Chapitre 1 - Missive des sables du Calimshan

« Les joies sont plus grandes et les peines moins lourdes quand on les partage avec des amis. C'est cela, vivre. »

Drizzt Do'Urden

Le monde avait changé. La Toile de Mystra s'était déchirée, plongeant Faerûn dans le chaos. Partout, la magie demeurait instable, nul ne savait plus où menaient les portails magiques, de nouveaux continents étaient apparus, des mers s'étaient vidées de leurs eaux, des territoires entiers avaient été ravagés par la Magepeste…

Catti-brie était morte. Régis également. Et Deudermont. Et tellement d'amis que le drow ne pouvait plus les compter. Seul Bruenor demeurait, roi de pierre régnant sur le peuple de sous la montagne. Les yeux du nain restaient secs, mais Drizzt savait que son cœur pleurait, autant que le sien. Les longues heures de deuil à trembler de douleur et de rage, à se révolter en vain contre sa propre impuissance avait laissé le drow affaibli et mutique. Il restait enfermé des jours entiers à Castelmithral, puis il disparaissait brusquement, n'emmenant que sa panthère et ses épées. Il rôdait dans les montages des dizaines durant, et revenait aussi malheureux et sinistre qu'à son départ.

Le printemps approchait mais le retour du beau temps ne dégelait pas la gangue de froid glacial qui emprisonnait son cœur et Bruenor commençait à craindre que son ami ne sourît plus jamais.

Jusqu'à l'arrivée d'une missive adressée au drow.

Elle provenait d'un émetteur inconnu et leur avait été remise par un barbare de Calmepierre – le village de négociants situé à proximité de Castelmithral – qui lui-même se l'était vue remettre par un étrange halfelin du sud.

D'une écriture élégante et serrée et dans un style simple mais soigné, la lettre présentait une requête.

« Cuivre Ante, Portcalim, Troisième jour de Ches,

Drizzt Do'Urden,

Parvenir à vous localiser et à vous contacter m'a coûté les plus beaux saphirs étoilés de ma collection, mais je ne déplorerai pas cette maigre perte si vous acceptiez mon offre.

Votre réputation est arrivée jusqu'à moi à Portcalim, et je pense que vous êtes la seule personne de tout Faerûn capable de me venir en aide. La Magepeste a gravement touché Portcalim, des genasis de feu, des effrits et d'autres créatures planaires tout aussi peu recommandables s'emparent de nos guildes et s'apprêtent à réduire les humains en esclavage. Ma guilde n'est plus en sécurité à Portcalim, je vais quitter le Calimshan et partir vers l'est. Tous mes hommes travaillent à ce seul but, la fuite est notre priorité absolue, aussi je m'adresse à vous pour une mission très délicate que je n'ose confier à personne d'autre.

Je suis sans nouvelle de trois de mes meilleurs espions depuis maintenant six mois. Je les avais envoyés à Port-Crâne pour surveiller une guilde de voleurs d'Eauprofonde. Aucune guilde ne s'implante généralement dans la Cité des Splendeurs tant l'influence des Seigneurs Masqués y est grande. Pourtant cette guilde survivait depuis plusieurs années. Mes hommes ont espionné Eauprofonde depuis les profondeurs de l'Outreterre, depuis Port-Crâne. Si vous en connaissez la réputation, vous savez que peu de cités de Faerûn présentent autant de dangers que Port-Crâne, mais la mission de mes espions se déroulait bien. Jusqu'à ce qu'ils disparaissent brutalement il y a six mois. J'ai envoyé d'autres espions les chercher, j'ai payé des informateurs, soudoyés des pirates… La plupart ont disparu, certains sont morts et d'autres encore ont eu trop peur pour s'approcher de la ville.

Je veux savoir ce qu'il est advenu de mes espions et des hommes que j'ai envoyé à leur recherche. Plus que jamais, ces informations sur l'emplacement et la puissance des guildes dans les Royaumes m'est cruciale, et Eauprofonde est la plus grande cité de la Côté des Epées. Votre prix sera le mien, je dispose de presque autant d'or et d'objets magiques que peut en contenir le trésor d'un dragon, et j'ai assez d'influence pour vous obtenir un service de grande importance si vous ne voulez pas d'une rémunération en or.

Si vous acceptez mon offre – ce que j'espère de tout cœur – utilisez la pierre de téléportation jointe à cette missive. Armez-vous et équipez-vous à votre guise. J'attends votre venue.

Dwahvel Tiggerwillies, Maîtresse de la Guilde des Halfelins de Portcalim »

Drizzt reposa la lettre. Il la lisait pour la septième fois. Assis dans la salle d'audience, il jouait distraitement avec la pierre de téléportation. Le drow réfléchit un moment en regardant Bruenor faire les cent pas, puis il reprit la lettre et la relut.

– Tu dois y aller, l'drow ! s'exclama soudain le roi de Castelmithral.

– Cette offre ressemble à un piège grossièrement élaboré, répondit le rôdeur en soupirant. Et je ne vois pas pourquoi je m'inquièterais du sort de quelques espions d'une des maudites guildes de Portcalim.

– On s'en fout d'la guilde ! s'énerva Bruenor.

Drizzt sourit.

– J'ai encore moins de raisons d'y aller alors.

– T'as b'soin d'action ! T'as b'soin d'une aventure, d'une quête. Y't'faut frôler la mort pour te remettre de celle de…

Le nain ne termina pas sa phrase.

– Elle aurait pas voulu qu'tu restes là, à t'morfondre !

Drizzt reprit la lettre.

– Comment savoir si ce n'est pas un piège d'Artémis Entreri ? Il vivait à Portcalim, c'est peut-être lui qui m'a retrouvé après tout ce temps…

Bruenor haussa les épaules.

– Et alors ? T'y vas, tu lui mets une raclée, comme à chaque fois, et tu r'viens m'raconter ! T'façon il doit plus être en vie maintenant. Les humains vivent pas longtemps…

La fin de sa phrase fut dite d'une voix chevrotante et douloureuse. Catti-brie n'avait vécu que quarante-six ans... Elle flottait comme un fantôme mélancolique dans toutes leurs conversations. Drizzt ferma douloureusement les yeux. Bruenor ne pourrait pas faire son deuil tant que le drow serait là à pleurer la mort de sa fille et de Régis. Et Drizzt ne cesserait pas de les pleurer tant qu'il serait près de Bruenor et de Castelmithral où ils avaient connus tant de moments de bonheur.

Il relut la lettre en silence. Une mission dangereuse, hein ?

– Je vais y aller, dit-il soudain d'un ton résolu.

Moins d'une heure plus tard il était prêt à partir. Et une nouvelle excitation gonflait son cœur, un sentiment qu'il n'avait pas connu depuis des mois. Il se sentait à nouveau vivant et plein d'énergie, prêt à relever tous les défis. Il fit ses adieux à Bruenor qui lui souhaita un succès total dans cette mission tordue et lui demanda de cracher pour lui sur le squelette d'Entreri s'il le voyait. Puis après quelques dernières plaisanteries de mauvais goûts de la part des nains, et plusieurs conseils pratiques sur les dangers de Port-Crâne, Drizzt utilisa la charge contenue dans la pierre de téléportation, et disparut.

.*.*.*.*.*.

– Je suis ravie que vous soyez venu, je ne pensais pas que vous répondriez si vite à mon appel.

– Il semblait urgent, répondit Drizzt à la jolie halfeline au sourire énigmatique.

– Il l'est.

Elle lui servit un verre d'un excellent hydromel de Dix-Cité, une délicate attention. Elle lui avait été présentée une demi-heure plus tôt quand la pierre de téléportation l'avait emmené en un instant à l'extrémité sud de Faerûn. Lui faisant parcourir une distance qui aurait normalement nécessité un voyage de presque un an, Drizzt apparut devant la Cuivre Ante, le repaire de la guilde des halfelins, dans le Quartier des Quais de Portcalim.

Dwahvel était belle et bien qu'ayant la taille d'une fillette de dix ans, elle avait un corps élancé et un air malicieux et rusé qui dénotait d'une intelligence fine et d'un humour piquant. Elle était directe et semblait sincère. Drizzt la trouva agréable, et lui qui était surtout venu pour l'action, se sentit soudain plus intéressé par la mission qu'elle lui confiait.

– A Port-Crâne, passer six mois sans donner signe de vie, ce n'est pas une preuve de bonne santé, expliqua-t-elle. J'ai peu d'espoir de revoir mes espions vivants. Mais je veux que vous m'apportiez la preuve de leur mort, que vous retrouviez les informations qu'ils avaient collectées sur la guilde de voleurs d'Eauprofonde, et que vous me les remettiez. Compte tenu de vos talents et de votre nature de drow, enquêter à Port-Crâne devrait vous être plus aisé qu'aux halfelins que j'ai envoyés.

Elle lui tendit une enveloppe cachetée à la cire.

– Voilà tout ce que vous devez savoir sur Quorry Milltall, et Nalon et Otitiln Tumblebelly. Ce sont les derniers rapports qu'ils m'ont envoyés, ainsi qu'un plan qui permet d'accéder à la planque où ils se cachaient. Lorsque vous aurez tout lu, brûlez les documents s'il-vous-plaît. Il serait très déplaisant qu'ils tombent entre de mauvaises mains…

– Je comprends, assura le drow en faisant disparaître l'enveloppe dans un renfoncement de sa sombre cape de voyage.

– Encore une chose… J'aimerais que vous n'y alliez pas seul.

Drizzt fronça les sourcils.

– Si vous vouliez que j'amène de l'aide pourquoi ne pas l'avoir dit dans votre lettre ? Un ou plusieurs nains de Castelmithral seraient venus avec moi.

– Il ne s'agit pas de ça. Je veux que vous y alliez avec quelqu'un en particulier… Entreri ne doit pas rester ici, je veux qu'il quitte Portcalim. Je sais qu'il ne craint pas les genasis, mais il finira par être tué. Une guerre terrible va se jouer ici et dans quelques mois cette ville deviendra un enfer. Mais Entreri est obstiné, il considère Portcalim comme son seul foyer, il ne partira pas… s'il n'a pas une bonne raison de le faire.

Drizzt resta interdit. Il ne trouva rien à dire pendant une longue minute.

– Il est toujours vivant ? finit-il par demander d'une voix faible.

– Vous l'ignoriez ?

– Oui. Enfin, je pensais… Quel âge a-t-il ?

Dwahvel sourit.

– Il n'a plus d'âge à présent. Il vivra aussi longtemps qu'un elfe ou qu'un nain, en volant la vie d'une liche il s'est octroyé son immortalité. Il a retrouvé tous ses réflexes, toute sa vigueur, toute sa jeunesse. Mais son esprit demeure celui d'un vieil humain buté, cette race n'est décidément pas faire pour s'attarder…

Drizzt baissa les yeux. Elle dut sentir qu'elle avait dit quelque chose qu'elle n'aurait pas dû parce qu'elle changea très vite de sujet.

– Depuis la Magepeste, tout Faerûn est un incroyable chaos. Vous envoyer seul à Port-Crâne en pareilles circonstances est suicidaire, vous ne serez pas trop de deux excellents combattants pour mener cette mission à bien.

– Ne soyez pas ridicule, s'impatienta Drizzt, quelles chances y a-t-il pour nous passions plus d'une minute dans la même pièce sans chercher à nous entretuer ? Et vous voudriez nous envoyer en mission ensemble ? Que je lui présente mon dos pour qu'il y plante sa fameuse dague ? Que je dorme près de lui pour qu'il m'égorge dans mon sommeil ? S'il vous a demandé de me faire venir pour m'assassiner…

– Il ne sait pas que vous êtes là ! le coupa la halfeline. Je ne lui ai pas dit que je vous avais demandé de venir. Si je ne parviens par à vous convaincre, je n'y arriverai pas avec lui.

– Alors renoncez. Entreri et moi ne collaborerons jamais. Nous sommes profondément différents, j'ai pitié de lui et il me hait.

Tiggerwillies sourit.

– Entreri peut inspirer beaucoup de choses, mais pas la pitié. Son cœur entier tiendrait ma petite main. Mais il est un peu meilleur qu'autrefois ; et vous êtes peut-être un peu plus amer…

Drizzt haussa un sourcil.

– On m'a rapporté votre combat contre la dracoliche, et ce qui était arrivé à vos amis, expliqua Dwahvel. Artémis se désespère de la vacuité de son existence... Et vous, drow ? Loin de votre peuple ? Maintenant que vous avez perdu la plupart de ceux qui vous étaient chers ? Détesté des gens de la surface, que retenez-vous de votre vie qui vous sauve du désespoir ? Depuis combien de temps la solitude et le doute rongent-ils votre cœur ?

Le drow balaya la table d'un mouvement de bras furieux. Son verre et la bouteille d'hydromel se brisèrent en s'écrasant sur le sol. La halfeline ne cilla pas. Elle ne le connaissait pas mais elle semblait comprendre sa douleur comme s'ils étaient de vieux amis, elle pouvait mettre les mots exacts sur ce qu'il ressentait et c'était insupportable.

– Je sais que vous souffrez, dit-elle platement. Je vous connais parce que je connais Entreri. Il m'a tellement parlé de vous que j'ai l'impression que nous sommes de vieilles connaissances. Votre désespoir n'est pas très différent du sien.

– Si ! Bien sûr que si ! Tout est différent ! Je pleure mes amis parce que je les aimais ! Entreri ne sait même pas ce que cela signifie.

– Et c'est de cela qu'il souffre aujourd'hui. D'avoir perdu tant de temps à être le meilleur, le plus dangereux, le plus indépendant. Il est impossible de l'approcher de trop près, il ne reconnaîtra jamais ses faiblesse de peur que d'autres les exploitent. Sa solitude le ronge, exactement comme la vôtre ! Mais vous pourrez le comprendre, vous pourrez l'approcher, pas parce qu'il vous laisserait le faire mais parce que vous en avez la force ! Vous vous retrouverez en lui, parce que vous êtes comme les deux facettes d'une même personne. Et vous guérirez à travers sa guérison.

Drizzt secoua la tête d'incrédulité.

– Jamais quelque chose positif ne pourrait sortir d'une alliance entre Entreri est moi. Je ne sais pas ce qui a pu vous faire penser que…

– Vous seriez surpris, le coupa-t-elle, de la bienveillance qu'il cache en lui.

Drizzt laissa échapper un rire ironique.

– Vous ne trouverez pas d'assassin plus froid et inflexible dans tous les Royaumes, reconnut Dwahvel, mais vous ne trouverez pas non plus d'homme qui connaisse mieux votre âme. Vous êtes mon dernier espoir, si vous ne parvenez pas à sauver mon ami de lui-même, personne ne le pourra. Partez avec lui.

– Qu'avez-vous dit ?

– J'ai dit « partez avec lui ».

– Non juste avant. Vous l'avez appelé votre « ami » ?

Dwahvel pencha la tête sur le côté.

– Oui, et alors ?

– Artémis Entreri n'a pas d'ami. Il domine ou il combat. Il soumet ou il détruit.

– Oui, autrefois, il était cette personne, dit doucement la halfeline en posant son menton dans le creux de sa petite main. La plupart des gens restent ce qu'ils sont, et Artémis n'a pas radicalement changé ; mais il a essayé. Il est devenu mon ami le plus fiable et le plus fidèle. Et je ne doute pas de sa loyauté. Il est toujours l'assassin qui égorge de sang froid ceux qui le menacent ; mais il n'a plus un cœur de pierre.

Drizzt demeura incrédule un long moment.

– Est-ce que je peux le voir ? finit-il par demander.

La halfeline sourit de satisfaction.

.*.*.*.*.*.

– Est-ce que vous êtes complètement folle ? Que je voyage avec lui ? Que je remplisse une mission avec lui ? Voudriez-vous que je meure parce qu'il aura décidé de sacrifier nos vies à la première noble cause qui si présentera ? Combattre un dragon rouge ? Prendre une forteresse illithid ? Si vous avez besoin de mon épée elle est à votre service, je vous l'ai dit ! Mais bon sang Dwahvel qu'est-ce qui vous a pris ?

Artémis n'avait même pas adressé la parole à Drizzt. Il l'avait observé d'un œil mauvais, appuyé contre le mur du petit salon où la halfeline les avait reçus tous les deux. Il avait le teint grisâtre, comme toujours depuis qu'il avait volé la vie de la liche et semblait las. Drizzt s'était un peu attendu à ce que l'humain se jette sur lui pour le tuer. La dernière fois qu'ils s'étaient vus, Entreri était certain d'avoir tué le drow. Mais Jarlaxle l'avait ressuscité, trompant la confiance d'Artémis. L'assassin avait compris ce qu'avait fait Jarlaxle des années plus tard. Mais son obsession s'était apaisée, la mort de Drizzt l'intéressait maintenant bien peu. Seule sa longue « retraite » à Portcalim et son amitié avec la halfeline avaient de l'importance à ses yeux.

– Connaissez-vous quelqu'un d'autre qui soit à la hauteur de vos talents et accepte cette mission ? l'interrogea Tiggerwillies en haussant un sourcil.

– Dwahvel, je vais à Port-Crâne, pas à Menzoberranzan ! Je n'ai pas besoin d'être accompagné, ni par un mauvais guerrier, ni par un excellent !

– Port-Crâne a changé depuis la Magepeste, de grands dangers vous y attendent. Vous ne serez pas trop de deux excellentes lames.

– J'ai horreur qu'on tente de me devancer ! Je croyais que vous aviez assez de bon sens pour ne jamais essayer de me piéger ! Avez-vous la moindre idée de la menace que vous faites peser sur moi en l'emmenant ici dans un moment aussi critique ! Portcalim est déjà bien assez invivable sans y ajouter la présence de Drizzt Do'Urden !

Artémis qui reconnaissait qu'il avait peur, c'était bien la première fois qu'il entendait ça, pensa le drow.

– Nous en avons déjà discuté, Entreri, je ne veux pas que vous restiez ici ! s'impatienta la halfeline. Terminez cette mission, puis prenez un nouveau départ. Repartez à l'aventure, installez-vous dans une autre ville, ou suivez-nous vers l'est. Mais quittez Portcalim !

– Je ne vais pas capituler et fuir devant une poignée de misérables planaires ! J'étais chez moi ici longtemps avant leur arrivée, je le serai encore après leur départ !

– Assez ! s'impatienta Drizzt. C'est infernal ! A l'évidence mademoiselle Tiggerwillies, votre ami l'assassin n'a pas l'habitude de faire équipe et une relation qui n'inclue pas une perspective de meurtre lui est incompréhensible. Je pense que vous vous êtes trompée, il n'a pas changé. Il ne sera jamais une personne meilleure et vous devriez le laisser ici, être réduit en esclavage par des genasis est un sort qu'il mérite parfaitement. Maintenant, si vous permettez, je voudrais rentrer chez moi.

– Attendez ! Il va partir avec vous et faire cette mission ! s'écria Dwahvel.

Entreri se décolla du mur et vint se planter devant la halfeline, assise à la même table que Drizzt. Son expression exaspérée s'était muée en un air franchement menaçant.

– Je suis sensible à votre intérêt pour moi, mais vous ne pourrez pas me forcer à travailler avec lui, ni à quitter la ville, énonça-t-il d'un ton catégorique.

– Pour ce qui est de travailler avec lui, je suis certaine que malgré ce que vous en dites, vous seriez ravi de pouvoir vous comparer à lui à nouveau. Vos talents se mesurent à l'aune de ceux de Drizzt Do'Urden car il est le seul à vous égaler. Vous sauriez ainsi que vous avez retrouvé toute votre perfection d'autrefois, et plus encore. Vous en avez besoin. Quand à quitter la ville… Je ne vous demande pas votre avis, je vous exile !

Artémis tira sa dague et l'approcha de la gorge de son amie.

– Ne me menacez plus jamais Dwahvel, vous le paieriez de votre vie.

La halfeline bondit sur ses jambe et se mit debout sur la chaise, de façon à être presque aussi grande que l'humain. Drizzt cru un instant que ce geste brusque allait lui coûter la vie, mais loin de la tuer, Entreri repoussa au contraire sa dague pour ne pas la blesser.

– Et vous croyez que j'hésiterai ? hurla-t-elle à son visage. Vous croyez que je vais changer d'avis ? Je donnerai ma vie si cela peut sauver la vôtre ! Vous êtes en danger à Portcalim, et vous le savez ! Vous vous obstinez par fierté ! Vous vous fichez peut-être de votre vie, mais moi je ne m'en fiche pas ! Si vous ne vouliez pas que j'agisse avec vous comme une amie, il ne fallait pas m'offrir votre amitié ! Maintenant vous avez des obligations envers moi, comme celle de ne pas mourir bêtement ! C'est cela vivre Entreri ! C'est cela ne pas être seul ! Vous êtes responsable du mal que vous pourriez me faire !

La voix aigüe de Dwahvel était montée de plusieurs octaves et sa respiration était chaotique. Elle était rouge de colère mais il y avait des larmes dans ses yeux.

Entreri baissa lentement sa lame, comme s'il réalisait que le métal enchanté n'avait aucun pouvoir contre la justesse des mots de la halfeline. Sa colère semblait êtes retombée. Il avait l'air perplexe et gêné.

Drizzt le dévisagea longuement. Jamais il n'aurait cru que quelqu'un puisse éprouver pour lui une affection aussi forte que celle de Dwahvel. L'amitié de la halfeline qui semblait être une personne sensée et raisonnable remettait en cause tout ce que Drizzt prenait pour acquis au sujet d'Entreri. Et l'expression de son visage, ouverte et humaine comme jamais le drow ne l'avait vue, éveilla son intérêt. Se pouvait-il qu'il ait vraiment changé ? Pouvait-il avoir abandonné un peu de sa malveillance ? Drizzt découvrit qu'il ne pouvait pas partir sans avoir eu la réponse à cette question.

– J'accepte, dit-il soudain, détournant l'attention des deux amis. Je suivrai Entreri s'il va à Port-Crâne. J'ai besoin d'aventure…

Puis il eu un sourire narquois totalement calculé.

– Mais si tu es aussi mauvais qu'à notre dernier combat, je t'abandonne sur place, et je termine cette mission tout seul.

Le regard d'Entreri s'enflamma. Leur dernier combat s'était déroulé en Outreterre, Drizzt avait eu le dessus mais il avait épargné l'assassin. Entreri, lui, ne l'avait pas épargné et il l'avait vaincu par traîtrise, le tuant sans la moindre hésitation.

– J'ai gagné notre dernier combat, répondit l'humain entre ses dents serrées.

– C'est bien ce que je dis, répliqua le drow d'un ton méprisant.

A la loyale Entreri aurait perdu, c'était sa méchanceté et non son talent qui lui avait permis d'obtenir la victoire. Il avait été mauvais. A tous les sens du terme !

– Dwahvel ! aboya l'humain d'un ton colérique à la halfeline qui était juste devant lui. Descendez de cette chaise, vous n'êtes pas plus impressionnante comme ça ! Et dites à votre mage de préparer un cercle de téléportation, nous partons dès que tout sera prêt.

De toute évidence, le drow avait fait céder l'assassin de Portcalim. Les yeux de la halfeline s'illuminèrent et elle adressa à Drizzt un regard empli d'une immense chaleur : la gratitude que seule une amie sincère peut éprouver. Et Drizzt sentit qu'il ne regretterait pas son choix ; cette mission s'annonçait affreusement dangereuse et merveilleusement captivante. C'était exactement ce dont il avait besoin !

A suivre…

Ecriture achevée le 09/06/2011