Bonjour ou bonsoir cher lecteur !

Alors, laissez-moi brièvement vous introduire cette fiction. Au départ, ça devait être l'OS numéro 3 pour la Gruvia's week, sur l'Univers Alternatif. Sauf que, bah, plus j'écrivais, plus je prenais conscience de l'immensité de possibilités à exploiter dans cet univers. Et comme ça traînait en longueur, ce qui devait être un One-Shot sera finalement un Three-Shot, joliment nommé The Ocean Call. Voici donc la première partie !

EDIT : En fait non, ce sera une fiction à part entière. J'espère que ça vous plaira !


Genre : Romance/Adventure

Rating : T (pour l'instant)

Pairings : Gruvia, mentions de Gerza en arrière-plan.

Disclaimer : Les personnages de Fairy Tail appartiennent à Hiro Mashima. L'univers est de moi. Bonne lecture !


Chapitre I

— Tempest —


Sur la mer turquoise et calme soufflait un bon vent de l'ouest, gonflant allègrement les toiles blanches et immaculées des voiles du navire. Ouvertes à mi-mât, celles-ci exploitaient la force des éléments avec ravissement, pour une fois que le vent était de leur côté et à leur avantage. Des gerbes d'eau salée venaient s'effondrer sur le pont, accompagnant avec elles l'odeur si caractéristique de la mer qui s'étendait à perte de vue, reflétant le ciel azur occasionnellement troublé de quelques nuages.

Bientôt, les dernières mouettes furent loin derrière eux, de même que la terre ferme qu'ils venaient de quitter ; mais le vent plein d'espoir qui soufflait dans leur dos avait quelque chose de rassurant et n'indiquait que de bons présages, d'après la majorité des matelots.

Les vagues s'écrasaient contre la coque solide du navire, tandis que celui-ci semblait fendre la mer en deux en laissant une trainée d'écume derrière son passage. L'embarcation se balançait doucement au grès des vagues, dans un bercement plus ou moins agréable en fonction de ceux qui s'y trouvaient.

L'un d'eux, justement, sourit en apercevant un autre membre de l'équipage s'approcher de la rambarde du bateau dans la ferme intention de vomir ses tripes. Son teint livide et bien trop pâle pour sa peau légèrement hâlée contrastait étrangement avec la couleur vive de ses cheveux, d'un rose doux mais chaleureux. Vêtu de son écharpe qu'il ne quittait jamais, d'un pantalon de toile brune coupé et retenu aux mollets grâce à des lacets, de sandales en cuir et enfin d'un chemisier blanc laissant apercevoir la musculature développée que lui avait octroyé toutes ces années en tant que marin, il finit par définitivement rendre son repas dans une série de bruits gutturaux, sous les moqueries des autres membres de l'équipage.

Ils avaient beau avoir l'habitude de voir le jeune Natsu Dragneel malade comme un chien dès qu'ils quittaient la terre pour reprendre la mer, le spectacle qu'il offrait s'avérait toujours aussi drôle. Heureusement, le nouveau mousse de l'équipage, une fillette de douze ans à peine aux cheveux aussi bleus que les mers du nord vint apaiser ses souffrances en lui apportant un remède concocté par ses soins, veillant comme elle le pouvait à ne pas glisser sur le pont et égratigner son menton délicat.

Toujours suspendu sur son perchoir, sur un tonneau lui-même adossé au mat, Grey ne pût s'empêcher de sourire. Le pendentif en forme de croix d'argent qui ornait son torse trouva son chemin contre ses lèvres, le laissant apprécier le contact froid contre sa peau. Il portait des vêtements semblables à ceux de son camarade, à la différence près que lui avait d'épaisses mais confortables bottes de cuir et qu'il gardait presque constamment sa chemise ouverte, toute fois lorsqu'il ne l'enlevait pas. La vie de matelot lui plaisait bien ; malgré le fait qu'il soit soumis à un capitaine des plus fermes, il jouissait d'une certaine liberté qui se trouvait être loin d'être déplaisante. Il voyageait beaucoup, voyait des choses plus surprenantes les unes que les autres et faisait des rencontres tout aussi explosives, lorsqu'ils abordaient un autre bateau ou accostaient sur la terre.

Le pendentif en argent de sa chaîne retomba mollement sur son torse, rencontrant un tatouage — visiblement emblématique puisque plusieurs pièces du navire en étaient ornées, de même que les autres membres — qui rappelait une fée stylisée. De couleur bleue foncée, il semblait le définir dans toute son entièreté ; placé sur le cœur, mais silencieux. Sombre en apparence, mais plus important et précieux qu'il ne le laissait croire.

Pour ce qui était des rencontres qui avaient changé sa vie, ça avait d'ailleurs été le cas avec Natsu ; Grey était tombé sur lui par hasart alors qu'il se battait sauvagement contre une bande de malandrins manifestement décidés à s'en prendre à lui. Il n'avait alors pas hésité une seule seconde à venir l'aider, et, munis de leurs poings et de leur bravoure, ils avaient pût en découdre et mettre hors d'état de nuire les bandits, jusqu'à ce que les autres membres de l'équipage ne découvrent les deux garçons.

Ils étaient encore jeunes à cette époque — ils devaient avoir dix ou onze ans, soit il y avait presque huit ans déjà — mais le sens complexe de leur relation s'était bien vite imposé ; ils s'appréciaient autant qu'ils étaient capables de se détester, se battaient sans cesse et échangeaient régulièrement des paroles venimeuses à la moindre occasion. Mais, malgré ça, Natsu Dragneel et Grey Fullbuster étaient meilleurs amis, et la puissance de leur lien surpassait de loin toutes les autres amitiés qui avaient pût fleurir à bord du Fairy Tail, un somptueux et solide navire conçu aussi bien pour la vitesse que le combat.

Natsu fronça des sourcils à l'entente d'un rire moqueur et familier. Après s'être essuyé la bouche, le matelot aux cheveux roses leva un regard blasé vers un certain garçon de son âge aux cheveux bruns au moins aussi ébouriffés que les siens, un sourire narquois et plein de désinvolture aux lèvres.

« Qu'est-ce t'as à te marrer comme ça, hein, Grey ? fit-il à son égard, sur un ton mauvais traduisant parfaitement sa méfiance.

— Rien, démentit faussement ce dernier en levant les mains en guise d'innocence. Je me dis juste que si t'étais pas là, on aurait sûrement moins à manger, en fin de compte. Tu dois nous attirer de belles prises avec ce que tu recraches à la mer...

— Grey-san, intervint la jeune Wendy de sa voix fluette et innocente de petite fille, qui, les mains crispées sur la chemise retenue grâce à un lacet autour de sa taille en guise de robe, sentait la colère de l'autre garçon monter de façon palpable. Ce n'est pas la faute de Natsu-san si...

— Tu veux te battre, caleçon-man ?! », s'écria ce dernier avant qu'elle n'ait pût finir sa phrase, accompagnant le geste à la parole en brandissant un poing furieux vers le ciel.

Wendy soupira et décida de retourner aux cuisines, lasse ; tant pis, elle aura au moins essayé. Tous savaient que dès le moment où ils commençaient à s'appeler par leurs surnoms respectifs — dont la provenance leur restait inconnue —, il n'y avait plus aucune chance de les raisonner.

Grey quant à lui ne tarda pas à répondre aux provocations de son ami, attirant l'attention des autres membres de l'équipage. Parmi eux, une femme aux longs cheveux bruns et bouclés et aux yeux lilas ne pût s'empêcher de pousser un soupir agacé, tout en reposant le tonneau de saké qu'elle s'apprêtait à faire rouler jusque dans la soute pour poser un poing sur sa hanche.

« Quand tu veux, tête brûlée ! Viens là que je te foute la raclée de ta vie ! », s'écria Grey en bondissant de son perchoir pour aller à la rencontre de l'autre jeune homme, piqué à vif par la façon dont son ami l'avait appelé.

Cana, de son prénom, passa machinalement une main dans ses cheveux bruns et remonta les manches de son chemisier, noué au dessus de son ventre où l'on pouvait distinguer le même tatouage qu'aux autres. Un tic agacé déformant momentanément ses traits, elle grommela quelque chose à propos des hommes complètement stupides de l'équipage de ce navire et s'avança vers les deux jeunes garçons, faisant claquer le talon de ses bottes contre le plancher vernis du pont de son pas actif et furieux.

« C'est pas bientôt fini vos conneries ?! vociféra la brune d'une voix forte, ce qui arrêta simultanément et dans un synchronisme aussi précis qu'effrayant les activités de tout l'équipage, Natsu et Grey compris. On a quitté le port d'Hargeon que depuis quelques heures et vous êtes déjà entrain de vous chamailler comme des fillettes à qui on aurait prit la poupée ?! »

Grey et Natsu se consultèrent du regard, visiblement vexés. Néanmoins, le brun se tourna vers la jeune femme et la jugea d'un regard blasé, avant de faire remarquer à son tour :

« Ah ouais ? Et c'est pas toi qu'allait te planquer en douce dans la cale pour piquer dans les réserves de saké ? rétorqua-t-il sur le même ton, tout en lâchant la poignée de cheveux de son ami pour laisser ce dernier s'éloigner.

— Et pourtant, « on a quitté le port d'Hargeon que depuis quelques heures » ... ajouta ce dernier dans un sourire sarcastique, avant d'échanger un regard complice avec le premier, qui s'amusait de voir la belle brune s'offusquer.

— Voyons, voyons... intervint alors un matelot de leur âge et vêtu de manière semblable en passant une main calculée dans ses cheveux roux, un sourire des plus charmeurs aux lèvres. Pourquoi importuneriez-vous cette dame ? ajouta-t-il en glissant un bras autour de la taille de la brune qui lui jeta un regard noir. Cana est quelqu'un de-

— Ta gueule, Loki, le coupa ladite Cana en se dégageant de son emprise avec une grimace écœurée. Et j'suis pas une dame, t'as pigé ?

— Les femmes… », soupira le roux en baissant les yeux vers le déhanché accentué par la démarche pleine de colère de leur compatriote.

Les trois garçons éclatèrent finalement de rire, complices. Il n'y avait bien que Loki à pouvoir dire ça, aux vues de ses nombreuses aventures sans lendemain amorcées lorsqu'ils s'amarraient à un port ; Grey et Natsu étaient quant à eux davantage intéressés par les festins, et donc, les boissons et la nourriture qui leur était proposées. Leur intérêt concernant les femmes n'était pas « réveillé », selon Loki ; mais ils s'en fichaient pas mal, à vrai dire.

Une brise leur apporta les cris du cuisinier, annonçant que le repas était prêt. Immédiatement, le groupe de matelots cessa toute activité pour se rendre à la cale, alors qu'un autre en sortait pour relayer. À la manière d'une horloge qui avait besoin de toutes des pièces pour tourner, un navire avait constamment besoin de son équipage pour fonctionner. Ils se dirigèrent alors vers les cuisines, suivis d'une Cana peu rancunière qui s'invita rapidement et naturellement dans la conversation.

Et, pour la énième fois, Grey songea qu'il n'aurait changé ça pour rien au monde.


Le vent avait soufflé toute la journée, caressant les flots d'un effleurement léger. Ils étaient en plein milieu de l'après-midi et Grey s'ennuyait ferme lorsque la cabine du capitaine s'ouvrit soudainement avec violence, le panneau de bois rencontrant le mur dans un vacarme assourdissant.

Aussitôt, le silence retomba sur la totalité de l'équipage, seulement bercé par le chuchotement des vagues et les plaintes silencieuses du vent. Après avoir échangé un regard curieux avec Natsu, Grey quitta les mâts et s'approcha davantage, son fidèle meilleur ennemi sur les talons.

Quelques secondes plus tard, un homme à peine plus âgé qu'eux réajusta le large chapeau qui indiquait son statut de quartier-maître sur ses cheveux bleus et baissa vers eux un visage calme et posé, dont la régularité des traits était interrompue par un tatouage de couleur rouge qui barrait le côté droit de son visage. D'une étrange forme aux arabesques stylisés, il rappelait sans mal les symboles utilisés dans les temps anciens pour marquer l'appartenance à un clan ou sceller l'esprit d'un démon ; mais personne n'avait jamais osé le lui demander en face, peut-être trop impressionnés, ou simplement parce qu'eux aussi avaient un secret à garder.

Tous se turent, autant par curiosité que par respect ; Gérard Fernandez était un homme qui, sans s'imposer, avait apprit avec le temps à gagner et mériter l'estime et l'amitié de ses hommes. Grey comme Natsu avaient entendu des histoires étranges à son propos, ce qui les avaient au départ fait douter et entaché leur fidélité. Désormais, le regard qu'ils posaient sur lui était emprunt de confiance et d'amitié, démonstration de la puissance du lien qui les liait. Il était plus que fidèle à leur capitaine, et tous les membres de l'équipage de ce navire le savaient.

Natsu donna un coup de coude à son ami, un sourire mesquin aux lèvres.

« À ton avis, qu'est-ce qu'il faisait avec m'dame la capitaine, hein ?

— C'est pas comme si c'était un secret d'Etat... soupira Cana à côté d'eux, avant d'avaler quelques gouttes de la flasque qu'elle portait constamment à sa ceinture.

— Bah, pour ce qu'on en a à foutre, de l'Etat... »

Les jeunes gens sourirent à la remarque du brun et levèrent les yeux vers leur bien-aimé capitaine, tout juste arrivée aux côtés de son subordonné. Fière et droite comme un piquet, elle posa sur eux un regard dur mais néanmoins attentionné.

« Cap'taine ! la saluèrent plusieurs hommes d'un mouvement de tête, aussi pieu que ravi.

— Messieurs. »

Erza sourit avec bienveillance, sa chevelure rougeoyante virevoltant au grès du vent. Elle portait également un chapeau sombre, assorti au corset en cuir qui comprimait à peine sa généreuse poitrine dans un décolleté des plus ravageurs, superposé à un simple chemisier clair. Du côté gauche de sa ceinture pendaient une rapière argentée et un pistolet ; de l'autre, une arme à feu à plus courte portée mais plus fort impact, une longue-vue et un sabre d'abordage.

Cana fronça des sourcils en voyant que leur capitaine avait sorti les armes ; Natsu et Grey, quant à eux, se regardèrent mutuellement et sourirent.

« Elle a sortit du lourd là, quand même, chuchota Cana, dubitative.

— Hein ? De quoi, ça, du lourd ? fit Natsu avec un sourire.

— Tu déconnes, Cana. Ça, c'est ce qui est visible. J'suis sûr qu'elle pourrait avoir un flingue planqué entre ses seins que personne n'aurait rien remarq-

— Oh, lui, si, le coupa la brune en désignant le quartier-maître, qui sembla les avoir vu et les rappela à l'ordre d'un regard sage.

— Pff. Soumis, commenta Natsu avec dédain.

— Avec elle, j'veux bien comprendre, fit remarquer un certain rouquin en arquant un sourcil, arrachant un rire aux deux autres.

— Rah, mais merde Loki, ferme-la ! », siffla la brune, consciente que Gérard attendait le silence pour inviter leur capitaine à prendre la parole.

Les trois garçons étouffèrent un ricanement moqueur et levèrent les yeux vers le gaillard arrière du navire, d'où les surplombaient leur bien-aimée capitaine et son second. Après une longue minute au silence insupportable, la célèbre Erza Scarlett prit un air sérieux et dégaina son sabre. Et, tous le savaient ; le sourire carnassier qu'affichaient ses lèvres ne présageait que du bon à venir.

« Mes amis ! tonna-t-elle à voix haute. Le vent n'a pas été que de notre côté, aujourd'hui. On nous a signalé la présence d'une galère marchande à seulement quelques lieues d'ici ! »

Le ravissement des matelots se fit entendre, dans un seul et même rugissement aux notes déjà victorieuses. Le sourire de la rousse s'agrandit. Même son second ne pût s'empêcher d'en esquisser un, face à cet enthousiasme grandissant.

Grey rit de bon cœur, alors que Natsu s'époumonait au dessus du brouhaha :

« Et alors quoi ? Qu'est-ce que la grande Titania peut avoir à nous dire pour daigner sortir de sa cabine, hein ? »

Les rires des matelots suivirent sa question. Le sourire d'Erza se fit plus tendre, alors que son regard brun brillant de justice et de sincérité se posait sur lui — il ne disait pas ça par pure insolence, à vrai dire ; c'était même plus une façon pour eux de se rappeler quels étaient les liens qui les liaient qu'autre chose.

Titania. Ce nom aux sonorités sauvages et victorieuses qu'on lui avait attribué — sans qu'elle ne sache vraiment pourquoi — suite aux batailles navales qu'elle avait menées à bien, sous son propre étendard symbolisé de la même façon que le tatouage que portait chaque membre de l'équipage.

Le sien, d'une couleur bleu roi et placé sur son bras gauche sembla accrocher les regards admiratifs de ses hommes, tout juste visible en dessous de la manche glissée de façon à ce qu'il puisse être visible de sa chemise. Elle avait beau être très jeune, c'était déjà quelqu'un de suffisamment aguerri pour avoir une place de choix et durement méritée au sein du panthéon des plus courageux enfants que la mer ai un jour bercé sur ses flots. De l'est jusqu'à l'ouest, du nord au sud, sur terre comme sur la mer, quiconque évoquait la couleur rouge avait toujours une pensée pour la célèbre Titania, reine de fées déchues dansant au milieu du sang de ses ennemis. Les membres de son équipage en faisaient partie parce qu'ils l'avaient mérité ou parce qu'il n'avait nulle part où aller ailleurs ; mais tous portaient ce statut avec fierté et faisaient honneur à leur capitaine.

Alors qu'elle s'apprêtait à répondre, le son lointain de cloches se fit entendre, plainte éloignée surpassant le murmure des flots.

Tous tournèrent la tête vers la source de la rumeur, d'un seul et même mouvement. Au loin apparaissait une petite tâche noire sur l'horizon, grossissant de secondes en secondes au fur et à mesure de leur progression sur les flots. Tous retinrent leur souffle ; Grey, lui, sourit sans même s'en rendre compte, l'adrénaline exaltant ses sens.

« Ce serait pas de cette galère dont vous parliez à l'instant, Cap'taine ? fit à nouveau Natsu en avisant l'étendard fleuri marquant l'appartenance du navire à la flotte royale, un sourire semblable à celui d'un prédateur aux lèvres.

— Je crois bien que si, Natsu, acquiesça la rousse, dont le visage se para d'un sourire semblable au sien. Elfman ! héla-t-elle ensuite à l'attention d'un homme à la peau basanée et aux cheveux clairs, visible grâce à sa gigantesque carrure derrière la barre. Cap sur ce navire !

— Oui Capitaine ! », affirma celui-ci d'une voix grave, avant de diriger le bateau en faisant tourner le gouvernail d'un mouvement expert et naturel.

La gigantesque embarcation changea de direction, poussée par le vent, faisant gémir les flots. Les ordres de Gérard suivirent ceux de son capitaine ; bientôt, une foule d'hommes se précipita vers les mâts pour ouvrir la grand-voile, tandis que d'autres se dirigeaient vers la salle d'armement dans la cale du navire.

« Préparez-vous au combat ! », ordonna ensuite le quartier-maître, portant lui-même une main prudente aux deux pistolets qui pendaient à sa ceinture.

Grey et Natsu se sourirent ; bientôt, le premier fut équipé d'un pistolet et de deux sabres d'abordage, à la lame courte mais légèrement recourbée. Un poignard reposait contre sa cuisse, gentiment rangé dans un fourreau de cuir. À la manière de son ami, Natsu s'équipa lui d'un seul sabre mais de deux pistolets de chaque côté de la ceinture, ainsi que deux autres croisés dans son dos ; un certain engouement pour les armes à feu, sûrement.

« Grey ! Natsu ! »

Les deux jeunes hommes levèrent les yeux vers leur capitaine, aux aguets.

Erza sourit. À cet instant, en plus d'être leur capitaine, elle était leur amie, celle sur qui ils pourraient toujours compter, mais également celle qui dépendait d'eux tout comme ils le faisaient à son égard.

« Celui qui en ramasse le plus aura le droit à sa part ! déclara-t-elle enfin par-dessus le brouhaha infernal, sur un ton invitant au défi. Hissez nos couleurs ! »

Quelques minutes plus tard, hissé en haut du mat, Grey rendit son sourire à son ami, comme toujours l'un des premiers à être prêt au combat. L'adrénaline montait à toute vitesse aux alentours et se faisait clairement ressentir, la tension autour d'eux devenant palpable ; mais c'était plus exaltant et excitant que n'importe quoi d'autre au monde.

Et, de loin, on pouvait voir hissé au mat le plus haut et le plus visible un pavillon noir, frappé de l'emblème que tous l'équipage de Fairy Tail arborait avec fierté. Un emblème rouge sang, à l'image de la chevelure de feu de leur célèbre capitaine. Un symbole que tous avaient décidé de porter, face aux trop nombreuses injustices de la vie qui leur avait tant prit. Une responsabilité à assumer, un statut dangereux, synonyme de risques nombreux et d'une vie difficile ; mais également un symbole de liberté, celle-là même qui brûlait au fond de chaque homme.

Claquant au vent, cet étendard sanglant n'était autre qu'un pavillon de pirates.


Natsu arriva aux côtés de Grey, passablement essoufflé. Il se tenait l'épaule en grimaçant et observa les petites embarcations s'éloigner dans un juron.

« Pff. C'est ça, barrez-vous, grogna-t-il en grimaçant à cause de la blessure qu'il avait à l'épaule, regardant les marins du navire qu'ils venaient de réquisitionner prendre la mer à bord de chaloupes de sauvetage.

— Te plains pas, souffla Grey en retenant un gémissement, retirant une main poisseuse de sang de son front, où s'était dessinée une profonde estafilade. Ces mecs là se sont pas laissés faire. », affirma ensuite le brun avec un sourire amer.

Natsu examina sa blessure d'un œil attentif et souleva délicatement les mèches de cheveux plaquées par la sueur et le sang sur le front du brun. Ce dernier scruta les traits exténués du visage de son ami, en attente d'un verdict ; malgré son appréhension, Natsu haussa des épaules et lui lança un sourire jovial, avant de s'écrier avec bonne humeur :

« Bah, de toute façon, on s'en fiche ! On l'a prit, ce rafiot. Y'aura sûrement de quoi te soigner ici, ajouta-t-il, un peu plus bas cette fois-ci, avant de s'écrier avec enthousiasme : On est les meilleurs ! »

Grey lui rendit son sourire et acquiesça. Puis, après avoir passé un bras sous les aisselles de son ami, ils s'entraidèrent tous les deux et se dirigèrent vers le pont principal, d'où venaient des clameurs victorieuses.

Couverte d'un mélange de poussière, de sueur, de sang — qui n'était probablement pas le sien — et d'eau salée, Erza dégaina son épée, son autre main tenant déjà son sabre. Le silence retomba, accompagné de son pas calme et droit, accentué par le tapement régulier du talon vernis de ses bottes sur le sol du pont.

Au sol, le capitaine du navire sur lequel ils se trouvaient la darda d'un regard haineux, à genoux, mais ne dit rien : Gérard se tenait à côté de lui, prêt à lui ficher une balle dans la tête à la moindre tentative de quoi que ce soit de sa part.

Ses yeux sombres brillant derrière d'épais sourcils noirs, le capitaine Arcadios garda néanmoins la tête haute et affronta courageusement le regard de la jeune femme, qui examinait les décorations qu'il portait sur les somptueux vêtements dont il était vêtu d'un œil intéressé.

« On aime les choses qui brillent, petite fille ? », s'osa-t-il à demander avec un sourire narquois et insolant, avant que Gérard ne le rappelle à l'ordre d'une pression sur la tempe.

Grey sentit son sang ne faire qu'un tour ; à la vue du reste de l'équipage, il comprit que c'était également leur cas, de même pour Natsu dont les muscles s'étaient brusquement tendus sous la soudaine colère qui s'était emparée de lui.

Ils n'étaient pas des hommes et un capitaine. Ils étaient le même emblème, le même symbole, la même force, le même étendard. Ils n'étaient pas des pantins et un donneur d'ordre.

Mais bel et bien un équipage. Une fratrie. Une famille.

Erza ne releva pas. Le visage impassible, elle remonta simplement vers son visage et pointa celui-ci du bout de son épée, l'obligeant ainsi à se plier sous son regard franc. Grey, Natsu, Loki, Cana et tous les autres ne dirent rien ; il y avait eux, et ce capitaine. Il était seul ici, perdant sur son propre navire — et les chances pour qu'il reste en vie se minimisaient de secondes en secondes. Alors ils respectaient cette bravoure par ce silence, lui laissaient au moins la possibilité de mourir avec honneur.

Ils étaient des pirates, certes. Des brigands, des tueurs, des voleurs ; mais ils étaient Fairy Tail, surtout.

Ceux qui voyaient plus de valeur dans la vie que dans n'importe quoi d'autre.

Alors Titania baissa sa lame, dont la pointe fut tachée de quelques gouttes pourpres. Fière dans la victoire, elle le regarda de haut, avec toute sa grandeur de guerrière, toute sa beauté de femme, tout son honneur de capitaine. Elle le jugea encore quelques secondes, le regard droit et juste — et personne ne rompit le silence, n'osa seulement dire un mot.

« Pourquoi la marine vous aurait-elle confié un navire de cette taille, si vous n'avez même pas prit la peine de nous défier ? demanda-t-elle enfin, sur un ton marquant sa supériorité mais pas moins irrespectueux.

— Tout le monde parle de vos exploits en tant que pirate, Titania. Le conseil regrette l'époque où vous et votre subordonné étiez au service de la marine royale... », répondit enfin l'homme en gardant les yeux baissés.

Gérard lui mît un léger coup de canon sur la tempe, comme pour lui rappeler sa présence. Même après un abordage dont la violence avait valu la vie de beaucoup de marins, il n'était blessé que de quelques contusions et le sang qui maculait sa manche n'était certainement pas le sien. Ses yeux verts mouchetés de paillettes dorées luisant à la lueur d'un soleil couchant, le quartier-maître fronça des sourcils, méfiant, et redemanda posément :

« Vous vous dirigiez vers le nord-est. Pourquoi ? reprit-il, sous le regard grave de son capitaine.

— Ces hommes n'étaient guère entrainés, répondit l'homme à contrecœur. Vous l'avez sûrement remarqué, vu l'évidente facilité avec laquelle vos hommes les ont massacrés, siffla-t-il plus bas, tout en défiant le quartier-maître du regard. Nous voulions seulement nous approcher de la terre pour qu'ils puissent se reposer.

— Le port d'Hargeon se trouve à quelques lieues d'ici à l'ouest, objecta la rousse en arquant un sourcil. Pourquoi ne pas être allé là-bas ?

— À quoi bon ? Ils sont presque tous morts... », souffla Arcadios en baissant les yeux.

Gérard ne répondit pas ; Erza non plus. Grey sentit Natsu se calmer et baissa les yeux. Arcadios n'avait pas tout à fait tord, ces marins ne devaient pas avoir l'habitude d'être prêts en cas d'attaque surprise. Néanmoins, certains s'étaient bien défendus, comme pouvaient le témoigner les blessures des deux jeunes pirates, qui comme toujours s'étaient dirigés vers les plus aguerris — une façon pour eux de montrer qui était le plus fort, de protéger les moins expérimentés ou simplement à cause de leur goût du défi, peut-être.

Erza finit par ranger son épée et son sabre dans leurs fourreaux, coupant ainsi court à la discussion.

« Qu'importe. Votre choix a été le bon, et je suis heureuse que vous ayez été assez sage pour épargner la vie de vos hommes en vous proposant comme prisonnier en échange de la leur. J'admire cette initiative Arcadios, vraiment, insista-t-elle en balayant le pont maculé de sang et cadavres de son regard bronze, ignorant le regard étonné que le capitaine posa sur elle. Grey, Natsu ! appela-t-elle alors en les cherchant des yeux. Mettez-le aux fers et voyez s'il y a des prisonniers pour les interroger sur la cargaison. Vous autres ! reprit-t-elle ensuite en observant chaque membre de son équipage un à un. Prenez tout ce dont vous avez besoin et qui pourra ravitailler notre navire. Gérard, avec moi. »

Tous s'exécutèrent avec une joie non-dissimulée. Erza fixa Natsu et Grey un moment.

« Vous savez ce que vous avez à faire, souffla-t-elle à leur attention, en désignant le capitaine du menton. Soyez prudents. »

Les deux garçons empoignèrent fermement le capitaine et acquiescèrent en silence.

Ils savaient.

Mais ni l'un ni l'autre n'auraient été capables d'imaginer ce qui allait se produire ensuite.


« Et voilà, fit le pirate aux cheveux clairs en refermant la porte du cachot. Vos cages ne sont pas très solides, constata ensuite Natsu en testant la solidité des barreaux.

— Hm. Ça fera bien l'affaire, fit Grey en faisant de même. Ils tiendront au moins une nuit, le temps qu'on s'en aille. »

Derrière les barreaux, Arcadios les observa avec confusion, grimaçant à cause des fers qu'il avait aux poignets. Il ne comprenait pas ; n'étaient-ils pas des pirates, des hommes sans pitié, sans honneur ?

« Mais vous me laissez quand même ici. Pourquoi ne pas simplement me tuer ? »

Les deux pirates posèrent sur lui un regard étonné.

Natsu se contenta de le fixer en silence, grommela quelque chose comme quoi ces marins de la capitale étaient tous des imbéciles et s'en alla en haussant des épaules, massant son bras douloureux. Grey, lui, soutint son regard un peu plus longtemps — il avait comprit que son ami comptait le laisser parler — avant de répondre dans un souffle :

« On est peut-être des pirates, ça ne fait pas obligatoirement de nous des gens mauvais. On tue. On vole. Mais on le fait pour vivre. Ta mort ne nous apportera rien. », fit-il simplement en lui jetant un regard froid, presque hautain.

Lui et ses amis n'étaient pas des hommes mauvais ; seulement les victimes d'un destin trop cruel.

Arcadios baissa les yeux et ne dit rien, préférant sûrement garder sa noblesse plutôt que d'insulter ceux qui avaient décidé de lui laisser la vie sauve. Alors, après un dernier coup d'œil, Grey s'éloigna des barreaux pour s'aventurer davantage dans le navire ; Erza leur avait dit qu'ils pourraient garder ce qu'ils trouveraient, après tout. Autant profiter du fait que ses compagnons ne se ravitaillent en nourriture pour se remplir les poches de cette cargaison si précieuse qu'ils transportaient.

Ses pas le menèrent enfin jusque dans un coin de la cale, où les contours d'une porte aux lourds gonds de métal étaient dissimulés par plusieurs tonneaux de poudre. Grey fronça des sourcils en étudiant leur disposition avec méfiance et regarda brièvement aux alentours ; ils semblaient avoir été placés comme cela à la va-vite. Comme pour cacher quelque chose.

Cette chose qui changera tout.

Après un instant d'hésitation et un regard prudent en arrière, le jeune pirate attrapa le premier tonneau et le fit rouler jusque contre la paroi en bois de la coque, faisant ainsi de même avec les autres ; en une dizaine de minutes, il avait déjà dégagé une bonne partie du passage, suffisamment du moins pour pouvoir ouvrir la mystérieuse porte.

Il aurait peut-être dût faire davantage attention. S'être montré plus prudent.

Mais il était Grey Fullbuster, un pirate de Fairy Tail. Un de ceux qui n'abandonnaient jamais, qui se moquaient ouvertement du danger.

Grey chargea tout de même son pistolet qu'il garda à la main, par pure précaution ; cette porte était trop bien gardée pour ne pas présenter un éventuel danger. Dans le pire des cas, mieux valait ne jamais être trop prudent, combien même il aimait les défis.

Elle fut difficile à ouvrir. Les gonds étaient complètement rouillés, et le brun dût forcer sur ses muscles endoloris pour parvenir à faire sortir le battant de bois de son socle en le tirant vers lui. Grey remarqua aussitôt et avec perplexité que le bas de la porte était rongé par la moisissure et l'humidité ; pour un bateau, c'était bien normal, mais pourquoi n'y en aurait-il que pour celle-ci ?

La réponse lui parvint bien assez vite une fois que la porte failli lui tomber dessus, après qu'il l'ait quasiment fait sortir de ses gonds dans une série de jurons particulièrement acerbes.

Et qu'il se retrouva trempé jusqu'aux os, comme si une vague s'était écrasée de toutes ses forces sur son corps déjà fatigué.

« Mais qu'est-ce que c'est que ce- »

Grey se tut, complètement figé. Sa mâchoire se décrocha.

Et son cœur rata un battement.

Il y avait cette femme — ou autre chose, il ne savait pas ce qu'elle était. Sa peau était pâle, comme si elle n'avait jamais vu le soleil de toute sa vie. Pâle, mais, d'une étrange façon, elle lui parut plus belle que celle de Cana, si élégamment basanée, où celle d'Erza, épurée de toute trace de combat et de cruauté. Sa respiration était difficile, sifflante ; n'importe qui aurait pût deviner qu'il s'agissait d'une prisonnière rien qu'en la voyant.

Grey se sentit tomber en arrière et atterrit au sol sur les fesses, dans un « plouf » retentissant qui brisa le doux clapotis de l'eau.

Eau qui parvenait d'elle, d'ailleurs — de cette femme, de cette créature. Le pirate cligna des yeux en voyant qu'elle s'échappait de ses poignets, retenus par des fers rouillés.

Mais qu'est-ce que c'était que ce bordel ?!

Cette chose, attachée par deux chaînes suspendues au mur. Cette chose, dont la chevelure humide aussi bleue que les mers du sud tombait mollement sur la peau laiteuse de ses épaules, sous la forme d'ondulations rappelant le remous délicat de l'eau prise entre deux courant chaud. Le jeune homme se sentit rougir malgré sa surprise en constatant qu'elle était complètement nue, ses cheveux ne suffisant pas à dissimuler les contours rosés et charnus de sa poitrine dévoilée ; mais ses jambes ne ressemblaient pas tout à fait à des jambes — pas à des jambes humaines. Ses mollets, robustes mais à l'apparence délicate étaient recouverts d'une membrane ...écailleuse, qui accrochait les rares particules de lumières pour les refléter sur les parois de bois, à la manière de l'eau, quoiqu'en légèrement plus scintillant. Grey fronça des sourcils, interloqué, en distinguant un faible remous dans l'eau, qui dissimulait ses chevilles. En y regardant d'un peu plus près, une partie de sa cuisse gauche et de son abdomen portaient également cette membrane, qui lui rappelait les couleurs chatoyantes des poissons frais pêchés du matin sous le soleil du marché, lorsqu'il n'était qu'un gamin innocent et ignorant de tout ce que la vie pouvait apporter — bon comme mauvais.

La réalité s'imposa bien vite, alors qu'il se relevait avec prudence. Elle n'était pas comme lui. Elle était différente.

Elle n'était pas humaine.

Le pirate hésita à faire demi-tour, mais s'arrêta en la regardant avec plus d'attention. Il ne pouvait pas encore clairement distinguer les traits de son visage, mais il pût voir que ces yeux étaient clos. Avec appréhension, il s'éclaircit la gorge pour se donner contenance et s'approcha prudemment ; elle ne devait pas être attachée pour rien. Elle n'était sûrement pas là, enfermée, enchaînée et cachée aux yeux de tous pour rien.

Mais alors, qu'est-ce que ça cachait, justement ?

Une violente secousse ébranla le navire, l'envoyant de nouveau dans la mare d'eau salée dans un cri surpris.

L'esprit encore embrouillé, Grey tenta néanmoins de garder son sang-froid et jeta un regard en arrière, observant les tonneaux rouler d'un côté à l'autre de cale avec effarement ; le bateau bougeait trop. Bien trop. Ce n'était pas normal.

« Natsu ! Eh, y'a quelqu'un ?! s'époumona-t-il avec force, dans l'espoir que quelqu'un, n'importe qui puisse l'entendre. Natsu ! »

Son ami ne pouvait pas être bien loin, après tout. Une nouvelle secousse tenta de le faire tomber ; cette fois-ci, il s'accrocha précipitamment à l'une des nombreuses chaînes suspendues, mais la relâcha sitôt qu'il perçut un mouvement de la part de la jeune femme inconsciente — inhumaine, captive. Elle était retenue par deux de ces chaînes, les bras tendus vers le plafond.

Une grimace de dégoût se peint sur son visage, et il regretta brusquement qu'Erza n'ait pas transpercé le ventre d'Arcadios de son épée ; qui étaient donc ces hommes pour oser infliger ça à quelqu'un ?

Il revint sur ses pensées en étudiant attentivement l'anneau qui semblait retenir et relier toutes les chaînes entre elles, le cœur battant ; ça bougeait trop. Ce n'était pas normal, la mer était pourtant calme lorsqu'ils avaient attaqué le navire, il y avait à peine quelques heures de cela. Est-ce qu'une tempête pouvait vraiment se lever aussi vite ?

Le jeune homme garda son sang froid et empoigna fermement la crosse de son pistolet, déterminé à libérer la jeune femme — ou ce qu'elle était — avant de tenter quoi que ce soit d'autre. Il ne pouvait pas la laisser dans cet état, combien même le bateau menaçait de chavirer d'une seconde à l'autre. Pas alors qu'il l'avait découverte comme ça, dans cet état là.

L'anneau était rouillé ; il s'acharna alors de toutes ses forces à le briser, au moins pour pouvoir en tirer les chaînes qui retenaient la créature prisonnière et s'en aller d'ici, quitte à la porter sur son épaule. Il ne pouvait pas prendre le risque de s'attaquer directement à celles qui reliaient ses poignets ; il aurait pût facilement les briser. Et, ses pistolets ayant suivit sa chute dans l'eau, il doutait de leur efficacité, dans l'hypothèse où la poudre aurait été humidifiée ; ils étaient donc pour le moment inutilisables, aussi se servait-il du manche renforcé d'une épaisse pièce de métal pour le briser.

Une autre secousse ébranla le navire ; cette fois-ci, Grey pût percevoir l'écho lointain de cris.

« Natsu ! Je suis là ! », essaya-t-il à nouveau, tout en redoublant d'ardeur pour libérer la créature.

Après un coup plus vigoureux que les autres, l'anneau finit enfin par céder ; aussitôt, le pirate ouvrir les bras et attrapa la jeune femme inconsciente avant qu'elle ne tombe. Elle était brûlante de fièvre et respirait difficilement, inconsciente et probablement loin de se réveiller ; mais il ne pouvait pas se résoudre à la laisser ici.

Grey observa un instant son visage, maintenant qu'il pouvait le voir ; et, en détaillant minutieusement les courbes gracieuses et régulières de ses traits douloureux, il se demanda ce qu'elle avait bien pût faire pour mériter un tel traitement. Pour mériter ça.

Le bateau tangua dangereusement sur un côté ; cette fois-ci, il entendit clairement le bois plier et craquer sous la violence du choc.

Mais un choc dû à quoi ?

Le mouvement qui suivit ne le surprit pas — moins, en tout cas. Néanmoins, Grey dût bondir à toute vitesse pour éviter les tonneaux qui roulaient vers eux, et s'écrasèrent finalement contre la paroi de bois en déversant leur contenu au sol. Le pirate plissa les yeux et fronça des sourcils en reconnaissant l'odeur ; de la poudre. Soudain, des bruit de course se firent entendre, faisant battre son cœur à tout rompre dans sa poitrine ; il la tenait toujours contre lui, surpris par son poids, plus léger qu'il ne l'aurait pensé.

« Natsu ! répéta à nouveau le brun en criant. Eh, tête brûlée ! Je suis là !

— Grey ! », lui répondit précipitamment la voix de son ami.

Le brun se figea ; il y avait quelque chose qui n'allait pas. Ça s'entendait rien qu'à la façon dont il lui avait répondu — et ça l'inquiéta, brusquement.

Natsu paniquait. Ça n'allait pas.

Le brun ne comprit cette inquiétude qu'en voyant un Natsu en sueur et ensanglanté débouler de nulle part dans son champ de vision. Il n'eut pas le temps de réfléchir ; un coup de feu retentit, et la seconde d'après, une giclée de sang fleurissait de l'épaule déjà blessée du garçon, qui ne retint pas un cri de douleur.

Son regard vert et paniqué croisa le sien, figé.

« Grey, tire-toi ! lui hurla le pirate aux cheveux clairs, d'un ton aussi bien autoritaire que désespéré. La cargaison, c'est ça ! continua-t-il les dents serrées en tirant le pistolet qu'il avait croisé dans son dos de son étui.

— ... Ça ? »

Tremblant, Natsu voulu s'emparer de son sabre ; la secousse qui ébranla le bateau l'envoya bouler de l'autre côté, contre le panneau de bois qui devait servir d'ouverture pour aérer l'intérieur du navire. Une trainée de sang s'y dessina, avant qu'il ne se décroche pour tomber à l'extérieur et ne laisse entrer la lumière.

Les yeux gris du brun s'arrondirent ; la mer était bleue. Le ciel était rouge. Le soleil se couchait. Il n'y avait pas un nuage, pas un seul. À peine un peu d'écume.

Et pourtant, une vague gigantesque était juste entrain de se lever. Soudainement, sans raison.

Et pour avoir vécu pratiquement la moitié de sa vie en mer, Grey savait que non, ce n'était pas normal.

Le brun se tourna vers son ami, son sang froid soudainement envolé. Ce dernier venait de serrer un garrot autour de sa blessure, pas si étonné de voir que la mer s'était déchaînée. Il en savait manifestement plus que lui.

« Natsu ! Mais qu'est-ce qu'il se passe, bordel ?!

— Dégage je t'ai dit ! Je peux m'en occuper, me gêne pas, grogna ce dernier en chargeant son pistolet.

— Mais non d'un- »

Sa voix mourut dans sa gorge — encore ; et, inconsciemment, il raffermit la prise qu'il avait autour de la jeune femme, tout sauf sûr de lui.

Arcadios jugea son emplacement du regard et sourit. D'un sourire mauvais. D'un sourire calculé, maculé du sang qui coulait d'une blessure de son visage, jusque sur son armure dont la coque de métal était grossièrement enfoncée par endroit.

Grey ne comprit pas quelle était la nature de la menace lorsque le capitaine fit passer le canon de son arme de Natsu à lui. Natsu, en revanche, comprit bien vite, et se releva avec la force du désespoir dans un cri enragé.

« Grey, va t'en ! Sauve-toi ! »

Ce dernier avait reculé de quelques mètres, jusqu'à se retrouver acculé contre les chaînes qui avaient retenues la prisonnière qu'il venait de libérer. Il entendit Natsu hurler son prénom. Il vit Arcadios tirer. Son cœur rata un battement, sa respiration se coupa ; il avait comprit.

Et la poudre s'embrasa dans une gigantesque explosion.


Erza appuya sur la détente sans même réfléchir — trop blessée, trop confuse, trop triste, trop en colère. L'impact se fit ressentir jusque dans son bras, son épaule, son cœur, son esprit. Le coup de feu était parti.

Il n'y eut rien d'autre ; que le silence. Le son de la mer, calme à nouveau. Les flots contre les parois du Fairy Tail. Un dernier souffle, peut-être. Une éclaboussure pourpre sur le pont.

Et le corps jeté à l'eau.

Gérard posa silencieusement sa main sur son épaule ; elle ne dit rien. Elle ne pouvait rien dire, rien penser, à peine réfléchir. Elle savait qu'elle avait fait ce qu'il fallait faire, qu'il était de son côté, qu'il la soutenait. Une larme roula sur sa joue à la vue de l'autre bateau, les flammes qui s'en échappaient brillant dans la nuit et se reflétant dans son regard bronze, dévasté par une douleur silencieuse. Tous faisaient comme elle ; ils regardaient. Pleuraient, parfois. Se questionnaient, regrettaient. Se demandaient si c'était seulement possible. Pourquoi, comment s'était arrivé. Pourquoi lui. Pourquoi comme ça.

Pourquoi ?

Le cœur de la capitaine se serra douloureusement ; mais elle reteint ses sanglots et ravala ses larmes de toutes ses forces et puisa sa force dans le geste tendre de son second. Pour son équipage. Pour ses hommes. Pour sa famille.

Pour Grey, le seul devant qui elle s'était autorisée à pleurer.

Une porte s'ouvrit avec violence ; elle ne se retourna même pas. L'emprise qu'avait la main sur son épaule s'accentua ; il allait falloir qu'elle encaisse ça. Il sera là pour l'aider et la soutenir ; mais c'était à elle de le faire.

Elle était prête.

« Natsu-san, il ne faut pas que tu-

— C'est quoi ce bordel ?! »

Des pas lourds et furieux se firent entendre, raisonnant jusque dans le sol du pont comme dans le cœur des hommes. Tous s'écartèrent silencieusement sur le passage de celui qui devait sûrement plus souffrir que n'importe lequel d'entre eux ; presque chastement et dans un simple mais nécessaire geste de soutien, pour une fois, Loki attira une Cana en larmes dans ses bras et regarda Natsu s'avancer vers Erza, couvert de bandages ensanglantés et grimaçant de douleur à chaque pas qu'il faisait. Son épaule était salement amochée et son bras couvert de brûlures. Les autres l'avaient retrouvé inconscient, dissimulé derrière un lourd panneau de bois l'ayant protégé de la gigantesque et soudaine déflagration, cause de tout ce malheur. Arcadios avaient été retrouvé dans un état semblable ; mais Erza n'avait pas mît longtemps avant d'appliquer la sentence et l'avait tout bonnement condamné à mort, trop bouleversée, trop horrifiée d'avoir indirectement provoqué cet événement. La peau tannée de Natsu était maculée d'un mélange d'eau et de cendre, qui s'était collé aux blessures douloureuses qu'il avait, menaçant de les infecter.

Mais il ne recula pas. Ne s'arrêta pas ; et c'est sûrement ce qui leur fit le plus de mal, à tous.

« Mais qu'est-ce que vous foutez, tous ?! C'est pas le moment de pleurer ! Il faut le retrouver ! hurla le jeune pirate en s'adressant à ses compagnons, une veine de colère battant furieusement à sa tempe. Bougez-vous !

— Natsu, le prévint fermement Gérard en soutenant durement son regard. Arrête ça. C'est déjà assez difficile à accepter...

— Et à accepter quoi, hein ? répliqua le jeune pirate sur le ton de la provocation. Que vous êtes tous qu'une bande de trouillards, de lâches ? Qu'on est entrain de regarder un pauvre rafiot en flammes brûler alors que Grey est peut-être enco-

— Grey est mort, Natsu, trancha Titania en écartant son second d'un geste, prête à endurer ce qu'elle savait être la chose la plus douloureuse qu'il soit. Il est mort. Il ne reviendra pas. », répéta-t-elle ensuite en se mordant férocement la lèvre inférieure, se sachant au bord des larmes.

Elle cru sentir son cœur sombrer dans sa poitrine en voyant le visage du jeune homme se décomposer et blêmir, alors que sa colère laissait place à l'incompréhension. C'était dur, trop dur. Son cadet sembla tomber des nues, alors que son regard se perdait dans le vide.

Sans doute Natsu serait-il tombé au sol, si Erza ne s'était pas brusquement avancée pour le soutenir.

Les paroles de la capitaine résonnaient à l'infini dans sa tête, tandis qu'il s'accrochait à elle aussi désespérément qu'il essayait de capter la réalité, cette réalité dont il ne voulait pas. Son cœur avait comme cessé de battre.

Ce n'était pas possible.

« Tu étais là aussi, non ? Tu as vu, reprit la rousse d'une voix étranglée par la douleur qu'elle tentait de brider. Tu l'as vu, répéta-t-elle en le serrant davantage dans ses bras.

— Mais... Vous l'avez vu, vous ? Vous l'avez trouvé ? Vous avez cherché, avant de...

— Il est mort, Natsu. »

Les larmes s'échappèrent des yeux verts et écarquillés du garçon.

Mort. Mort. Mort.

Un sanglot secoua douloureusement sa poitrine, alors qu'il cherchait désespérément sa respiration.

Grey et mort. Deux mots qui n'allaient pas ensemble. Deux mots qu'il ne voulait pas entendre. Deux mots qui n'auraient jamais dût de trouver dans la même phrase — pas comme ça.

Il lui en voulait. Alors que dans les sphères d'onyx de ses yeux débordant de larmes sincères se reflétait le brasier dévorant continuellement le bateau de la marine dont ils s'éloignaient, c'est la seule chose qu'il parvint à tirer de la douleur qui s'évertuait presque à l'empêcher de respirer, de parler, de réaliser ; il lui en voulait. D'être parti comme ça. De ne plus être là. De l'avoir laissé tout seul.

Erza releva un regard embué de larmes vers son équipage. Silencieux, tous ses hommes baissèrent la tête et se mirent à pleurer. À pleurer pour chasser la douleur qui s'était ancrée en eux, à pleurer pour le membre de leur famille dont l'équipage s'était brutalement retrouvé amputé. Comprenant peu à peu ce qu'il se passait, Wendy plaqua ses mains sur sa bouche et se mît à sangloter. Le visage niché contre l'épaule de Loki, Cana prit sa tête entre ses mains et retint un cri de douleur, maintenant que la vérité éclatait, maintenant qu'Erza avait parlé, maintenant que tout était vrai — alors que ça ne pouvait pas l'être, alors qu'ils ne voulaient pas que ça le soit. La rousse vit Gérard détourner les yeux ; avant qu'il ne le fasse, les diamants qui y perlaient lui firent comprendre qu'il était dans le même état. Qu'ils étaient dans le même état. Qu'ils souffraient tous autant — sauf peut-être eux, peut-être qu'ils avaient plus mal, que cette perte leur était plus violente ; mais ils gardaient le silence. Pour lui. Pour ce qu'il était pour chacun d'entre eux — un ami, un frère, un compagnon. Pour sa mémoire.

Pour Grey.

Ses propres larmes finirent par s'échapper et rouler sur ses joue, suivies des sanglots et des plaintes douloureuses qu'elle avait cherché à retenir. Alors elle pleura comme bon lui semblait, chuchota des paroles apaisantes pour eux, pour Natsu, pour elle. Parce qu'ils n'avaient pas à avoir honte.

Ils avaient tous perdu quelqu'un, ce jour là.

Le vent soufflait, leur apportant les relents de cendre et de fumée provenant du bateau qui se consumait. La mer, calme à nouveau, les berça avec douceur tout en les poussant vers l'est. À la place de l'étendard sombre frappé d'un symbole rouge sang, on avait accroché une toile, blanche et pure, afin d'accompagner le voyage qu'ils pensaient être le dernier de leur ami. La voix enrouée par la tristesse, Gérard se mît à redistribuer quelques ordres aux plus endurcis, conscient qu'il fallait faire avancer le navire ; Erza ne dit rien, trop dévastée, trop préoccupée par Natsu qui se tenait toujours dans ses bras, laissant échapper ses larmes, sa douleur, son désespoir.

Et, par dessus le silence, la plainte déchirante et pleine de colère d'un homme à qui on avait arraché son meilleur ami et frère d'armes retentit.


Oui je sais, je suis ignoble de vous infliger ça, mais attendez un peu la suite avant de me houspiller pour avoir tué Grey. (Et puis, qui a dit qu'il devait mourir ?)

Cette partie là était donc plus une introduction de l'univers qu'autre chose. La deuxième et la troisième seront très probablement plus " gruviesques ". J'ai bien envie de savoir ce que vous avez pensé de tout ça, en tout cas ! J'attends donc vos avis, même courts avec impatience.

Merci pour votre lecture et à bientôt !

Bymeha