Bonjour, bonjour, mes petites tourterelles adorées.

Bon, voici une nouvelle histoire sur laquelle je veux m'expliquer. J'ai commencé à la rédiger après avoir "quitté" de manière officieuse le site, puis l'ai abandonnée après quelques temps pour me consacrer à mes ennuis personnels. Ce sera une histoire très longue, et relativement détaillée, ce qui changera un peu de mes fictions plus légères en ton et en longueur. Passionnée d'Histoire, et notamment de la grande époque de Louis XIV, le Roi Soleil, où la monarchie absolue atteignit son apogée, j'ai décidé d'en faire une fiction. Elle se situe donc au XVIIème siècle et j'espère qu'elle vous plaira. Comme cette fiction est longue à rédiger et quelque peu complexe, je mettrai du temps à l'écrire, donc n'espérez pas un nouveau chapitre à la semaine, mais elles seront de taille conséquente. J'ai hésité avant de la publier, d'autant qu'il me reste plein d'autres fictions sur lesquelles j'ai pris du retard, mais je trouvais dommage que ce bébé reste au fond du placard. UA sans magie.

Le titre, Fleur de Lys, fait clairement référence à l'emblème représentant les rois de France.

Pairings: DMxHG, HPxGW, PPxBZ, RWxRV, LLxNL.

Bonne lecture, mes Chocogrenouilles en sucre.

Prologue

Le carrosse, tiré par huit chevaux gris pommelés, filait à travers la route de campagne étroite, son cocher renfoncé dans les coussins, col levé contre la morsure glaciale du vent d'hiver mais yeux fouillant vivement le paysage sombre, discernant avec peine le chemin dans la faible clarté du jour naissant, malgré les trois lanternes à huile montées contre les arêtes avant de l'habitacle. Les branches des arbres environnants, nues et laides dans la saison de la mort, tendaient leurs doigts vers le ciel noir, se découpant telles des ombres menaçantes. Les roues de bois frottaient contre la route sans un bruit, hormis pour se bloquer dangereusement de temps à autre sur l'épaisse couche de verglas striant par portions le chemin.

Le cocher était épuisé, ayant à peine réussi à dormir la nuit passée, car le cortège dont il était n'était parvenu au château de La Garde qu'à minuit passée, et il lui avait alors fallu dételer l'attelage, s'occuper des chevaux, et souper brièvement d'un morceau de pain aillé et d'une coupe de vin avant de s'effondrer, à demi inconscient, sur un tas de paille non loin de ses bêtes, ce qui, à son sens, était loin de convenir, comme destinée quotidienne, au cocher personnel de l'illustre personnage qu'il transportait.

Un garde à cheval doubla discrètement l'attelage au galop, rênes crispées entre les doigts de la main droite et l'autre posée sur le pommeau de son épée, et il lança au cocher un regard d'avertissement, que l'homme menant le carrosse comprit aussitôt pour avoir prédit et craint cet instant depuis leur départ. Devant son attelage, il vit les deux véhicules le précédent partir au galop sur la route- soigneusement protégés par un régiment de gardes à cheval- et il les imita, fouettant immédiatement ses chevaux, le claquement résonnant sèchement en l'air nocturne, et ses chevaux s'enlevèrent en un bruit de tonnerre. Un grand écho derrière lui l'informa que le reste du cortège adoptait l'allure que le carrosse de tête imposait aux suiveurs.

A l'intérieur du carrosse, le prestigieux personnage transporté remua doucement tandis que le carrosse se mit à tanguer en résultat de son allure. Ses yeux papillonnèrent puis s'ouvrirent tandis qu'il se réveillait, révélant leur couleur unique d'orage parsemé d'un bleu de glace, tels deux joyaux des Cours nordiques les plus exotiques. L'enfant- car il n'avait pas plus de six ou sept années- tira autour de lui son épaisse cape bleu roi doublée de fourrure de loup gris, et il bâilla, montrant une fine ligne de perles dentaires alignées et blanches. Son visage aristocratique montrait une légère confusion, et ses cheveux soyeux, d'un blond presque blanc et sur lesquels les lueurs, à la clarté des lanternes, venaient jouer en une danse tout d'argent, étaient quelque peu décoiffés. Il était le plus bel enfant que l'on eût pu concevoir, et l'un des plus célèbres au monde.

En face de lui, son tuteur était assis sur la banquette de dos, raide comme un prêtre, dont il avait, par ailleurs, tout l'attirail. Cet homme était tout de noir vêtu, d'une simplicité extrême, mais la qualité des habits était majestueuse. Sous une chevelure noire au carré à l'apparence grasse, sa peau livide semblait presque jaunâtre, d'autant accentuée par les lumières sourdes des lanternes. Sa sévérité naturelle était rehaussée par un nez crochu en bec d'aigle, et par deux yeux noirs qui semblaient juger les âmes avec une exactitude effrayante.

Fixant le mur du carrosse au-dessus de la tête de son protégé, il parla d'une voix douce aux accents pourtant impitoyables sans que ses lèvres semblent bouger,

-Un grand prince ne bâille point de la sorte, Monsieur le Dauphin. Empêchez-vous, et si vous devez toutefois absolument le faire, du moins assurez-vous que nul ne vous y surprenne.

L'enfant écarquilla légèrement les yeux, se redressant quelque peu, montrant inconsciemment une obéissance inconditionnelle aux ordres de son tuteur, mais répliqua toutefois d'une voix quelque peu hautaine,

-Je suis le futur Roi de France, Monseigneur, et un roi n'a guère à se soumettre aux lois qui régissent les simples mortels.

-Qui vous a dit cela ?

-Le Roi mon père, Monseigneur.

-Exactement.

Le yeux charbonneux du tuteur se posèrent enfin sur le jeune prince.

-Votre père est roi, Votre Altesse, reprit-il. À cette heure vous n'êtes que le Dauphin, et vous obéirez à mes ordres puisque Sa Majesté a daignée m'accorder l'honneur de votre éducation. Qui plus est, Monsieur le Dauphin, les grands de ce monde, dont vous êtes, sont bien plus esclaves de la bienséance que les simples particuliers, car vous vous devez tout entiers au public.

L'héritier du royaume baissa les yeux, soumis, mais un trou dans la route qui fit cahoter l'habitacle le ramena subitement à lui. Étouffant soigneusement un nouveau bâillement, il demanda d'une voix curieuse :

-Pourquoi le cocher presse-t-il tant mes chevaux, Votre Éminence ?

Le tuteur serra imperceptiblement les dents et retroussa la lèvre supérieure en une moue de dégoût, et sa main droite, ornée d'une bague montée d'un rubis éclatant, vint toucher, sans y songer, un crucifix qu'il portait autour du cou.

-Nous parvenons à La Rochelle, en pays huguenot, Votre Altesse.

-Ah ! Les hérétiques ! siffla le Dauphin.

Le regard de son tuteur fut parcouru d'un bref éclair de fierté, qui disparut sitôt apparu.

-Oui, les hérétiques, répondit-il. Vous verrez, mon prince, que jamais nul danger ne sera si grand que celui présenté par les huguenots vivant au sein de votre royaume.

-N'allons-nous pas à Bordeaux, pourtant, afin que les huguenots bordelais se soumettent enfin à l'autorité royale ?

-Oui-da, Votre Altesse. Cependant, si Bordeaux a eu le bon sens de rendre les armes, La Rochelle demeure stupidement, désespérément huguenote...

Le fin visage du petit prince se serra de mépris.

-Le Roi mon père devrait profiter de notre voyage pour marcher sur cette ville, la brûler, et en écraser jusqu'au dernier hérétique qui ose vivre sur notre sol.

Le tuteur posa un œil pensif sur son élève.

-La Rochelle est un port de commerce essentiel à la France, Votre Altesse. De plus, la paix bordelaise est trop fraîche pour attaquer ceux qu'ils viennent de renier. Mais vous êtes bien trop jeune pour apprécier de telles choses, Monsieur le Dauphin.

Avant que le prince ait pu ouvrir la bouche pour rétorquer, le carrosse s'arrêta abruptement, et le tuteur se rembrunit.

-Je le craignais, murmura-t-il pensivement avant de frapper de trois coups secs sur la séparation, qui s'ouvrit aussitôt, révélant le visage rougi de froid du cocher. Monsieur, grogna le tuteur, qu'est-ce donc ?

-Votre Altesse, le Dauphin Drago de France, salua brièvement le cocher, Votre Éminence, le cardinal Severus Rogue. De toute évidence, les hérétiques ont eu mot de notre passage, et viennent d'arrêter le carrosse de tête.

Severus Rogue, duc et cardinal, ami du Roi et de la Reine et tuteur de l'unique prince héritier du royaume de France, pâlit.

-Les imbéciles, siffla-t-il. Ils ont eu l'audace d'intercepter le carrosse du Roi ?

-Oui-da, Monseigneur, et Sa Majesté contient à peine sa fureur.

-Mais quel fou a osé provoquer la colère de Sa Majesté ?

-Il s'agit du duc de La Rochelle en personne, Éminence.

Rogue se mit à tiquer de l'œil gauche, ses doigts enserrant de manière erratique son crucifix.

-Et que veut ce sombre idiot ? parvint-il enfin à cracher, livide.

-Le duc est au désespoir que le Roi n'ait point désiré faire arrêt à La Rochelle. Il craint certainement que Sa Majesté désigne un autre port que celui-ci pour le commerce de l'ouest- comme Arcachon, par exemple, qui est tout près de Bordeaux qui vient de rendre les armes...

-Cela ira, répliqua sèchement le cardinal en réponse aux supputations du cocher. Nous verrons ce qu'en décidera Sa Majesté.

Il claqua la séparation au nez du cocher, puis se pencha vers son élève.

-Voyez, Altesse, que non seulement les hérétiques huguenots sont vos ennemis, déclara-t-il d'une voix rauque, mais aussi, le duc de La Rochelle est leur chef. Ce même homme qui vient de faire arrêter le carrosse de votre père, qui est son roi et maître !

Le Dauphin hocha la tête avec gravité.

-Je comprends, Votre Éminence, que lorsque je serai roi, je devrai combattre de toute mon âme les hérétiques, et essentiellement cet homme, récita-t-il.

Le cardinal dévisagea l'enfant des yeux un bref instant, puis se renfonça dans son siège, visiblement satisfait.

Sa Majesté décida d'accorder au duc de La Rochelle une visite- après tout, il restait l'absolu maître des terres de France, y compris de celles dévolues au duc. Le cortège- le Roi, son épouse, et son fils, suivis de toute la Cour de France- prirent donc la route de la ville, et y parvinrent à midi sonnante. Le Dauphin ne comprenait guère pourquoi Sa Majesté eût décidée ceci, surtout donnée l'insolence du maudit duc d'avoir arrêté le cortège royal, et ne pût soutirer à son tuteur- qui s'était entretenu avec le Roi durant un quart d'heure et était ressorti pâle de l'audience- que des menaces de punition devant son insistance.

La ville de La Rochelle eût du moins le mérite d'être très belle, et d'avoir préparé à la Cour un accueil royal. Des pavillons fleurdelisés ornaient chaque façade de bâtiment de la ville, les rues étaient parsemées de pétales blancs, et les nombreux spectateurs offrant une haie d'honneur au cortège étaient revêtus de leurs plus beaux atours, applaudissant de tout cœur les carrosses à leur passage, leurs visages l'image même de l'hospitalité. Le cardinal Rogue, visage fermé, tripotait son crucifix, sa mâchoire tressautant occasionnellement de nervosité ou d'agacement. Toujours emmitouflé dans sa cape, le jeune Dauphin regarda les rues surpeuplées en ce jour de fête défiler sous son nez, impatient d'arriver enfin et de pouvoir descendre du petit habitacle, de s'éloigner du regard pesant de son austère tuteur...peut-être même pourrait-il s'entretenir un moment avec ses parents, qu'il n'avait presque pas vus depuis leur départ du Louvre un mois plus tôt, tant ils étaient occupés par leurs démarches de paix.

Enfin la voiture s'arrêta avec une petite secousse, et après un bref instant, la portière s'ouvrit, révélant un laquais du cardinal. Le prince descendit avec la majesté qui lui avait été inculquée, suivi du cardinal, et avança à travers une grande cour pavée, entourée des murs du château ducal de La Rochelle.

Le Roi Lucius Ier dit le Fier, et la Reine Narcissa, princesse autrichienne de naissance, les parents du petit Dauphin, en apparat de voyage, gravissaient déjà les marches du château, ayant visiblement été accueillis par la famille ducale avant même que Drago ne descende de son propre carrosse. Le cœur du prince sombra. À l'évidence, il n'allait pas pouvoir voir ses parents en tête-à-tête aujourd'hui.

Lucius, vêtu de vert forêt rebrodé d'argent, ses cheveux caractéristiques coiffés d'un chapeau du même vert orné de plumes de paon, avait les traits tirés, sa colère palpable. Il parlait vivement à un homme sur sa gauche- jeune, grand, aux cheveux noirs décoiffés, vêtu de bordeaux et de noir- le duc, vraisemblablement. La Reine venait juste derrière, l'air agacé et le nez retroussé de dégoût, mais ses mimiques ne parvenaient pas à masquer la beauté pour laquelle elle avait été et était encore louée à travers l'Europe et au-delà. Ses mains finement dessinées disparaissaient dans son manchon polaire, complémentant sa robe gris moirée qui épousait ses courbes avec ravissement. Elle répondait avec un mépris laconique à une femme qui se tenait à ses côtés, femme à la beauté éclatante, aux cheveux d'un feu étonnant.

Quelque part dans le cortège derrière lui, le prince entendit une quelconque courtisane émettre, d'un ton aigu et dédaigneux,

-Hérétique et rousse. Décidément il ne manquait que le bûcher à ériger pour fêter sa naissance...

Plusieurs personnes éclatèrent de rire autour d'elle, et le Dauphin sentit le cardinal se tendre soudain à ses côtés.

-Vous omettez « traîtresse » dans votre si fine description, Madame d'Avery, clama une autre dame. Elle était catholique avant son mariage d'amour au duc, et belle-sœur du roi d'Écosse avec cela !

-Une honte et une tragédie sans fin, quel scandale, soupira la première d'une voix indiquant clairement qu'elle était ravie d'avoir matière à colporter des ragots. Mais enfin, l'amour et l'ambition se contrent, n'est-ce point ? Ils sont incompatibles...Madame de Yaxley me disait justement, l'autre jour...

Le cardinal pressa le pas, forçant sa jeune charge à marcher à son allure, et à ignorer le murmure d'approbation que les paroles de Madame la comtesse d'Avery faisaient naître dans la foule de courtisans.

Ils s'arrêtèrent dans l'entrée, et le prince fut enfin suffisamment près de Leurs Majestés pour ouïr le contenu de leur conversation avec le duc et la duchesse de La Rochelle.

-...sommes honorés, disait le duc, de votre visite, Vos Majestés. Le peuple de La Rochelle craignait tant que vous outrepassiez notre ville dans votre voyage vers Bordeaux.

-Aussi l'eusse-je fait, Monsieur le Duc, si votre parti n'avait pas sottement décidé de détourner mon carrosse, répliqua platement le Roi. Tout autre que vous se serait vu enfoncer la tête sur un piquet, mon cousin.

Le duc baissa sobrement la tête.

-J'étais au désespoir, Sire, et espère, comme les bordelais, déposer les armes que mes ancêtres dressent depuis des décennies contre les vôtres, tradition de laquelle je me lasse, à présent que jeunesse ardente, rebelle et fougueuse est passée, Majesté.

-Nous verrons, répondit laconiquement le Roi. Je me suis laissé apprendre, Monsieur, que vous possédiez des bois forts giboyeux non loin...

L'on avança jusqu'à l'immense salle de dîner et les monarques, naturellement, présidèrent la tablée, le couple ducal assis près d'eux. Ils touchèrent à peine aux mets pourtant délicieux et choisirent de se retirer tôt, le tout en quoi ils furent imités par la grande majorité de la Cour : lorsque offense était faite à Lucius et Narcissa de France, ils ne l'oubliaient point de sitôt.

-Nous partirons à l'aube, déclara froidement le Roi aux visages défaits du duc et de la duchesse. Il n'y aura nul besoin de préparer quoi que ce soit pour Sa Majesté la Reine, Son Altesse Royale le Dauphin, ni pour moi, mais veillez à pourvoir la Cour.

Disgraciés sur leurs propres terres, dans leur propre demeure, le duc et la duchesse de La Rochelle, l'air mortellement blessés, se retirèrent également, et le Dauphin, ennuyé, se tourna vers son tuteur.

-Votre Éminence, exigea-t-il, j'entends, si vous le permettez, être rejoint par mes camarades de jeux.

-Je le permettrais volontiers, Votre Altesse, répondit le cardinal en regardant la duchesse de La Rochelle quitter la salle à travers des yeux plissés de haine. Cependant, le château ducal n'étant point de taille à recevoir l'ensemble de la Cour, seuls les plus grands y sont logés, les autres, dont vos amis, étant chez l'habitant.

-N'y a-t-il point en ce château quelque compagnon de jeu provisoire ?

-Vous parlez d'enfants d'hérétiques, l'avertit Rogue.

-Qu'importe, je n'entends point les traiter en ami, ni en égal, mais en simple sujets du Roi mon père, et de plus, je n'entends point parler avec eux de Dieu.

-Votre discours est offensant, Votre Altesse, tiqua le cardinal, et Leurs Majestés ne sauront permettre votre demande.

Le Dauphin réfléchit un bref instant.

-En ce cas, Monsieur mon tuteur, permettez du moins que je puisse disposer d'une salle de jeux au sein de ce château, même seul, car leurs jouets ne sauraient être corrompus par leur hérésie. Je suis lassé des miens, avec lesquels je dois me satisfaire depuis Paris.

Le cardinal accepta d'un bref hochement de tête, et exigea, auprès d'un valet du château ducal passant par là, que l'on mette à disposition du petit prince la salle de jeux du fils unique du duc et de la duchesse de La Rochelle. Le valet s'empressa d'obéir, et dix minutes plus tard, Drago était introduit dans une grande pièce longiligne, son tuteur gardant la porte, emplie de jouets qui, sans être ceux d'un Dauphin, rivalisaient d'ingéniosité, de beauté et d'intérêt. Le prince choisit une grande boîte en fer gravée aux armoiries des Potter, la famille ducale de La Rochelle, et alla s'asseoir derrière l'un des bureaux, découvrant avec joie à l'intérieur de la boite un lot de cinquante soldats de plomb aux couleurs, pour vingt-cinq d'entre eux, des soldats français, et pour l'autre moitié, des soldats anglais.

Le prince entreprit aussitôt une guerre ouverte entre ces deux camps de plomb, et jouait allègrement avec depuis un quart d'heure- les Anglais venaient de prendre Calais et, héroïques, les Français allaient le leur reprendre- lorsque de grands cris sonnèrent à la porte, alertant l'héritier et le faisant cesser ses jeux tandis qu'il tendait l'oreille. Une voix enfantine s'éleva.

-...mais enfin, par Dieu, qu'est cela ? s'indigna l'enfant. Il s'agit de mes jeux et l'on voudrait m'interdire d'y accéder ?

-Ne jurez point par Dieu, Monsieur, répondit la voix méprisante du cardinal. Vous n'y entendez rien tant l'hérésie bouche vos oreilles. De plus, je vous ai indiqué que le Dauphin de France a réquisitionné cette salle. Jouez ailleurs, Monsieur, ce n'est que le temps d'un soir.

-Ma foi, s'écria l'enfant, je ne veux pas priver Son Altesse Royale de mes jeux, j'entends seulement y accéder, moi aussi !

-Le Dauphin ne saurait se mêler aux enfants d'hérétiques, le dédaigna Rogue.

À ce point, lassé, le prince ouvrit lui-même la porte à la volée. Il se trouva alors face à Rogue, qu'il ignora, pour poser ses yeux d'orage sur les deux enfants face à lui.

Le premier, masculin, dont il avait entendu la voix à travers la porte, avait son âge et sa structure précisément, accompagné de deux yeux émeraudes qui, à cette heure, étincelaient de rage, et d'une masse de cheveux corbeau. Il ressemblait de manière saisissante au duc de La Rochelle, excepté ses yeux, qu'il avait clairement pris à la duchesse. À ses côtés, légèrement en retrait, était une petite fille, également de leur âge, aux traits fins, sertis d'yeux de l'ambre le plus pur que le Dauphin eût jamais imaginé, aux éclats dorés, et des boucles brunes s'échappaient, rebelles, de sa coiffure. Elle regarda fixement le Dauphin et ses yeux s'écarquillèrent légèrement, sans doute d'angoisse en reconnaissant le personnage et le pouvoir qu'il avait sur elle et son camarade- cependant, à la surprise sans fin du Dauphin, ni elle, ni le petit garçon ne lui firent la révérence d'usage, ce qui enflamma la colère du blond. Qui s'estimaient donc être ces hérétiques, pour oser le dédaigner ainsi, lui, un Fils de France ?

Le fils du duc de La Rochelle orienta sa colère débordante sur le prince.

-Votre Altesse Royale, cracha-t-il comme si les mots lui brûlaient les lèvres. Veuillez rappeler à votre serviteur que je suis ici chez moi, et de s'écarter.

Le Dauphin lui jeta un bref regard d'un mépris cuisant, et se tourna vers le cardinal.

-Votre Éminence, veuillez, je vous prie, faire écarter ces paysans d'ici. Je suis au jeu, et n'entends point être dérangé par un fils d'hérétique.

Le brun plissa les yeux, sa poitrine enflant dangereusement.

-Je n'ai nul ordre à recevoir de quiconque sur mes terres, siffla-t-il.

-Harry, murmura alors la petite fille. Harry, non...

Le dénommé Harry l'ignora, fixant le Dauphin, qui répondit d'une voix létale,

-Oubliez-vous à qui vous vous adressez ?

-Et vous donc ! Je suis neveu du Roi d'Écosse, et me toucher reviendrait à la guerre. C'est pour cela que le Roi de France n'ose point nous combattre, n'est-ce pas ?

-Traitez-vous mon père de lâche ?

Les yeux émeraude de Harry semblaient brûler, et la fillette sembla deviner ce qui allait suivre, puisque elle lui saisit le bras, regard inquiet, soufflant à nouveau son prénom avec douceur.

-Peut-être bien, répondit Harry.

-Ah, explosa le Dauphin, tremblant de fureur. Nous sommes trop jeunes pour croiser le fer, Monsieur, mais je jure, oui, je jure devant Dieu de n'oublier jamais cet affront et, un jour, de laver mon honneur dans le sang de votre famille décimée !

Il y eut un silence, tandis que Harry avait l'air d'être dépassé par sa propre rage, et que la petite fille mit à profit pour apostropher le Dauphin avec colère.

-Vous prévoyez pour nous de grandes choses, dirait-on, lança-t-elle avec mépris, mais au reste, Votre Altesse Royale, vous n'êtes qu'un misérable petit serpent qui vivez aux dépens d'autrui et n'avez nul honneur.

Le Dauphin lui rétorqua un sourire glacial, comme son père en faisait à ses ennemis parfois.

-Et vous, vous avez de la chance d'être une fille, cracha-t-il.

Sur ces paroles et sous le nez d'un cardinal Rogue complètement abasourdi par la tournure des événements entre son si doux élève et les deux enfants chéris du château de La Rochelle, le Dauphin pénétra à nouveau dans la salle de jeux, claquant la porte. Il marcha d'une démarche raide jusqu'au bureau où gisaient encore les soldats de plomb, et les prit un par un pour les ranger dans la boîte, résistant à peine à l'envie de les briser contre le sol. Son père lui avait souvent dit que la vengeance était un plat se dégustant froid, alors il ploierait à la sagesse de ses aînés.

Voilà pour le prologue. J'espère que cette mise en bouche vous a plu et que vous laisserez une review, parce que je ne sais pas si la tournure du langage, etc., vous plait. J'ai essayé de conserver une certaine manière d'époque de s'exprimer, sans tomber dans le "trop" antique. N'hésitez pas à me dire ce que vous en pensez.

A bientôt,

DIL.