1.
Allongé sous un arbre millénaire, les bras croisés sous la nuque, Alérian sommeillait, Zunia et Wakrist volant à la distance la plus proche du sol.
- Vous savez que vous faites un sacré raffut avec vos claquements d'ailes, les lézards ? murmura le jeune homme. Comment voulez-vous que je profite de ma sieste dans ces conditions ?
- Et toi, tu n'arrêtes jamais de râler ?
- Non, Zunia, je suis le fils de mon père !
Alérian eut un soupir, se redressant à demi sur un coude.
- Heureusement, cette fois je suis parvenu à le laisser derrière moi, sans qu'il puisse me suivre… J'ai mon combat, je ne pouvais lui permettre qu'il me rejoigne ! Je ne sais même pas si nous pouvons nous en tirer, si je peux vous ramener… Zunia, tes œufs ?
- En sécurité et bien au chaud dans mon ventre ! Je t'ai dit que je pouvais les porter des décennies si nécessaire !
- Ce n'est pas à cela que je pensais, avoua Alérian en se relevant souplement. Hormis si cela arrivait durant une mission, je n'ai jamais voulu de femelles enceintes à bord de mes bâtiments. Il faut toujours préserver la génération future ! Oui, j'avais des espèces très différentes à bord, certaines même hermaphrodites, d'autres encore Mécanoïdes pouvaient faire la demande de bébés évolutifs, mon terme « femelle » n'avait rien de péjoratif.
- Je ne l'ai jamais pris ainsi, intervint Wakrist. Tu as toujours été respectueux de toutes vies et espèces en effet ! Personne ne devrait jamais te prendre au pied de la lettre, tu as un trop grand cœur que pour être accusé d'irrévérence.
- D'ailleurs aucun à ton bord ne te l'a jamais reproché, ajouta Zunia en venant se poser auprès de son ami Humain.
- Je sais, mais je remets tout en doute, hors de ma dimension, sans mes repères habituels – pour autant qu'au cours de tous ces affrontements surnaturels j'aie pu me raccrocher à quoi que ce soit pour ne pas sombrer dans la folie – et je suis un peu invivable, non, mes amis Dragons ?
- Tu es dans un état physique et psychique lamentable, reconnut Zunia, sa langue caressant doucement la joue balafrée du jeune homme.
- Tu es très mal, compléta encore Wakrist. Tu es reparti sans être guéri, et ton état se dégrade à vue d'œil !
Alérian fronça les sourcils, creusant l'herbe du bout de sa bottine.
- Je ne pouvais plus attendre. J'ai été trop longtemps sur la touche… Il me fallait repartir dans la mer d'étoiles, et en me foutant de tous conseils médicaux. Et puis, j'ai un cœur de Dragon, que pourrait-il encore m'arriver ?
Wakrist toucha souplement le sol.
- Nous sommes partis trop vite. J'ai capté les pensées électroniques de ton Machinar… Mais ses conclusions sont limpides : un Humain avec un cœur de Dragon… Ce n'est pas viable…
Alérian se rassit, tête basse, triturant machinalement la mèche blanche à hauteur de sa tempe gauche qui tranchait dans sa crinière d'acajou.
- Je crois que je l'ai compris dès la salle de réveil. Sans vouloir t'offusquer, Zunia, ton cœur est d'une puissance incontrôlable. Oui, je crois que c'est le terme : j'ai un cœur éternel mais mon corps Humain n'est pas assez fort pour le contenir… M'en fiche, j'ai à sauver mes univers et j'utiliserai ton précieux cadeau autant que je pourrai tenir, Zunia, je te le promets !
- Je sais que tu feras tout, mon ami, fit doucement la Grande Dragonne. Jamais je ne t'aurais donné un de mes cœurs si je n'avais eu une foi aveugle en toi !
- Merci, Zunia. Tu vas me donner ces souffles pour finir ce combat contre les Gardiens fous. Ensuite, advienne que pourra !
Alérian partit dans un grand rire, mains sur les hanches, la crinière d'acajou au vent bien qu'il n'y ait pas la moindre brise sur la colline où il avait pris du repos.
- Maintenant que j'ai accepté ma mort inéluctable, après un espoir infini, je suis prêt. Le rêve peut se finir, merci mes amis lézards !
- A ton service ! firent en chœur Zunia et Wakrist.
Soulevant les paupières, Alérian retrouva son Warriorshadow, faible au possible, le corps douloureux.
- J'ai eu un malaise ?
- Oui, très sérieux… De façon illogique, et logique à la fois, ton coeur de Dragon qui t'a sauvé est bien trop puissant, il cause des dégâts irréversibles…
- Je suis déjà au courant !
- Mais, colonel ! ?
- Foutez-moi la paix ! rugit Alérian en quittant le lit où il avait repris conscience, récupérant ses vêtements noir et rouge. Je vais combattre les pires engeances possibles ! Doc, donne-moi du temps, juste le temps de le faire, je ne t'ordonne que cela. Ensuite, je connais mon issue…
- Je ne t'autorise pas à quitter l'Infirmerie!
- Des nèfles !
- Bien colonel, céda le Mécanoïde à bord du vaisseau Pirate.
