Décidément je devrais arrêter de commencer plein de fics en même temps... Mais pour une fois que j'ai de l'inspiration...

J'ai glissé quelques astérisques qui renvoient aux notes tout à la fin où j'explique quelques détails. Si vous avez la flemme c'est pas la peine de s'embêter à descendre tout en bas de la page à chaque astérisque...

Ah et désolée d'avance si les personnages vous semblent OOC, mais il faut bien se rendre compte qu'au XVIIème siècle les convenances sociales n'étaient pas les même que maintenant et qu'on ne s'adressait pas n'importe comment à n'importe qui...

Sur ce, bonne lecture!


1620, Madrid.

Ce matin là, comme tous les dimanches, Lovino fut réveillé par le tintement clair de la volée de cloches sonnant les matines. Il se frotta vigoureusement les yeux pour en chasser le sommeil et se leva à contre cœur de sa petite couchette. Sa cellule était encore plongée dans l'obscurité et c'est à peine si les premières lueurs grisâtres de l'aube approchante passaient par l'étroite fenêtre et venaient souligner les contours du crucifix qui ornait un des murs de pierre. Lovino tâtonna quelques secondes avant de réussir à allumer la chandelle posée sur sa table de nuit, puis il s'attela à sa toilette matinale. Le contact de l'eau glacée sur son visage et sa nuque acheva de le réveiller et il se dépêcha de terminer, tout grelottant, pour pouvoir enfiler sa soutane noire. On était encore qu'aux premiers jours de mars et les nuits madrilènes restaient fraiches. Une fois vêtu, Lovino souffla la chandelle et quitta sa cellule.

Dans le couloir, d'autres novices sortaient eux aussi de leur chambre et se saluaient à voix basse avant de se diriger vers le réfectoire. Lovino allait les imiter mais, pris d'un doute, il frappa légèrement à la porte de la cellule voisine de la sienne. Ne recevant pas de réponse, il ouvrit le battant de bois et entra. Il ne distinguait pas grand-chose dans la petite pièce sombre, mais il s'aperçut vite qu'une silhouette allongée occupait encore le petit lit contre le mur du fond.

-Feliciano. Oh, Feliciano ! Réveille-toi, il est bientôt cinq heures.

Lovino se rapprocha du lit et secoua son petit frère qui se réveilla en poussant un léger gémissement endormi.

-Tu t'es encore levé au beau milieu de la nuit pour prier c'est ça ?

Feliciano lui lança un regard contrit et étouffa un bâillement avant de répondre d'un ton désolé :

-Pardon Lovino, je sais bien qu'ensuite je n'arrive pas à me lever. Mais je me suis encore réveillé et j'avais fais un beau rêve avec des anges et…

-Oui oui, je sais. Allez dépêche-toi de te préparer sinon on va être en retard au réfectoire.

Lovino passa la main dans ses cheveux auburn et lança un regard las à son cadet qui se débarbouillait la figure en vitesse.

Feliciano et lui étaient des enfants trouvés. Sans doute abandonnés, peut-être orphelins. Des sœurs ursulines* les avaient retrouvés devant la porte d'un couvent napolitain par une belle matinée de printemps. Lovino devait avoir à peine plus d'un an et Feliciano n'était encore qu'un nouveau né vagissant. Ils étaient restés quelques jours dans le couvent : les religieuses trouvaient les deux enfants beaux comme des anges et elles répugnaient un peu à les envoyer à l'hôpital des enfants trouvés* où il était presque certain qu'ils mourraient de faim ou de dysenterie en l'espace de deux semaines.

Mais un couvent n'était pas la place de deux enfants et la mère supérieure allait se résoudre à disposer d'eux lorsqu'un prêtre jésuite espagnol, Juan Vargas, vint à passer au couvent pour délivrer un message. Touché par le sort des enfants et séduit par leur visage d'angelot, le brave homme décida de les ramener avec lui à Madrid où il les confia aux bons soins d'une nourrice.

Lovino et son frère disposaient d'une bonne constitution, si bien qu'ils grandirent en assez bonne santé, mis à part quelques coliques et deux ou trois refroidissements. Dès qu'ils furent assez grands, ils se mirent à aller presque tous les jours à la petite église jouxtant le collège jésuite de San Ignacio* où le père Vargas donnait des cours de latin aux enfants de la noblesse madrilène. Là, entre deux disputatio*, l'ecclésiastique faisait leur catéchisme, les entrainait à lire quelques versets latins dans la Bible et leur faisait faire des additions avec des amandes grillées qu'ils avaient ensuite le droit de manger.

Les deux enfants apprenaient vite, surtout Lovino qui avait une excellente mémoire. Feliciano, lui, se distinguait par son enthousiasme. Les histoires sur la vie du Seigneur Jésus et sur les Saints Apôtres que leur racontait le père Juan semblaient l'exalter. Un jour il se mit même à pleurer de joie alors qu'on lui contait toutes les vertus de la Sainte Vierge Marie et le miracle de son Immaculée Conception. Alors que Lovino avait un caractère parfois ombrageux et avait pris la mauvaise habitude de jurer lorsqu'il s'impatientait, les grands yeux ambrés de Feliciano n'avaient jamais perdu leur innocence et, mis à part sa nature distraite, son caractère doux et appliqué semblait bel et bien être celui d'un ange. Il fut vite remarqué par tous les autres religieux du collège qui voyaient presque déjà en lui un futur saint. Ils décidèrent que, s'ils le souhaitaient, les deux frères entreraient au noviciat* dès qu'ils sauraient leur catéchisme, lire, écrire et compter et qu'ils auraient accomplis leur communion solennelle. Ainsi la Compagnie de Jésus disposerait sous peu de deux nouvelles recrues.

Les deux frères entrèrent donc au sein du noviciat très sélectif des jésuites. Feliciano avait tout juste quatorze ans et Lovino devait donc en avoir environ quinze. Le quotidien d'un novice jésuite était dur : la discipline était stricte, le mode de vie frugal et l'on attendait de lui un travail spirituel constant pour mieux éprouver sa foi. Au cours des deux ans que durait le noviciat, la pratique des Examens spirituels de Saint Ignace de Loyola, fondateur de la Compagnie, devait préparer les futurs religieux pour qu'ils soient dignes de prononcer les trois vœux de l'ordination religieuse : pauvreté, chasteté et obéissance. A ces trois vœux, les Jésuites avaient le privilège d'en rajouter un dernier : l'obéissance toute particulière au souverain pontife.

Malgré son jeune âge, Feliciano s'accommodait fort bien de ce mode de vie austère et ses supérieurs se félicitaient d'une vocation si assurée. A côté des dispositions admirables de son jeune frère, Lovino n'avait décidément rien d'extraordinaire. Cependant, il travaillait dur pour être digne de la place qu'on avait bien voulu lui accorder.

« La nuit je dors et je ne me réveille pas pour prier. Je ne serais sans doute jamais un saint, mais au moins je peux me rendre utile. Je dois bien ça au père Juan. »

Lovino en était là de ses réflexions, lorsque Feliciano, à présent fin prêt, le saisit par la main et l'entraina vers le réfectoire.

-Vite, vite ! Je ne veux pas être en retard pour les laudes* ! Et puisqu'on est dimanche, ça veut dire qu'on va pouvoir chanter à la messe tout à l'heure !

La messe débuta à sept heures dans la petite église de Santa Maria de la Natividad qui était rattachée au collège de San Ignacio. La nef* était noire de monde : les gens de qualité avaient leurs bancs réservés à l'avant alors que le commun s'installait comme il le pouvait derrière. Si la messe de l'église de Santa Maria de la Natividad avait autant de succès, c'était en partie à cause de la chorale qui l'animait. Celle-ci était en effet très réputée pour la qualité de ses chanteurs. Certains novices jésuites avaient été choisis pour en faire partie et Feliciano et Lovino étaient du nombre.

Feliciano s'était très vite fait remarquer pour la grande beauté de sa voix et à quatorze ans il avait la chance de ne pas avoir encore mué. La voix de Lovino avait déjà commencée à devenir plus grave, mais on l'installait encore au premier rang, à côté de son frère. Les jeunes garçons se ressemblaient en effet tellement qu'on aurait presque dit des jumeaux et leur beau visage rehaussé par leur longue tunique blanche attirait en masse toutes les femmes qui s'extasiaient devant leur allure angélique. Et en Espagne, qui disait rassemblement de femmes signifiait automatiquement attroupement phénoménal de galants. Les pieuses récitations du Pater et du Credo étaient donc ponctuées d'œillades langoureuses et de petits battements d'éventails qui laissaient de temps à autre entrapercevoir un sourire plus mutin que chaste.

Lovino ne faisait pas vraiment attention à toutes ces choses. Il se concentrait plutôt sur les prières silencieuses du prêtre qui officiait ou bien sur les reflets dorés que dessinaient sur l'autel les rayons du soleil qui passaient à travers les vitraux aux couleurs chatoyantes. L'odeur puissante de l'encens que les thuriféraires avaient diffusé au tout début de la cérémonie lui embrumait un peu l'esprit, si bien qu'il faillit sursauter lorsqu'il entendit Feliciano entonner le début du Gloria.

Près d'une heure plus tard, le prêtre termina la messe en bénissant une dernière fois les fidèles et l'église commença à se vider. Après s'être changés, Feliciano et quelques autres enfants de chœur partirent à leur tour pour rentrer au noviciat. Lovino resta en arrière pour aider le prêtre à ranger les objets du culte disposés sur l'autel puis, après s'être fait congédier, il décida de rester encore un peu pour prier.

Il aurait très bien pu le faire dans sa cellule ou dans la chapelle du noviciat, mais il préférait toujours le faire dans l'église quand il en avait l'occasion. Il s'assit sur un des bancs maintenant inoccupés au premier rang de la nef, et leva les yeux vers le grand crucifix en bois peint et rehaussé d'or qui surplombait l'autel. L'odeur de l'encens était à présent moins étourdissante et elle se mêlait à la senteur fraiche et sèche des colonnes et des dalles en pierre polies par le temps. Un rayon de soleil tiède réchauffait sa nuque, le faisant légèrement somnoler. Lovino aurait aimé passer la journée entière dans cette église où le silence n'était troublé de temps à autre que par le murmure des prières et le petit bruit des perles d'un chapelet qu'on égrenait.

Il était immobile depuis quelques minutes, les yeux fermés en tentant de faire le vide dans son esprit, lorsqu'un bruit de pas assez rapide dissipa sa concentration. Il étouffa un juron, se traita mentalement d'abruti pour sa grossièreté inappropriée et eu ensuite une très forte envie de se frapper la tête contre le dossier du banc en s'apercevant qu'il venait de jurer à nouveau. Le bruit de pas s'était rapproché et Lovino tourna la tête dans sa direction.

Un jeune homme venait d'entrer dans l'église. Il remontait la nef d'un pas rapide et décidé, le talon de ses hautes bottes claquant contre le sol dallé. Il tenait à la main un chapeau à large bord qu'il avait retiré en entrant dans l'enceinte du bâtiment sacré. Une grande cape sombre pendait en travers de son épaule gauche et, en se soulevant, elle laissait deviner le fourreau d'une épée. Un pourpoint brun sombre et une culotte* de la même couleur venaient compléter sa tenue simple mais parfaitement propre et de très bonne facture. Le jeune homme dépassa Lovino sans le regarder et continua à avancer vers l'autel. Sur la droite trônait une belle statue en marbre de la Vierge Marie*. Il se jeta presque à ses pieds avant de joindre les mains pour prier. Lovino l'observa quelques instants, un peu intrigué par son attitude. « Quelque chose de grave a dû lui arriver » pensa-t-il en apercevant l'air de détresse qui assombrissait son visage. Il s'en désintéressa pourtant au bout de quelques secondes pour retourner à ses propres prières. Le malheur frappait partout et à chaque instant en ce monde, Lovino le savait et il savait aussi que la seule chose à faire pour s'en garder était de prier dans l'espoir d'une grâce divine.

Au moins trois quarts d'heure s'était écoulés quand le jeune homme acheva ses prières. Il se releva et épousseta ses genoux puis se signa une dernière fois devant la statue de la Vierge avant de se diriger vers la sortie. Il lança cette fois-ci un coup d'œil à Lovino en arrivant à sa hauteur, eu l'air d'hésiter, puis s'arrêta à côté de lui et demeura silencieux. Se sentant observé, le novice termina son oraison silencieuse par un dernier « Amen » et leva les yeux vers l'inconnu.

Il ne devait pas avoir plus de dix-huit ou dix-neuf ans, mais il avait déjà une certaine prestance. Son port de tête était fier, sa silhouette svelte et bien tournée et les traits de son visage étaient à la fois nets et assez fins, ce qui lui conférait un air noble. Ses yeux surtout étaient remarquables : malgré le chagrin contenu qui les assombrissaient, Lovino n'en avait jamais vu d'un vert aussi éclatant. Le jeune homme repoussa une courte mèche brune et légèrement bouclée qui lui barrait le front puis fit un geste pour désigner la tunique blanche de Lovino et prit la parole.

-Je vois que vous faites partie du chœur. J'aimerais savoir où se trouve le prêtre qui s'occupe de cette église.

Lovino fronça légèrement les sourcils en entendant son ton fier et plutôt péremptoire. Tous ces jeunes godelureaux étaient tellement bouffis d'orgueil ! Il leur suffisait d'avoir une épée au côté pour qu'ils se prennent pour des grands seigneurs et ils attendaient qu'on leur donne du « don » et du «su excelencia» tout en baisant leurs bottes. Au moins celui-ci n'était pas enrubanné à outrance à la différence de tous les jeunes coqs qui se pavanaient sur la Plaza Mayor… De plus, ses traits aristocratiques semblaient indiquer qu'il s'agissait au moins d'un véritable hidalgo. Toutefois, si on en croyait la simplicité de sa tenue, il n'était pas non plus un caballero et encore moins un titulo*. Lovino lui répondit donc d'un ton plutôt froid mais néanmoins respectueux.

-Don Luis est absent pour le moment, señor. Il me semble que le révérend père Alfonso l'a fait appeler au collège après la messe. Vous devriez repasser dans l'après-midi. Señor.

-C'est pour une affaire urgente et je n'aurais pas le temps de repasser cet après-midi. Ne pouvez-vous pas le faire quérir ou bien aller vous-même le chercher ?

-J'ai bien peur que non señor. Il est surement occupé et je n'ai pas la permission d'aller et venir à ma guise.

A ces mots, le jeune homme parut perdre une partie de sa contenance. L'espace d'une seconde il eu l'air un peu perdu et son regard navigua rapidement entre la sortie de l'église et l'autel, avant de se concentrer à nouveau sur Lovino. Il finit par pousser un soupir et s'assit à côté du novice.

-Ecoutez, ma sœur Rosario vient de tomber gravement malade. Elle a une fièvre épouvantable et peut à peine se tenir assise dans son lit. J'ai déjà visité plusieurs églises pour qu'on dise des prières et des messes basses pour son rétablissement, mais c'est dans cette église-ci qu'elle a l'habitude de venir écouter la messe et se recueillir. Il me semble que si un prêtre voulait bien prier pour elle ici, peut-être que le Seigneur et sa Sainte Mère jetteraient un regard plus compatissant sur elle…

Lovino baissa les yeux et vit qu'une petite croix en or pendue à une chaine reposait sur le pourpoint du jeune hidalgo. « S'il s'agissait de Feliciano…Si c'était Feli qui était en train de mourir… »

-Je ne suis pas encore prêtre et je n'ai pas encore prononcé mes vœux, mais je suis un des novices du collège jésuite. Si vous le souhaitez, je peux rester ici et prier pour votre sœur jusqu'à ce que don Luis revienne.

Le visage du jeune homme s'éclaira et il adressa un léger sourire reconnaissant à Lovino.

-Merci infiniment !

Il porta la main à sa ceinture pour retirer sa bourse qu'il tendit à Lovino. Celui-ci fit un geste pour la refuser.

-Ce n'est pas nécessaire. Si vous tenez absolument à payer, remettez l'argent à don Luis la prochaine fois que vous viendrez. Moi je ne peux pas l'accepter.

L'homme sourit à nouveau et rangea l'argent puis il se leva pour prendre congé de Lovino.

-Fort bien. Acceptez néanmoins ma gratitude. Et dites bien au père Luis que je viendrais le payer dimanche prochain.

Il allait se retourner quand Lovino se rendit compte que quelque chose n'allait pas et le retint d'un geste de la main :

-Attendez ! Vous ne m'avez même pas dit qui votre nom. Don Luis va me le demander et puis il faut que je le sache pour prier pour votre sœur. Enfin ce n'est pas indispensable mais ça serait plus facile et…

L'air confus du jeune homme se mua en une expression un peu gênée lorsqu'il entendit l'explication précipitée du novice.

-Bien entendu ! Je ne sais vraiment pas où j'ai la tête aujourd'hui… Dites à don Luis que la demande émane d'Antonio Fernandez y Carriedo. Pour ce qui est de ma sœur…

Il passa la main droite sous sa cape pour aller fouiller dans une des poches de son pourpoint et en ressortit un tout petit portrait qu'il tendit à Lovino.

-Tenez. Priez bien pour elle.

Lovino saisit avec précaution le petit cadre en ébène et jeta un coup d'œil au visage peint de la jeune fille.

-Elle est vraiment très belle…

Un des sourcils noirs d'Antonio se releva légèrement et il posa la main gauche sur sa taille, juste à côté de la poignée de son épée.

-Hm ?

Lovino se rendit soudain compte de ce qu'il venait de dire et s'arracha prestement à sa contemplation pour lancer un coup d'œil affolé en direction d'Antonio :

-Ah ! Ce n'est pas ce que je voulais dire ! Enfin, si, c'est vrai qu'elle est belle…Mais enfin, vous voyez, je disais ça sans arrière-pensée et… Et je serais bientôt un clerc et même si ce n'était pas le cas, jamais je ne me permettrais de…

Antonio esquissa un sourire qui se mua en un petit éclat de rire quand il vit la teinte cramoisie que prenait le visage déjà confus et apeuré du jeune novice. Le pauvre avait dû croire vraiment l'offenser et se voyait déjà embroché sur six pouces de métal.

-Ha ha ! C'est bon, tout va bien. Je ne pense pas que la vertu de ma chère sœur puisse être mise en péril par le regard d'un enfant de chœur !

Il posa la main droite sur la tête de Lovino et lui ébouriffa légèrement les cheveux. Ce dernier écarquilla les yeux de surprise puis chassa vivement la main qui le touchait, l'air soudain outragé.

-Je ne vous permets pas !

Antonio n'eut même pas l'air de l'entendre et il se contenta de s'éloigner en lançant un léger éclat de rire un peu moqueur. Lovino le suivit des yeux alors qu'il descendait la nef, le visage encore bouillant de gêne et de colère. Alors qu'il arrivait à hauteur de la porte, Antonio remit son grand chapeau et se retourna une dernière fois.

-Merci encore ! Puisque vous prierais pour elle, je suis sûr que le Seigneur daignera sauver ma sœur.

Il adressa alors au novice un demi-sourire qui devait faire se pâmer la gent féminine et toucha légèrement le bord de son chapeau en guise d'adieu.

Le silence qui régnait de nouveau dans l'église sembla résonner dans la tête de Lovino qui avait les yeux fixés sur l'entrée de l'église par où le jeune hidalgo venait de s'éclipser. Il porta lentement la paume fraiche et un peu moite de sa main sur sa joue pour calmer la chaleur de son visage, puis se retourna lentement sur son banc et murmura un « bastardo » grognon. Il se saisit ensuite du petit portrait qui était tombé sur ses genoux pour l'examiner à nouveau.

La sœur d'Antonio était vraiment une belle jeune fille. Elle avait l'air à peine plus jeune que son frère et la même aura de noblesse imprégnait les traits de son visage. Elle avait néanmoins un regard plus doux. « C'est parce que ses yeux sont noirs, pensa Lovino, pas verts. Je n'avais jamais vu quelqu'un avec des yeux d'un tel vert… »

Au bout de quelques secondes, il rangea le portrait dans une de ses poches et se leva. Il alla chercher un cierge près de l'autel, l'alluma et alla le déposer sur un grand chandelier à côté de la statue de la Vierge, avant de s'agenouiller à son tour devant l'effigie. Les mains jointes et les yeux posés sur le visage doux et serein de Marie, il commença à prier pour le salut de Rosario Fernandez y Carriedo.

Ave Maria, gratia plena,

Dominus tecum,

benedicta tu in mulieribus,

et benedictus fructus ventris tui Jesus.

Sancta Maria mater Dei,

ora pro nobis peccatoribus,

nunc, et in hora mortis nostrae.

Amen.


Notes:

- Les Ursulines sont des religieuses qui font partie de l'Ordre de Sainte-Ursule, fondé au XVIème siècle en Italie. Elles se consacrent à l'éducation des filles et à l'assistance aux pauvres et aux malades.

- Les hôpitaux des enfants trouvés étaient des établissements où l'on venait déposer les enfants abandonnés et les orphelins dans les grandes villes d'Europe. Les taux de mortalité dans ce genre d'établissements étaient horriblement élevés à cause du manque d'hygiène et de la surpopulation: la plupart des enfants mourraient très rapidement... Par contre j'avoue que je ne sais pas du tout si il y a eu un hôpital des enfants trouvés à Naples et de manière générale il sont plutôt apparus vers la fin du XVIIème...

- La Compagnie de Jésus a été fondée en 1540 par Ignace de Loyola (issu de la noblesse des Pays-basques espagnols). Les jésuites étaient un peu le nec plus ultra en matière d'ordre religieux à l'époque. Ils étaient le fer de lance de la Réforme catholique (le mouvement de réaction catholique lancé à partir du concile de Trente pour lutter contre la Réforme protestante) et se consacraient notamment à l'éducation et aux missions d'évangélisation. Cette éducation se faisait dans des collèges qui étaient très cotés et où les nobles et les bourgeois envoyaient leurs enfants. Au XVIIème siècle il y a eu énormément de fondation de collèges jésuites partout en Europe et aussi en Espagne. Il y en avait surement un à Madrid mais j'ai pas réussi à retrouver son nom, du coup j'ai complètement inventé le nom de San Ignacio...

- La disputatio est une méthode d'enseignement qui date du Moyen Âge. C'est une sorte de discussion dialectique en latin.

- Le noviciat est une période de probation que doivent effectuer toutes les personnes souhaitant intégrer un ordre religieux. La Compagnie de Jésus était un ordre extrêmement sélectif où on n'admettait qu'une certaine élite intellectuelle (et physique dans l'idéal). Le noviciat ordinaire durait un an, pour les jésuites c'était deux ans et il y avait ensuite plein d'autres étapes mais j'y reviendrait plus tard... la période du noviciat se déroulait dans un établissement spécialisé: le...noviciat (meh.) et autant dire qu'on devait pas se la couler douce...

- Les laudes sont "l'office de l'aurore" célébré dans les établissements religieux.

- La nef est la partie réservée aux fidèles dans une église (là où il y a les bancs).

-la culotte est une partie du costume masculin de l'époque (pareil pour le pourpoint). Pour avoir une idée de ce que ça pouvait donner je vous conseil de regarder (en vo espagnol bien sûr) le film Le Capitaine Alatriste (avec Viggo Mortensen hé hé!) qui se passe pile à l'époque de la fic et qui est juste magnifique pour ce qui est de la reconstitution historique! C'est tiré d'une série de romans du même nom qui sont un peu l'équivalent espagnol et moderne de nos Trois Mousquetaires et que je vous conseille aussi fortement!

- La Vierge Marie était considérée comme la guérisseuse universelle dans la communauté des saints et elle était particulièrement vénérée en Espagne (et en France).

- "Hidalgo", "caballero" et "titulo" sont différents rangs de noblesse en Espagne. En gros être "hidalgo" c'est la noblesse de base, ça implique qu'on ne paye pas d'impôt au roi et qu'on a de l'honneur (donc que personne à intérêt à vous traiter comme un bouseux de base), mais pas mal d'hidalgos était plutôt désargentés... Le "caballero" est un rang au dessus. Il est forcément riche et à souvent une charge et un patrimoine important. Enfin le "titulo" fait partie de la haute noblesse titrée. Encore au-dessus du "titulo" on trouve le "Grande" c'est-à-dire le Grand d'Espagne. Là c'est de la très haute noblesse (ils ont le droit de garder leur chapeau en présence du roi).

Et j'arrête là pour cette fois parce que c'est déjà bien assez long! Si vous avez des questions ou si vous voulez des précisions n'hésitez pas! Et si vous voulez laisser une review n'hésitez surtout pas non plus! 8D

A bientôt pour le prochain chapitre!