Prologue.

- Il était un faire-part...-

Elle fit glisser son index le long du liseré doré qui faisait le tour complet du petit carré de papier. Elle avait lu et relu les mots qu'il contenait une bonne cinquantaine de fois, incapable de croire ce qui était marqué. Elle avait titubé, comme si une balle de bois lui avait traversé les poumons, et s'était écroulée dans le fauteuil très XVIIIème siècle français qui se trouvait tout près.

Il lui avait fallut un moment pour retrouver l'ordre dans lequel il convenait d'inspirer et d'expirer. La colère rendait sa respiration irrégulière et empêchait ses yeux de trouver quelque chose sur quoi se fixer. C'était la première fois de sa vie qu'elle était surprise par un vertige. C'était aussi la première fois depuis sa mort.

Posant sa main parfaite sur l'emplacement de son coeur qui avait cessé de battre depuis plusieurs centaines d'années, elle eut l'impression qu'il tambourinait furieusement, et le souvenir lui revint de toutes les fois où elle l'avait sentit devenir fou comme il aurait dû l'être à présent.

Alors qu'elle posait à nouveau les yeux sur les deux prénoms enlacés de lettres dorées, elle sentit toute la solitude du monde s'abattre sur elle. Il n'y avait personne autour d'elle. Personne dans la pièce, ni même dans la grand maison où elle se trouvait. Probablement aussi très peu d'âmes dans les kilomètres alentours. Et elle se rendit compte que ça lui manquait. Elle aurait voulu qu'il y ait quelqu'un auprès d'elle, pour la soutenir, pour la réconforter, pour lui murmurer à l'oreille "ça va aller", ou juste "laisse tomber, ça n'en vaut pas la peine."

Mais elle n'abandonnerait pas. C'était un affront qu'elle avait essuyé, une attaque frontale qu'elle n'était pas prête de pardonner, ou d'oublier. Ce faire-part, qu'elle avait volé chez une de ses connaissances à qui elle rendait une visite d'affaires, venait entériner le début d'une nouvelle ère, il y avait bien longtemps qu'elle n'était pas repartie en guerre.

Ils n'avaient pas le droit de lui faire ça. C'était son nom à elle qui aurait dû être aposé à l'encre d'or auprès du sien. C'était elle qui avait participé à son passé, façonné l'homme qu'à présent il était. C'était à elle qu'il appartenait, avant même de se transformer, c'était à elle qu'il était destiné. Personne n'avait le droit de le lui voler, c'était son trésor, sa richesse, sa pierre précieuse, la seule chose au monde qui pendant des siècles l'avait empêché d'être malheureuse.

La colère grondait en elle, menaçant de lâcher le monstre qui trop souvent prenait le dessus. Des tremblements de frustration la parcouraient, dans son esprit, l'assaut était déjà lancé. Il était à elle, c'était sa propriété, personne n'avait le droit de le lui retirer, c'était elle qu'il devait épouser, elle et personne d'autre.

Il est à moi...Il est à moi, et je me fous de celle qu'il prétend aimer, c'est avec moi qu'il doit se marier. C'est moi qui ait marqué son passé, sauvé son futur. J'ai fait de lui quelqu'un, il n'a pas le droit, pas le droit ! Il est à moi...

Se levant, elle s'approcha de la cheminée qu'elle gardait perpétuellement allumée. Les flammes dansaient dans l'âtre, les braises rougeoyaient, tentant de trouver le souffle d'air qui les ranimeraient. Il y avait un feu en elle aussi. Un feu de rage et d'envie. Elle ne pouvait cautionner la situation, elle devait agir, trouver une solution.

Ses yeux parcoururent une dernière fois l'inscription dorée, avec un dégoût prononcé, puis fléchissant les genoux pour s'accroupir, elle glissa le faire-part au creu des flammes et le regarda disparaître lentement. Mais son sentiment de frustration, de colère et de désespoir ne disparu pas avec lui. Elle avait beau s'être débarrassé de l'objet de sa douleur, sa peine restait bien accrochée à l'intérieur d'elle, tapissant les parois de son corps vide comme pour s'installer définitivement en son sein.

Elle n'était pas habituée à subir la souffrance. Souvent, c'était à elle de l'infliger, aussi refusait-elle de se soumettre à cette défaite que son passé pensait lui avoir fait endurer. Il était de réputation qu'elle ne perdait jamais, et ses sentiments ne se laisseraient pas dominer par une passion pathétique. Elle allait mener bataille et s'en sortir avec les honneurs. Parce qu'il y avait un chose chez elle qui n'admettait pas la contradiction, c'était l'orgueil.

Mais n'était-elle également pas poussé par l'amour, le désespoir, cette envie irrépressible de retrouver ce qu'elle pensait perdu sans jamais accepter que tout soit terminé ? Car elle savait, au plus profond d'elle même, que tout ce qui se perdait, était susceptible d'être retrouvé. C'était même l'objectif premier.

Elle fit quelques pas dans la pièce, tentant de trouver une issue à son dilemme. Toutefois, au fond d'elle même, elle savait. Elle avait toujours sû que lorsque l'occasion se présenterait, elle la saisirait. Elle savait même que si elle ne s'était pas offerte à elle, elle aurait tout fait pour l'engendrer, la créer, claquer une porte pour ouvrir une fenêtre. Abandonner n'a jamais vraiment été dans ses idées.

Attrappant un téléphone portable sur l'étagère, elle composa un numéro. Sa décision était prise, elle n'avait même jamais été discutée ou susceptible d'être altérée. Il était à elle, il lui appartenait, et elle comptait bien récupérer sa propriété.

Trois sonneries, un déclic, la liaison s'établit, les paroles de courtoisie n'étaient pas au programme.

" Réserve moi un billet pour dans deux heures.

- Quelle destination ?

- Forks.

- Considère que c'est fait. Un chauffeur viendra te récupérer d'ici une heure. Tiens toi prête."

Elle l'était déjà. Prête et déterminée. Parmi toutes les croisades qu'elle avait mené, aucune victoire ne lui avait échappé. Elle n'imaginait pas un seul instant échouer. Elle le ramènerait avec elle, elle se le réapproprirait. A bien, ou à mal. Il serait sien avant la fin de l'année. Elle se le promettait. Et s'il y avait bien une seule personne qu'elle n'avait jamais trahi, c'était elle-même.