Je tiens à préciser qu'aucun humain n'a été maltraité pour la réalisation de cette fiction.

Je suis une clé à molette. Une petite merveille de la mécanique. Un bijou de science. Une reine dans la boite à outil. La meilleure amie des bricoleurs. Je vous arrête. Je ne suis pas narcissique. Je suis juste un bijou de modernisme.

De manière générale je n'ai aucune haine particulière contre le genre humain. Mis à part ceux qui me prennent pour un vulgaire outil, les maladroits, les incultes, ceux qui laissent leurs doigts gras sur ma ligne parfaite et ceux qui ne reconnaissent pas ma valeur. Ce qui inclue une bonne part de l'humanité.

Mon histoire commence dans une petite boutique de la cité du centre. Petite, mais non moins célèbre dans l'univers de la mécanique. Le dirigeant, mon créateur (je refuse de m'abaisser à un sentimentalisme vulgaire en l'appelant papa), s'était pris d'affection pour moi. Il m'exposait dans sa vitrine. Il faut dire que je suis une beauté dans mon genre. Une ligne élégante, une parfaite prise en main, un alliage de titane alliant esthétique et pratique. A cela rajoutez ma rareté. Il n'existe que 134 modèles comme moi dans le monde ! Je suis capable d'assurer à moi seule la fonction de plus de 5 outils différents. Bref, je suis une merveille. J'étais choyée, nettoyée, récurée, polie comme certains le font avec leurs plus belles parures.

Ma principale activité était de me comparer à mes consoeurs clé à molette pour me rappeler ô combien je leur étais supérieure. Mais quand j'étais lasse de ce jeu et que mon auto satisfaction dépassait les limites de la décence, j'observais. Oui je regardais, j'analysais et j'essayais de comprendre le monde qui m'entourait. Comment une clé à molette peut elle réfléchir ? Non mais, je ne vous permet pas voyons ! Bande d'impoli ! Les humains ont vraiment une vision du monde étriquée !

Passons.

Mon autre passe temps, donc consistait à regarder les passants.

Et puis un jour. Ils sont arrivés. Ils étaient deux. Un jeune homme, une jeune femme. Les êtres humains ne se baladent rarement en couple. Et s'ils le font, cela ne peut vouloir dire que trois choses :

Soit il s'agit d'un vieux couple. Ils finissent leurs jours ensemble, sans pour autant arrêter de se chamailler. Pathétique. Une chance que je ne vieilli pas !

Autre possibilité mais aussi plus rare : le jeune couple heureux. Ils se fréquentent depuis peu. Ils filent le parfait amour, jusqu'à ce que … cf au dessus.

Enfin dernier cas : Ils sont jeunes, ils n'ont aucun lien entre eux et ils se disputent quand même. Pourtant ils prennent la peine d'être ensemble. Etrange non ? Je ne comprendrais jamais les humains. Et eux ne sauront jamais ce que je pense d'eux. Une clé anglaise m'a apprit qu'ils faisaient ça par amour. Je trouve ça ridicule. Et puis de toute façon, ça veut dire quoi l'amour ? Pourquoi sont ils obligés de se supporter ? Bien sur, j'aurais pu le demander à ma voisine britannique, mais j'ai ma fierté ! Je n'adresse pas la parole aux moins que rien !

Ce jour là, j'avais donc repéré ces deux là, qui d'après ce que je voyais convenaient parfaitement à la catégorie trois. Je décidais de les observer pour mieux comprendre leurs actions illogiques.

La jeune fille s'est approchée de la vitrine en courant. Elle a appuyé son visage contre la vitre. C'est vrai ça. Il faudrait les nettoyer ces vitres. La jeune fille regardait la devanture avec admiration. Allons, que fais tu jeune fille ? Ce n'est pas un magasin de jouet ici, encore moins une bijouterie pour toi et ton petit copain. Quoi que, vu l'enthousiasme du petit copain en question je doute que vous soyez ensemble. Les soupires qu'il pousse toutes les deux secondes sont des plus éloquents. Il est forcé d'être là. Ça se voit ! La blonde se tourne finalement vers lui. Elle entame une discussion animée avec lui. Sa voix suraiguë me fait mal aux oreilles. Elle semble enthousiasme au moins. Je pourrais compter les étoiles dans ses yeux.

Elle lui fait les yeux doux. Oh ? Elle est en train de lui demander quelque chose. Il ne va quand même pas se faire avoir ? Si ? Et bien oui. Il s'est fait avoir. Je ne comprendrais jamais le peu de détermination des êtres humains males lorsqu'une de leurs congénères féminins battent des cils devant eux…Je me demande ce qu'elle voulait.

Non en faite je m'en fiche. Je veux juste qu'elle quitte la devanture du magasin. A cause d'eux je ne vois plus la rue. Et les passants ne peuvent me voir. Les pauvres je les plains.

Pourquoi la jeune fille me montre t elle ainsi ? C'est moi qu'elle regarde comme ça ? Oh non non non… Je n'aime pas ça. Mais alors pas du tout. Je garçon se rapproche à son tour. Je commence à avoir peur.

Allons calme toi… Désolée ma jolie, mais je suis hors de prix pour toi. Et puis je te servirais à quoi ? Je refuse de moisir dans une boite à outil sans jamais voir le jour. Et le montage de coiffeuse en kit n'a jamais eu besoin de mes services ! Allons va t'en tu vas te casser un ongle petite. Va jouer ailleurs !

Mais non. Elle ne part pas. Pire ! Son ami rentre dans le magasin et s'informe auprès du vendeur. Quand il entend mon prix il devient blême. Et oui ! Les merveilles ont un prix !

- Combien ? Pour une clé à molette ?

Sa copine lui envoie un coup sur le crâne. Bien fait !

- Ce n'est pas qu'une clé à molette ! Ce bijou est la pièce maîtresse de tout mécanicien d'auto mail qui se respecte !

Et toc ! Elle a du répondant la gamine, et une sacrée poigne ! Je me demande comment elle sait ça. Et comment se fait il que LUI l'ignore ! Surtout qu'il porte deux auto mails ! D'assez belles pièces d'ailleurs.

Ce ne serait quand même pas elle qui ? Si ? Non, je n'ai pas da priori, détrompez vous. Je ne suis pas sexiste. Je hais le genre humain en général !

Mais revenons en à ces deux là. Notre malotru, après avoir repris ses esprits, sort une bourse de sa poche. Non, il ne va quand même pas ?

Si. Il l'a fait.

Nous voila dans les rues. La jeune fille me regarde et m'examine sous toutes mes coutures à la recherche du moindre défaut. C'est inutile, elle peut chercher longtemps comme ça. Je suis parfaite et elle le sait. Ses yeux s'émerveillent et ne se lassent pas de m'examiner. Finalement je retire ce que j'ai dit. Cette gamine n'est peut être pas si ignorante, pour une gamine évidemment. Elle continue joyeusement son inspection, me soupèse m'analyse. J'aime être le centre d'attention. A côté d'elle son ami la surveille d'un regard amusé. Il la couve du regard. Je ne comprend pas pourquoi, elle n'est pas en sucre. Elle ne va pas se briser ta copine ! Mais il ne m'entend pas. Normal dans un sens, je suis une clé à molette… Mais pas n'importe laquelle attention, je suis…

« Elle est parfaite. » Déclare tout doucement la jeune fille en resserrant ses mains sur moi. Ai-je dis que cette petite était très perspicace ? Non ? Vous avez du mal comprendre.

Son compagnon glisse sa main sur celle de la jeune fille. La main de celle-ci se crispe légèrement sur moi. Bon, c'est vrai, je ne risque pas d'étouffer, mais un peu de respect voyons !

« Oui parfaite » Reprend il en la regardant droit dans les yeux.

Pourquoi ai-je eu l'impression en cet instant qu'on ne parlait plus de moi ?

Le blondinet à alors rougi instantanément. Etrange. Il faudrait que son mécanicien jette un coup d'œil, d'après mon pronostic il a un problème de ventilation. Il faut qu'il fasse attention, c'est dangereux la surchauffe.

Et apparemment c'est contagieux. C'est au tour de la blonde de se transformer en tomate. Pauvre humains, si faibles physiquement. Alors que tous les deux semblent très occupés à réguler leurs températures internes, la jeune femme s'approche de lui et dépose un baiser sur sa joue.

« Merci, j'ai passé une journée super ! »

Et voila ! Rebelote ! Depuis quand les humains sont ils croisés avec les écrevisses ? Et visiblement ce contact n'a fait qu'empirer les choses. Troublé par je ne sais quel virus ou défaillance technique le blond essaie de communiquer. Sans grand résultat. Parmi ses bafouillages je comprends un vague :

« mlkpj ohhjjnf maisnf de jhbro rihen jhbdf ry… »

Si quelqu'un a le décodeur, il serait prié de me traduire.

Finalement amour, chez les humains est synonyme de défaillance technique. Les humains doivent avoir un défaut quelque part là-dessous. Ce qui explique qu'ils soient si faibles.

Quoi, c'est pas ça ?

Voilà fini ! J'espère que ça vous a plu. En tout cas je me suis bien amusé à l'écrire.

Pour ceux qui ont apprécié ma petite clé à molette ignorante narcissique et cynique (un peu comme moi en faite) ne vous inquiétez pas, je compte rajouter un chapitre histoire de ne pas la laisser dans l'ignorance de cette drôle de défaillance qu'est l'amour.

Et puis aussi pour le plaisir de voir mon couple chéri réuni…