack Harkness ? demanda l'homme, la main toujours tendue.

-Qui êtes-vous ? Comment connaissez-vous mon nom ? fit-il sur un ton neutre.

L'homme reprit sa main pour la plonger dans son autre poche. Visiblement il s'attendait à un tel accueil.

-Mon nom est Alec McNeil, je suis bien à Torchwood Cardiff ? demanda-t-il sans se démonter.

Jack le dévisagea de pied en cap. Comment cet homme connaissait Torchwood sans que lui, Jack, ne le reconnaisse ? Il ne répondit pas.

- Je cherche le chef de Torchwood, ici à Cardiff. Et si mes calculs sont bons, ceci est leur Base, fit-il en désignant l'entrée du Hub.

Jack garda ses mains dans les poches et son visage fermé. Cependant, il ne pouvait s'empêcher d'étudier du regard son interlocuteur de façon insistante, et il reconnut que l'homme avait beaucoup d'allure. Son visage était fin, légèrement halé, ses cheveux bruns soigneusement coiffés. Une classe certaine et…un accent légèrement rocailleux.

-McNeil hum…? Vous n'êtes pas d'ici, je présume, lança enfin Jack, la voix adoucie mais toujours neutre.

L'homme sourit généreusement. Jack aima ce sourire.

- Glasgow, Écosse. J'ai pourtant fait mon possible pour que mon accent ne me trahisse pas, fit-il en lui tendant à nouveau la main.

Jack la saisit et la serra. Une poignée de main ferme et virile. Jack eut la sensation étrange et soudaine de se trouver face à son propre reflet. L'homme lui ressemblait en bien des façons.

-Je ne sais toujours pas pourquoi ni comment vous connaissez mon nom et l'existence de Torchwood.

L'homme sourit à nouveau. Il hocha la tête de bas en haut à plusieurs reprises, comme pour signifier à Jack qu'il devait passer immédiatement en mode confidentiel.

-Vous n'êtes pas au courant de l'existence de Torchwood, Glasgow, vous m'en direz tant. fit-il en souriant toujours.

Jack se détendit enfin. Il offrit son plus beau sourire flamboyant à son présumé homologue.

-Vous êtes le chef de Torch...

L'homme le coupa net.

- Non, seulement le chef en second. Sir Allistair Gaynor est mon chef, mais c'est un homme âgé à présent, oserais-je prétendre à sa succession, ma foi...

Jack se demanda intérieurement pourquoi il n'avait jamais songé à visiter ce beau pays ami qu'était l'Écosse. Mais il garda son enthousiasme pour lui.

-Certes, mais comment savez-vous que je suis le Capitaine Jack Harkness ? Je peux tout aussi bien être le second...

A nouveau, l'homme l'interrompit.

- Un homme grand, élégant, flanqué d'un manteau militaire de la RAF, que dire de plus. Je sais que nous sommes gardés dans l'ignorance des visages des membres de Torchwood, pour un maximum de sécurité, mais avouez que dans le genre «repérable» vous vous posez là.

Les deux hommes rirent en chœur. Jack se dandinait ostensiblement, ce qui lui valut un regard approbateur de la part de son collègue. Jack se reprit, et chercha quelque chose à dire, en vain. Ce fut l'autre qui parla pour lui.

-Eh bien, je ferais bien de vous donner la raison de ma présence à Cardiff. 

-Oui, quel est le problème?, fit Jack en se redressant.

- Oh, problème n'est pas le mot exact mais il se passe des choses assez inhabituelles, même pour nous à Torchwood, et il nous semblerait que des évènements similaires risquent fort de vous atteindre vous aussi, donc Sir Allistair Gaynor m'a convaincu de venir vous voir et de vous entretenir à ce sujet.

Jack bomba le torse, et le regretta aussitôt.

- Et si nous parlions sans ambages, et sans formule toute faite. Torchwood Cardiff et Torchwood Glasgow vont travailler main dans la main pour le compte de la race humaine, c'est ça ?

L'homme partit dans un grand rire.

-Vous avez raison, c'est beaucoup moins pompeux dit comme ça.

Jack sourit de toutes ses dents. Décidément, la soirée n'allait pas se terminer en fiasco total, après tout.

Bizarrement il avait ralenti son esprit car il ne trouvait toujours rien à dire d'intelligent à cet homme. Il réalisa soudain que la température avait baissé, et que malgré l'accoutumance légendaire au froid de son interlocuteur, ils seraient mieux au chaud pour discuter de ces phénomènes étranges qui s'abattaient sur Glasgow.

-Que diriez-vous de poursuivre notre conversation autour d'un bon café chaud ? dit-il en désignant de la tête l'entrée du Hub.

-Je n'osais pas vous le demander mais si vous insistez un peu...

Cet Alec McNeil n'allait pas regretter une telle invitation. Jack lui fit signe, toujours de la tête, de le suivre. Il pensa subitement à Ianto. Certes le café serait chaud mais de là à ce qu'il soit bon…

Les deux hommes marchaient côte à côte, sans parler. Jack sentit néanmoins que l'Écossais le fixait tout en marchant, les mains enfouies dans les poches. Jack se dit que vus de dos, ils devaient se ressembler encore davantage, si cela fut possible.

La découverte de Torchwood Cardiff, le Hub et ses agencements, son immense périmètre, n'eurent pas l'effet que Jack escomptait sur Alec McNeil. C'est à peine si l'homme avait vaguement laissé courir son regard sur le faste de l'endroit. Même Myfawny qui vint les accueillir en vol plané au dessus de leur tête ne sembla pas l'effrayer outre mesure. Jack fut déçu. Désarçonné par le flegme du chef en second. Il savait que Torchwood Glasgow faisait pâle figure face à Torchwood Cardiff, il était de notoriété publique que la Base écossaise servait juste d'annexe et que ses bureaux étaient de taille humaine, et d'une vétusté avérée. Mais Alec McNeil n'était pas homme à s'en laisser compter, Jack se le tint pour dit, et se rendit directement, après avoir invité McNeil à s'installer sur le sofa, vers la machine à café. Il regretta d'emblée de ne pas avoir Ianto sous la main.

McNeil se débarrassa de son pardessus et le posa, bien replié, à côté de lui. Il posa ses mains de chaque côté sur la canapé, les bras écartés, et attendit. Jack prépara à la va-vite deux cafés corsés, comme il les aime, et rejoignit son invité. Il pensait encore à Ianto, se demandant si le jeune homme s'était directement mis au lit, pour cuver son vin et purger sa colère. Brave Ianto, que pouvait-il faire d'autre? Jack eut un pincement au cœur mais n'eut pas le temps de s'apitoyer davantage. McNeil se saisit de la tasse de café et souffla dessus. Puis il toisa Jack de haut en bas, avec un sourire satisfait aux bords des lèvres.

-Vous avez un bien beau bureau de travail, à ce que je vois,lança-t-il à Jack en sirotant une première gorgée du nectar noir.

Jack attendit. Son café devrait apporter un compliment. Aucune réaction. Il s'affaissa sur une chaise, face à McNeil.

-Oui, j'aime bien être à l'aise quand je travaille.

McNeil sourit. Il reposa sa tasse sur la petite table, et croisa les jambes.

-Je parie que vous dormez ici même, n'est-ce pas? lui demanda-t-il.

-En effet…comment savez… bredouilla Jack, avant d'être à nouveau interrompu par l'autre.

- Mon chef, Sir Allistair Gaynor, le fait aussi. Il dit qu'il est trop vieux pour courir d'un endroit à l'autre mais je le soupçonne d'avoir toujours vécu à Torchwood. Certes, je reconnais que c'est plus pratique pour un homme de son âge, mais …vous êtes bien plus jeune… 

Il ne termina pas sa phrase et Jack ne sut pas quoi répondre exactement. Il se contenta de faire ce qu'il savait faire le mieux, à savoir ne rien dévoiler.

-Oui. 

L'homme reprit sa tasse.

-Vous êtes marié? demanda-t-il sur un ton détaché.

-Non, et vous le savez déjà.

McNeil fit la moue, ses doigts pianotant la tasse, le regard dans le vague. Jack se sentait mal à l'aise face à cet homme. Pourquoi cette question si personnelle et hors de propos? Son visage débonnaire et ses manières quelque peu empruntées ne suffisaient pas au Capitaine pour apprécier totalement sa compagnie. Il décida d'abréger les salamalecs d'usage.

-Alors, que se passe-t-il de bizarre à Glasgow ? fit-il d'un ton péremptoire.

L'homme se redressa, reposa sa tasse et riva son regard dans celui de Jack. Ses yeux étaient d'une teinte incertaine, un gris-vert d'une étonnante clarté. McNeil semblait chercher ses mots, il pinça ses lèvres comme pour expliquer à un enfant une chose bien trop complexe pour lui. Mais ses yeux ne lâchaient pas Jack. Ce dernier ne se déroba pas pour autant, il soutint son regard aussi facilement.

- En réalité, ce n'est pas Glasgow qui est concerné, du moins plus maintenant. Seule la côte sud-ouest du pays est touchée. Dans la région de Dumfries pour être précis. Des pêcheurs ont ramené dans leurs filets une espèce de poisson pour le moins douteuse. Oh, ils ont un aspect tout à fait ordinaire, pour des poissons, mais leur charge électrique est dangereusement élevée. C'est bien simple, on pourrait presque s'en servir de téléphones mobiles. Les spécimens que nous avons gardés à Torchwood font grésiller toute source d'électricité ou d'informatique qui se trouve sur une portée de 60 à 80 cm. Ils brouillent toutes les ondes électromagnétiques qui les entourent… 

McNeil s'avança vers Jack comme pour lui dire un secret. C'est d'ailleurs en chuchotant qu'il continua son rapport.

- Toutes les analyses sont formelles, rien dans les eaux où ces créatures ont été repêchées n'indique de signal Nelson anormalement élevé. Ce sont les poissons. Il s'adossa à nouveau sur le sofa, et hocha la tête. Jack l'interrogea.

-Soit. Mais je ne vois pas en quoi Cardiff ou ses environs serait menacée? 

McNeil se tapota les cuisses.

- Mais je n'avais pas fini. Nous avons étudié la trajectoire de ces poissons , au large des Highlands, car les eaux en sont infestées. Ils longent apparemment la côte à l'ouest de l'Écosse, pour redescendre vers le Pays de Galles et la Cornouaille. Les derniers pistages en ont détectés au Nord de la région du Lancaster. Vous voyez, ils se rapprochent.  

Jack ne comprenait toujours pas.

- Mais, sont-ils dangereux pour l'homme ? Il suffit de ne pas en manger. Les mesures d'hygiène sont là pour pallier à ce genre de risques. 

-Précisément, monsieur Harkness… 

-Jack, appelez-moi Jack, fit Jack un peu vite.

- Jack, entendu, tant que nous ignorons la nature et l'origine de ces poissons, il ne faut en aucun cas alerter les services sanitaires. Et comment voulez-vous endiguer une épidémie alimentaire avec de simples programmes informatiques ? Nous ne sommes pas des pêcheurs, Jack, le Gouvernement est au courant, certes, mais une fuite de l'information n'est pas à exclure, vous le savez aussi bien que moi.

Jack se frotta le menton, voilà une situation inextricable pour Torchwood 2 et 3.

- Bien. Il s'agit de nous donner toutes les informations que vous avez collectées à Torchwood et nous établirons ensemble la meilleure marche à suivre pour… 

McNeil regarda soudain sa montre et leva la main.

-Mais il se fait tard. 

- Bien sûr, veuillez m'excuser, je ne me suis pas rendu compte. Vous…êtes descendu à quel hôtel ? demanda-t-il en se levant. McNeil l'imita.

-Oh, je ne sais plus, c'est sur Hemingway road, pas très loin d'ici.

McNeil endossa son pardessus, et tendit la main à Jack, pour prendre congé.

- Je vois très bien. Ce n'est pas le meilleur standing mais vous y serez comme un coq en pâte, lui dit-il en saisissant sa main.

- Le luxe n'est pas une devise de mon pays, vous savez bien ce qu'on dit des Écossais !

Les deux hommes se mirent à rire à l'unisson. Jack serrait toujours la main de McNeil.

- Je vous raccompagne. Au fait, ajouta-t-il alors qu'ils approchaient de la sortie, pourquoi cette question tout à l'heure, me demander je suis marié ou pas? 

Jack pensa voir une lueur dans les yeux de McNeil, mais il n'était pas certain.

- Contrairement à ce que vous croyez, je n'avais pas cette information, j'ignore beaucoup de choses sur vous, mais… l'homme hésita.

- Mais ? fit Jack, en lui ouvrant la porte de l'office de tourisme. Il sentit le froid lui gifler le visage mais il avait chaud, quelque part, en lui.

-Mais je voulais m'assurer que je parlais à la bonne personne. Bonne nuit Jack.

Jack hocha la tête pour toute réponse. Il regarda McNeil s'éloigner dans la nuit hivernale.

De retour à l'intérieur de Hub, Jack jeta les tasses dans l'évier, et allongea sur le sofa encore chaud. Les membres de Torchwood étaient-ils tous les mêmes, malgré leur position géographique différente ?

Jack sourit. Il repensa encore à Ianto, et à sa pizza, il regretta alors de ne pas avoir demandé à McNeil si les fruits de mer étaient aussi frappés de cette charge magnétique hautement préoccupante. Si oui, ce premier rendez-vous raté avec Ianto, le jeune homme risquait de s'en souvenir un bon moment, mais pas pour le meilleur.

Sur cette pensée saugrenue, et malgré le café serré qu'il venait de boire, Jack ne mit pas longtemps à s'endormir. Il avait eu son lot de déconvenues pour la journée.

Jack se réveilla vers les 5 h du matin, juste à temps pour prendre une douche et préparer le café. Dès qu'il arriverait, Ianto se chargerait d'en refaire une tournée, pour ne pas déroger à ses bonnes habitudes, mais Jack n'eut pas l'envie d'attendre. La journée risquait d'être chargée, entre cette histoire de poissons à dormir debout et son entreprise de longue haleine en vue de reprendre dignement sa place de chef au sein de l'équipe, que la dynamique Gwen avait su mener à bon port pendant son absence. Et puis, la déconfiture de son dîner avec Ianto, et les explications que ce dernier allait sans doute, et à juste titre, lui demander. A peine debout, Jack flanchait déjà sous les questions, les tensions qu'il savait imminentes et incontournables, tant que tout ne serait pas clairement exprimé. Et c'était bien son intention, Torchwood Glasgow était venu jusque dans son antre pour demander de l'aide, hors de question d'entraver leur mission commune par des chamailleries internes.

Il fallait se montrer digne de la confiance que ses homologues écossais avaient placée en lui et son équipe.

Jack eut à peine le temps de boire son café que le brave Ianto déboula dans le Hub, par la porte sas. Jack entendit à peine le « bonjour, monsieur » que le jeune homme lui adressa, sans un regard, avant de fuir littéralement vers la machine à café. Jack n'entendit rien d'autre que le cliquetis de la vaisselle qui se lavait, comme par magie, et le ronronnement hypnotique du moulin à café.

Même s'il ne s'attendait pas le moins du monde à ce que Ianto lui saute au cou pour tuméfier ses lèvres de ses baisers sucrés - car Ianto avait les lèvres naturellement sucrées - Jack eut le cœur triste. Il l'observait depuis son bureau, Ianto avait une mine de déterré, normal avec la cuite de la veille. Jack fut sur le point, une bonne petite douzaine de fois, de courir vers lui et lui demander pardon pour cette nuit d'amour avortée. Cette promesse qu'il n'avait pas su tenir. Le prendre de tous ses bras et l'embrasser encore et encore. Lui promettre mille fois plus, et jurer d'honorer une bonne fois pour toute cette promesse.

La treizième fois fut la bonne.

Jack se leva, sortit de son bureau et descendit rejoindre Ianto. Il trouva ce dernier face au plateau rempli de tasses, qu'il lui suffirait de remplir dès que les autres arriveraient. Ianto rangeait les tasses sur le plateau, puis les rangeait à nouveau dans un ordre différent. Un toc, pour celui qui ignorait tout du bonhomme mais pour Jack, c'était clair. Ianto était fou de rage. Il ne lui offrirait que son dos pour tout spectacle, et pour longtemps. Jack fit demi-tour pour se mettre au boulot, quand Ianto se tourna enfin et l'interpella.

-Monsieur, Gwen aura un peu de retard, un problème avec sa voiture, Rhys doit l'accompagner avant d'aller à son boulot.

Jack stoppa net, le temps qu'il se retourne et le jeune homme avait déserté le Hub central. Jack s'énerva.

-Ianto ! hurla-t-il de sa voix de ténor.

Le jeune homme réapparut, il était monté dans le bureau de Jack. Comment avait-il fait si vite ?

- Que fais-tu là-haut ? fit Jack, plus calme.

-Je vous apporte votre café, monsieur, lui répondit Ianto en redescendant à la vitesse d'une tortue anémique.

Lorsqu'il fut arrivé en bas, à quelques pas de Jack, ce dernier combla l'écart qui les séparait encore.

- Comment vas-tu, Ianto, ce matin? s'enquit-il en posant les mains sur les épaules du jeune homme. Ianto le fixa pour la première fois et lui répondit sans faillir.

-Je vais bien, monsieur, merci. Et vous ? 

Jack fulmina à nouveau. Il n'en supporterait pas davantage.

- Si tu m'appelles encore une fois « monsieur », je te vire, c'est clair ? fit-il les dents serrées. Tu veux qu'on s'explique pour hier, parfait. 

Ianto se dégagea, et enfouit ses mains dans les poches de son pantalon, fixant toujours son patron.

- C'est très clair…Jack. Mais je ne veux pas d'explication, ni d'autre invitation à manger des pizzas, en dehors d'ici, bien entendu.

Le ton était outrageusement nonchalant, presque méprisant.

- Ce n'était pas mon intention, je veux dire, je ne sais pas ce qui m'a pris hier, j'ai eu…peur, je crois. 

Jack était sincère, et Ianto baissa sa garde, il s'avança vers lui et lui prit la main. Jack releva la tête et plongea ses yeux dans les siens. Mais il ne souriait pas, comme il le faisait toujours quand Ianto lui prenait la main.

- Peur ? De quoi ? De me dire que je t'ai manqué, que John est bel et bien reparti dans je ne sais quel enfer, peur de quoi Jack ? 

Les grands mots rendent souvent service, de temps en temps, mais Jack ne trouva rien à lui répondre, pour la simple raison qu'il ignorait lui-même la nature de cette peur. Un seul mot mal choisi et la main douce le lâcherait automatiquement.

- Je n'en sais foutrement rien, Ianto, j'ai juste eu peur. De te faire du mal, peut-être. 

Ianto gardait sa main. Bon signe. Mais Jack se sentait mal, il disait vrai mais il était incapable de le lui faire comprendre. Ianto se pencha et l'embrassa sur la joue, un baiser léger mais insistant, comme s'il était resté collé à lui pendant quelques longues et douces secondes. Puis il lâcha la main de Jack et recula, toujours en le toisant.

- Me faire du mal? Tu veux dire sexuellement?

L'anecdote fit presque rire Jack. Il réprima un fou rire, puis secoua énergiquement la tête.

- Ma foi, je ne pensais pas du tout à ça, Ianto. Qu'est-ce que tu vas chercher ? fit-il en éclatant de rire, cette fois.

Le masque sur le visage de Ianto ne tomba pas.

-Tu me prends pour un con, je fais pareil avec toi, sauf tout le respect que je vous dois…Jack.

Jack savait à quoi s'en tenir à présent. Premier round remporté par Ianto. Mais Jack ne s'avouait jamais vaincu. Ianto lui tourna le dos et s'en fut vers la machine à café. Jack ne bougea pas d'un poil et lui cria:

- Tu sais que je fais du mal à toutes les personnes que je croise. C'est mon fardeau. Tu mérites mieux que moi, Ianto et je le pense vraiment. 

Ianto le regarda à nouveau, mais cette fois, ses yeux étaient plissées et passablement noirs.

- La phrase inédite, on ne me l'a jamais faite, celle-ci. Qui te dit que j'ai envie de finir ma vie avec toi ? Tu n'es pas si irrésistible que tu ne le penses, reviens sur le plancher des vaches, la Terre ne tourne pas autour du Capitaine Jack Harkness !!! .

Jack en eut le sifflet coupé. Quoi, Ianto qui se rebelle? Depuis Lisa, il n'avait jamais, oh grand jamais, entendu le jeune homme hausser le ton avec lui. Jack eut envie de rire, mais Ianto revint vers lui. Doucement, lascivement. Il prit le visage de Jack dans ses mains et l'embrassa avec passion. Puis d'une main il caressa le dos de son patron, ensuite les reins, ensuite…Jack n'attendit pas davantage, il serra Ianto fort contre lui et lui ébouriffa les cheveux de ses deux mains, ce qui ne plaisait jamais à son jeune amant. Ianto se décolla enfin de Jack et le tint à distance en le tenant par les épaules à hauteur de bras.

-C'est juste ça que je voulais, hier, et pas de plan sur la comète ni de déclaration enflammée, Jack. Juste ça. 

Jack se figea, incapable de reprendre son souffle et se maudissant intérieurement de n'avoir pas compris plus tôt. Ianto ne voulait donc que de la passion, que l'accomplissement de leurs corps, et Jack était un maître en la matière. Et un candidat toujours prêt, voire obstiné. Premier de sa promotion section longue, longue vie, son trop plein de phéromones en ébullition permanente, et Ianto aurait pu en témoigner si seulement…

La porte du Hub s'ouvrit. Owen et Tosh firent leur entrée. Jack se ressaisit et accueillit ses deux employés d'un grand sourire.

- Jack, fit Owen en jetant sa veste sur le portemanteau. Il partit ensuite vers son placard pour revêtir sa blouse blanche de médecin sans patients. Une blouse ainsi personnalisée avec de beaux badges démodés accrochés sur les cols et revers. Style Owen.

Tosh rendit son sourire à Jack et alla embrasser Ianto qui commençait à remplir ses fameuses tasses.

- Ianto, il est prêt ce café oui ou non ? aboya Owen mais lorsqu'il s'avança vers Tosh qui buvait déjà dans sa tasse, il adressa au jeune homme un étrange sourire plein de dents. 

- il fait un de ces putains de froids aujourd'hui ! fit-il en se frottant les mains.

-Monsieur est servi, lui dit Ianto en lui tendant un mug plein et fumant.

- Je te remercie coffee boy, chanta Owen en retournant à son poste de travail.

Jack avait regagné ses pénates, son bureau, et téléphona à Allistair Gaynor, le chef de Torchwood Glasgow. Histoire de vérifier la véracité des dires de McNeil, qui ne devrait plus tarder maintenant. L'ancien lui confirma l'ensemble de cette découverte et le remercia de bien vouloir aider son chef en second dans cette mission qui s'annonçait périlleuse. Jack le remercia à son tour pour sa confiance et lui assura qu'ils feraient tout pour s'acquitter de cette tâche ultra secrète. En raccrochant il distingua une voix déjà familière en bas. Alec McNeil venait d'arriver et les présentations étaient apparemment faites quand il descendit l'accueillir.

- Bonjour, monsieur McNeil, lui fit-il en lui serrant la main. Bien dormi ? 

Alec McNeil dit qu'il avait bien dormi.

- Mais je vous en prie, appelez-moi Alec, Jack.

Un regard interlope prit son départ dans les yeux acérés d'Owen et rattrapa Tosh et Ianto. Les trois jeunes gens semblèrent se questionner les uns les autres par télépathie improvisée. Jack mit un terme à ce jeu de regards puérils en racontant comment Alec McNeil et lui avaient déjà fait connaissance la veille au soir. Cela dut convaincre Tosh qui s'excusa auprès de tous ces charmants hommes, pour aller s'installer à son poste. Owen, déjà assis, tournait sur sa chaise, mais ne quittait pas le nouveau venu des yeux. Ianto, quant à lui, servait à ce dernier une tasse de son meilleur café.

Jack entendit alors ce qu'il aurait voulu entendre la veille.

- Mmm, ce café est excellent. Vous l'achetez vous-même, jeune homme, demanda Alec à Ianto.

- Oui, monsieur, dans les Halles en ville.  

Jack leva les yeux au ciel, mais il était content, une fois n'est pas coutume, pour son cher Ianto.

Il s'était installé devant l'ordinateur de Gwen et décida qu'il était temps pour eux de se mettre au boulot.

- Si vous voulez bien vous donner la peine de vous approcher. Monsie…Alec pourra vous expliquer la raison de sa présence parmi nous.  

L'équipe obtempéra. Mais Owen ne bougea pas de son siège.

- On n'attend pas Gwen? demanda-t-il à Jack.

- Non, Tosh lui fera lire le compte rendu.

Le médecin se plia aux ordres et rejoignit les autres autour du poste central. Jack se leva prestement et, posant une main au dos de McNeil, l'invita à prendre place au milieu des autres.

- Alec va vous dire de quoi il retourne, lança-t-il, et branchant son intercom, il l'appela Ianto, qui avait encore pris la tangente. Ianto, où es-tu encore passé ? Quoi, bon je viens…

Il se retourna vers son équipe.

- Je reviens de suite, Alec, commencez, je ne serai pas long.

Et il disparut par le passage souterrain, laissant l'employé de Torchwood Glasgow se dépatouiller tant bien que mal. Owen était curieux comme un renard, il prenait à Jack de drôles de réactions, courir après Ianto, comme il le faisait, que lui arrivait-il encore ? Il dut se concentrer pour écouter Alec qui avait déjà commencé à parler poissons. Des poissons ? Owen ragea intérieurement, Ianto était bel et bien un sacré poisson difficile à harponner, même pour le Capitaine Jack!

- C'est quoi cette histoire de prospectus, Ianto, fit Jack en déboulant dans la petite et unique pièce de l'office du tourisme.

Ianto était accoudé au comptoir, un livret publicitaire à la main.

- Il ne nous en reste que 2, avec celui-ci, dit-il, sans le regarder, un faible soupir dans la voix.

- Quoi ? Tu te fiches de moi, Ianto ! Tu ne penses pas que ta place serait plus…

- Ma place est ici, Jack. J'ai toujours été affecté ici et aux archives, je ne vois pas ce que je gagnerais à venir écouter ton Écossais, si ce n'est de perdre mon temps.

Jack fit le tour du comptoir et s'y accouda aussi, face à Ianto. Celui-ci gardait les yeux plongés dans le fascicule qu'il pliait et dépliait machinalement. Jack osa une main sur celles, chaudes, de Ianto -car Ianto avait les mains naturellement chaudes- qui se laissa faire.

- Je comprends. Tu aimerais te sentir plus utile, c'est ça.

Ianto le regardait enfin.

- Tu vois que tu comprends vite certaines choses.

Jack se sentit le cœur aérien. Il avança son visage vers celui de Ianto, jusqu'à pouvoir frotter son nez contre le sien.

- Jack ! minauda Ianto, tu ne penses qu'à ça…surtout quand il ne faut pas.

Jack pencha sa tête pour atteindre la bouche du jeune homme, qui feignait l'exaspération mais sans grand talent. Jack déposa un baiser sur ces lèvres sucrées, lui offrit un de ses sourires les plus bestiaux, puis mordit la lèvre inférieure de son gratte-papier adoré.

- Ouch ! Gémit Ianto en reculant, il se frotta la lèvre douloureuse, mais Jack put déceler un sourire sur son visage.

- Tu m'as fait mal, se plaignit Ianto.

Jack éclata de rire.

- Tu vois bien, je fais toujours du mal aux gens que je croise, entonna-t-il en faisant le tour du comptoir pour venir enlacer Ianto dans ses bras. Ce dernier, se laissant faire un moment, changea subitement d'attitude, il se dégagea de l'emprise de Jack et, réajustant sa cravate, qui n'avait pourtant subi aucun outrage jusque-là, il leva les yeux vers la caméra.

- Quoi ? Mais tu deviens parano, on dirait, qui veux-tu que…

Jack eut soudain un doute. Il déguerpit aussi rapidement qu'il était arrivé, par le passage souterrain. Une fois en haut, il fut soulagé. Tous étaient agglutinés autour d'Alec, qui continuait son rapport. Gwen était aussi là, assise à la droite de l'Écossais. Il s'approcha de sa petite troupe, et se tint, debout, droit comme un i, derrière Alec.

- Salut Jack, fit Gwen en l'apercevant. C'est fou, cette histoire de poissons électriques, non ?

- Oui, c'est plus qu'étrange.

Owen lui tournait le dos, tête anormalement baissée. Le médecin riait sous cape. Jack fulmina.

- Je vous demande un instant, Alec, Owen viens avec moi ! ordonna-t-il.

- Quoi là, tout de suite ? fit Owen mi-figue mi-raisin.

- Oui.

Jack et le jeune médecin s'éloignèrent du reste de l'équipe. Ils finirent par atteindre le coin petit-déjeuner. Jack croisa les bras, une posture éprouvée et approuvée de tous. Il attendit qu'Owen retrouve son sérieux.

- C'est cette histoire de poissons qui te fait rire ? l'interrogea-t-il sur un ton qui ne souffrait aucune plaisanterie. Mais Owen n'était pas du genre à dramatiser.

- Un poisson nommé Wanda, tu ne connais pas ce film absolument fantasque ? C'est tordant….voyant que Jack ne se laissait pas berner, il ajouta: euh…en fait c'est Gwen qui a parlé de ce film, rapport à ces poissons hi-fi, et je ne sais plus ce qui nous a tordus de rire, mais eh Jack, c'est quoi l'embrouille ?

- Owen, tu crois que je ne t'ai pas vu ?

- Où ? Quand ? Qu'est-ce que tu me reproches encore ? s'énerva le docteur.

Mais il n'était pas plus doué que Ianto pour jouer la comédie.

Jack décroisa les bras et s'approcha de lui. Il lui chuchota à l'oreille.

- Jure-moi seulement que McNeil n'a rien vu de ce qui s'est passé en bas, je t'en conjure Owen.

Jack avait l'air sincèrement préoccupé de savoir si sa séance de mordillage de lèvres avait été vue de tous ou pas. Owen secoua la tête.

- Je te jure que non, …je crois que non.

- Comment ça tu crois ? aboya Jack, lourd de colère.

- C'est Tosh qui a fait une fausse manip avec son ordi et on est tombé dessus…

Owen n'eut pas le temps de finir sa délation. Jack se rua vers Alec et son équipe et ordonna à tous de retourner à leur poste de travail respectif. Il s'enquit auprès d'Alec pour savoir si ce dernier avait eu le temps d'exposer les faits majeurs de la mission qui allait les occuper dans les jours à venir. Alec avait fait le tour de tout ce que Torchwood Cardiff fut censée connaître. Lançant un regard noir à ses trois employés, il invita Mc Neil à le rejoindre dans son bureau.

Une fois certain que les deux chefs de Torchwood étaient hors de leur portée, Jack avait refermé la porte derrière lui, Owen chantonna en riant.

- Quelqu'un sait où est passé Ianto ?

Les trois jeunes gens se mirent à rire joyeusement. Jack les vit depuis son bureau se bidonner ainsi. Prenant place face à Alec, il ne put, malgré sa colère, réprimer un sourire de contentement, car tout bien considéré, ce n'était pas plus mal que tous soient au courant du jeu sensuel qui les chatouillait lui et Ianto et qui, selon son intime conviction, devrait bientôt se transformer en cirque orgiaque !

La lecture du rapport complet que McNeil lui avait apporté occupa Jack un petit moment. Il y apprit quand cette espèce de poissons avait été découverte la première fois, il y a 6 semaines, et l'origine géographique de leur apparition, port de Glasgow. Seulement les recherches effectuées avaient permis de prédire leur trajectoire : empruntant le Firth of Clyde, ils étaient descendus vers Dumfries, Whitehaven et certains avaient même été détectés dans les ports de Lancaster, Blackpool et Liverpool. Et si les calculs de Torchwood Glasgow étaient bons, soit ces poissons passeraient via la Baie de Cardigan et continueraient de descendre vers la Cornouaille, soit une fois passée la Baie de St-Bridges, ils mettraient leur clignotant à gauche pour s'engouffrer dans la Baie de Cardiff. Selon McNeil, quelques jours à attendre et ils seraient fixés.

Le compte rendu était impressionnant de clarté et de détails précis. Jack complimenta son collègue.

- Je vous remercie Jack, mais tout le mérite revient à Sir Allistair Gaynor. C'est un personnage haut en couleurs mais redoutablement professionnel.

- Donc ce qu'on raconte sur lui n'est pas faux ? fit Jack dans un souffle.

- Vous parlez de la réputation quelque peu fantasque que mon chef se traîne depuis des lustres ?

- Oui, c'est donc vrai. Comment est-il au juste ? Je l'ai souvent au téléphone, je l'ai eu pas plus tard que ce matin, et à chaque fois je me désole de ne pas l'avoir en face de moi, avoua-t-il en souriant.

Alec lui rendit son sourire, qu'il changea vite en grimace. Jack regretta d'avoir été peut-être un peu trop franc avec lui. Alec McNeil semblait vouer une admiration sans limites pour son supérieur, et Jack concéda dans son for intérieur qu'il aurait aimé une admiration semblable de la part de ses employés dissipés et effrontément malpolis.

- Il est vrai que sir Allistair Gaynor est un spécimen unique. Par exemple, une de ses lubies est de donner un nom à toutes les créatures qui ont le malheur de tomber sous son toit, lui confia Alec en riant.

Jack rit aussi mais il pensait à Janet, la weevil qu'il avait lui-même baptisée ainsi, dieu sait pourquoi. Une lubie répandue, visiblement.

- Et puis il y a eu Annabeth, une alien vieille de quelques siècles, mais qui était fort séduisante, malgré sa peau bleue. Il en était fou amoureux, cette histoire remonte à plus de vingt ans, mais elle était retournée dans son…monde. Cela l'avait anéanti. D'ailleurs il a gardé une photo d'elle encadrée d'or blanc et posée sur son bureau.

Jack l'avait écouté jusqu'à la peau bleue puis avait décroché. Combien de créatures aliens avait-il bien pu fréquenter, et plus encore, durant sa longue existence et ses voyages sans nombres ? D'ailleurs, il n'était pas le seul, il y avait eu le Doc, Tosh et Mary, et aussi ce bougre de John Hart qui rivalisait haut la main avec ses propres conquêtes intergalactiques. Un fou rire le secoua.

- Je vous demande pardon, oui, votre chef m'a tout l'air d'être un farfelu, fit-il, sans le penser vraiment.

Alec acquiesça de la tête. C'est à ce moment, et bizarrement pas avant, que Jack remarqua l'alliance au doigt d'Alec. Sans hésiter il lui demanda s'il était marié.

- Affirmatif. Elle s'appelle Claire, nous avons une petite fille de 6 ans, Dot, enfin Dorothy.

Alec lui avait répondu en le fixant étrangement. La question sembla le ravir. Jack pensa que quelque chose sur son visage l'avait trahi, mais il ne sut dire quoi.

- C'est bien la première fois que je rencontre un employé de Torchwood qui ait réussi à fonder une famille.

Il se félicita d'avoir trouvé de quoi satisfaire la curiosité, ou la fausse idée, que l'homme dut éprouver à cet instant précis.

- Vous voulez dire que personne ici n'est marié? demanda Alec, incrédule.

- Gwen, Gwen va bientôt se marier, si. Mais c'est la seule, avoua Jack, le visage soudain maussade.

- Il faut dire que nous ne sommes pas souvent en première ligne, à Torchwood Glasgow. La Faille se trouve chez vous. Notre métier est bien moins exposé aux dangers.

- Je n'y avais pas pensé, vous avez raison, j'imagine que c'est pour ça, concéda Jack en s'affaissant sur le dossier de sa chaise.

Alec McNeil le questionna alors sur ses employés, Owen, puis Tosh, Gwen allait se marier, et…Ianto.

- Que fait-il au juste comme travail, votre Ianto Jones, à part un café divin ?

Jack sentit son sang lui monter au visage. Alec avait bel et bien assisté à la séance privée de tout à l'heure. Il se jura de faire avaler à Owen et son scalpel et sa blouse à la mords-moi le nœud ! Il inspira profondément avant de répondre, laconiquement.

- Les archives.

Alec ne réagit pas. Au bout de quelques secondes, il hocha la tête.

- Oui, en effet, il m'a l'air d'être un parfait, comment dire, homme à tout faire, estima Alec.

Jack se calma instantanément, dès que le sujet Ianto Jones était évoqué, Jack se calmait toujours. Il se pencha vers Alec, avec un sourire carnassier.

- Et croyez-moi, il sait faire beaucoup, beaucoup de choses, souffla-t-il.

Alec et Jack échangèrent un sourire de connivence. Alec profita du climat convivial qui s'était installé entre les deux hommes pour rajouter, sans fléchir.

- Il a bien de la chance.

Le sourire de Jack s'effondra. Avait-il bien entendu? Son cerveau s'emballa. Le Capitaine gigota sur sa chaise avant de se lever, en enfouissant ses mains dans les poches.

- Il n'est pas à plaindre, put-il bredouiller en invitant Alec à se lever lui aussi.

Les deux hommes quittèrent le bureau de Jack, et descendirent au Hub central, où l'équipe, visiblement assagie, s'était mise au travail, pour de bon. C'est à peine s'ils remarquèrent Alec et Jack qui sortaient du Hub, via le passage souterrain.

Arrivés dans l'office du tourisme, Jack appela Ianto, qui sortit de son minuscule vestibule secret, en soulevant le minable rideau qui séparait les deux minables débarras.

- Jack ?

- Que dirais-tu de faire faire le tour du propriétaire à Alec ? demanda Jack.

Alec et Ianto se dévisagèrent un instant. Puis ce dernier interrogea Jack de ses yeux bleus.

- Jack, si cela ne vous dérange pas, je préfère qu'on remette cette visite guidée à plus tard. J'aimerais mieux faire le tour du quartier, histoire de me dégourdir les jambes, et découvrir en même temps les magasins et autres jolis coins de votre charmante ville.

Jack accepta, lui ouvrit la porte de sortie, tout en se tournant vers Ianto, pour le gratifier d'un clin d'œil complice. Ianto se rengorgea, il n'avait aucune envie de jouer les guides, ni pour Alec, ni pour la Reine!

- Jack, si vous êtes libre, je serais ravi que vous m'accompagniez…fit Alec, en se retournant juste à temps pour voir l'échange tacite entre les deux hommes. Mais Jack ne s'en aperçut pas. Il acquiesça, en lançant un dernier coup d'œil à Ianto, et referma malgré lui la porte derrière eux.