Bonjour bonjour !

Bon, que dire... Ceci est une fanfic (enfin, un début, en tout cas...), parce qu'il faut bien se lancer un jour. ^^ A priori elle tiendra en 7 chapitres (éventuellement peut être 8, mais pour l'instant, dans ma tête, c'est 7), et j'ai déjà les idées jusqu'au bout donc ça devrait le faire. Enfin, j'espère en tout cas.

Ce sera sûrement à raison d'un chapitre toutes les une ou deux semaines...? Une, peut être, quand les exams seront finis ? Je vous tiendrai au courant si vous décidez de suivre cette petite histoire. :P

Bref, bonne lecture ! :)


« Hier, 7 décembre 1941, une date qui restera dans l'Histoire comme un jour d'infamie, les États-Unis d'Amérique ont été attaqués délibérément par les forces navales et aériennes de l'empire du Japon. Les États-Unis étaient en paix avec le Japon et étaient même, à la demande de ce pays, en pourparlers avec son gouvernement et son empereur sur les conditions du maintien de la paix dans le Pacifique. […] Les hostilités ont commencé. Il n'y a pas à se dissimuler que notre peuple, notre territoire et nos intérêts, sont en péril. Confiants en nos forces armées, nous remporterons l'inévitable triomphe grâce à la résolution inébranlable de notre peuple. Et que Dieu nous aide.

Je demande au Congrès de déclarer que depuis l'attentat commis par le Japon le 7 décembre, attentat que rien ne justifie, les États-Unis se trouvent en guerre avec l'Empire du Japon. »

C'était les phrases qui tachaient les journaux dans les kiosques et les affiches dans les rues, les mots qui tournaient en boucle à la radio dans chaque foyer, depuis l'aube. Ils ne pouvaient pas y échapper, finalement. Ils ne pouvaient pas se contenter d'observer, et ne jamais prendre part. Pas devant un conflit d'une telle ampleur. Les américains étaient désormais officiellement en guerre contre les forces de l'Axe.

Levi soupira longuement alors qu'il ramassait les craies étalées sur son bureau pour les poser dans la boîte près du tableau noir. Il sortit un mouchoir de sa poche de pantalon et essuya ses mains blanchies d'avoir passé la journée à écrire sur ledit tableau noir. À peine avait-il annoncé la fin du cours que les conversations avaient éclaté dans un vacarme ingérable. Mais le brun prit sur lui pour faire abstraction du brouhaha général. Tout le monde était sur les nerfs, il pouvait le comprendre. Il était d'ailleurs surpris que, au vu des événements du matin même, la quasi-totalité de ses élèves aient malgré tout pris la peine de se présenter en cours. Levi rassembla ses notes et ses divers papiers et stylos, et les glissa dans son cartable de cuir vieilli. Il observait l'amphithéâtre se vider lentement tout en enfilant sa veste de costume en tweed, dont la couleur anthracite contrastait presque trop avec sa peau pâle. Il saisit son manteau et son cartable de sa main droite, la gauche paresseusement glissée dans sa poche, et s'apprêtait à gagner lui aussi la sortie quand une voix timide et tremblante le retînt.

- Monsieur Ackerman, excusez-moi…

Le concerné se retourna. Une petite blonde - il la dépassait d'une tête, c'était dire - l'observait avec de grands yeux bleus inquiets, plantée en bas de l'estrade. C'était une première année, il la reconnaissait, elle s'asseyait toujours au premier rang. Comment s'appelait-elle déjà ? Lens, Lenz… Renz, peut être ? Ouais, ça devait être quelque chose comme ça. Levi la dévisagea en silence, son éternel air agacé gravé sur ses traits. Il s'attendait visiblement à ce qu'elle poursuive. Il était prêt à l'écouter, bien sûr, c'était son job après tout. Mais il n'avait pas l'intention de passer la nuit planté ici.

- Je... Euh... Commença-t-elle avec hésitation. Vous pensez que la guerre durera encore longtemps ? Parce que... Mon père et mon frère partent en Europe bientôt et je...

- Ça prendra autant de temps que nécessaire, la coupa-t-il. Les gens sont doués pour se montrer stupides, il leur faut parfois un moment avant d'ouvrir les yeux.

La jeune fille ouvrit la bouche, puis la referma. Elle ne semblait même pas déçue, juste... Résignée. Triste. C'était compréhensible. Elle se mêla au flot d'étudiants qui passaient les portes de l'amphithéâtre, et Levi fronça les sourcils en la regardant s'éloigner. Qu'attendait-elle de lui, exactement ? Il était professeur d'anthropologie à l'université, pas Oracle. Quand bien même il maîtrisait plutôt bien son sujet, il n'en était pas au point de pouvoir anticiper la fin de la guerre. C'était à un homme politique ou à un général de l'armée qu'il fallait poser la question. Il soupira une nouvelle fois et attendit quelques secondes que le dernier élève ne passe la porte pour le suivre, boitant légèrement, comme toujours. Foutu genou. À peine eut il posé un pied dehors que le froid mordant l'assaillit sans prévenir. Il lâcha un « Tsk » irrité et enfila son long manteau bleu nuit aux boutons argentés. De nombreux étudiants traînaient encore à la sortie, une cigarette à la main pour la plupart.

C'était étrange de se dire que presque la moitié d'entre eux ne reviendraient sûrement pas en Amérique de sitôt. Ne reviendraient sûrement pas en Amérique tout court. Tous ces garçons, d'à peine vingt ans, qui finiraient sur les champs de bataille en Europe du jour au lendemain, qui laissaient leurs mères, leurs petites amies, leurs vies derrière eux.

Levi finit par se détourner et se mit à marcher comme il le pouvait. Sa blessure n'était pas plus handicapante que ça, en fait. Certes, il ne pouvait plus tendre la jambe au maximum, et se retrouvait donc obligé de marcher légèrement sur la pointe du pied - mais au moins pouvait-il marcher. Non, le problème était surtout que c'était assez douloureux. Il avait constamment l'impression que quelqu'un s'amusait à frotter ensemble ses os et ses ligaments. Et le froid réveillait d'autant plus la douleur, mais ce n'était peut être pas plus mal finalement. Ça suffisait à lui occuper l'esprit ; il ne voulait pas penser à la guerre. Et puis, il avait l'habitude, à force de traîner depuis presque cinq ans un genou qui ne voulait plus se plier correctement. Putain de Nazis.

A cette heure, les rues de New York étaient bien trop fréquentées à son goût et il se hâta comme il le pût pour traverser les deux blocs qui le séparaient de sa destination. Au moins, il ne neigeait pas, c'était toujours ça de gagné. Mais il était trop lassé de tout pour chasser les mèches brunes que le vent envoyait valser devant ses yeux. Et sa main qui tenait son cartable, et ne profitait donc pas de la chaleur de son manteau, était en train de tourner au violet - ses doigts le brûlaient désagréablement. Puis, finalement, il arriva au tournant d'une avenue et s'engouffra dans un café. La chaleur qui y régnait était apaisante, familière, et une délicieuse odeur de thé flottait dans la pièce. Levi ne comptait plus les fois où il avait mis les pieds ici. Approximativement tous les soirs de semaine, depuis plusieurs années maintenant. Il était à peine dix-huit heures mais la nuit était déjà là depuis un moment, et les lourds rideaux rouges et les murs boisés assombrissaient d'autant plus l'atmosphère. On s'y sentirait presque en sécurité.

Il y avait déjà du monde, bien sûr. Des couples devant un café, des mères de famille qui se regroupaient autour d'une limonade, des groupes de jeunes qui riaient en sirotant un Coca. Levi s'avança vers le bar et se hissa sur le tabouret à l'extrême gauche, toujours le même, tous les soirs. Il était toujours libre - tout New York devait savoir qu'il lui était plus ou moins réservé, et personne ne se risquerait à prendre sa place. Il se sépara de son manteau et le posa sur le dossier avant de défaire le bouton de sa veste, sans pour autant la retirer. Il ne s'était pas encore remis du froid qui lui était tombé dessus. Levi détestait l'hiver.

Le brun observait silencieusement la pièce de son regard perçant, et était étonné de constater à quel point elle semblait... Normale. C'était les mêmes personne que d'habitude, qui se comportaient comme d'habitude, discutaient de tout et de rien. Comme si les mots du président Roosevelt un peu plus tôt dans la matinée n'avaient jamais existé. Ou alors était-ce parce qu'ils étaient au contraire bien réels ? Les gens ne se rendaient peut être pas encore compte. Il tourna la tête vers le comptoir quand il reconnut le bruit familier de la porcelaine qui cogne contre le bois, rapidement suivi d'une voix enjouée.

- Salut Levi. Comme d'habitude, je suppose.

Une main poussa vers Levi une tasse de thé fumante, et l'odeur chaude et légèrement épicée qui s'en échappait avait l'effet de la plus douce des couvertures. Il savait qu'il se brûlerait la langue à en perdre le sens du goût s'il le buvait maintenant, mais c'était toujours si tentant. Le brun leva les yeux vers le barista, un jeune homme aux cheveux couleur de paille et au veston cintré qui le scrutait avec un sourire.

- Merci Farlan, se contenta-t-il de répondre de sa voix traînante.

Levi n'était pas doué pour les sourires, et la politesse était souvent à revoir. Mais l'intention était là, la plupart du temps. Quand bien même il ne semblait jamais pouvoir se départir de l'air exaspéré qui venait froncer ses sourcils, ni de la moue indifférente qui pinçait ses lèvres. Quand bien même il avait tendance à faire fuir n'importe qui, avec son air renfrogné, son teint pâle et les lourds cernes qui soulignaient son regard insolent. L'intention était là, vraiment, mais Levi était peut être simplement trop différent pour qu'on ne la saisisse. Au moins Farlan avait-il l'habitude, lui. Même si, les premières fois où Levi avait commencé à fréquenter son établissement, il avait eu envie de s'arracher les cheveux tant le brun lui donnait l'impression d'être un incapable. Mais Farlan comprenait maintenant, un peu mieux. Il savait que Levi était différent. Il ne faisait pas exprès d'être cynique et cassant. C'était simplement quelqu'un qui ne s'embarrassait pas des banalités habituelles, qui était parfois trop grossier pour son propre bien, et manquait cruellement de tact. Il était comme ça, c'était comme ça que le monde l'avait fait.

Le brun hocha la tête vers le propriétaire des lieux. C'était sa façon à lui de faire savoir qu'il appréciait le geste. Il prit finalement la tasse dangereusement pleine entre ses doigts et la porta à ses lèvres. Il ne but qu'une gorgée - c'était encore trop chaud - mais c'était suffisant pour le réchauffer entièrement. Il retira sa veste, puis trouva alors le courage de plonger la main dans son cartable pour en tirer un paquet de copies et un stylo rouge. Il commença à s'atteler à la correction des dissertations tandis que Farlan retournait vaquer à ses occupations et s'occuper de ses autres clients.

C'était comme ça tous les soirs. Levi quittait l'université vers dix-huit heures et marchait sur deux blocs, jusqu'à voir l'enseigne du Café Sina apparaître au coin de la rue. Il entrait, échangeait parfois quelques mots avec Farlan, puis sortait les devoirs qu'il avait à corriger, ou commençait à poser sur papier les grandes lignes de ses prochains cours. Ou se contentait de faire des mots croisés, quand il n'avait pas de travail. C'était plutôt rare. Il commandait toujours un thé noir, simple. Encore qu'il n'avait même plus besoin de le commander désormais, Farlan le préparait machinalement pour dix-huit heures. Généralement, Levi restait une bonne heure dans l'établissement - et quand il s'en allait pour rentrer manger chez lui, le café s'était déjà bien rempli et faisait plus office de bar qu'autre chose.

Ça faisait cinq ans maintenant. Cinq ans qu'il avait quitté l'Allemagne - parce que, qui voulait y rester ? - et avait fait le voyage jusqu'à New York. Il était même officiellement citoyen américain depuis peu de temps. Mais Levi n'avait pas vraiment changé pour autant. Il était toujours aussi froid et fermé. Il regardait toujours le monde d'aussi loin qu'il le pouvait, parce qu'après tout, surtout en ces temps sombres, qu'est-ce que le monde pouvait bien avoir à offrir ? Il se levait le matin, allait travailler, donnait ses cours. Il mangeait avec ses collègues, Erwin et Mike, à la pause déjeuner, et les laissait parler entre eux sans jamais prendre part à la conversation. Il faisait le chemin jusqu'au Café Sina, s'asseyait, buvait son thé, travaillait un peu, et payait. Puis il rejoignait la station de métro en bas de l'avenue pour rentrer chez lui, où il se préparait à manger. Il allumait souvent la radio le soir, pour se mettre au courant des dernières nouvelles. Et c'était à peu près tout, finalement. Il n'était pas riche, mais se débrouillait pour payer son logeur. Il n'était pas particulièrement heureux mais, quand il songeait à ce qu'il avait laissé derrière lui en traversant l'Atlantique, il se disait qu'il n'avait aucunement le droit de se plaindre. Il n'était proche de personne, mais en avait-il vraiment besoin ? Il était relativement satisfait de ce qu'il avait, il ne réclamait pas forcément plus.

Il maudissait sa jambe à demi fonctionnelle, râlait contre la neige, le vent et le froid, insultait la guerre et haïssait les Nazis. Ses voisins le savaient allemand et le fuyaient quand ils le croisaient dans les escaliers. Ses élèves le savaient allemand et n'osaient pas prononcer un mot pendant ses cours. Qui sait, il aurait peut être été capable de les fusiller sur place ou de les jeter dans un bateau naviguant vers les camps. Parce que, du haut de ses trente-quatre ans et de son mètre soixante, avec son regard lassé, ses remarques acerbes et son aversion envers tout ce qui croisait son chemin, Levi avait l'air menaçant. Avait-il vraiment l'air si menaçant ? Il lui arrivait de se poser la question, parfois. Bien sûr, le fait qu'il ait un jour foulé le même sol que Der Führer n'aidait pas à adoucir son image. Mais quand même.

Puis il se souvenait qu'il n'avait rien à faire du regard des autres et continuait seul sa petite vie pleine d'amertume et de rancœur refoulées.

Il s'écoula comme toujours une petite heure durant laquelle Levi griffonnait des remarques et des commentaires dans les marges des copies, attribuait les notes et buvait une gorgée de thé à intervalles réguliers. Il leva les yeux vers sa montre, par réflexe, aux alentours de dix-neuf heures, et rangea le paquet de dissertations dans son cartable. Il réalisa alors que la salle était particulièrement bruyante, par rapport à d'habitude. Quand il était concentré, il ne faisait attention à rien, il était dans sa bulle.

Il jeta un regard circulaire sur la pièce. Les tables étaient toutes prises, les tabourets qui s'alignaient à côté du sien l'étaient également. Farlan s'affairait derrière le comptoir, mais avait troqué le service de cafés et de chocolats chauds contre celui des bières et des whiskeys. La musique, qui jusqu'alors était là comme un simple bruit de fond, avait triplé d'intensité. On avait écarté les tables, dans le fond de la pièce, et des couples dansaient sur un air de jazz rapide et entraînant. De la fumée surplombait lourdement les clients, accompagnée d'une forte et piquante odeur de tabac. Il ne s'était décidément rendu compte de rien. Mais, plus important, que faisaient tous ces gens ?

Leur pays était en guerre, ils s'engageaient dans le conflit armé le plus meurtrier que l'humanité ait connu jusqu'à présent. Les hommes seraient bientôt comprimés dans leurs uniformes, alourdis de fusils, et les femmes finiraient dans les usines automobiles à construire des chars et des munitions. Une partie non négligeable de la population mondiale était en train de se faire décimer, quelque part entre la France, l'Allemagne et les froides plaines de l'Union Soviétique. Des avions s'échouaient dans le Pacifique et sur les côtés japonaises. C'était la guerre, il n'y avait résolument pas matière à danser et se réjouir. Ou alors était-ce lui qui comprenait le monde à l'envers ? Il fronça les sourcils et se pencha pour récupérer son manteau et rentrer chez lui quand Farlan se posta à sa hauteur derrière le comptoir.

- Tu veux pas rester un peu plus longtemps ? Proposa-t-il. L'ambiance est plutôt festive ce soir, et t'as l'air de quelqu'un qui a besoin de se vider la tête, pour une fois.

Levi le dévisagea, perplexe. Lui, rester ? Pour quoi faire ? Ce n'était pas comme s'il allait rejoindre les jeunes qui dansaient au rythme la musique, ou encore engager la conversation avec les clients, qui devaient maintenant jouer des coudes pour trouver une place libre. Le brun haussa un sourcil interrogateur à l'attention du barman et celui-ci soupira, sans se départir de son demi-sourire. Levi ne comprenait vraiment pas les gens. Farlan désigna du regard un groupe d'ouvriers, aux alentours de la quarantaine, qui riaient bruyamment autour d'une table, une chope de bière à la main.

- La plupart de ces hommes vont être renvoyés en Europe en sachant que ce qu'ils y trouveront sera sûrement pire que ce qu'ils ont vécu en 14-18, et qu'ils n'auront peut être pas la chance de rentrer au pays, cette fois.

Le propriétaire des lieux tourna la tête vers la piste de danse où de jeunes garçons faisaient valser leurs partenaires. Tous souriaient et se laissaient porter par la rythmique entraînante du Benny Goodman Orchestra, les talons de ces demoiselles claquant sur le parquet.

- Ces gosses vont se retrouver livrés à eux-mêmes alors que la plupart d'entre eux n'ont jamais tenu une arme, déclara Farlan avant de marquer une pause. Dans quelques jours, éventuellement quelques semaines, ils seront contraints de partir. C'est normal qu'ils veuillent profiter de leurs derniers instants en Amérique pour s'amuser une dernière fois, t'es pas d'accord ?

Levi quitta des yeux les clients pour se tourner à nouveau vers Farlan. Qu'avait-il à répondre à ça ? Il avait sûrement raison, après tout. Les hommes s'apprêtaient à être envoyés à la mort, quoi de plus naturel que de tout mettre en œuvre pour faire de leurs derniers instants de répit les plus beaux de leur existence ? Le brun pouvait comprendre, oui, effectivement. Il trouvait ça tordu et illogique, mais il comprenait. Ça ne suffisait cependant pas à justifier le fait qu'il reste parmi eux. Lui n'était pas mobilisé ; il avait beau avoir désormais la nationalité américaine, l'état plutôt pitoyable de sa jambe l'empêchait d'être d'une quelconque utilité. Il ne serait pas envoyé au front, ce n'était pas ses derniers instants de répit, il n'avait rien à célébrer. Il se contenta donc de fermer son cartable et saisit sa veste et son manteau. À peine s'était-il levé qu'une masse s'affala sur le tabouret qu'il venait de laisser vacant.

- J-Je peux… Avoir un verre d'eau… L'vous-plaît ? Lâcha la voix saccadée d'un garçon à l'attention du barman.

Levi nota que, malgré le fait qu'il semblait essoufflé, sa voix légèrement rauque semblait rieuse. Probablement un des jeunes qui accaparaient la piste de danse un peu plus tôt. Le brun commençait à s'avancer vers la sortie en boitillant, cartable dans une main, veste et manteau dans l'autre, quand cette même voix, qui avait repris un peu de sa contenance, retentit dans son dos.

- Eh, qu'est-ce que vous avez à la jambe ?

Levi se figea. C'était à lui qu'on parlait ? Une question pareille, ça ne pouvait être qu'à lui qu'on la posait. Mais pourquoi irait-on se risquer à adresser la parole au petit homme à l'air blasé qui corrige ses copies sur le bord du comptoir ? Il jeta un coup d'œil par dessus son épaule. À quelques pas, sur son tabouret habituel, l'adolescent qui y avait pris place était effectivement tourné dans sa direction et le regardait, lui.

- On t'a jamais appris à ne pas poser ce genre de questions aux handicapés, gamin ?

- Ça vous gêne que je vous la pose ? Rétorqua-t-il avant de hausser les épaules. Parce que je peux vous en poser une autre si vous préférez. C'était surtout une excuse pour avoir quelque chose à vous dire, en fait.

Levi se retourna complètement vers lui, intrigué. Qu'entendait-il par ça ? Pourquoi ce gamin cherchait-il une excuse pour lui parler ? Les sourcils encore plus froncés que d'ordinaire, le brun détailla l'inconnu de son regard froid. Il était jeune et débraillé. Un gamin. Il portait une chemise beige et froissée dont il avait retroussé les manches sous la chaleur de la pièce et l'effort de la danse, et dont un bouton défait laissait entrevoir la peau moite de son cou. Elle était probablement rentrée correctement dans son pantalon avant qu'il ne se mette à danser, mais s'en échappait désormais à moitié. Il n'avait ni cravate ni nœud papillon, mais portait des bretelles en cuir souple, qui ne semblaient cependant pas être d'une très grande utilité tant elles étaient lâches - l'une d'elle était à deux doigts de glisser de son épaule. Un gamin jeune et débraillé.

Mais Levi resta quelques secondes interdit quand ses yeux se posèrent sur son visage. De sa vie, il avait rarement vu un visage aussi doux. Le garçon avait des traits fins, mais une figure où subsistaient encore les légères rondeurs de l'enfance. Il semblait à la fois bien trop mature mais, paradoxalement, encore outrageusement juvénile. Des lèvres charnues qui s'étiraient en un sourire sincère étaient surplombées d'un nez délicat, étonnement petit. Et son sourire avait quelque chose de captivant, mais Levi s'empressa, pour une raison inconnue, de porter son regard ailleurs. Ses joues rosies par l'effort attiraient l'attention sur des pommettes hautes et bien dessinées, qui ne semblaient pourtant pas creuser son visage. Des mèches couleur chocolat, visiblement emmêlées, tombaient délicatement sur son front et ses tempes, où perlaient quelques gouttes de sueur. Il avait des sourcils sombres, plutôt épais, qui contrastaient avec le teint chaud et hâlé de sa peau.

La gamin avait un visage magnifique, indéniablement. Mais ce n'était rien, absolument rien en comparaison du regard que Levi venait de croiser. Deux iris oscillant entre le bleu turquoise et le vert émeraude le scrutaient avec attention, ensorcelants. Des yeux brillants, immenses - immenses, vraiment - et d'une intensité telle que Levi regrettait presque de les avoir rencontrés. Ce regard incandescent était atrocement difficile à soutenir. Mais d'un autre côté, le brun ne pouvait pas s'en détacher. Ce gamin était paradoxes. C'était troublant. Et il souriait, pourquoi souriait-il comme ça ? Pourquoi ce sourire semblait-il définitivement destiné à Levi ?

- Bon, je vous en pose une autre alors, conclut-il devant le silence du brun. Vous vous appelez comment ?

Quel genre d'adolescent se permettait de poser d'indiscrètes questions à des adultes qu'il ne connaissait même pas ? Avait-il était saoul, Levi aurait compris, mais il savait que Farlan ne servait sous aucun prétexte de l'alcool en dessous de l'âge légal. Et ce gamin n'avait clairement pas l'âge légal. Donc non, c'était juste un gamin qui agissait comme ça naturellement. Levi se demandait encore ce qui l'avait retenu d'ignorer sa première question quand il répondit malgré lui a la deuxième.

- Levi.

C'était tout, sa voix ennuyée et son prénom. Et pourtant, le sourire espiègle de l'adolescent s'agrandissait déjà et il voyait pointer le bout de ses dents blanches. Il n'aurait probablement pas été plus heureux si on lui avait annoncé que la guerre était terminée.

- Levi... répéta-t-il. C'est inhabituel, c'est votre prénom ou votre nom de famille ? Ça vient d'où ?

Quel gosse envahissant, songea le plus âgé. D'un autre côté, il ne savait pas vraiment ce qui le retenait de s'en aller. Il n'avait pas de comptes à rendre à ce jeune homme, après tout. Rien ne l'obligeait à lui répondre, il pouvait tout aussi bien tourner les talons et rentrer chez lui. Mais il y avait quelque chose, dans la façon qu'il avait de sourire, d'un sourire toujours plus éclatant, qui le poussait à rester. Levi se demandait s'il était possible que ce sourire s'agrandisse encore.

- C'est mon prénom, gamin. C'est allemand.

Oui, c'était possible. Déjà que Levi avait du mal à comprendre les autres, avec lui c'était encore pire. Il venait de lui dire qu'il était allemand, et l'étincelle de malice dans les yeux du gamin ne s'était pas éteinte. Pas même affaiblie. Alors que tout ce qu'il avait obtenu dans sa vie, en annonçant ses origines, avait toujours été des regards effrayés, des chuchotements pernicieux. Dans un sens, il avait à moitié espéré que le châtain le fuirait immédiatement en apprenant ça. À moitié, seulement.

Mais le jeune homme se contenta de hocher la tête lentement. Levi avait l'impression que chaque réponse qu'il prenait la peine de lui donner était une nouvelle victoire. Comme s'il n'aspirait qu'à le faire parler pour entendre sa voix à nouveau. C'était peut être le cas ? Bien qu'il ne comprenait pas ce qui le poussait à s'intéresser à lui de la sorte. Ce qu'il pouvait être intriguant, pour un gosse. L'espace d'une seconde, Levi cessa de réfléchir et ses pieds le portèrent jusqu'au tabouret - miraculeusement libre - qui avoisinait celui du garçon. Il n'eut pas le temps de comprendre ce qui l'avait amené à faire ça qu'il était déjà assis à ses côtés. Le châtain l'observa silencieusement, l'air ravi. Levi avait tout autant envie d'effacer ce sourire idiot de son visage angélique que de le voir perdurer. Putain de gamin contradictoire.

- Tu bois quelque chose, Levi ?

Oh. Ça c'était inattendu. Levi haussa un sourcil et autorisa un coin de ses lèvres à se soulever imperceptiblement. Où ce jeune homme allait-il avec ça, exactement ?

- Où est passé le vouvoiement, gamin ? Dit-il d'une voix moqueuse.

- Tu m'as donné ton prénom, j'imagine que ça me donne le droit de te tutoyer, répondit-il comme si c'était l'évidence même.

Il n'avait pas tort. Et puis, ce n'était pas si désagréable. Levi avait tellement l'habitude d'être vouvoyé par... Et bien, tout le monde finalement. Ses élèves, ses collègues, son concierge. Farlan ne le vouvoyait plus, mais ils se connaissaient depuis longtemps, une telle politesse n'avait plus lieu d'être. Ce gamin, par contre, il ne le connaissait que depuis quelques minutes, et il agissait déjà avec une familiarité que n'importe qui de sain d'esprit aurait trouvée insolente. Levi n'était pas vraiment sain d'esprit. Et, inexplicablement, il se plaisait à voir ce jeune homme prendre ses aises aussi facilement, sans réfléchir aux conséquences - lui qui, pourtant, ne supportait pas le laisser aller.

- Et t'imagines que ça te donne aussi le droit de me payer un verre ?

Le jeune garçon rougit violemment. Levi le cherchait, évidemment. C'était amusant d'essayer de lire sur son visage. Il était aussi expressif qu'un enfant, et ne se cachait même pas. Ça avait son charme. Face à l'absence de réponse, Levi fit mine de ramasser de nouveau ses affaires et de se lever.

- Désolé, j'accepte rien qui vienne d'un inconnu, lâcha-t-il paresseusement en esquissant un mouvement vers la sortie, mais une main agrippa la manche de sa chemise grise.

- Attend, s'enquît une voix pleine d'inquiétude. Je m'appelle Eren.

Eren. C'était doux et rêveur. Ça lui allait bien.

Levi se tourna, un air amusé menaçant dangereusement de prendre place sur ses traits, et se rassit aux côtés du garçon. Ce dernier semblait vraiment chamboulé d'avoir presque laissé Levi lui filer entre les doigts, mais rassuré de l'avoir finalement vu revenir. Le brun ne savait pas ce qu'il lui prenait, ce soir. Rien - rien - n'était jamais venu perturber sa routine auparavant. Il n'y avait que ce gamin pour être aussi suicidaire. Levi se para à nouveau de son masque d'indifférence et planta son regard dans les deux émeraudes qui brillaient face à lui.

- Je bois que du thé gamin, et jamais à cette heure.

Eren sembla déçu, au début. Farlan, qui ne savait plus où donner de la tête tant le bar était bondé, posa finalement un verre d'eau devant le jeune homme et adressa un clin d'œil complice à Levi avant de retourner s'affairer auprès de la clientèle. Il ne fallut que quelques secondes avant que le verre ne soit vide - le swing, c'était fatiguant. Eren passa une main sur son front encore légèrement transpirant, puis, levant les yeux vers Levi, retrouva son expression malicieuse. Ce dernier soupira - ce gosse allait finir avec des crampes à la mâchoire.

- Tss. Qu'est-ce qui peut bien te rendre si heureux ?

- Je pars en Europe dans une semaine, commença-t-il, et-…

- C'est pas une heureuse nouvelle ça, gamin, le coupa Levi.

Il était fatigué de voir tout le monde se réjouir face à la situation. C'est la guerre, putain. Pourquoi personne ne semblait s'en rendre compte ? Pourquoi personne n'ouvrait les yeux ? Si des enfants comme Eren étaient laissés entre les mains sanglantes de l'ennemi, alors Levi ne savait plus quoi penser de la bêtise humaine. Agacé, il posa un coude sur le comptoir et appuya son poing contre sa tempe, fixant les étagères boisées qui soutenaient les boissons. Eren le regardait, étonné. Il pouvait sentir son regard interrogateur peser sur lui.

- Non, c'est pas une bonne nouvelle, mais... Du coup je me rend compte que je suis vraiment heureux de ce que j'ai maintenant, s'expliqua-t-il d'une voix douce. Et je suis content de pouvoir en profiter encore un peu.

- Tss, répéta Levi.

Gamin. Naïf. Aveugle. Stupide. Tu vas mourir, c'est tout ce dont tu dois te rendre compte. Ça le détruisait d'entendre à quel point Eren était sincère en disant ça. Il le pensait vraiment. Il n'avait pas idée de la solitude, de la peur, de la haine, de l'horreur qui l'attendaient. Levi s'apprêtait à lever les yeux vers lui pour le gifler d'une remarque acerbe quand une brunette apparut soudainement aux côtés du garçon, qui sursauta violemment. Elle portait une robe au col en « U » et aux manches ballons, d'un bleu profond, parsemée dans la longueur de fines raies rose pâle. Une ceinture haute enserrait sa taille fine et le tissu s'évasait à mi-hauteur de ses mollets. Ses cheveux bruns étaient tirés en une queue de cheval mais la danse avait laissé s'échapper des mèches qui retombaient sur son nez en trompette et sur ses yeux amande.

- Eh, Eren, tu veux pas revenir danser ? Jean n'a d'yeux que pour Mikasa et je m'ennuie un peu, soupira-t-elle.

Eren ouvrit la bouche, hésitant, et regarda Levi quelques secondes avant de se tourner vers la nouvelle arrivante en souriant.

- Euh... Bien sûr, j'arrive dans une minute.

La demoiselle retrouva son entrain et retourna en sautillant vers la piste de danse improvisée. Eren descendit de son tabouret et, s'accoudant lui aussi au comptoir, planta son regard dans celui de Levi. Ce dernier dû retenir un mouvement de recul quand il constata à quel point le visage du châtain était proche du sien, et se dit qu'il y avait vraiment quelque chose d'inhumain dans la façon qu'avaient ses yeux de briller avec tant de détermination.

- Petite amie ? Le questionna Levi.

Les mots avaient passé la barrière de ses lèvres sans qu'il ait eu le temps de se poser de questions. Ce n'était pas son genre, de parler sans réfléchir. Mais d'un autre côté, c'était tellement facile, et tellement tentant de déstabiliser le gamin. Il voyait déjà le rouge lui monter aux joues une nouvelle fois et son regard semblait vouloir fuir celui de Levi.

- Non, juste Sasha, répondit-t-il simplement en haussant une épaule.

Bon. Ça avait peut être son sens. Levi ne connaissait pas « Sasha » donc il ne pouvait en tirer aucune conclusion. Et puis, il s'en fichait, au final. Tout ce qu'il cherchait à faire était d'embarrasser ce gamin qui ne semblait se poser aucune limite. Embarras qui, visiblement, avait rapidement quitté les traits d'Eren. Ce gosse passait d'une expression à une autre beaucoup trop vite. Levi n'avait pas le temps de s'y habituer.

- À quelle heure, alors ? Demanda Eren d'une voix empreinte de complicité.

- Pardon ?

Levi ne comprenait pas où il voulait en venir. Avait-il laissé passer un morceau de conversation alors qu'il était perdu dans ses pensées ? Un éclat de rire s'échappa de la gorge de l'adolescent, léger, cristallin, grave. Un seul, mais c'était de loin la chose la plus sincère qu'il lui ait été donnée d'entendre.

- Le thé, répondit simplement le garçon.

Oh, ça. Eren avait-il l'intention de venir boire le thé avec lui le lendemain ? Que devait-il lui répondre ? Levi n'arrivait même pas à se souvenir s'il avait déjà bu du thé en compagnie de quelqu'un avant. Mais avec Eren, c'était peut être... Quoi ? Peut être quoi ?

- Dix-huit heures, lâcha-t-il bien malgré lui.

Putain de gosse irrationnel.

- À demain alors, s'exclama Eren.

L'adolescent passa une main dans ses cheveux en bataille et, souriant de toutes ses dents, imita son amie et rejoignit les autres danseurs. Levi resta un long moment assis, à se demander ce que ce jeune homme aux yeux d'émeraude pouvait bien avoir de spécial pour réussir à lui arracher autant de mots, lui qui était d'habitude si réservé. Froid, plus que réservé, en fait. Mais peu importe. Le fait est qu'avec Eren, Levi ne pesait pas ses mots, et ça l'angoissait légèrement. Quand avait-il perdu le contrôle de ses propres phrases ?

Il se mit à tripoter pensivement le bouton de manchette de sa chemise, son regard se baladant inconsciemment sur la salle. Eren s'était mêlé aux autres adolescents et faisait tourner sa partenaire. Il se débrouillait plutôt bien. Vraiment bien, même. Il était rapide et précis, fermait souvent les yeux et se laissait porter par la musique. Ce n'était pas surprenant ; il avait l'air de quelqu'un qui a besoin de se défouler. Ce gamin gardait sûrement en lui beaucoup trop d'énergie refoulée. Il le voyait de temps en temps échanger, et prendre la main d'une brune à la coupe au carré, vêtue d'une simple robe blanche aux revers noirs ; et ladite Sasha dansait alors avec un grand jeune homme tout aussi débraillé qu'Eren, vêtu d'une chemise kaki et aux cheveux cendrés taillés en brosse. Leur rire se mêlait au morceau de jazz endiablé qui animait la pièce. De jeunes idiots. Levi se demandait ce que c'était. D'être jeune et idiot, comme eux, de ne se soucier de rien.

Il secoua doucement la tête et sa langue claqua nerveusement contre son palais. Pas le temps de penser à ça. Il se leva et, après avoir fait glisser les quelques pièces qu'il devait à Farlan sur le comptoir, se fraya un chemin à travers la fumée et la foule de gens qui envahissaient le café.

Levi poussa la porte et la différence de température le prit de court. Il ne s'était pas rendu compte à quel point il faisait chaud à l'intérieur. Pour ne rien arranger, il commençait à neiger. Agacé, le brun enfila rapidement sa veste et son manteau, et se mit à marcher aussi vite qu'il le pouvait vers la station de métro, à quelques dizaines de mètres plus loin. Il s'engouffra dans l'escalier et descendit lentement les marches. Il détestait le métro. Les couloirs et les courants d'air, les gens pressés qui se poussaient, les odeurs d'égouts, les enfants qui pleuraient, et c'était tellement sale. Insupportable.

Il n'eut même pas deux minutes à attendre avant qu'un train n'arrive - en ces heures d'affluence, les fréquences étaient renforcées, surtout sur des lignes aussi fréquentées. Le brun soupira et monta dans la première rame qui s'arrêta devant lui. Il ne trouva pas de siège libre, évidemment. Entre dix-huit et vingt heures, tout le monde débauchait. Il se contenta donc de s'adosser près d'une porte, au fond du wagon, et ferma les yeux. Tant pis pour sa jambe.

Levi songea au paquet de copies qu'il avait encore à corriger d'ici la semaine suivante. Il n'en avait pas envie. C'était un sujet sur les marchés et les institutions économiques. Pas franchement son truc. Mais il avait deux heures de pause, le lendemain matin ; il essaierait de faire de son mieux pour s'en débarrasser au plus vite. Puis il songea à cette heure qu'il passerait, le lendemain, au Café Sina, comme tous les soirs de semaine. Et se demanda si Eren viendrait vraiment. Levi était tellement fatigué qu'il pouvait tout aussi bien avoir halluciné, et le gamin n'était en fait que le fruit de son imagination. C'était même plus probable que de se dire qu'un adolescent était réellement venu lui adresser la parole de son plein gré. Levi n'était pas quelqu'un de sociable, ni même d'intéressant. Juste un professeur las et renfrogné qui ne savait pas vraiment quoi faire de sa vie, en dehors des petites habitudes qu'il y avait instaurées.

Il songea à ce que Farlan lui avait dit, et remarqua alors que les paroles d'Eren n'étaient pas si différentes de celles du barista. Ils voulaient profiter au maximum de leur vie avant qu'elle ne devienne un enfer. Mais comment pouvaient-ils profiter en sachant justement ce qui les attendait ? Il ne savait même pas si Farlan avait été mobilisé. Peut être. Sûrement, même. Farlan avait, quoi, trente ans ? Il était suffisamment jeune pour rejoindre les forces armées. Levi songea qu'il devrait lui poser la question - même s'il n'avait pas vraiment envie d'en connaître la réponse.

Il laissa son esprit divaguer tout au long des vingt minutes qui s'écoulèrent avant qu'il n'arrive finalement à son arrêt, puis sorti de nouveau dans le froid, et rejoignit son immeuble. L'escalier du métro débouchait au pied du bâtiment, il retrouva donc vite la chaleur et la sécurité de son appartement. Dans la soirée, Levi se prépara quelque chose à manger, mais il n'avait pas vraiment faim. Il tenta de corriger quelques copies, mais il n'avait pas le cœur à leur attribuer de bonnes notes. Il alluma la radio, mais ne voulait plus entendre en boucle le discours de Roosevelt, ni savoir à quel point l'armée américaine était jeune, et grande, et forte, et belle, et allait mettre fin à la guerre en moins d'un mois, et ramener la paix dans le monde. Alors il se contenta d'éteindre la radio, d'éteindre les lumières, et d'aller se réfugier dans les draps froids de son lit.

Ce soir là, Levi s'endormit vite, étonnamment. Lui qui n'arrivait jamais à trouver le sommeil. Mais il était fatigué, et le rire léger d'Eren résonnait encore à son oreille, et il sombra rapidement.