Bonjour à tous ceux qui s'égareront ici !
Juste un petit mot de l'autrice pour introduire cette histoire : le résumé a dû le faire comprendre, elle se passe dans l'univers de Percy Jackson mais ne reprend aucun des personnages du canon. Pourquoi ? Tout simplement parce qu'elle a été créée uniquement pour mettre en scène son personnage principal, qui est né par hasard, et que ce qui m'est venu en tête pour lui n'avait rien à voir avec ce qui peut se passer dans le canon.
Et puisque je peux maintenant ajouter des images, et que cette histoire a enfin sa couverture, pour ceux que ça intéresse elle est né comme ça : un de mes amis avait en avatar le fanart de Nico, des Héros de l'Olympe, fait par viria13 (go check here : art/Nico-di-little-khem-364474171 ! Et n'hésitez pas à regarder tout son Deviantart, elle fait des trucs géniaux). J'ai beaucoup aimé la pose alors je l'ai redessiné (yep, c'est la couv), et comme mon ami est fan des tempêtes et que je n'avais pas la moindre idée de qui était représenté sur le coup, je lui ai créé une personnalité complètement différente dans ma tête. Et j'ai eu envie de la poser sur le papier. Ensuite, les évènements se sont imposés d'eux-même jusqu'à ce que j'obtienne ce qui suit.
D'un point de vue mise en forme, le récit a été écrit en une unique partie. S'il est divisé ici c'est uniquement pour un confort de lecture, pour permettre une pause sans risque de perdre son paragraphe. À titre informatif, pour ceux à qui le nombre de mots ne parle pas forcément beaucoup (comme moi), les deux chapitres font respectivement 31 et 20 pages word format standard.
J'espère que ce que vous lirez vous plaira au moins un peu, et sur ce,
Bonne Lecture !
P.S. : C'est la première fois que je poste sur FFnet et je me suis pas mal débattue avec les modifications du DocManager, alors je compte sur votre clémence si un problème de mise en page est resté caché :3
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Le jeune homme s'avança le long de l'éperon rocheux. Il éprouvait une joie farouche à se mettre ainsi en danger, à se déplacer sur la crête d'une falaise, au risque de perdre l'équilibre et de tomber jusqu'à s'écraser sur les rochers plusieurs mètres plus bas. Et une partie de lui murmurait qu'il pourrait très bien forcer un peu les choses, faire un pas un peu maladroit, marcher volontairement sur une pierre à l'aspect friable, juste pour voir ce qu'il se passerait, juste pour voir si quelque chose se passerait.
Ce n'était pas un penchant suicidaire, pas même inconscient. Simplement une curiosité à la limite du malsain. Il voulait savoir ce que ferait son père, s'il se trouvait en danger de mort, il voulait le constater de ses propres yeux.
Un caillou couvert de mousse lui fit de l'œil juste un peu sur la pente. Il soupira. Il savait très bien ce que son père ferait s'il se laissait aller à poser le pied dessus. Rien du tout. Comme s'il en avait quelque chose à foutre de la mort d'un de ses enfants.
Il était arrivé au bout de la pointe, qui s'abaissait légèrement avant de brusquement s'arrêter, et devant lui s'étendait la mer. Il pouvait apercevoir des ruines sur un îlot un peu plus. Puis l'océan.
Il s'assit et fixa l'horizon sans le voir. Le jour commençait à s'assombrir et le ciel, désespérément bleu, perdait un peu de son éclat. Au pied de la falaise les vagues léchaient les rochers presque nonchalamment. Il contempla la pierre dont il était entouré, chichement couverte d'herbe et de végétation basse, pelée par endroits, acérée parfois. Un vent léger passait dans ses cheveux et rafraichissait ce soir de fin d'été.
La Bretagne. Dans le fond, ici ou ailleurs, ça ne faisait pas une grande différence pour lui. Ce n'est pas comme s'il était attaché à la ville de sa naissance. Il n'avait même pas d'amis à perdre. C'est juste qu'il aurait aimé…au moins être averti du projet. Mais depuis quelques mois il ne faisait plus vraiment partie de cette famille, alors à quoi bon lui demander son avis ?
Il soupira encore. Son père… celui qu'il croyait être son père avant ne le regardait même plus en face depuis que la vérité s'était imposée à eux sous la forme d'une chimère qui avait bien failli le tuer. Dans la panique de l'attaque il avait sans comprendre comment réussi à électrocuter le monstre. Et c'est comme ça qu'il avait tout découvert. Que les dieux grecs, et tout le bestiaire associé, existaient. Que sa famille était un mensonge. Qu'il était le fils de Zeus. Rien moins que ça. Il laissa échapper un rire amer.
Il avait passé l'été dans une caricature de colonie de vacances qui se faisait appeler « Camp Half Blood», colonie des Sang-Mêlé, il avait rencontré tout un tas de bâtards du même genre que lui, il avait appris le grec ancien – la première fois qu'il pouvait lire quelque chose correctement – et à se battre à l'épée, on lui avait expliqué que si les mortels ignoraient tout du pot-aux-roses c'était grâce à la Brume, ce phénomène qui permet de soustraire certains éléments à leur vue, comme l'œil unique d'un cyclope ou le putain de corps de cheval d'un centaure… Mais ce qu'il ne comprenait pas, c'était comment ils pouvaient tous accepter si facilement les choses. Il était né juste parce qu'un enfoiré de dieu était incapable de contrôler sa libido, merde ! Alors pourquoi était-il le seul à… à… à vouloir foutre le feu à l'Olympe et défoncer la gueule de son tout-puissant père ?
Il en voulait à sa mère aussi, d'avoir agi comme elle l'avait fait. Et à son p… à l'homme qui l'avait élevé, de le regarder comme une créature monstrueuse.
Mais se lamenter sur lui-même ne rendrait pas les choses plus faciles. Après tout, ses parents ne s'étaient pas séparés. Alors peut-être que les choses redeviendraient, disons à peu près normales dans sa vie aussi. Mais il savait bien qu'il se mentait à lui-même. Il ne croyait pas une seule seconde que celui qu'il considérait comme son père il n'y a pas trois mois ne le regarde à nouveau comme son fils un jour.
Ses parents avaient décidé de déménager et de venir s'installer à Saint-Brieuc suite à une proposition professionnelle faite à son… l'homme qui l'avait élevé. Il n'avait pas vraiment suivi les détails, d'autant qu'ils le lui avaient dit quand ils chargeaient les bagages avant de quitter définitivement leur maison, alors qu'il rentrait à peine de la colonie. Ils auraient préféré qu'il reste là-bas, sans doute. Avec « les siens ». Qu'il ne revienne pas leur imposer sa présence et ce qu'elle signifiait, qu'il ne revienne pas pour foutre leur vie en l'air.
Il y avait pensé, bien sûr. Il n'était pas idiot, il s'était bien rendu compte qu'ils ne leur manquaient pas du tout. Il se demandait s'il y avait eu des disputes pendant l'été, des cris, des larmes, des reproches, des explications. Cyniquement il espérait que oui. Mais il n'avait pas pu se résoudre à rester au milieu de ses imbéciles heureux de confrères, dans la proximité forcée de ce genre de structure. Pendant l'été il avait tout fait pour éviter de s'intégrer, et n'avait même pas fait l'effort de retenir les prénoms de ses demi-frères et sœurs. Évidemment il avait conscience qu'il exagérait et que beaucoup étaient aussi amers que lui, mais dans le fond il s'en fichait, ça ne changeait rien à sa situation, et peu importaient les circonstances de sa naissance, ses parents n'avaient d'autre choix que de le supporter puisqu'il l'avait décidé ainsi.
Il sortit de ses réflexions pour constater que la luminosité avait encore baissée. Pendant un instant il envisagea de passer la nuit dehors. Il doutait qu'on s'inquiète pour lui de toute façon. Mais il renonça à cette idée assez vite et se leva pour rentrer. Cependant, alors qu'il bondissait lestement sur le petit surplomb qui était juste après sa position actuelle il percuta presque un individu qui avait eu la même idée de flirter avec le vide. La personne en face de lui eut un mouvement de recul instinctif qui lui fit perdre son fragile équilibre avec un petit cri de surprise.
Immédiatement il jeta son bras en avant et la saisit au poignet juste avant qu'elle ne tombe vers l'arrière, au pied du surplomb, voire plus bas. Beaucoup plus bas. Et pendant une seconde il réalisa qu'il n'avait qu'à entrouvrir les doigts pour qu'un corps aille s'écraser en contrebas dans une gerbe de sang et d'ossements pulvérisés.
Mais ça ne dura qu'un instant. Puis il remarqua le flot de cheveux blonds clairs qui volait dans le timide vent du soir, les yeux d'un bleu délavés écarquillés de terreur, la bouche aux lèvres pâles entrouverte sur son exclamation, et la peau du visage d'une blancheur de craie, probablement désertée de la moindre goutte de sang. Il la tracta sur le surplomb pour qu'elle retrouve l'équilibre. Elle semblait complètement ahurie par la surprise.
« Désolé. »
Il l'avait dit sans sourire, de sa voix grave et inexpressive qu'il usait habituellement pour dissuader les gens de chercher à poursuivre la conversation, et absolument sans en penser un mot. Mais le son sembla rendre ses esprits à son interlocutrice, qui eut enfin l'air de vraiment le voir.
« Ah…non… C'est moi. Je ne pensais pas…qu'il y aurait quelqu'un ici. »
Et quel abruti incapable d'agir sur le vent pour éviter la chute viendrait se promener dans un endroit pareil ? songea-t-il sombrement.
Elle baissa le regard, et pendant une seconde il eut l'impression qu'elle voyait son épée, celle qu'il avait pris l'habitude de garder à son flanc en toutes circonstances durant l'été. Il se maudit intérieurement de l'avoir emportée, n'ayant pas la moindre envie de chercher une explication quant à sa possession d'une telle arme puis il fut soudainement frappé par le fait que la brume protégeait l'objet et qu'elle ne devait pas être capable de le voir. Et effectivement elle releva les yeux sans la moindre trace d'interrogation.
« Merci. »
Il haussa les sourcils, surpris, et se souvint qu'il venait probablement de sauver la vie de cette fille. Il espérait juste qu'elle n'allait pas en faire tout un plat. Et puis il se dit qu'il pouvait toujours la pousser dans le vide si c'était le cas. En plaisantant. Plus ou moins.
Il haussa les épaules sans répondre et la contourna pour rejoindre un espace moins périlleux. Il frissonna. La journée avait été chaude et il ne portait qu'un t-shirt, mais la tombée de la nuit avait apparemment fait perdre plusieurs degrés à la température. Il partit sans se retourner, en ayant presque déjà oublié cette rencontre singulière.
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Il en avait marre. Marre de tous ces imbéciles avec qui il allait au lycée, marre de ceux qui se prenaient pour des caïds parce qu'ils fumaient des joints à chaque intercours, marre de celles qui se prenaient pour des bombes parce qu'elles s'habillaient comme des trainées de télé-réalité et qu'elles se tartinaient la figure de fond de teint, marre des profs qui jouaient aux chefs ou aux victimes.
Jusque-là il s'était contenté de laisser couler, marquant sa froide indifférence pour tout ce qui se passait autour de lui. Il avait réussi à dissuader les curieux qui voulaient se faire un ami du nouveau venu et il avait désormais la réputation d'un bêcheur, un sale petit prétentieux qui se croyait meilleur que tous les autres. Il ne se pensait pas forcément au-dessus d'eux mais tant qu'on lui fichait la paix peu importait que l'idée qu'on avait de lui soit fausse.
Mais ce matin les choses avaient un peu dérapées.
Fidèle à son habitude il était arrivé en avance. Il avait laissé tomber son sac au sol et s'était laissé glisser le long du mur pour s'avachir à côté de la porte de sa salle. Il lui restait un bon quart d'heure avant le début du cours. Il avait sorti un rubik's cube de son sac pour s'occuper les mains. Il se débrouillait bien en casse-tête et résoudre un cube trois/trois était devenue une procédure machinale pour lui. Tourner les couronnes se ramenait à un exercice de relaxation et son esprit se coulait dans un processus logique mais pas rébarbatif.
Puis soudainement, alors que le couloir avait doucement commencé à se remplir, un sac était venu le heurter et avait envoyé valdinguer son cube un peu plus loin.
« Oups ! Désolé freak, je t'avais pas vu ! »
Victor. Le roi des cons ou peu s'en fallait. Et dire qu'il se croyait si cool, à placer des mots anglais à tout va…
Il n'avait pas répondu pas à la provocation et avait commencé à se redresser pour aller chercher son casse-tête.
« Attends, laisse je m'en occupe ! »
Victor l'avait repoussé au sol d'une main et l'avait devancé. Il avait saisi l'objet et se l'était jeté de main en main.
« Je comprends pas comment on peut trouver un truc pareil intéressant, avait-il dit de façon faussement désinvolte. »
Il était resté assis et l'avait regardé d'un air désabusé. Il avait bien vu que l'autre cherchait le conflit et qu'il ne serait pas satisfait tant qu'il n'aurait pas gagné une raison de lui cogner dessus. Sauf que si ça devait arriver il serait surpris.
« Rien d'étonnant quand on a un QI d'huitre. »
Victor était resté bouche-bée de surprise. Il en avait marre de ce petit con qui se croyait si intelligent alors il avait décidé de le malmener un peu. Il pensait que l'autre s'énerverait, qu'il exigerait qu'on lui rende son jouet, pas qu'il le tournerait en ridicule. Les autres élèves présents avaient même eu un petit rire devant la réponse. Pourtant eux non plus ils ne pouvaient pas le saquer. Il avait lancé le rubik's cube, furieux.
« Tiens, récupère le, ton joujou débile, espèce de puceau ! »
Le « puceau » s'était levé tranquillement. Il avait décidé que cette fois il ne laisserait pas simplement couler. La journée avait très mal commencée et se défouler un peu ne lui semblait pas être une mauvaise idée.
« Puisque tu abordes le sujet de ta sexualité débordante, Jessica avait l'air un peu déçue de tes performances, l'autre jour. On est entre nous, tu peux bien me le dire, tu as tenu combien de secondes ? »
Victor avait senti son sang se glacer. Comment est-ce que cet enculé osait lui parler comme ça ? D'autant qu'il était tout à fait possible qu'il ait entendu cette salope de Jessica… Il amorça un coup de poing.
« Bonjour tout le monde. »
Son bas était retombé mollement le long de son corps. L'autre l'avait défié du regard. Mais il n'était pas assez stupide pour le frapper devant un membre du corps enseignant.
« Je vais te faire ta fête, tu m'entends, ducon ? avait-t-il sifflé entre ses dents. »
Mais le « con » ne lui avait répondu qu'avec un sourire moqueur avant de s'engouffrer dans la salle.
Toute la matinée il avait senti que Victor bouillait de l'intérieur. De temps à autre il avait vu son offenseur lui jeter un regard assassin, mais il s'asseyait toujours au fond des salles, ce qui limitait les échanges visuels. Il avait vaguement eu envie de rire, à voir cet imbécile crever d'envie de le frapper, et encore plus lorsqu'il avait imaginé ce qui arriverait s'ils se battaient vraiment. Après tout, ce n'était pas pour l'éthique des divinités grecques qu'il allait retenir ses coups…
Quand le « caïd » s'était retourné une fois de plus pour lui faire comprendre que son heure approchait en faisant mine de se trancher la gorge avec le pouce, il avait levé les yeux au ciel en soupirant. Il s'était demandé jusqu'à quel point il devrait l'amocher pour le dissuader définitivement de l'approcher. Il en avait déjà marre. Enfin tant pis, se débarrasser de cette corvée ne lui prendrait pas vraiment longtemps.
À la fin de la matinée il était sorti sans se préoccuper de celui qui voulait lui casser la gueule et s'était dirigé vers son self. Mais alors qu'il arrivait dans la cour il avait senti un mouvement brusque dans son dos. Sans marquer la moindre cassure avec son mouvement de marche précédent il avait pivoté vers l'arrière tout en déviant la main qui était censée le saisir brutalement à l'épaule. Apparemment Victor avait décidé de tenter sa chance en traître. Emporté par son élan, il s'était rattrapé de justesse et s'était retourné vers son adversaire, furieux.
« Désolé, j'avais oublié qu'on avait pris rendez-vous. Mais je t'en prie, viens. »
La provocation l'avait amusé. Il considérait qu'il s'était suffisamment bien conduit jusque-là pour se permettre un écart. Et quitte à n'en faire qu'un seul, il serait mémorable. Après tout, l'autre l'avait cherché, si ça se terminait mal pour lui on ne pourrait rien lui reprocher, puisqu'il s'agissait de légitime défense. Il avait réprimé un sourire sauvage. Il s'était conduit de façon modérée pendant bien trop longtemps, c'était l'heure de se lâcher.
En face, Victor avait semblé légèrement indécis. Il faut dire que l'esquive avait été parfaite. Pour la première fois il avait réalisé qu'il n'aurait peut-être pas le dessus. Mais il était allé trop loin pour laisser tomber, et le cercle des curieux qui s'étaient amassés autour d'eux n'avait cessé de s'agrandir. Et puis tant pis s'il prenait quelques coups, il allait effacer le sourire supérieur du visage de ce petit merdeux qui le prenait de haut.
Il s'était jeté sur le « freak » avec un cri de rage, et ce dernier s'était contenté encore une fois de l'esquiver souplement. Il avait enchaîné en jetant ses poings en avant, mais son adversaire s'était systématiquement effacé devant ses coups, et ne l'avait laissé brasser que de l'air. Et puis soudainement, un genou qui avait semblé sortir de nulle part était venu le cueillir à l'estomac. Il avait reculé sous la violence du choc, les mains pressées sur le ventre, plié en deux, mais était péniblement parvenu à rester debout. Il avait relevé la tête pour voir l'autre le dévisager nonchalamment, les mains dans les poches de son blouson gris. Furieux d'être ainsi dévalorisé, il avait foncé droit devant, la tête en avant, dans le but de le saisir à bras le corps pour le jeter au sol. En force brute, vu son gabarit, il aurait forcément le dessus, et pourrait démolir sa sale petite gueule sans qu'il puisse esquiver les coups cette fois. Mais les choses ne s'étaient pas passées comme prévu. Son opposant s'était décalé, ne laissant qu'une jambe tendue sur son chemin pour le faire trébucher, puis il l'avait saisi par un bras, qu'il avait tordu violemment dans une clé qui l'avait privé du moindre geste à cause de la douleur que cela provoquait. Et alors qu'il était à genoux sans savoir quoi faire, un pied était venu s'écraser sur son visage, brisant son nez dans un craquement sinistre.
D'accord il s'était laissé emporter. Mais quand même, c'était cette tache de Victor qui l'avait attaqué en premier. Et puis franchement, un nez cassé ce n'était pas si grave que ça… Mais comme Victor avait dû être emmené à l'infirmerie, les profs avaient posé des questions. Et évidemment, les autres ne s'étaient pas fait prier longtemps pour le vendre. Il avait été convoqué chez le proviseur pour s'expliquer, et peu importe qui avait commencé, ce n'était pas lui qui avait besoin d'aller à l'hôpital. Le proviseur avait appelé ses parents, pour qu'ils viennent le chercher suite à son exclusion provisoire d'une semaine. Et il devrait présenter ses excuses à Victor.
Dans le fond, tout ça il s'en fichait. La seule chose qui l'énervait profondément c'était la façon qu'ils avaient tous de le traiter comme s'il était le pire des monstres. Pour ses profs il ne serait plus rien d'autre qu'un adolescent dérangé avec des penchants pour la violence. Et pour ses « parents » c'était encore pire, puisqu'ils connaissaient son ascendance et avaient l'excuse en or pour désormais considérer qu'elle faisait de lui quelqu'un – non, quelque chose – de dangereux. Et passée l'engueulade pour s'être fait virer du lycée à peine deux semaines après le début des cours, il avait bien vu l'éclat de satisfaction sadique dans leur regard quand ils lui avaient annoncé qu'à la prochaine incartade de ce genre ce ne serait pas la peine pour lui de songer à revenir après l'été suivant.
Ouais, il en avait marre. Marre de ses parents aussi. Surtout.
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Quand ils arrivèrent finalement à la maison, il sortit de la voiture sans leur adresser un regard, sourd à leurs cris et reproches incessants. Il monta directement dans sa chambre, à l'étage, et s'enferma sans leur laisser le temps de réagir. Ils tapèrent à la porte quelques minutes, en lui criant qu'il ne s'en sortirait pas comme ça, mais ils se lassèrent vite et le laissèrent tranquille. Après tout, ça devait bien les arranger, de ne plus avoir à jouer les parents responsables pour le moment.
Il resta allongé de tout son long sur son lit pendant un moment, à ressasser ses griefs divers. Mais il ne parvenait pas à se calmer. Il aurait bien voulu pouvoir cogner un peu plus longtemps sur Victor, il ne pensait pas que ce serait une telle lavette. Bon d'accord, il savait parfaitement que ce serait une telle lavette, mais les coups il les avait cherchés.
Il se releva, s'assit au bord de son lit, et fit courir son regard sur sa nouvelle chambre. Il l'occupait depuis un peu plus de deux semaines mais ne se l'était pas appropriée plus que ça. Il avait d'ailleurs encore tendance à se prendre le mur en essayant de se lever par le mauvais côté du lit. Les habitudes ont la vie dure. La pièce n'était pas extrêmement grande et à peu près carrée. La porte s'ouvrait dans le coin droit, face au mur qui donnait sur l'extérieur et qui se trouvait pour cette raison être muni d'une fenêtre, ornée d'un voilage blanc. Sous cette dernière se trouvait le lit, le long du mur, recouvert d'une couette bleu marine. À gauche de la porte en entrant, un bureau en bois clair prenait place, recouvert de feuille de cours et de classeurs en vrac. Le mur de gauche était en fait un placard à porte miroir coulissante, à moitié ouverte et laissant voir plusieurs tas de vêtements mal pliés. Et à côté de la tête du lit, son épée était appuyée contre le mur. Quand il y réfléchissait, c'était le seul objet personnel présent dans la pièce, les cours et les fringues ne comptaient pas. Le seul objet auquel il tenait. Il n'avait accroché aucun poster, apporté aucune déco pour personnaliser cet espace, seule son épée permettait d'identifier la pièce comme étant SA chambre.
Il ne savait pas vraiment pourquoi elle était importante pour lui. D'une certaine façon, c'était un symbole de son ascendance divine qu'il détestait. Il n'en avait pas besoin pour se battre non plus. Peut-être que c'était simplement pour son côté chevaleresque, pour les réminiscences de rêve d'enfant qu'elle lui inspirait. Peut-être aussi parce que ce n'était pas son père qui la lui avait donnée, mais parce qu'il l'avait simplement récupérée dans l'armurerie de la colonie.
Il sourit en la saisissant, puis se leva pour l'accrocher à sa ceinture. Il ne la portait pas au lycée, elle était un peu trop encombrante. D'après ce qu'il savait, certains sang-mêlé avaient des objets divins qui se faisaient passer pour des objets normaux, il avait entendu parler d'épées qui devenaient des stylos Bic quand on les rangeait, mais il était bien content que ce ne soit pas le cas de la sienne. Ça aurait brisé tout son intérêt.
Il se tourna machinalement vers le miroir. Ses cheveux, d'un châtain foncé un peu terne, avaient poussés pendant l'été, ils tombaient désormais en mèches plus ou moins folles jusqu'en dessous de son menton et sur ses yeux noirs. Il remarqua que ses joues s'étaient un peu creusées et avaient perdu leurs rondeurs, vestiges de l'enfance. En revanche, son nez légèrement retroussé lui donnait lui un air un peu plus juvénile qui lui déplaisait.
Il baissa les yeux pour boucler sur ses hanches la ceinture qui lui servait à porter son épée, nue à sa droite, et saisit son blouson. Il avait décidé de sortir, et bien qu'il fasse encore chaud il n'était pas sûr que ça dure.
Il enfila ses chaussures puis s'approcha de la fenêtre. Vu ce qui s'était passé dans la matinée, il se doutait bien que ses parents refuseraient qu'il sorte. Mais il se passerait de leur avis. Il ouvrit la vitre en grand, laissant un vent tiède s'engouffrer dans sa chambre. Il inspira profondément, les yeux fermés. Puis il s'élança dans le vide.
Il sentait la caresse du vent, il sentait l'air l'entourer, courir sur sa peau, jouer dans ses cheveux. La sensation de chute l'enivrait, mais sa chambre n'était pas assez haute pour qu'il prenne le temps d'en profiter. Une seule pensée et le vent vint l'entourer de façon plus intense, un tourbillon doux se développa autour de son corps, la résistance de l'air à son égard augmenta, et il se reçu souplement sur le sol.
Il partit en direction des falaises.
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Il avait marché sans vraiment réfléchir, et se rendit compte qu'il était retourné du côté de l'éperon rocheux où il s'était réfugié peu de temps après son arrivée. Comme il l'avait fait la première fois, il s'avança dans le but de se trouver tout au bout de la pointe, juste au-dessus de la mer, dont le fracas emplissait tout le l'espace.
Il grimpa sur la partie légèrement surélevée qui précédait la petite plate-forme qui l'avait accueilli la dernière fois. À cet endroit il se dressa de toute sa hauteur, surplombant l'océan, subissant le vent marin, écartant les bras pour mieux le sentir. Son blouson ouvert battait ses flancs. Il se sentait bien. Enfin, presque.
Brusquement, il baissa les yeux, et vit que la fille de l'autre jour, assise juste sous le surplomb, l'observait.
Ils restèrent quelques instants sans bouger, à se fixer sans réagir. Il était contrarié. Vraiment contrarié. Ça lui paraissait pourtant évident qu'un tel endroit serait désert. Et voilà qu'il devait tomber sur quelqu'un. Quelqu'un à qui il avait sauvé la vie en plus. Il s'en serait bien passé. Ceci dit, il était aussi en colère contre lui-même d'avoir oublié l'existence de cette fille. S'il s'en était souvenu il ne serait pas venu à cet endroit. Ou en tout cas il se serait préparé à la possibilité d'y trouver quelqu'un et à devoir aller ailleurs. Enfin au moins, il n'aurait pas été pris de court à ce point.
Elle réajusta une mèche de cheveux blonds dorés derrière son oreille sans détourner ses yeux bleus vifs, apparemment aussi surprise que lui. Il se demanda, furieux, pourquoi quelqu'un de normal viendrait se poster à un endroit pareil, et son expression se durcit. Elle haussa les sourcils de façon presque imperceptible en le remarquant et lança tranquillement :
« Désolée, le siège de ceux qui veulent se perdre au bout du monde est déjà pris, on dirait. »
Avant de simplement se détourner pour reprendre la lecture d'un livre qu'il n'avait pas remarqué de prime abord.
Il fut déstabilisé. Il s'attendait à ce qu'elle le salue timidement, à ce qu'elle le remercie encore peut-être, à ce qu'elle essaie de nouer le contact, même. Pas à ce qu'elle l'envoie sur les roses. Cela le piqua au vif.
Il bondit du surplomb pour se retrouver sur le même plan qu'elle et se planta debout à côté d'elle, les mains enfoncées dans ses poches.
« Je te trouve bien vindicative pour quelqu'un à qui j'ai sauvé la vie. »
« Tu as l'air de tellement le regretter que j'ai un peu de mal à être sincèrement reconnaissante. »
Il resta bouche-bée.
« Alors comment c'était ? demanda-t-elle, tandis qu'elle se tournait vers lui en abordant un sourire en coin. »
« …Quoi ? »
« De tenir la vie de quelqu'un entre tes mains ? »
Il la fixa sans répondre. La conversation prenait une tournure bizarre, et cette fille se moquait ouvertement de lui.
« Pas bien différent de maintenant, où te jeter du haut de la falaise ne serait pas si difficile que ça, dit-il finalement. »
« Ne dis pas de sottises, si tu devais utiliser la force, l'action perdrait toute sa spontanéité, enchaîna-t-elle, faussement moralisatrice. »
Il ne savait pas quoi répondre. Elle avait recommencé à lire sans plus se préoccuper de sa présence. Ne pas prêter attention aux autres était quelque chose qu'il faisait régulièrement, et sans que cela ne le gêne, mais pour une fois il en était bien incapable. Parce qu'elle avait parfaitement perçu l'instant où il avait envisagé de la lâcher dans le vide.
« Je ne l'aurais pas fait, tu sais. »
Il regretta immédiatement ses paroles, il n'avait rien fait alors pourquoi il se justifiait ?
« Oh je sais. Tu ne l'AS pas fait. »
Et subitement cela le frappa. Elle avait parfaitement perçu l'instant où il avait envisagé de la lâcher dans le vide, pourtant elle n'en avait rien à faire. Et c'était cela qui l'empêchait de simplement l'ignorer. Parce qu'après ce qui s'était passé il aurait voulu qu'elle ait peur de lui. Ou au moins qu'elle soit un minimum mal-à-l'aise. Mais elle n'en avait rien à faire. Et ça l'agaçait.
« Tu es suicidaire ? lança-t-il, cynique. »
« Non, pas spécialement, pourquoi ? »
Il grimaça. Pourquoi est-ce qu'elle répondait à une question pareille de la part d'un parfait inconnu d'une façon aussi détachée ?
« Alors pourquoi tu es là ? »
Elle ne répondit pas tout de suite. Et il se sentit satisfait de la mettre en défaut. Mais ça ne dura pas.
Elle se tourna vers lui, sans sourire cette fois et demanda :
« Pourquoi TU es là. »
Il eut presque un mouvement de recul en entendant la question. Il était là sans raison particulière, mais maintenant elle allait penser que lui il était suicidaire. Sauf que pour sa part il ne risquait absolument rien, même en cas de faux mouvement, parce qu'il savait comment utiliser le vent pour amortir ses chutes, et peu importe la hauteur de laquelle il tombait dans le vide. Mais il ne pouvait pas vraiment lui dire ça.
Contre toute attente elle éclata de rire. Et il se sentit encore plus agacé.
« Tu ne devrais pas poser de questions auxquelles tu ne veux pas apporter de réponse. »
Il grogna en l'entendant dire ça. Il se sentait ridicule, il n'avait pas l'habitude de laisser quelqu'un d'autre dominer la conversation.
Il se frotta les mains en cherchant quelque chose à rétorquer. La température avait vraiment baissée sans qu'il y prenne garde. Il ferma son blouson, et eut vaguement l'impression que son geste avait surpris son interlocutrice.
Elle referma son livre et se leva avant qu'il n'ait trouvé quoi que ce soit à dire.
« Je te laisse la place pour cette fois. »
Et elle escalada prestement le surplomb sous ses yeux étonnés.
« En quel honneur ? jeta-t-il alors qu'elle se redressait plus haut. »
Elle se pencha au-dessus de lui pour lui répondre, un sourire moqueur sur ses lèvres roses :
« Disons que comme ça la prochaine fois se sera ton tour d'être serviable. »
Il attendit un peu puis d'une simple pression du pied commanda au vent de le déposer sur le surplomb, pour observer cette fille étrange s'éloigner sans un regard en arrière.
ooooooooooooooo
Il était resté un moment sur l'éperon, finalement. La nuit tombait déjà quand il rentra. Il avait complètement oublié les évènements de la matinée, mais ceux-ci se rappelèrent brutalement à lui à peine il passa la porte.
« Mon chéri ! »
Sa mère se jeta sur lui en poussant ce cri affolé. Puis le lâcha aussitôt pour le gifler, avant d'à nouveau le serrer dans ses bras. Il resta cloué sur place par la surprise sans comprendre ce qu'il se passait.
« Qu'est-ce qui t'a pris de disparaître comme ça, enfin ? demanda-t-elle d'une voix légèrement hystérique. »
« Hein, quoi ? »
Brusquement, il prit conscience qu'il était sorti sans prévenir personne et qu'il rentrait bien après l'heure du repas.
« Heu…je… »
Sa mère le tenait toujours dans ses bras. Ça l'empêchait de réfléchir. Est-ce qu'elle n'aurait pas dû être déçue de le voir rentrer ?
« Fils, pourquoi tu as fait ça ? »
Il se tourna vivement vers son p…son père. Il ne l'avait plus appelé « fils » depuis qu'il avait découvert qui était son vrai p…son père biologique.
« Je… »
Il se sentait complètement sonné. Qu'est-ce qui se passait, aujourd'hui ?
Sa mère le lâcha finalement, et se recula.
Il la regarda retenir ses larmes de soulagement, il regarda son p...père qui se retenait d'exploser de colère. Et sans pouvoir se retenir il posa la question qui lui brûlait les lèvres :
« Vous n'êtes pas déçus que je sois rentré ? »
L'expression d'étonnement blessé qui passa sur leur visage lui donna l'impression d'être parcouru d'une onde de chaleur.
« Enfin, comment tu as pu croire une chose pareille ? »
« Je croyais que… que vous ne me considériez plus comme votre fils. »
Son père soupira tandis que sa mère le prenait encore une fois dans ses bras.
« Fils…Les choses sont assez compliquées en ce moment, c'est vrai. Mais ce qui s'est passé a eu lieu il y a quinze ans, et si ta mère et moi avons décidé de rester ensemble ce n'est certainement pas pour t'exclure de la famille ! »
Il se sentit sourire. Sourire d'un soulagement indicible. Évidemment, les choses ne seraient plus jamais comme avant, il avait parfaitement conscience de cela, évidemment, son père aurait encore un peu de mal avec lui pendant quelques temps, mais, et cela il le découvrait seulement maintenant, il n'avait pas perdu sa famille.
« Il est rentré ? »
Cette exclamation le tira de ses réflexions et il tourna la tête juste à temps pour voir sa petite sœur se jeter des trois dernières marches de l'escalier pour se précipiter dans ses bras. Il eut toutes les peines du monde à ne pas basculer en arrière et s'écria :
« T'es pas un peu dingue Vanessa ? faussement en colère. »
Elle riait en le serrant contre lui.
« Imbécile de grand frère, les parents ont cru que tu avais fugué, mais moi je savais bien que tu ne laisserais pas ta petite sœur chérie toute seule ! »
Il sourit encore en se disant qu'elle avait parfaitement raison.
ooooooooooooooo
Enfin samedi, pensa-t-il en s'étirant. Ses parents l'avait privé de sorties pour la semaine. Ce qui était assez logique. Mais plus que ça, ce jour-là il n'aurait pas à subir la présence de Jessica. Apparemment, depuis qu'il avait démoli Victor elle le trouvait incroyablement attirant, et elle avait profité de son exclusion pour passer tous les jours lui apporter les cours de la journée et rester un long moment en prétextant lui expliquer ce qu'ils avaient vu. Il avait bien rétorqué que c'était pas avec son niveau qu'elle pouvait donner des cours, mais elle avait éclaté d'un rire de crécelle parce qu'il était « si incroyablement drôle »… En tout cas, lui il la trouvait encore plus repoussante qu'avant. Il faudrait qu'il trouve comment lui faire définitivement comprendre.
« Bonjour ! lança-t-il en arrivant dans la cuisine. »
« Salut grand frère ! lui répondit gaiement sa petite sœur avant de mordre avidement dans une tartine. »
Vanessa était sa cadette de deux ans. Elle lui ressemblait beaucoup physiquement, mêmes yeux noirs, mêmes cheveux châtains foncés un peu fou qui tombait en désordre sur ses épaules – surtout au sortir du lit – même nez retroussé, cependant elle était aussi joyeuse qu'il était maussade, et aussi ouverte aux autres qu'il était rébarbatif. Il adorait sa petite sœur, même si elle pouvait le rendre chèvre à toujours vouloir le dérider.
« Au fait grand frère, j'invite des amis aujourd'hui, si tu veux prendre la fuite, fais-le avant 14h. »
« Des amis ? demanda-t-il, étonné. »
« Oui, tu sais, les gens avec lesquels on s'entend bien, et qui ne font pas forcément partie de la famille. »
« Très drôle, répliqua-t-il en beurrant une tranche de pain. Quels amis ? »
« Des personnes de mon collège. Tu sais, quand on est un minimum sympa c'est assez facile d'avoir plus d'un ami, expliqua Vanessa, à la manière d'un professeur. »
« Très peu pour moi, c'est pas avec les abrutis que j'ai dans ma classe que je vais faire des efforts, je préfère rester à zéro. »
« Je suis déjà très impressionnée que tu sois monté à un ! C'était inespéré. »
« …De quoi tu parles ? demanda-t-il, sans comprendre comment elle pouvait être au courant pour la fille de la falaise, qu'il ne qualifierait de toute façon pas d'amie. »
« Ben… De cette fille qui t'apportes les cours tous les jours, répondit-elle en fronçant les sourcils. »
« ELLE ? Tu plaisantes j'espère, elle est insupportable. C'est juste une idiote qui se prend pour le nombril du monde et qui voudrait que je lui tombe dans les bras pour pouvoir enfin dire qu'elle s'est tapé tous les mecs de la cl… Fais comme si j'avais rien dit. »
« J'ai pas six ans, tu sais, conclut sa petite sœur en rangeant son bol dans le lave-vaisselle. Bref, à 14h il y aura toute une bande de gamins en train de piailler dans la maison. »
« Invite-les la semaine prochaine, je suis toujours privé de sorties ! lui cria-t-il alors qu'elle s'éloignait. »
Elle se contenta de rire joyeusement.
ooooooooooooooo
À force de plaidoirie, ses parents avaient finalement accepté qu'il sorte pour l'après-midi, à condition de rentrer pour 18h. Et faute d'un endroit où aller, il s'était encore une fois dirigé vers l'éperon rocheux. Il se demandait si la fille serait là. Ce n'était pas comme la dernière fois qu'il était venu, il n'avait pas spécialement envie d'être seul ce jour-là. Et puis elle l'intriguait.
Il remonta la fermeture éclair de son blouson et réajusta le col en fausse fourrure autour de son cou. La matinée avait été plutôt tiède, mais la température avait baissée alors qu'il se rendait sur la falaise.
Il s'avança sur l'éperon jusqu'à atteindre le surplomb. Il réalisa alors qu'il s'attendait vraiment à ce qu'elle soit là, qu'il serait déçu si ce n'était pas le cas.
Il se pencha en avant. Et réprima un sourire à la vue du haut d'un crâne couvert de cheveux blonds penché sur un livre. Et comme si elle l'avait senti l'observer elle leva la tête pour croiser son regard.
« Tiens donc, l'homme du vent. »
Il sentit son ventre se nouer à cette appellation. Elle ne pouvait pas savoir, pourtant !
« Pourquoi tu dis ça ? demanda-t-il en masquant son trouble. »
« Hmmm ? Oh, à cause de la façon que tu avais de te tenir à cet endroit la dernière fois, dit-elle en baissant à nouveau les yeux sur son livre. »
Il laissa échapper un soupir de soulagement silencieux, avant de bondir souplement à côté d'elle.
« Un jour tu vas rater ton coup, annonça-t-elle tranquillement.
« Aucune chance, répondit-il en s'asseyant. »
« Méfie-toi, c'est justement quand on tient ce genre de discours qu'on se fait avoir bêtement, continua-t-elle en tournant une page. »
« Tu parles d'expérience ? »
Elle laissa échapper un petit rire en refermant son livre.
« Tu as l'air plus en forme que la dernière fois qu'on s'est vu, dit-elle en le regardant. »
« C'était une mauvaise journée. »
« Que les deux dernières fois qu'on s'est vu. »
« C'était deux mauvaises journées. »
« Oui ? Je persiste à croire que c'est l'état d'aujourd'hui qui est anormal. »
« On s'est croisé deux fois, je te signale. »
« Toujours se fier à sa première impression. C'est le seul moment où les gens n'ont pas encore appris comment mentir pour vous faire plaisir. »
« …Oui, ç'a du sens, répondit-il après quelques secondes de réflexion. »
Ils se turent quelques instants puis elle réattaqua :
« Je croyais qu'on s'était mis d'accord pour que TU sois serviable, cette fois ? »
« Tu veux dire partir d'ici ? rétorqua-t-il après une exclamation désabusée. Pour être honnête, tu t'es mise d'accord toute seule, et étant quelqu'un de profondément maussade et désagréable, me montrer serviable n'est pas dans mes habitudes. Mais si ma présence te gêne, TU peux partir, je ne te retiens pas. »
Elle le regarda, moqueuse.
« Je t'en prie, tu serais trop déçu. »
« Ne te donne pas trop d'importance, tu veux, dit-il en lui retournant une expression faussement méprisante. »
« Le seul qui me donne de l'importance ici c'est toi. »
« Tu ne lâches jamais l'affaire, pas vrai ? soupira-t-il. »
« Bien sûr que non. C'est quoi ton nom ? »
Il resta silencieux. Bizarrement il ne s'attendait pas à cette question. Parce qu'elle lui donnait trop l'impression de se ficher des autres pour vouloir connaître son nom. Mais après tout, c'était généralement son cas à lui aussi, et pourtant il était là.
Sauf qu'il n'avait pas envie de le lui donner. Il ne savait pas vraiment pourquoi. L'homme du vent lui convenait très bien, tout comme le fait de la désigner en tant que fille de la falaise. Mais il se voyait mal refuser.
« Tu n'as qu'à m'appeler Zéphyr. »
Elle le dévisagea, estomaquée.
« Quoi ? demanda-t-il, somme toute assez content de l'avoir déstabilisée. »
« Mais… C'est nul comme pseudonyme ! s'exclama-t-elle en éclatant de rire. »
« Tsss, c'est ça, grinça-t-il, vexé. Et comment je dois t'appeler, mademoiselle je suis exceptionnelle pour les pseudos ? »
Elle réfléchit quelques instants puis déclara :
« Summer. »
« Summer ? Tu peux te moquer, c'est pas mieux ! commenta-t-il. »
« Peut-être, mais moi au moins c'est un prénom. »
« Techniquement, Zéphyr EST un prénom. »
« Oui, oui, Eustache et Fraisine aussi, c'est pas pour ça que c'est une bonne idée de les utiliser. »
« Summer semble sorti d'une mauvaise série californienne ! »
« Jaloux ! »
Il leva les yeux au ciel face à son sourire triomphant.
Puis le silence s'installa et elle rouvrit simplement son livre. Il n'avait jamais été spécialement doué pour maintenir une conversation, aussi la situation n'avait rien de surprenant, ni même d'inhabituel. Ce qui sortait déjà un peu plus de l'ordinaire c'était l'absence de malaise. La plupart du temps, lorsqu'il se trouvait seul avec une personne qu'il connaissait, il pouvait sentir la tension qui se développait. Fidèle à son habitude, lui se contentait d'ignorer superbement ceux qui l'entouraient, mais il remarquait leurs regards en coin, leurs hésitations, il voyait presque leurs cerveaux tourner à toute allure pour trouver quelque chose à dire et sortir de la situation oppressante dans laquelle ils se trouvaient. Et quand ils avaient finalement rassemblé assez de courage pour parler, ils le regrettaient presqu'immédiatement puisque lui ne faisait aucun effort et que la conversation mourait tout de suite.
Il suivit l'exemple de Summer et sortit son rubik's cube de sa poche.
Ils restèrent un moment comme ça, chacun dans sa bulle, bercés par le fracas de l'océan dont les vagues venaient se briser avec violence sur les reliefs torturés qui bordaient le pied de la falaise. Puis il finalement il posa la question :
« Ça ne te gêne pas ? »
« Ta présence ? Si beaucoup, rétorqua-t-elle immédiatement, pince-sans-rire. »
Il laissa échapper un petit rire. Il commençait à s'habituer à ses réparties cinglantes.
« Je parlais du silence. »
Elle resta pensive un temps puis répondit :
« En fait, avant je me sentais mal dans ces moments-là, comme la plupart des gens je suppose, puis j'ai lu une citation, j'ai oublié de qui, qui disait : Il n'y a qu'avec les vrais amis qu'on peut apprécier le silence. Et depuis je considère que si un silence me semble gênant, alors la personne qui se trouve présente n'est pas digne de mon intérêt, donc que je n'ai pas à être gênée. »
« …Je vais m'abstenir de demander à quelle catégorie j'appartiens. »
« Et toi ? »
« Moi quoi ? »
« Le silence, expliqua-t-elle en levant les yeux au ciel. »
Il ne répondit pas tout de suite.
« Je n'y ai jamais vraiment réfléchi. D'habitude je joue dessus pour renforcer le malaise des autres et bien leur faire comprendre que je n'en ai rien à faire de leur présence. Mais comme tu t'en fiches, je suppose que je ne ressens pas le besoin de m'en soucier non plus… Qu'est-ce que tu lis ? »
Cette fois c'était son tour d'enchaîner sans transition. Et effectivement elle fut prise de court.
« Heu…Le Silmarillon, de Tolkien. »
« C'est bien ? »
« Ben…J'ai un peu de mal à rentrer dedans. Mais ça reste intéressant.
« C'est pas le même livre que la dernière fois, non ? »
« Effectivement. Il y a une librairie près de chez moi qui laisse un bac de vieux livres en libre emprunt. »
Il allait poser une autre question quand il fut coupé dans son élan par un éternuement intempestif qui fit sursauter la jeune fille.
« Désolé, dit-il en laissant échapper un filet de brume de sa bouche. Mais t'as pas froid, toi ? »
Elle ne portait qu'un gros pull turquoise. Et des gants gris foncés. Le froid lui donnait des couleurs, et même ses lèvres lui semblaient plus roses qu'un peu plus tôt.
« N…non, ça va. Il est quelle heure, s'il te plaît ? »
« Heu… presque 17h. Bientôt deux heures que je suis là ! »
Il eut l'impression qu'elle s'était crispée en entendant ça, et se tourna vers elle, interrogatif, mais avant qu'il n'ait eu le temps de dire quoi que ce soit elle se leva.
« Je dois y aller. »
« Quoi ? Mais… »
« Désolée, il faut vraiment que je rentre. »
Il la regarda s'éloigner sans dire un mot. Peut-être qu'elle devait vraiment y aller, après tout. Mais il ne pouvait se débarrasser de l'impression qu'il avait dit quelque chose qui avait causé son départ.
Peut-être que…peut-être qu'elle n'avait pas d'argent et qu'il l'avait ramenée à sa condition en abordant le sujet de ses fringues ? Il soupira, furieux contre lui-même et son manque de tact. Pour la première fois depuis bien longtemps.
ooooooooooooooo
« C'est moi, je suis rentré, cria-t-il en passant la porte. »
« Alors, comment fut cette journée pleine de solitude, cher asocial de frère ? »
Vanessa lui avait répondu depuis la cuisine. Il se dirigea vers elle et répliqua sans réfléchir :
« Je n'étais pas seul. »
« Heeeeeeeeein ? »
À l'exclamation ahurie de sa sœur, il réalisa ce qu'il venait de dire et eut une grimace de contrariété. Il n'avait pas eu l'intention de parler de Summer à qui que ce soit et voilà qu'il vendait la mèche à la première occasion.
« Oublie ça, tu veux ? dit-il en arrivant dans la cuisine. »
« Sûrement pas ! Compte sur moi pour te faire cracher le morceau ! assura Vanessa en pointant une cuillère en bois pleine de sauce dans sa direction. Alors ? Qui c'est, qui c'est, qui c'est ? »
« Laisse-moi tranquille, dit-il en faisant mine d'être en colère. »
« En tout cas, on t'a laissé un long cheveu noir sur l'épaule… »
« Qu'est-ce que tu racontes ? Elle est blonde ! s'exclama-t-il en regardant son épaule. »
« Aha ! »
Il se tourna vers sa sœur, bouche-bée. Il venait de se faire avoir comme le dernier des crétins.
« Résumons, tu as donc passé ton après-midi on ne sait où, en compagnie d'une charmante blonde, énonça-t-elle, goguenarde. »
« Si tu veux vraiment le savoir, elle est loin d'être charmante, grogna-t-il, contrarié. »
« Vous êtes faits pour vous entendre, alors ! »
« …Peut-être, ouais. »
À ces mots, Vanessa laissa échapper une petite exclamation excitée, un peu surjouée, et il la fusilla du regard.
« Grand frère, c'est merveilleux ! »
« Arrête un peu, tu veux, je disais ça pour rire. Je la connais à peine. »
« C'est déjà plus qu'à peu près toutes les personnes qui t'entourent ! »
« …Touché. »
Elle applaudit, et attaqua, avide d'en savoir plus :
« Alors, alors, alors, comment est-ce qu'elle s'appelle ? »
« …Summer. »
Il passa sous silence le fait que ce n'était pas son vrai nom. Tout comme le fait qu'il n'avait pas donné son vrai nom non plus. Sa sœur sautait déjà sur assez d'occasions pour lui dire qu'il était bizarre.
« Elle a quel âge ? »
« Comme moi, 16 ans. »
Bon, ça il n'en savait rien, mais il le supposait.
« Elle habite où ? »
« Je ne sais pas. »
« Elle va à quel lycée ? »
« Je ne sais pas. »
« Ils font quoi ses parents ? »
« Je ne sais pas. »
« Pfff, t'es vraiment pas drôle ! se révolta-t-elle. »
« Je t'ai dit que je la connaissais à peine, c'est toi qui n'écoutes pas. »
« Tu as une photo ? »
« Bien sûr que non ! »
« Prends-en une la prochaine fois. »
« Dans tes rêves. »
« Mais ! »
Il rit face à la mine renfrognée qu'aborda sa petite sœur suite à son refus. Il se voyait mal demander une photo à Summer.
« Où sont les parents ? »
« C'est ça, change de sujet, dit-elle, grognon, en remuant la sauce. Au cinéma. Ils ne vont pas tarder. »
« Heu, Vanessa ? »
« Hmm ? »
« Tu gardes ça pour toi, ok ? »
Elle se retourna vers lui en brandissant une fois de plus sa cuillère.
« Seulement si tu me promets de prendre une photo. »
« Mais je sais même pas si on se reverra ! dit-il en levant les mains, reculant devant la sauce. »
Elle ouvrit grands les yeux devant cette annonce, la bouche arrondie sur un Oh muet.
« T'as intérêt à te débrouiller pour, conclut-elle finalement. »
« …Deal. »
ooooooooooooooo
Il faisait bon ce jour-là. Il regarda Summer s'étirer avant de s'allonger au sol pour profiter du soleil. La courbe douce de sa poitrine se soulevait lentement au rythme de sa respiration. Ses cheveux dorés s'étaient étendus en boucles désordonnées tout autour de son visage et semblaient l'illuminer.
Une bourrasque bienvenue emporta une mèche qui se déposa en travers de la figure de la jeune fille. Il sourit, heureux de cette opportunité, et la remis en place, faisant courir sa main de son front jusqu'à son oreille pour aller l'enfouir dans la masse de boucles soyeuses. Il détailla son visage, ses lèvres entrouvertes…Summer ouvrit doucement les yeux, il ne détourna pas les siens. Il ramena sa main pour lui effleurer la joue. Son cœur battait de plus en plus fort. Il fit glisser son pouce sur sa lèvre inférieure. Elle ne se déroba pas. Alors il se pencha sur elle, fermant les yeux, et posa délicatement sa bouche sur la sienne. Le sang bourdonnait à ses oreilles, son esprit lui semblait comme mis en pause. Summer avait un goût de miel.
Il fit durer leur baiser longtemps. Et lorsqu'il détacha ses lèvres des siennes il fit glisser sa bouche au creux de son cou, lui arrachant un soupir. Il descendit sa main jusqu'à sa hanche, puis se fraya un chemin sous son pull. Elle frémit au contact de sa paume sur son ventre. Il remonta jusqu'à sa poitrine et effleura son sein gauche. Elle murmura son nom…
Il se réveilla en sursaut, trempé de sueur. Évidemment.
Il se passa une main sur le visage, sans parvenir à déterminer s'il était déçu ou soulagé que son rêve se soit interrompu. Summer ne connaissait pas son nom. L'entendre le dire avait bloqué son imagination.
Il regarda le réveil. 5h00. Il aurait le temps de se rendormir, mais la nuit était trop avancée pour qu'il s'en réjouisse vraiment.
Il se leva pour aller prendre un verre d'eau, la gorge desséchée.
Il était attiré par Summer. Il s'en était déjà rendu compte, bien sûr, il ne l'avait simplement pas clairement formulé jusque-là. Mais leur dernière joute verbale n'avait été ni plus ni moins que du flirt et ce n'était pas quelque chose qui entrait dans ses habitudes. Il savait déjà qu'il voulait enfouir son visage dans ses cheveux, respirer son odeur, la tenir contre lui et ne jamais la laisser partir… Voilà qu'il en devenait romantique, lui ! Quelle déchéance…
Il la connaissait à peine, pourtant. Alors quoi ? Ce n'était rien d'autre qu'un désir charnel ? Ça venait du contraste, par rapport aux gens de son âge qu'il côtoyait en général ? C'était parce qu'ils étaient fait l'un pour l'autre…
Il secoua la tête en riant doucement. Inutile de chercher trop loin. Elle l'attirait et rien d'autre, pas besoin de se faire des films. Il tenterait sa chance et laisserait tomber si les choses devenaient trop compliquées, c'était aussi simple que ça.
Il retourna se coucher et se rendormit immédiatement pour tomber dans un sommeil sans rêve.
ooooooooooooooo
La semaine de cours était passée à une lenteur effarante. Il avait eu beau tout mettre en œuvre pour l'ignorer, Jessica l'avait collé tant qu'elle avait pu. De son côté, Victor lui avait lancé des regards haineux à chaque occasion, mais le bandage qu'il avait sur le nez enlevait tout l'aspect menaçant de la manœuvre. Les cours ne s'étaient pas montrés plus intéressants qu'auparavant, et sa dyslexie lui avait posé les problèmes habituels.
Mais le weekend était arrivé et il avait enfin pu retourner à la falaise.
Sauf qu'elle n'était pas là.
Dans l'absolu, cela n'avait rien de spécialement étonnant. Ils n'avaient jamais convenu de se retrouver tous les weekends, elle n'avait jamais affirmé venir de façon régulière, et elle avait peut-être d'autres choses à faire que de passer son samedi à lire postée au bord de l'océan. Pourtant il ne pouvait pas se sortir de la tête qu'il avait fait quelque chose de travers la dernière fois, qu'il avait dit quelque chose qui l'avait fait fuir, et que peut-être elle ne reviendrait plus. Et cette supposition l'énervait. Et elle l'énervait. Il n'avait pas la moindre idée de la source du problème, c'est donc qu'il s'agissait de quelque chose de parfaitement anodin ! D'accord il se montrait souvent absolument détestable, mais il le faisait toujours en parfaite connaissance de cause, et là il savait qu'il n'avait rien fait qui pouvait justifier de ne pas vouloir se trouver à nouveau en sa présence. Alors pourquoi voudrait-elle subitement ne plus rien avoir à faire avec lui ? Est-ce qu'elle n'était finalement qu'une hystérique qui prenait mal la moindre phrase maladroite ?
Furieux, il s'assit sous le surplomb, espérant vaguement qu'elle se montrerait tout en ayant l'impression que ce ne serait pas le cas. Il essaya de se raisonner, puisqu'il y avait définitivement plein d'explications plausibles à son absence, mais aucune ne le satisfaisait. Alors il cessa simplement d'y réfléchir et resta sans bouger à contempler l'océan.
Les vagues avançaient, bruyantes, agressives. Le ciel était d'un gris de plomb, uniforme et lourd, et tendait une couverture infinie au-dessus de son crâne. Il aimait les cieux gris. Ils donnaient à l'atmosphère quelque chose de statique, d'entre deux, comme si le temps ne s'écoulait plus à la même vitesse.
Mais ce jour-là ce ciel gris ne lui convenait pas. Il voulait plus de mouvement, plus de violence.
Presque sans y penser il commença à se concentrer sur un point devant lui. La couverture de nuages sembla se comprimer autour de ce point, d'être aspirée. Puis partant de cet endroit le ciel s'assombrit encore. Il donna l'impression de s'imbiber de pétrole, de se recouvrir de suie, à une vitesse aberrante. En un temps incroyablement court ce fut un tissu de volutes noires qui s'étendit, surplombant l'océan. Le vent se leva, sans avertissement, et les nuages désormais aussi menaçants que la fumée d'un incendie s'étendaient et se mouvaient au rythme du souffle puissant et désordonné qui s'était déclenché. Par comparaison la mer, elle-même assombrie par le manque de lumière, semblait presque calme. Puis soudainement un éclair déchira le ciel, unique, majestueux, coupant le paysage en deux juste en face de l'éperon rocheux. Le tonnerre emplit presque instantanément tout l'espace, dans un roulement pesant et dévastateur. Et alors même que le son mourait, la pluie commença à tomber. Chaque goutte d'eau semblait frapper délibérément le sol. Avec hargne. Presque avec haine. Pendant quelques instants le bruit de l'eau heurtant la pierre fut le seul son que l'on put entendre, surpassant celui qui naissait de la caresse des vagues. Puis un nouvel éclair vint s'abattre au milieu des vagues, suivit par un second, puis un troisième. Une danse de lumière débuta, traçant des zébrures qui se gravaient sur la rétine, entre les gouttes de pluie et les chants du tonnerre.
Il laissa la tempête libérer sa fougue pendant un temps qu'il ne sut évaluer, faute de repères de luminosité. Il se sentait comme un chef d'orchestre, guidant les éclairs, dirigeant le vent. Cela faisait déjà un moment qu'il était complètement trempé. Il n'avait pas pris la peine de se protéger de sa propre pluie. Sentir les gouttes s'abattre sur lui avait quelque chose de libérateur, de purgatif, et il n'y aurait renoncé pour rien au monde.
Puis aussi brutalement qu'il avait commencé, le déchaînement cessa. La fumée opaque qui couvrait le ciel se dissipa presqu'instantanément, dévoilant un bleu intense et froid. Le paysage se mit à luire, résultat des reflets d'un soleil qui ne parvenait pas à réchauffer l'air ambiant sur les flaques d'eau qui parsemaient le sol.
Il se leva en soupirant. Il aurait sans doute mieux fait de ne pas se laisser emporter. Mais la tempête avait tout de même joué son rôle libérateur. Malgré le possible savon qui l'attendait chez lui.
Il quitta l'éperon. Ce n'était pas la pluie qui la ferait venir.
ooooooooooooooo
Cinq semaines s'étaient écoulées sans que Summer ne se soit de nouveau montrée sur la falaise. Il était revenu chaque weekend, sans grande conviction, mais puisque c'était le seul endroit où il avait une chance de la croiser, il ne voyait pas quoi faire d'autre.
Il ne savait pas vraiment pourquoi il s'acharnait comme ça. Il avait été le premier à se dire que si les choses devenaient compliquées il ne s'accrocherait pas. Ce n'était pas son genre, de lutter pour les causes désespérées. Alors pourquoi il s'obstinait à revenir semaine après semaine ? En plus, on était désormais en novembre et il se retrouvait à ne rien faire d'autre de ses jours de libre que grelotter en contemplant le ballet des vagues. À part s'entrainer au maniement de l'épée, histoire de se calmer les nerfs.
Pour toutes ces raisons, quand il se leva ce samedi-là il décida qu'il ne retournerait plus à la falaise. C'était une promesse qu'il se faisait à lui-même, et qu'il se savait à priori capable de tenir. Summer ne viendrait plus, inutile d'espérer, alors il allait reprendre ses vieilles habitudes et rester enfermé.
Enfin, ça c'est ce qu'il espérait faire.
« Grand frère ! »
En début d'après-midi, alors qu'il lisait un livre confortablement installé sur son lit, cloîtré dans sa chambre, sa sœur l'appela de toute sa puissance vocale depuis l'autre bout de la maison.
Il leva les yeux au ciel, mais ne daigna pas se lever lui-même, et répondit sur le même principe :
« Quoi ! »
« Viens ! »
« Viens toi-même ! »
Il se demanda si elle avait finalement renoncé devant son manque d'enthousiasme, mais il réalisa bien vite qu'il s'agissait de son adorable petite sœur qui ne connaissait pas le sens du mot abandonner, en particulier lorsqu'elle déboula dans sa chambre en ouvrant la porte si brutalement qu'il se demanda si elle ne l'avait pas déchaussée de ses gonds.
« T'es pas sympa ! attaqua-t-elle d'entrée. »
« Ne dis pas de sottises, je suis le meilleur frère de l'univers, répondit-il en tournant une page de son livre sans la regarder. »
Il savait qu'elle prendrait la mouche tout de suite, et ça ne rata pas : elle saisit son livre et le jeta en l'air, le faisant éclater de rire.
« Arrête un peu de me faire tourner en bourrique ! se plaignit-elle boudeuse. »
« D'accord, d'accord, que puis-je faire pour ma petite sœur chérie ? »
« Je n'ai plus rien à lire, viens acheter des livres avec moi ! »
« Non. »
« Maiiiiiiiiiiis ! »
Vanessa commença à lui envoyer des tapes sur le haut du crâne sans s'arrêter tandis qu'il essayait vainement de se dérober, hilare.
« C'est bon, je me rends ! Je me rends ! »
Il se redressa sous les yeux méfiants de sa petite sœur.
« Mais je ne vois vraiment pas pourquoi tu veux que je vienne avec toi. »
« Parce que j'ai pas d'argent. »
« Alors en plus, je dois payer ? s'offusqua-t-il. »
« Fais pas genre, peu importe ce que je choisis tu le liras aussi ! »
« Profiteuse ! »
En réponse à cette accusation, elle se contenta de lui offrir son sourire le plus angélique.
Il se laissa donc embarquer, finalement pas si mécontent qu'elle le traine dehors.
Contrairement à ce qu'il pensait, elle ne l'emmena pas à la librairie la plus proche de chez eux, qu'ils avaient cherchée et découverte immédiatement après leur installation. Prétextant qu'elle avait trouvé une petite boutique qui vendait des livres d'occasion avec autant de choix que les magasins de neufs, voire plus avec des livres en langues étrangères, elle le fit crapahuter bien plus loin que prévu.
Et au bout d'une bonne vingtaine de minutes de marche, à écouter sa sœur deviser sur tout et n'importe quoi, ils arrivèrent finalement devant le magasin qu'elle visait. La boutique s'insérait entre deux façades d'immeubles un peu anciens, à la peinture passée, écaillée par endroit. La devanture était un peu étroite mais les vitres aux montants peint en bleu qui la composaient s'ouvrait sur un intérieur profond et fourni. Il pouvait même apercevoir un escalier en colimaçon qui s'enfonçait dans le sol. Devant le magasin, deux bacs remplis de livres d'occasion entouraient la porte. Un panneau indiquait qu'ils étaient mis à disposition de tous, gratuitement du fait de leur état guère reluisant.
Une personne était justement en train de passer en revue les titres qui s'y trouvaient. Sans vraiment faire attention, il s'attarda sur cette silhouette qui lui tournait le dos, aux cheveux bouclés d'un blond tellement clair qu'il les avait cru blancs au premier coup d'œil. Leur clarté tranchait vivement avec le manteau noir un peu abimé que portait leur détentrice.
Au moment où lui et sa sœur allait la dépasser, la blonde avança la main pour saisir un roman rangé à l'arrière d'un bac. Il remarqua distraitement que les gants gris qu'elle portait ressemblaient à ceux de Summer, et il se tourna machinalement pour voir le visage qui allait avec ces cheveux trop clairs. Il passa dessus d'un œil absent et nota la peau d'une pâleur tellement absurde qu'on aurait cru celle d'une poupée en porcelaine.
Si cela n'avait été de sa réaction, il ne l'aurait pas reconnu.
Mais alors qu'il amorçait un mouvement pour détourner le regard et entrer dans la librairie à la suite de Vanessa, la jeune fille leva les yeux et les écarquilla de surprise. Alors qu'il s'apprêtait à lui tourner le dos sans plus faire attention à elle, cette expression inattendue l'interpella et il se tourna vers elle pour y répondre d'un regard interrogateur. Mais lorsqu'il regarda – regarda vraiment cette fois-ci – le visage de celle qui lui faisait face, il se figea sur place.
« Summer. »
Il avait laissé échapper son nom, de façon presqu'inconsciente. Elle se contentait de le fixer, apparemment trop surprise pour réagir. De son côté il essayait tant bien que mal de s'expliquer sa « transformation ».
« Je… ça va ? »
Il réalisa qu'il ne savait absolument pas quoi lui dire. Juste avant de la croiser il était simplement énervé par son attitude, mais maintenant qu'il la voyait il se sentait gêné d'avoir sauté sur des conclusions hâtives. Elle était si pâle, est-ce qu'elle avait été malade, ou quelque chose ?
« Ça va. »
Elle fuyait son regard. Il se sentait stupide. Après tout, ils se connaissaient à peine, tous les deux. Rien d'étonnant à ce qu'elle n'ait pas envie d'étaler ses problèmes de santé devant lui.
Et voilà qu'ils restaient bêtement plantés l'un devant l'autre. Il cherchait vainement quelque chose à dire, un moyen de s'assurer qu'il pourrait la revoir, d'une façon ou d'une autre, mais il se sentait égoïste de lui imposer ça, et pour une fois, être égoïste le dérangeait.
Ce fut finalement Vanessa qui débloqua la situation. Elle venait de remarquer que son frère ne l'avait pas suivi à l'intérieur, alors qu'elle essayait d'attraper un livre trop haut pour elle, et avait ouvert la porte pour l'appeler :
« Grand frère ! Qu'est-ce que tu fabriques ? Ramène-toi, j'ai besoin de tes centimètres en plus ! »
Ils sursautèrent de concert de façon parfaitement ridicule suite à cette interruption, et Vanessa contempla l'inconnue à qui son frère semblait parler. Il semblait être mal à l'aise, ce qui n'arrivait jamais puisqu'il ne s'intéressait pas assez aux autres pour être mal à l'aise, quelle que soit la situation. S'il se passait quelque chose de gênant il était agacé mais pas mal à l'aise. C'est ce détail qui lui permit de deviner l'identité de cette demoiselle capable de sortir son frère de sa léthargie indifférente. Et c'est avec sa bonne humeur habituelle qu'elle s'immisça dans ce qui aurait normalement dû être une conversation.
« Mon dieu ! Est-ce que tu ne serais pas Summer ? »
Elle était absolument ravie. Son frère ne lui avait plus rien raconté sur elle depuis leur première conversation et elle désespérait d'avoir un jour accès à une photo, alors la rencontrer comme ça par hasard, c'était absolument inespéré !
Summer ne lui répondit que par un regard surpris. Elle ne pensait pas croiser Zéphyr ici. Elle avait cessé d'aller à la falaise, même en semaine, par peur de l'y trouver. Elle savait bien que si elle continuait de s'y rendre elle finirait par perdre le contrôle, d'une façon ou d'une autre. Et ça elle ne pouvait pas se le permettre. Mais elle ne pensait pas le croiser ici. C'était l'un des rares endroits où elle se permettait de venir régulièrement. Et il avait fallu qu'ils y viennent au même moment.
Elle devait s'en aller. Rester était risqué, peut-être même dangereux. Mais elle ne voyait pas du tout comment prendre congé. Elle avait très peur qu'il cherche à la retenir. Elle n'arrivait pas à savoir si elle se faisait des idées ou non. Elle avait perdu l'habitude de côtoyer des gens. Est-ce qu'elle lui plaisait vraiment ou est-ce que tout ça ne se passait que dans sa tête ? Dans sa situation, elle ne savait même pas ce qu'elle préfèrerait…
Devant l'absence de réaction de ses aînés, Vanessa décida d'ignorer le fait qu'elle avait peut-être interrompu quelque chose et de se présenter elle-même :
« Je suis Vanessa, la mignonne petite sœur de ce grand introverti ! annonça-t-elle gaiement. »
Summer laissa échapper un petit rire qui sembla faire extrêmement plaisir à son interlocutrice, tandis que son frère se renfrognait.
« Tu sais, je suis très contente de te rencontrer enfin ! Mon frère n'arrête pas de parler de toi ! Bon, d'accord ce n'est pas vrai, il ne t'a mentionné qu'une seule fois, en passant, mais venant de lui c'est comme s'il n'avait fait que discourir à ton sujet des jours et des nuits ! »
Si elle avait simplement continué à porter la conversation avec son débit joyeux et décontracté, peut-être que Summer se serait détendue, peut-être qu'elle se serait prise au jeu et aurait répondu sur le même registre. Mais Vanessa commit une erreur qui rendit cela impossible. Elle lui prit les mains.
Summer les arracha tellement violemment que sa cadette faillit en perdre l'équilibre. Elle lui cria de ne pas la toucher avec une expression de pure panique sur le visage. Puis elle sembla être giflée de plein fouet par le fait que sa réaction était absolument disproportionnée. Quelques passants s'étaient tournés dans sa direction suite à son exclamation, Vanessa et Zéphyr la regardaient sans comprendre. Lorsqu'elle croisa le regard de ce dernier elle ouvrit la bouche, cherchant quelque chose à dire, une explication quelconque. Mais rien ne venait. Et elle sentait le froid s'amoindrir. Alors elle prit la fuite.
S'il avait été seul, il l'aurait probablement laissé partir sans rien faire. Il faut dire aussi qu'il avait été pris de court par sa réaction. Elle agissait de façon…complètement irrationnelle. Mais Vanessa était là. Et elle le frappa à l'arrière de la tête.
« Aïe ! »
« Qu'est-ce que t'attends ? demanda-t-elle, impatiente. »
« Comment ça ? »
« Cours-lui après, espèce d'idiot ! »
Il continua de la regarder quelques secondes sans bouger, ce qui lui valut une autre tape sur le côté du crâne, puis il eut l'air de récupérer ses fonctions motrices et s'élança à la suite de Summer.
Il était un demi-dieu, fils du roi de l'Olympe, malgré l'avance qu'elle avait prise dans sa fuite il ne mit pas très longtemps à la rattraper.
Il lui cria de l'attendre deux ou trois fois, et à sa grande surprise elle finit par obtempérer. Peut-être avait-elle simplement trop peur qu'il ne la rattrape et ne la force à s'arrêter en lui saisissant le bras.
Elle se tourna vers lui avec un air de bête traquée sur le visage. Il nota vaguement qu'elle lui semblait un peu moins pâle que lorsqu'il l'avait aperçue devant le magasin. Sans doute suite à la course.
« Qu'est-ce que tu veux ? »
Elle avait la voix d'une écorchée. Une voix qui mêlait colère, peur, désespoir.
Il ne savait pas ce qu'il voulait. Il ne savait pas quoi lui répondre. Pourquoi est-ce qu'il était parti à sa suite ? Pourquoi est-ce qu'il ne l'avait pas laissée disparaître ? Pourquoi est-ce qu'il se rendait tous les weekends à la falaise ?
Il ne savait pas quoi dire alors il dit la première chose qui lui vint à l'esprit.
« Pourquoi est-ce que tu m'évites, subitement ? »
Elle ne répondit pas, se contentant de le fixer d'un regard méfiant et agressif.
« Tu ne viens plus à la falaise. »
« Tu l'as dit toi-même, je t'évite, jeta-t-elle, de cette voix déchirée. »
« Pourquoi ? »
Il avait élevé la voix. La colère était revenue, finalement, parce que la façon d'agir de Summer n'avait aucun sens, et qu'il restait un égoïste. Il voulait comprendre, il voulait qu'elle lui explique, même si tout ce qu'ELLE voulait c'était fuir.
« Je n'ai pas à te répondre. »
Il n'arrivait pas à déterminer si elle le défiait ou le suppliait du regard.
« Oh, non, c'est vrai, rien ne t'y oblige. Mais je peux être vraiment têtu quand je m'y mets, tu sais. »
Il lui avait lancé ça spontanément, sur un ton sarcastique, mais ce n'était pas vrai. Il était même à peu près tout le contraire de quelqu'un de têtu, du genre à abandonner si quelque chose demandait beaucoup d'énergie. Ces cinq semaines d'obstination (à raison de deux jours par deux jours) constituait son record, et malgré sa colère actuelle et son envie d'en savoir plus, il n'était pas sûr de s'obstiner bien longtemps. Mais ça elle ne le savait pas.
« Alors quoi ? Tu vas m'empêcher de retourner à chacun de mes lieux favoris ? »
« Je suppose que je peux faire ça, oui. Mais maintenant, je sais que tu habites dans le coin, si tu m'y obliges je finirais bien par mettre la main sur ton adresse. »
C'était du bluff. À part être pile au bon endroit au bon moment, il voyait mal comment il pourrait trouver son adresse. Sûrement pas en demandant aux passants où habitait une jeune fille blonde et désagréable.
Elle lui donna l'impression de se dégonfler d'un seul coup. Elle avait gardé une posture défensive, le corps tendu, comme prête à bondir dès qu'une occasion se serait présentée et pour la première de la journée elle semblait se laisser aller, mais ça ressemblait plus à l'acceptation d'une défaite qu'à l'expression d'un quelconque soulagement.
« Ne me demandes pas de t'expliquer. Je ne le ferais pas de toute façon, peu importe ce que tu es prêt à faire. »
Elle avait à nouveau détourné le regard, et avait serré ses bras autour d'elle. C'est vrai que le temps s'était beaucoup refroidi.
« Écoute. »
Il réalisa qu'il n'était plus en colère. À nouveau. Cette fille avait la capacité de flanquer ses émotions sur les pires montagnes russes jamais imaginées.
« Tant pis si tu ne veux pas m'expliquer ce qui se passe. C'est stupide de ma part de l'exiger. »
Stupide et hypocrite. Même beaucoup plus hypocrite que stupide, quand on est le fils illégitime – l'un des fils illégitime – de Zeus. Mais cette évidence venait seulement de le frapper.
« Je veux dire, je ne t'ai même pas répondu quand tu m'as demandé mon nom, pas vrai, énonça-t-il avec un sourire d'excuse. »
Elle lui renvoya un sourire fugace.
« Mais s'il te plaît, arrête de m'éviter. Continue d'agir comme si ma présence n'avait pas le moindre impact sur ta vie, je te préfère comme ça. »
Elle rit, cette fois. Mais pas beaucoup.
« On est d'accord ? »
Elle ouvrit la bouche, hésita, puis soupira doucement.
« Ok. Ce n'est pas comme si tu avais une quelconque importance, dans le fond. »
Elle lui adressa un vague signe de la main avant de simplement tourner les talons. Il ne chercha pas à la retenir. Il avait gagné, il la reverrait, autant ne pas briser ses chances.
Le vent se mit à souffler, soulevant les longs cheveux de Summer. La lumière de la ruelle leur avait rendu leur éclat doré.
ooooooooooooooo
Ils s'étaient revus régulièrement, suite à cette confrontation. À la falaise. Parfois elle ne venait pas, parfois il décidait de ne pas y aller. Ça devenait presque un jeu du chat et de la souris. Quand ils se trouvaient sur place tous les deux ils reprenaient leurs joutes verbales ou agissaient au contraire sans vraiment se prêter attention. Fidèle à ses habitudes, Summer avait toujours un livre avec elle. Il avait pris le réflexe d'en amener un aussi. Parce que des fois elle ne voulait pas parler, parce que des fois c'était son cas à lui.
Une fois il l'avait trouvé endormie sur l'éperon, un jour où le soleil était particulièrement fort. Il s'était assis en silence et l'avait regardée dormir. Ses cheveux répandus en désordre autour de son visage lui avaient semblé d'un éclat bien plus chaleureux que leur teinte habituelle, et même sa peau paraissait plus dorée. Il s'était mis à repenser à leur rencontre devant la librairie. Il n'avait pas osé aborder la question de sa pâleur, sans savoir si cela faisait partie des choses qu'elle voulait garder pour elle. Il ne l'avait jamais revu avec un tel visage, et se demandait s'il avait rêvé le changement de couleur de ses cheveux. Il n'avait pas pris la peine de faire de recherche sur l'impact des maladies sur l'aspect visuel, une conséquence sur la chevelure ne lui paraissait pas impossible. Ceci dit, le fait qu'il n'en restait aucune trace l'étonnait déjà plus.
Parfois aussi, il avait l'impression que ses yeux n'avaient pas la même couleur d'une fois à l'autre. Mais il ne parvenait pas à en être sûr.
Pensant à tout cela il l'avait regardée dormir. Et il avait été saisi par l'envie d'effleurer son visage. De faire semblant de replacer une mèche derrière son oreille, pour avoir une excuse juste pour toucher sa peau. Il avait même commencé à lever la main dans ce but. Mais il avait stoppé son geste, convaincu qu'il la réveillerait, et à la réaction qu'elle avait eu lorsque Vanessa lui avait pris les mains – sans même toucher sa peau directement – il ne pouvait réfréner l'idée qu'en agissant comme ça il ne la reverrait plus jamais.
Alors il avait décidé de juste la regarder dormir. Puis le soleil s'était caché et le changement de lumière l'avait réveillée en sursaut. Sursaut qui s'était répété lorsqu'elle l'avait vu à côté d'elle. Il avait ri. Pas elle. Elle avait eu l'air gênée et contrariée. Et peu de temps après elle s'était levée pour partir.
Elle ne restait jamais bien longtemps. Il se demandait si la peur de tomber malade – ou d'aggraver ce qu'elle avait déjà – y était pour quelque chose, parce qu'il avait constaté que son départ correspondait en général avec le moment où lui-même commençait à ressentir le froid de façon plus marquée. En tout cas, lui demander de rester plus longtemps ou de lui donner la raison de son départ ne servait strictement à rien, et il y avait assez vite renoncé.
Étonnamment, ce fut grâce à Victor qu'il découvrit le secret de son amie.
Le temps commençait à se réchauffer et il se demandait si cela ferait rester Summer plus longtemps. Cela ne fut pas le cas, et elle se leva pour partir après une durée équivalente à celle des autres jours. Il se leva à sa suite pour faire un bout de chemin, parce qu'il ne faisait quand même pas si chaud que ça et qu'il n'avait rien de spécial à faire sur la falaise.
Ils marchaient en silence quand la voiture passa en trombe près d'eux. Ils l'avaient entendue venir bien sûr, avec le bruit qu'elle faisait ils auraient du mal à l'ignorer, mais elle était passée beaucoup plus près que ce qu'ils pensaient. Il pesta contre les dingues qui se croyaient tout permis tandis que Summer levait les yeux au ciel, mais au lieu de poursuivre sa route à tombeau ouvert, la voiture freina dans un crissement de pneu déplaisant et se mis à reculer dangereusement vite pour se mettre à leur hauteur. Lorsque ce fut le cas, la vitre côté passager se baissa, laissant éclater le son d'un radio au volume trop fort tandis que la tête de Victor se penchait pour les voir depuis la place du conducteur.
« Mais si c'est pas mon freak préféré que je vois là ! »
Il n'avait pas réessayé de se battre avec son « freak » mais les regards noirs avaient redoublés, en particulier depuis que Jessica affichait un intérêt aussi flagrant que pathétique pour son rival.
« Ben alors ? On dit pas bonjour ? »
Zéphyr avait un mauvais pressentiment. Il jeta un coup d'œil à l'arrière du véhicule pour voir quatre garçons entassés sur la banquette qui arboraient la même gueule de cons bourrés d'autosatisfaction que le conducteur. Il en reconnaissait deux de visages, qu'il savait avoir dans sa classe bien qu'il n'ait jamais pris la peine de retenir leurs noms. À la place du mort se trouvait un dernier passager, ce qui portait leur nombre à six. S'il avait été seul il ne se serait pas inquiété. Mais Summer était là, il avait donc plutôt intérêt à régler les choses sans recourir à un éclair. Et contre six il n'était pas si sûr que ça de s'en sortir indemne. Il eut un regard en coin pour la jeune fille. Elle s'était apparemment calée sur son attitude et arborait une expression anxieuse, un peu en retrait, mais semblait hésiter sur la conduite à tenir.
« Tu nous présentes pas ? lança Victor, provocateur, à qui son inquiétude n'avait pas échappée. »
Il pesta intérieurement. Il ne savait pas jusqu'où les boloss qui lui faisaient face étaient capables d'aller. Et ça commençait à vraiment lui faire peur.
« Allez mec, dis à ta meuf d'approcher, on mord pas. »
C'était le passager avant qui venait de prononcer cette phrase. Il souriait d'un air malsain en fixant Summer d'une façon beaucoup trop insistante.
« C'est vrai quoi, entre potes on partage. Tu veux pas monter, beauté ?»
Il sentit Summer reculer derrière lui, alors qu'il se plaçait entre elle et la voiture. Il n'arrivait pas à déterminer la part de bravade de ce qu'il entendait, mais il était de plus en plus persuadé que la voiture ne redémarrerait pas avant que ses occupants n'aient fait quelque chose. Et il n'y avait aucun témoin possible à la ronde pour leur imposer un semblant de retenue.
« Oh, elle veut pas ? Elle veut pas. Les gars, et si vous alliez la chercher, histoire qu'on lui montre comment on s'amuse ? »
Les portières arrières s'ouvrirent au son d'acquiescements tapageurs, de « Viens mademoiselle, on sait s'occuper des gonzesses », et autres invitations obscènes. Il se mit en garde, prêt à les recevoir, et lorsque les portières avants s'ouvrirent à leur tour et que Victor et le mec répugnant qu'il espérait bien démolir sortirent de la voiture il dit posément :
« Summer, cours. »
Elle ne chercha pas à jouer les héroïnes, ne s'attarda pas pour lui demander ce qui allait lui arriver à lui. Non, dès qu'il eut prononcé ces mots il l'entendit s'élancer en direction de la ville, réaction qu'il apprécia grandement. Il eut tort.
L'un de ceux qu'il savait avoir dans sa classe s'avança en premier vers lui, peut-être convaincu qu'il pourrait le jeter au sol sans difficulté. Le boloss lança un poing vers son visage. Zéphyr le para sans difficulté avec son avant-bras gauche, paume ouverte, et répliqua dans la foulée en envoyant cette paume sur l'oreille de son assaillant avant de l'appliquer avec force sur sa nuque, bloquant sa tête vers le bas. Son corps se trouvait légèrement de côté, il leva la jambe gauche pour l'écraser sur le visage de l'autre puis il lui envoya son poing droit dans l'estomac et finit son action en le jetant au sol d'une tape à l'arrière du crâne. Le tout n'avait pas duré cinq secondes.
Cependant, non seulement les trois adversaires qui lui faisaient encore face savaient à présent qu'il ne serait pas une cible facile, mais en plus il réalisait avec rage qu'avoir poussé Summer à s'enfuir avait été une grave erreur. Victor et le pervers étaient peut-être sortis de la voiture quand elle avait commencé à courir, mais après un « salope » crié à son égard ils étaient bien vite remontés dans le véhicule pour rouler à tombeau ouvert, la rattraper en un rien de temps et lui couper la route dans un freinage en arc de cercle qui avait imprimé la trace noirâtre des roues sur le bitume.
Zéphyr voulut s'élancer vers elle, mais il lui restait encore les boloss 2, 3 et 4, et ceux-ci n'avaient pas du tout l'intention de le laisser interrompre la fête, d'autant qu'ils comptaient bien en profiter aussi dès qu'il serait étendu au sol avec quelques fractures. Alors qu'il leur avait tourné le dos pour s'occuper en priorité des deux autres, l'un d'entre eux réagit plus vite qu'il ne l'avait escompté et le saisit à l'épaule pour le tirer si fort vers l'arrière qu'il chuta au sol, le souffle coupé par le choc. Un pied vint le percuter à l'estomac, suivi d'un autre qui le frappa à la mâchoire. Sa bouche se remplit d'un goût de bile et de sang mêlés. Il parvint à prendre appui sur ses épaules pour se relever d'un bond, mais il manquait d'équilibre suite aux coups qu'il avait essuyés et il était encore encadré par trois types. Il écrasa sa paume droite sur le nez de celui qui se trouvait à sa gauche puis ramena son coude droit avec toute la violence qu'il parvint à mobiliser dans le plexus de celui qui était dressé à sa droite. Mais le troisième, qui était en face de lui et qui lui masquait Summer, le frappa à l'estomac et il tomba à genoux.
C'est alors qu'il entendit les cris. Summer, paniquée, qui hurlait aux autres de ne pas la toucher, et les deux raclures qui lui disaient de se laisser faire. Et il perdit totalement pied.
Alors que l'un de ses adversaires s'apprêtait à lui donner un nouveau coup de pied au visage, il frappa le sol de son poing. Une spirale de vent naquit autour de lui, parant le coup qui lui était destiné, puis elle entra en expansion avec une telle puissance que ses trois assaillants furent soulevés de terre et envoyés à plusieurs mètres de distance. Il se releva, un peu sonné, mais ne prit pas le temps de se remettre et se précipita en direction de la voiture.
Apparemment Summer avait tenté de revenir sur ses pas quand le véhicule lui avait coupé la route, mais Victor l'avait attrapée et plaquée contre lui. Il avait introduit une main sous son pull, dévoilant son ventre, et serrait sa poitrine d'une poigne de fer. Le deuxième la tenait par ses longs cheveux blonds et tirait sa tête en arrière, et avait fourré son autre main dans son jean.
Il allait les tuer. Peu importe les conséquences, il allait les tuer pour avoir osé poser leurs mains dégueulasses sur le corps de Summer. Et avant il allait les faire souffrir.
C'est focalisé sur cette certitude qu'il courait dans leur direction, incapable de penser à autre chose que cela. Mais plus il s'approchait, plus son esprit lui criait que quelque chose ne collait pas dans la scène qu'il avait sous les yeux. Et finalement cela le frappa. Les deux garçons étaient complètement statiques. Seule Summer essayait de se dégager de leurs emprises conjuguées. À la distance où il se trouvait maintenant il pouvait même voir qu'ils étaient complètement contractés, comme s'ils tentaient eux aussi désespérément de s'écarter mais qu'une force supérieure les maintenait immobiles. Et plus que ça, leurs visages présentaient des expressions de peur et de souffrance mêlées.
Il avait cessé de courir à peine quelques mètres avant de les atteindre. Il ne savait pas ce qu'il voyait et n'arrivait pas à déterminer quelle attitude adopter, la tête embrumée par les coups qu'il avait reçus.
Avant qu'il n'ait pu se reprendre et aller aider la jeune fille, elle parvint enfin à se dégager, tomba presqu'au sol, mais parvint à se rétablir de justesse tandis qu'elle s'éloignait de ses agresseurs. Ceux-ci avaient chuté lourdement dès qu'elle s'était écartée.
Elle se retrouva à un mètre de Zéphyr, et leva un regard craintif vers lui. Des larmes avaient roulé sur ses joues suite à la panique et elle semblait tenter désespérément d'empêcher les suivantes de couler. Mais il ne la regardait pas. Il regardait les deux garçons au sol derrière elle. Le pervers serrait sa main, dont les doigts présentaient des taches bleuâtres, en gémissant. Victor était quant à lui étendu sur le dos et respirait par saccades. Ses bras ressemblaient à deux masses inertes qu'on aurait posé de chaque côté de son corps. Ses mains étaient entièrement couvertes de nécroses noires et ses doigts étaient gonflés de façon inquiétante. Tous deux étaient agités de tremblements compulsifs et donnaient l'impression d'être en état de choc.
Il resta figé un temps indéterminé. Puis il réalisa que sa respiration se condensait en volutes blanches à chaque exhalaison, de même que celle des deux garçons à terre. Il finit par tourner les yeux vers le visage suppliant. Aucune condensation ne se levait devant elle. Et ses yeux étaient d'un bleu tellement intense qu'on les aurait dits peints à la gouache.
Elle recula maladroitement face à son regard, dont il n'avait effacé ni horreur, incrédulité, ou accusation, ni même le relent de peur qu'il sentait poindre suite à ce dont il venait d'être témoin.
Incapable de soutenir son jugement, ou peut-être simplement de rester en présence des deux blessés qui geignaient au sol, elle tourna les talons et partit en courant. Il n'eut pas le réflexe de la retenir. Il se contenta de la fixer, ses cheveux d'or soutenu volant derrière elle. Il eut vaguement l'impression qu'elle s'était remise à pleurer. Mais son cerveau hagard lui signala que malgré ce que la situation pouvait avoir de choquant à ses yeux, c'était très probablement parce qu'elle venait de subir une tentative de viol.
