CHAPITRE 1

CHAPITRE 1

Un de mes premiers souvenirs est celui de mon oncle Ellessar. Il me transporte sur son épaule et conjure en riant des Storm gust tout autour, s'esclaffant de me voir tenter d'attraper des flocons de mes mains menues. Il me laisse ensuite brandir de peine et de misère son wizardry staff et me chuchote à l'oreille qu'un jour, j'en aurai un pareil.

Évidemment à 2 ans je ne vois que les breloques brillantes en cet objet.

Je chéris particulièrement ce souvenir car les visites de l'oncle Ellessar sont aussi rares que la neige à Comodo. Tout comme le sont les moments heureux…

« Arrête de rêvasser, feignasse ! »

Avec un mouvement coulant né d'années de pratique, j'esquive le coup qui allait me tomber sur la tête sans faire tomber une goutte des verres encombrant mon plateau. L'auberge de mon père est encore pleine, et une fois de plus, il a bu davantage que le plus fortuné de ses patrons. Je me faufile un chemin entre les buveurs criards et atteint la table où sept blacksmith m'attendent, beuglant à tue tête que leur gorge est plus parcheminée que les sables de Morroc.

« Encore novice la p'tite ? », me demande l'un en sortant une poignée de zenys.

« Oui m'sieur, mon père ne peut se passer de sa meilleure serveuse ! »

« C'est vrai qu'il est plaisant d'avoir de belles jeunesses à l'œil lorsque la bière descend… »

Oh oh, je connais bien ce regard et file sans demander mon reste avant que sa main calleuse n'atteigne son but. Mes joues s'empourprent alors que ma lèvre esquisse une moue de dégout… tous les mêmes !

Je retourne au bar pour remplir mon plateau, soupire en envisageant une autre soirée très très longue… Mon père, un marchand de mauvais renom, a fait fortune en arnaquant de pauvres gens, vendant des items pour ce qu'ils n'étaient pas, allant de supercheries en fausses publicités. Comment il avait toujours su éviter la garde royale, je ne sais trop. Certains disent qu'il aurait eu l'appui de puissantes factions. Résultat : mon père possède aujourd'hui l'auberge la plus mal famée de Morroc, où assassins, rogues et autres personnages de mauvaise fréquentation sont monnaie courante.

Je suis la fille de Maeglin Nénharma. Bien que la plupart du temps je réponde aux noms de feignasse, imbécile, petite ou hey, on m'appelle Kyria. Aux dires de mon père, ma mère se serait enfuie avec des voleurs peu après ma naissance… non que je lui en veule. Au fil des années j'ai tenté souvent de faire de même et de la rejoindre, mais les associés de papa m'ont toujours retrouvée après quelques jours. Mais à 15 ans, j'entends bientôt dépasser définitivement mon record de 6 jours, au risque d'un sort qui, comme les années passent, me semble de plus en plus sombre.

La soirée s'écoule comme toujours dans une brume hébétée, traversée par quelques événements trop habituels ces derniers temps, blagues graveleuses, pincements et regards de mauvais goût. Une fois dans le cagibi qui me sert de chambre, je m'arrête un instant, écrasée devant la lourdeur des jours et l'ampleur de la tâche que je me suis dessinée.

Je me secoue de cette torpeur, fouille à l'intérieur de ma ceinture. À chaque occasion que j'ai, je cache un peu de pourboire des mains avides de mon père. Environ une fois par semaine, je recueille assez de zenys pour voyager jusqu'à n'importe quelle ville voisine, où je peux m'entraîner en secret quelques jours. Mois après mois, je me rapproche de plus en plus de mon but : devenir une mage comme l'oncle Ellessar.

Au couvert de la nuit, je me glisse dans la rue jusqu'à la Kafra. Aujourd'hui, Prontera est ma destination. La grande capitale me permettra de me cacher quelques jours de plus qu'à l'habitude, et comme je suis si près de mon but, je pourrai sans doute me rendre à Geffen avant que quiconque ne retrouve ma trace.