Note : comme mon autre (longue) fanfiction, Le complexe de dieu, celle-ci est en partie post-DSOD et fondée sur le manga, pas l'anime. C'est aussi du Puppyshipping (Seto & Jônouchi, mais à ma façon), avec éventuellement en arrière-plan d'autres couples (Yûgi et Anzu pour le moment (pardon au fans de Puzzleshipping)). Il y aura aussi des passages développant la relation fraternelle entre Seto et Mokuba. Contrairement à mon autre fanfic, les mises à jour seront irrégulières, mais l'histoire devrait être assez courte.
M parce que the kids aren't alright (les gosses ne vont pas bien) : adolescence difficile, abus d'alcool, sexualité et asexualité, harcèlement et violences familiales (entre autre). Mais moins dure que Le complexe de dieu (ne pas avoir Yami Marik dans les parages aide).
Le titre vient d'une chanson de de Fall Out Boy.
L'image de couverture est de Rokuro (apparemment).
I
Seto avala une gorgée de sa tasse de thé vert tout en espérant que la boisson brûlante l'aiderait à se calmer les nerfs et à ne surtout pas penser au mail qu'il avait reçu une heure auparavant, alors qu'il s'apprêtait à éteindre son ordinateur et à quitter le siège de KaibaCorp pour rentrer chez lui.
Cela échoua.
Bien entendu.
Il ne pouvait ignorer que Ryô venait de l'inviter – sans doute plus par politesse qu'autre chose – à une réunion d'anciens élèves, à la même date que celle qu'il avait choisie, cinq ans auparavant, pour fêter la Saint Valentin et la fin de leurs études au lycée. Soit dit en passant, qu'une personne aussi socialement inadaptée que l'albinos ait pu un jour avoir l'idée d'une fête ne manquait pas de sel.
Lorsque Seto avait quelque chose à l'esprit, en particulier quelque chose qui l'irritait ou le frustrait, il lui était impossible de l'occulter tant qu'il n'avait pas atteint son but, quel qu'il soit. Il en était allé ainsi de l'entreprise de Gôzaburô jusqu'à ce qu'il s'en empare, des cartes du dragon blanc aux yeux bleus jusqu'à ce qu'il les réunisse, de son frère jusqu'à ce qu'il le tire des griffes de Pegasus, d'Atem jusqu'à ce qu'il parvienne à le rejoindre dans une autre dimension et à remporter son duel contre lui… Ses concurrents les plus directs le craignaient pour cette même raison, car lorsqu'il avait quelqu'un dans le nez ou qu'il souhaitait s'emparer d'un marché en particulier, il parvenait toujours à ses fins. Seto n'acceptait ni les refus ni les échecs, et se montrait particulièrement rancunier envers ceux qui s'opposaient à lui.
Alors, autant dire qu'il n'avait jamais réussi à oublier ce qui s'était produit cette nuit-là, cinq ans plus tôt. Même si la chose n'avait pas occupé le devant de ses pensées, elle était toujours restée présente, assez pour le gratter de temps en temps, en particulier quand les championnats de Duel Monsters l'obligeaient à le revoir, pire, à lui parler entre deux matchs et à reconnaître son existence, même à demi-mot, lors des réceptions qui suivaient.
Seto fronça les sourcils et pinça les lèvres avec dégoût.
Bien que leurs rapports n'aient en apparence pas évolué d'un iota depuis le lycée, il savait que le frisson qui remontait le long de son dos lorsqu'ils combattaient n'était pas seulement dû à l'excitation du duel et à l'idée de l'humilier une fois de plus en l'écrasant.
Cela aurait pu, pourtant.
Atem disparu et Yûgi trop concentré sur sa carrière de game designer pour reprendre les tournois, Jônouchi était ce qui se rapprochait le plus d'un rival. Cela en disait long, hélas, sur le niveau général des autres joueurs professionnels, parce que Seto était toujours loin de considérer le blond comme son égal ou, même, comme un être humain digne de ce nom. Alors, qu'il puisse être troublé en sa présence, lui qui n'avait d'ordinaire aucun intérêt pour ces choses-là, lui qui n'éprouvait aucune forme d'attirance, que ce soit sur un plan physique ou émotionnel, pour des individus infiniment supérieurs à ce loser bruyant et indiscipliné… ! Seto n'arrivait pas à le comprendre. Ce n'était pourtant pas faute de s'être torturé l'esprit et d'avoir évalué plusieurs fois tous les paramètres dont il avait connaissance. Mais ses pulsions n'avaient rien de logique, point, et il haïssait profondément ce qui n'était pas logique.
Son thé fini, Seto dénoua sa cravate tout en se dirigeant vers sa chambre. Mokuba ne semblait pas être revenu au manoir malgré le couvre-feu, mais il ne s'inquiéta pas outre mesure en sachant qu'Isono surveillait son frère dans ses déplacements pour éviter tout incident trop gravissime. Bien sûr, Mokuba lui-même l'ignorait. Aurait-il été mis au courant qu'il se serait révolté avec la brutalité et la vulgarité qui le caractérisaient depuis quelques mois. L'adolescence n'avait pas amélioré son caractère, et Mokuba semblait s'employer à vivre excessivement tous les affres que Seto lui-même n'avait pas connu ou s'était refusé à connaître parce qu'ils auraient entravé sa capacité à mener ses affaires d'une main de maître. Seto n'avait jamais eu qu'un seul désir, au fond : être le meilleur dans tous les domaines qui suscitaient son intérêt, et la majeure partie de ce qui faisait vibrer les adolescents ne le suscitait pas.
Seto abandonna sa cravate sur le dossier d'un fauteuil, puis rejoignit la salle de bain pour se déshabiller, plier soigneusement ses vêtements dans le panier de linge sale – une manie qui faisait pouffer Mokuba – et prendre une douche express. Lorsqu'il ressortit, il se sécha rapidement, enfila un boxer et se brossa les dents, effectuant chacune de ses actions avec une concentration excessive. Celle-ci n'avait que pour but de chasser l'ennuyeux souvenir qui rappelait que même lui n'agissait cependant pas toujours avec la raison qu'il vénérait.
Quand il entendit la sonnerie de son téléphone portable posé à côté de la vasque de marbre, Seto fut soulagé d'avoir une distraction, même s'il devinait par avance qu'il ne pouvait s'agir que de mauvaises nouvelles. L'apparition du nom d'Isono sur l'écran ne fit que confirmer ses craintes. Bien. Être en colère lui ferait peut-être oublier le mail et, donc, le reste. Plus précisément une paire d'yeux entre le doré et le chocolat au lait.
— Qu'est-ce que Mokuba a encore fait ? fit-il en décrochant.
Isono garda le silence pendant une brève seconde avant de soupirer.
— Il a bu.
Même s'il n'était pas étonné outre mesure, Seto fronça le nez avec dégoût. Il détestait l'alcool, tout comme il détestait tout ce qui aurait pu contribuer à lui faire perdre le contrôle de ses actions ou à embrumer le fil de ses pensées. Pour lui, en consommer était un aveu de faiblesse, et que Mokuba y trouve de l'intérêt le dépassait. Bien sûr, tous les jeunes gens de son âge et même de l'âge de Seto en consommaient, mais cela ne justifiait en rien cette attitude irresponsable. Surtout de la part d'une personne aussi intelligente que son frère. La seule personne capable de rivaliser avec lui sur ce point.
— A-t-il bu beaucoup ?
— Assez pour casser plusieurs dents à un camarade de classe.
— Et pourquoi a-t-il fait ça ? questionna Seto en se pinçant l'arête du nez, devinant d'avance la réponse.
— De ce que j'ai compris de ses borborygmes, son camarade a insulté une fille de « thon » et en précisant qu'aucun « mec » ne lui offrirait de chocolat au White Day sans y être forcé, donc qu'il est inutile qu'elle en offre à qui que ce soit à la Saint Valentin.
Seto leva les yeux au ciel.
Bien sûr.
Une fille.
Quelle surprise !
Mokuba ne perdait jamais une occasion de briller auprès de son cortège d'adoratrices, même auprès de celles avec qui il n'envisageait pas un seul instant de sortir. Et son attitude n'était même pas motivée par une quelconque forme d'arrogance. Cependant, son cadet n'agissait ainsi que parce qu'il détestait ceux qui s'en prenaient à plus faibles qu'eux tout autant que Seto détestait tout ce qui échappait à la logique. Pour en être convaincu, il suffisait de voir comment Mokuba le foudroyait du regard, avec de plus en plus d'intensité au fil du temps, chaque fois que Seto rappelait à Jônouchi sa place dans le monde et le fait qu'il n'était qu'un bon à rien, que s'il avait été un cabot, il n'aurait même pas su différencier « assis » et « couché ».
Finalement, décrocher dans l'espoir de trouver une distraction à ses pensées avait été une bien mauvaise idée, parce que l'attrait de Mokuba pour la gent féminine lui rappela que lui-même n'avait jamais connu la moindre pulsion de ce genre ou vécu quoi que ce soit qui se rapproche de près ou de loin à une aventure… excepté cette nuit-là.
Seto frissonna d'horreur à la pensée de sa propre faiblesse et de dégoût à l'idée que Jônouchi en ait été la cause plutôt que n'importe qui d'autre. Mais au moins pouvait-il trouver une explication à son comportement dément à ce moment précis : le mélange terrible des hormones, de l'alcool et du stress plus le fait qu'ils s'étaient retrouvés confinés dans un endroit clos avait été fatal. Hélas, cette justification, quelque peu rassurante puisqu'il n'y avait aucune raison pour qu'il se retrouve dans la même situation, la leçon apprise, ne disait pas pourquoi il continuait d'être aussi troublé en sa présence, surtout quand la tension de leurs duels était à son comble. Au-delà de son absence d'intérêt pour le sexe, Seto avait toujours eu des choses bien plus importantes à penser : par ordre d'importance, son frère – surtout en cette période où Mokuba s'employait à épuiser sa patience et à susciter son incompréhension –, sa société et son titre du roi des jeux. Même sur un plan purement platonique, il n'aurait jamais laissé qui que ce soit se rapprocher assez de lui pour se vanter d'être « intime ». Bien qu'il tolérât Yûgi de temps en temps au manoir pour des raisons avant tout professionnelles, il jugeait l'ancien hôte d'Atem déjà bien trop présent comme cela, et seul Mokuba et Isono pouvaient se vanter de le connaître mieux que le jeune game designer. Alors, réagir à la présence du clebs était le summum de l'ironie !
— Quand serez-vous au manoir ? demanda-t-il tout en entrant dans le dressing pour sélectionner une nouvelle tenue.
— D'ici quelques minutes.
— Bien.
Seto raccrocha, revêtit une paire de jeans noirs qu'il ne portait que dans le privé et enfila un vieux t-shirt à manches longues de la même couleur. Le pendentif contenant la photo de Mokuba resta un moment coincé en dessous, et il tira sur la corde pour le ramener au-dessus avant de le serrer brièvement dans la paume de sa main. Un journaliste avait supputé, quelques mois plus tôt, qu'il devait cacher à l'intérieur une carte du dragon blanc aux yeux bleus, puisque Seto était toujours célibataire et sans aventure connue à vingt-trois ans. Il avait fallu toute la force de conviction et la patience d'Isono pour le convaincre que ce ne serait pas une bonne idée d'enlever le scribouillard, de lui confisquer ses papiers, de le droguer et de l'enfermer dans la cale d'un des navires panaméens faisant étape à Domino afin que le pauvre homme se retrouve dans un pays exotique dont il ne parlait pas la langue, livré à lui-même.
Quand Isono arriva quelques minutes plus tard, portant sur son dos un Mokuba gémissant – non à cause d'un coup reçu dans l'échauffourée, mais à cause de l'alcool qui avait fini par submerger son organisme –, Seto était déjà paré pour la longue nuit qui s'annonçait : de l'eau pour son frère, du café pour lui, un seau pour le moment où le crétin qui partageait ses gènes avec lui recracherait tout ce que contenait son estomac et une énorme dose de patience pour ne pas l'abandonner et le laisser s'étouffer dans son vomi afin de devenir le seul et unique propriétaire de KaibaCorp.
Isono déposa l'adolescent à moitié inconscient sur le lit et releva un regard soucieux sur Seto.
— Avez-vous besoin de mon aide, monsieur le directeur ? demanda-t-il par politesse rituelle, car il connaissait déjà la réponse.
— Non, tu peux rentrer chez toi, répondit Seto tout en portant un regard sévère sur son cadet, dont le visage rendu maladif par l'ivresse disparaissait sous la masse sombre de ses cheveux.
— Seto, c'est toi ?
Mokuba se redressa sur un coude, chancelant, et éleva une main devant son visage, parce que la lumière électrique, après les stroboscopes fluo de la boîte de nuit, lui brûlait les yeux.
— Isono m'a encore laissé boire, marmonna-t-il avant de retomber sur le matelas, seulement à demi conscient.
Seto souffla par le nez, ne sachant s'il était irrité ou amusé par son excuse. Il n'en voulait pas à Isono. Pas un seul instant. Empêcher Mokuba de boire s'il l'avait décidé était aussi impossible que de convaincre la Corée du Nord de se réunifier avec le Sud sans son chef suprême bien-aimé. En fait, la seule solution qu'il avait trouvée – au problème de Mokuba, pas à celui de la Corée –, avant qu'Isono, encore une fois, lui suggère que rien ne serait plus inapproprié, aurait été de l'enfermer dans l'un des laboratoires secrets de Gôzaburô et de lui laver le cerveau grâce à toutes les charmantes techniques militaires de conditionnement que le vieux avait fait développer avant son suicide. À la réflexion, cela aurait peut-être pu marcher aussi avec le leader de la Corée du Nord…
— Bien, je vais vous laisser, alors, fit Isono tout en s'inclinant avec respect. Bon courage, monsieur.
Seto se contenta d'un rapide hochement de tête avant de reporter son attention sur Mokuba, qui embrassait l'oreiller dans ses bras comme si sa vie en dépendait.
— Je me sens pas bien, Seto… gémit-il.
— Tu devrais arrêter de boire, dans ce cas. Et apprendre à choisir tes combats. Frapper un camarade de classe, vraiment ? Tu auras de la chance si les parents ne te portent pas plainte contre toi.
Non pas que Seto ne puisse pas résoudre ce qui n'était qu'un incident mineur. Toutefois, il espérait mettre un peu de plomb dans la tête de son frère – si cela était possible. Il peinait à comprendre pourquoi son frère se comportait comme un crétin. Un crétin toutefois encore assez fin pour comprendre de quelle façon fonctionnait le monde, comme le prouva sa réflexion suivante…
— Donne-leur de l'argent.
— Et si je veux pas ?
— Je leur donnerai de l'argent.
Mokuba poussa un soupir, puis fut tout à coup secoué par un haut-le-cœur. Seto n'eut que le temps de l'attraper par les épaules et de le pousser au-dessus du seau tout en retenant ses cheveux derrière son visage. Oh, un jour Seto prendrait tellement de plaisir à lui remémorer, si possible devant ses amis, le nombre de fois où ils s'étaient retrouvés dans cette situation, Mokuba occupé à vomir dans le premier récipient venu et lui à l'empêcher de s'en mettre partout…
En attendant ce futur plus que plausible, Seto lui tendit un verre d'eau pour qu'il puisse se rincer la bouche et le recoucha ensuite sur le matelas. Mokuba se plaignit à nouveau, de façon si exagérée que l'on aurait pu le croire à l'agonie. Seto leva les yeux au ciel, puis, jugeant que l'état de son cadet n'était pas assez grave pour nécessiter une surveillance constante, alla vider le seau dans les toilettes. Quand il revint, Mokuba ronflait légèrement, une main sur le ventre, l'autre entortillée dans sa chevelure. Sa mâchoire commençait à se marbrer de marques violacées, sans doute à l'endroit où il avait reçu un coup de poing bien mérité.
Avec un soupir, Seto enleva les chaussures de Mokuba, puis releva sur lui les couvertures qu'il avait préalablement tirées, avant son arrivée. Il s'installa ensuite à côté de lui tout en calant l'un des oreillers dans son dos et posa son ordinateur portable sur ses jambes. Il ne lui serait pas possible de dormir de la nuit, alors autant en profiter pour avancer les nombreux projets de KaibaCorp qui nécessitaient son attention directe.
Cependant, il délaissa vite son entreprise pour surfer sur des sites offrant moult conseils aux parents débordés par leurs enfants ayant muté en démon à l'adolescence, dans l'espoir que cela lui offre un éclairage quelconque. Il avait conscience qu'il lui faudrait discuter sérieusement du problème avec Mokuba, mais il ignorait comment le faire, tant son comportement lui était étranger. Lui expliquer que boire ainsi n'était ni raisonnable ni rationnel n'avait pas porté ses fruits et lui avait valu un ricanement. Et Isono, lui, s'était esquivé en estimant qu'il avait déjà bien assez à faire avec ses propres enfants, sans compter qu'il avait déjà dû se charger de la discussion concernant le sexe quand Mokuba avait commencé à s'intéresser à ces choses-là ; il s'était étouffé en entendant Seto débuter par « dans la nature, il y a la reproduction sexuée et végétative » avant de poursuivre par les mécanismes des deux et de conclure par « puisque tu es un humain et que nous utilisons la reproduction sexuée, mets des préservatifs. Je ne veux pas être oncle maintenant. Ou que tu attrapes une maladie sexuellement transmissible. Amuse-toi bien… je suppose… ». Isono lui avait adressé un regard terriblement réprobateur. Même avec du recul, Seto ne voyait pas en quoi son explication ne convenait pas : elle était correcte sur le plan scientifique et totalement claire.
La respiration de Mokuba se fit moins bruyante, et l'adolescent roula sur le côté en marmottant dans son sommeil. Seto garda les yeux baissés sur lui, jusqu'à ce que les paupières de son cadet se soulèvent lentement. Il n'avait plus envie d'être en colère après lui. Et de lui laver le cerveau.
— Tu as encore envie de vomir ?
Mokuba secoua la tête.
— Tu as soif ?
Mokuba secoua encore la tête, lui tourna un instant le dos en roulant dans l'autre sens, puis, fébrile, décida de s'asseoir.
— J'ai mal au ventre, confessa-t-il après quelques longues secondes à supporter le regard sévère de son frère sans rien dire.
Seto lui tendit un verre d'eau, que Mokuba accepta sans rechigner, ayant sans doute déjà oublié « qu'il n'avait pas soif ». Ensuite, il fixa le vide dans le plus grand silence, et Seto l'observa du coin de l'œil, prêt à intervenir si son estomac décidait de faire des siennes. Il ne le fit pas, fort heureusement.
— Mokuba…
— Hum… ?
Seto hésita. Sa question lui paraissait plus difficile à formuler sur le plan sémantique qu'un discours complet visant à convaincre de nouveaux investisseurs de soutenir ses projets concernant le développement du tourisme spatial. Il décida d'opter pour la simplicité, même si Isono lui aurait sans doute encore reproché d'être trop direct.
— Pourquoi bois-tu autant ?
Mokuba papillonna des paupières en le dévisageant, comme s'il avait entendu les mots qui venaient de franchir sa bouche sans pour autant parvenir à les interpréter.
— Oh… Tout le monde le fait.
Seto fronça les sourcils. Cette réponse ne le satisfaisait pas, loin de là. Il se garda, toutefois, d'exprimer à quel point il la trouvait stupide.
— Pourquoi fais-tu comme tout le monde ?
— Parce que sinon je serais bizarre.
— Bizarre ?
— Pas comme eux.
Tout en refermant son ordinateur portable pour le poser à côté de lui sur la table de chevet, Seto médita un instant ses paroles.
— Je ne vois pas où est le problème. Pourquoi tu voudrais être « comme eux » quand tu peux être unique ?
Mokuba repoussa ses cheveux en arrière avant de le regarder. Il se mordit la lèvre inférieure avant de répondre.
— Parce que je suis pas comme toi. Si je me comporte pas comme eux, je serais juste le premier de classe ennuyeux à qui personne parle ou alors seulement parce qu'il a de l'argent.
— Donc je suis un premier de classe ennuyeux à qui personne ne parle ou alors seulement parce que j'ai de l'argent ? questionna Seto, nullement vexé par la comparaison, car il aurait aimé que les gens lui parlent aussi peu que possible en dehors des affaires.
— Noooon, grommela Mokuba avec exagération, tu es le plus grand duelliste au monde, et personne peut trouver ennuyeux quelqu'un qui porte aussi bien que toi les pantalons en cuir. Je comprends pas, d'ailleurs. C'est comme si tu avais « baisez-moi » sur les fesses, mais… non.
Seto ouvrit la bouche, mais ne trouva pas ce qu'il aurait bien pu répliquer à cela et se gratta la tête à la place. Il n'était pas décalé au point d'ignorer que certaines personnes le trouvaient sexy. Simplement, il n'y prêtait pas attention. Cependant, l'entendre de la bouche de son frère était différent et rendait ce point beaucoup plus concret.
— Est-ce que tu imagines le nombre de femmes déçues ? poursuivit Mokuba en s'enroulant dans les couvertures.
— Hélas, oui, fit-il avec un ricanement.
Mokuba fronça les sourcils, et Seto pouvait imaginer à quel point son cerveau embrumé par l'alcool devait turbiner.
— Il y a aussi des hommes…
Seto retint brièvement son souffle avant de poser une question qu'il craignait de regretter :
— Tu penses à quelqu'un de précis ?
— Nan, juste un constat.
Tant mieux. Vraiment, tant mieux. Si le chien galeux avait raconté quoi que ce soit à son frère, il aurait été le tirer hors de son chenil pour trouver un vétérinaire acceptant de l'euthanasier au plus vite, qu'Isono trouve cela bien ou pas.
— Tu pourrais obtenir tout ce que tu veux rien qu'en souriant un peu plus. Même si ça t'intéresse pas, tu devrais… je ne sais pas… en jouer plus… Hum…
Le souffle ralenti de Mokuba indiquait qu'il s'était rendormi à nouveau. Bien que Seto ait le sentiment que leur discussion avait été utile – au moins avait-il enfin une petite idée de ce qui poussait son cadet à se conduire comme un demeuré –, il avait le sentiment que Mokuba n'en garderait aucun souvenir et qu'il lui faudrait tout recommencer à zéro le matin venu. C'était d'autant plus difficile qu'il n'arrivait pas à comprendre pourquoi son frère éprouvait tant le besoin de se fondre dans la masse quand tant de personnes voulaient être exceptionnelles. Et Mokuba l'était, exceptionnel. S'il ne partageait pas son goût pour la compétition et la victoire, il se débrouillait bien mieux que lui face aux gens. Lorsqu'il présentait les tournois, les spectateurs étaient subjugués par son charme, et non par son agressivité et son arrogance, comme dans le cas de Seto.
Seto reprit son ordinateur portable et repéra la fenêtre encore ouverte du logiciel de messagerie de KC. Il l'avait utilisé plus tôt dans la journée pour discuter en temps réel avec Yûgi des modifications à apporter à son nouveau projet pour qu'il s'intègre mieux dans l'écosystème de réalité virtuel de l'entreprise. Le rond à côté de son nom était toujours coloré de vert, ce qui n'étonna pas Seto : Yûgi travaillait mieux la nuit, disait-il.
kaibasetoCEO : Pourquoi Mokuba veut être comme les autres ? Pourquoi a-t-il peur d'être bizarre ?
La réponse fut presque immédiate.
mutôyugiGD : D'abord, bonsoir, ensuite, pardon ?
Seto écrivit rapidement un résumé de la situation, puis attendit en tapant le bord de son pc du bout de ses doigts. Alors qu'il commençait à perdre patience, Yûgi se manifesta enfin.
mutôyugiGD : Est-ce que quelqu'un le harcèle au lycée ? Parce que ça expliquerait pourquoi… J'aurais sûrement aimé être comme tout le monde à l'époque ~
kaibasetoCEO : Je ne crois pas qu'il soit harcelé.
Une minute s'écoula avant que Yûgi ne renvoie une réponse.
mutôyugiGD : Tu es sûr de vouloir discuter de sujets privés avec moi, encore plus sur la messagerie professionnelle ?
kaibasetoCEO : Oui. De toute façon, qui va me le reprocher ? En plus, ce qui me pose problème, c'est quand mes employés discutent de choses inappropriées. Je ne veux pas que quelqu'un d'autre débarque en larmes dans mon bureau pour cause de harcèlement quand j'ai des affaires urgentes à traiter.
mutôyugiGD : Oh, oui, ce serait dramatique… En tout cas, pour Mokuba, qu'est-ce qu'il a dit exactement ?
kaibasetoCEO : Quelque chose comme « je veux être comme eux, je ne suis pas toi ». Et aussi qu'il n'a pas envie d'être le premier de classe ennuyeux.
Cette fois, il s'écoula un long moment avant que Yûgi ne réponde, au point que Seto fixa l'horloge de l'ordinateur avec une tension de plus en plus grande.
mutôyugiGD : Ton frère veut juste des amis et croit sans doute qu'il n'en aura pas s'il se détache de la masse. Il n'est pas toi parce que c'est quelque chose qui lui importe alors que toi tu ne te soucies pas du tout d'avoir des amis comme tu nous l'as répété environ un million de fois. L'opinion des autres ne t'importe pas, mais sans doute que lui si et il fait tout pour être intégré, même des choses stupides
Seto n'eut même pas le temps de finir de lire avant que Yûgi n'ajoute autre chose.
mutôyugiGD : il a juste peur d'être isolé et impopulaire. Ou de ne pas être apprécié pour les raisons qu'il juge bonnes, c'est-à-dire pour lui-même et pas parce qu'il est le petit frère d'un célèbre milliardaire dirigeant l'une des entreprises de divertissements les plus populaires au monde
mutôyugiGD : tu es un peu comme un Tony Stark, mais non-bourré et non obsédé sexuel
Mains au-dessus du clavier, Seto s'apprêta à écrire quelque chose, lorsqu'un autre message apparut à l'écran.
mutôyugiGD : Anzu : tu sais, il y a des professionnels que tu peux embêter au beau milieu de la nuit
Seto fronça les sourcils. Il ignorait qu'Anzu était rentrée de sa tournée et encore moins qu'elle logeait chez Yûgi, même si ce second point ne l'étonnait qu'à moitié : l'ancien duelliste se languissait d'elle, au point que cela perturbait parfois son travail lorsqu'il n'avait aucune nouvelle pendant une semaine ou deux. Il n'était pas certain que Anzu ressente la même chose, toutefois, puisqu'il lui semblait qu'elle était en couple avec quelqu'un d'autre peu de temps avant son départ pour l'étranger. Ah, Seto s'estimait heureux d'être épargné par de pareilles futilités.
mutôyugiGD : désolé pour ça
mutôyugiGD : Anzu : sérieusement, Kaiba. Consulte un psy !
kaibasetoCEO : je ne te demande pas ton avis
mutôyugiGD : Anzu : ton frère est parfaitement normal pour un adolescent de son âge c'est toi qui n'es pas normal
kaibasetoCEO : merci
mutôyugiGD : Anzu : ce n'était pas un compliment
kaibasetoCEO : alors comme ça Yûgi et toi êtes ensemble maintenant ?
kaibasetoCEO : ou tu t'es réfugiée chez lui parce que ton petit ami n'a pas attendu ton retour pour te tromper ?
mutôyugiGD : Anzu : connard
Il esquissa un rictus victorieux quand plusieurs longues secondes s'écoulèrent sans la moindre réaction.
mutôyugiGD : tu ne vas pas me virer pour ça ?
kaibasetoCEO : oh non ! C'était une distraction bienvenue !
mutôyugiGD : ne sois pas aussi méchant avec elle ou elle te le fera regretter quand tu viendras à la soirée
Seto cligna des yeux. La soirée. L'invitation de Ryô. Qu'il avait enfin réussi à se sortir de l'esprit, grâce à Mokuba, ironiquement. Peut-être allait-il punir Yûgi pour l'incident avec Anzu, finalement. Pas en le virant, il était trop précieux, mais en trouvant un motif pour lui faire faire des heures supplémentaires non payées.
Il fronça les sourcils.
Hum… C'était déjà ce qu'il était en train de l'obliger à faire à l'instant même.
mutôyugiGD : tu viendras à la soirée, n'est-ce pas ? Ryô serait déçu que tu ne viennes pas
Seto renifla avec incrédulité.
kaibasetoCEO : Je ne me rappelle même pas quand j'ai pu voir Ryô pour la dernière fois…
mutôyugiGD : Ok, je tentais au cas où. C'est juste que je pense que ça te ferait du bien de voir du monde en dehors de l'entreprise et des duels
kaibasetoCEO : Je n'ai pas besoin de voir du monde.
Surtout pas Jônouchi.
kaibasetoCEO : Je n'ai, en particulier, pas besoin de voir nos anciens camarades de classe, les écouter parler à propos de leur vie pathétique…
mutôyugiGD : Mokuba a déjà répondu qu'il viendrait, tu sais ?
Mokuba. De l'alcool. Plein de jeunes femmes encore célibataires ou sur le point de l'être sitôt qu'elles auraient mis le grappin sur lui.
Seto blanchit et attrapa des sueurs froides à l'idée horrible que son cadet déniche une future madame Kaiba parmi certaines des personnes qu'il méprisait le plus au monde après les membres de son conseil d'administration. Bien sûr, il aurait pu lui interdire formellement de se rendre à la réunion, mais, à moins de l'enfermer dans sa chambre, de mettre des barreaux aux fenêtres et de payer un sniper pour l'assommer aux tranquillisants s'il parvenait tout de même à s'enfuir, Seto savait d'avance que ce serait vain et qu'Isono l'appellerait pour lui rapporter les nouveaux exploits de son frère.
— Monsieur, Mokuba a mis une fille enceinte.
Si Isono lui annonçait pareille chose dans un proche avenir, Seto se promettait de réviser son opinion sur l'alcool et de s'offrir la biture du siècle. Mokuba méritait quelqu'un à la hauteur de son intellect, une scientifique ou une ingénieure, pourquoi pas une chirurgienne, mais pas une des dindes issue de Domino High.
kaibasetoCEO : je viendrai. Mais préviens Ryô d'avance qu'il en sera désolé…
Seto referma son ordinateur sans plus de cérémonie, l'abandonna à nouveau sur la table de nuit et se laissa couler au fond du lit, plus inquiet qu'il ne l'aurait avoué à quiconque à l'idée de se rendre à cette fichue soirée, si semblable à celle qu'il avait connue cinq ans plus tôt et qui avait laissé en lui un souvenir impérissable…
Note suite : Je sais, je suis cruelle, Jônouchi n'a été que mentionné pour le moment :) Mais, rassurez-vous, il apparaît au prochain chapitre.
PS : Je m'étais promis de ne jamais faire une conversation chat dans un texte. Admirez le résultat.
