Disclaimer (oui, j'ai entendu dire que ça se faisait) : Tales of Symphonia, son monde, ses lieux, ses personnages (encore qu'il n'y en aura pas beaucoup) ne m'appartiennent pas.
Spoiler alert : Pour ceux qui n'ont pas fini le jeu... Cette fic contient des spoilers assez massifs sur les emplacements de sceaux, et sans doute aussi sur le fonctionnement du monde.
C'est tout ! Pour le reste, faites-vous plaisir !
Chapitre Premier
D'élus, de caves, de zombies
Matthieu avait beau être assis à son bureau, son esprit était loin, très loin de là. C'était la rébellion adolescente dans toute sa splendeur : "Vous pouvez me faire venir en classe, vous pouvez m'attacher à mon bureau, vous pouvez même me clouer au banc si ça vous chante, mais vous n'arriverez jamais à me forcer à vous écouter."
"Elu."
Il avait hâte que le cours se finisse. Pour pouvoir faire un truc intéressant et utile ! Quelques passes, par exemple. Ou même une partie d'échecs, c'était un jeu sympa, et puis il gagnait souvent. Tout, pourvu que cette torture s'arrête.
"Elu !"
Un coup de coude l'arracha à sa rêverie bien malgré lui et le ramena à l'instant présent : il semblerait que son cher voisin n'appréciait guère qu'il divaguât alors que d'autres bossaient. La prof, Mlle "j'ai des lunettes et je pousse des gueulantes pour un oui ou pour un non" (de son vrai nom Melacai, brune (enfin, autrefois), maigrichonne, ayant pour seules armes sa voix haut perché et une règle en bois), le fixait d'un air impatient. "Tu dois bien savoir ça, on l'a vu la semaine dernière", disait son regard. Comme s'il avait ouvert le bouquin depuis. Il ricana intérieurement.
Son cher voisin, plus assidu que lui, lui indiquait discrètement unun paragraphe sur l'ouvrage ouvert en commun sur leur bureau. Matthieu le parcourut en diagonale avant d'en restituer ce qu'il avait compris.
"Ouais, alors, pour répondre à votre question, madame (Il savait qu'elle détestait qu'on l'appellât comme ça, mais lui détestait qu'on le dérange lorsqu'il rêvassait : ils étaient maintenant quittes), figurez vous que si on manque tellement grave de mana en ce moment, c'est parce que le sceau qui retenait les desians s'affaiblit, t'as vu. Du coup ils se remettent à faire marcher leurs fermes, là, et ils utilisent la magitechnologie, et ça coûte trop cher en mana. C'est pour ça que le rôle de l'élu - mon rôle, en fait - est de remettre le sceau à jour, enfermer les desians, et rendre les gens libres et heureux."
Quelques gloussements avaient point pendant son discours, mais sitôt qu'il eut terminé, ce fut l'hilarité générale - son voisin salvateur compris. Mlle Melacai frappa son bureau à plusieurs reprises de sa deuxième arme pour rétablir un semblant d'ordre.
"C'était un charmant discours, mais je vous demandais simplement si vous vouliez de l'aide traverser la fenêtre, puisque vous regardiez avec tant d'insistance au travers. Nous en reparlerons après les cours. Reprenons..."
Fidèle à sa parole, elle reprit ce qu'elle disait, et Matthieu fit de même - sa rêverie étant cette fois-ci plus précisément orientée sur les tourments que son voisin allait subir dans un proche futur. Alors que la classe se terminait, et qu'il s'apprêtait à mettre en œuvre tous ces charmants projets, la prof l'arrêta, probablement dans l'optique de lui rincer les oreilles d'un fastidieux sermon. Soit, il accepterait cette nouvelle épreuve avec bravoure. Il lui fit donc face, arborant un air grave qui lui paraissait de circonstance.
"Très bien, petite teigne. Je sais que le fait d'être l'élu te donne une certaine importance, et que c'est d'ailleurs la raison de ta présence à la prestigieuse Académie de Palmacosta. Mais tu ferais mieux de faire profil bas de ce côté là, et tâcher d'étudier avec un peu plus de sérieux, sinon, tu pourrais tout à fait..."
Elle ne vint jamais à bout de sa menace : une lumière blanche et aveuglante pénétra la "prestigieuse Académie de Palmacosta". L'oracle tombait à pic (et, avouons-le, Matthieu comptait un peu dessus).
"Ah, flûte, c'est ballot, va falloir que j'aille écouter l'oracle. Le devoir de l'élu, régénérer le monde, tout ça. Mais on en reparle quand je repasserai en ville, hein ?" s'écria-t-il donc.
"Eh, attends une minute, je suis loin d'en avoir fini avec toi !"
"Le devoir avant tout ! A plus !" conclut-il en lui tournant le dos, avant de dévaler les escaliers.
Son escorte l'attendait déjà en bas : il fallait reconnaître que l'Eglise se trouvait juste à côté de l'école, et que tout chenus qu'ils étaient, il n'avait pas fallu longtemps aux quelques ecclésiasistiques pour franchir la distance qui les séparait.
"Es-tu prêt, Elu ?"
"Oui, Monseigneur". Il écarta un pan du long manteau de cuir marron qu'il affectionnait, pour montrer son épée.
"Ah... Je vois que tu as entendu parler des monstres." L'évêque posa une main ridée sur son épaule. "Tu es devenu un homme fort. Ils ne devraient pas nous poser trop de problèmes. Mais n'oublie pas qu'un excès de confiance ne pourrait que te causer du tort."
"Ne craignez rien, Monseigneur. Je saurai être humble."
Et il était sincère. Assuré, mais pas arrogant. Il savait qu'il était plutôt beau : des cheveux blonds, qu'il laissait pousser à leur guise ; il les attachait simplement pour éviter qu'ils ne le gênassent lorsqu'il combattait, le nez et plus généralement le visage fin. De son père, il n'avait hérité que les yeux grand et marrons, ainsi que, si on voulait, des bras musclés et un dos droit. On pouvait arguer que c'était plutôt dû à son entraînement quotidien à l'escrime, tant il est vrai que la musculature n'est pas héréditaire, mais il préférait penser comme ça.
Néanmoins, tout cela ne faisait pas de lui une gravure de mode : preuve en était, il n'avait qu'un succès modéré auprès de ses camarades au buste plus chargé que le sien. Peut être qu'elles le considéraient simplement comme un imbécile. Il haussa les épaules à cette pensée.
"Après vous, Monseigneur", répondit-il au sourcil interrogateur de ce dernier.
Le religieux guida donc leur petite procession hors de la ville. Une partie non négligeable de la population semblait assister à leur - à son, en fait - départ, mais respectaient la solennité de l'instant et se gardaient d'applaudir, de siffler, ou de manifester leur joie. L'ambiance pesait quelque peu à l'élu, qui l'accepta toutefois : c'était ce qu'on attendait de lui.
Ils traversèrent ensuite une petite portion de la plaine : quelques sauterelles et coccinelles voulurent leur caresser le côté à coups de mandibules, et eurent droit à une éviscération en règle ; la plupart jugèrent plus prudent de rester à une certaine distance. Il ne leur fallut qu'une dizaine de minutes pour atteindre la cave Fucre.
Première impression de la chose : c'était humide. La deuxième impression vint peu après : c'était sombre.
"Et c'est ici que je dois rencontrer l'ange qui m'indiquera par où commencer mon périple ?" demanda Matthieu.
"En effet", répondit l'évêque.
"Ca n'aurait pas été plus simple de nous rencontrer dehors ? Ou non, mieux : à la Cathédrale de Palmacosta ?" poursuivit-il. Loin de la foule, il était plus relâché.
"Quel serait l'intérêt d'une épreuve qui ne testerait rien ?"
l'élu haussa les épaules. "Pas grand, je suppose. Il n'empêche, l'endroit pourrait être plus sympathique."
"Voilà qui peut facilement s'arranger !" lança joyeusement l'un des deux prêtres qui faisaient partie de leur petite troupe (Patrick : blond, court sur pattes, assez jovial. Sa culture générale laissait entendre qu'ils acceptaient n'importe qui dans l'Eglise, mais c'était un mage plutôt talentueux). Il incanta rapidement un sort qui fit apparaître un globe lumineux au-dessus de leurs têtes, illuminant un vaste espace autour d'eux. Enfin, devant eux, surtout : derrière, c'était l'extérieur, avec le soleil, qui ne manquait pour le coup pas d'éclairage. "C'est mieux, non ?"
Force stalactites et stalagmites jetaient des ombres inquiétantes sur les murs et le plafond (ou sur d'autres concrétions). "Pas vraiment", dit Matthieu à mi-voix, mais ils auraient certainement besoin de lumière s'ils comptaient faire de la spéléo.
"Bien. Nous sommes fin prêts, allons-y. Elu, toi qui as de bons yeux, protège bien Patrick, s'il te plaît."
"Oui, Monseigneur", répondit-il avant de s'approcher de Patrick en défouraillant.
"Tu sors déjà ta lame ?" l'interrogea l'autre prêtre, visiblement pas rassuré. Il s'appelait Marc, faisait bien 1m90, solidement bâti, et était malgré tout un irrécupérable trouillard. Il était chargé de couper du bois pour l'Eglise, et savait donc manier la hache convenablement : l'élu ne pouvait concevoir d'autre raison pour avoir emmené cette courge geignarde.
"Il y aura des monstres. Elle servira. Je préfère la tenir un peu plus longtemps qu'être pris au dépourvu", lui fit-il. "Vous ne perdriez rien à sortir la vôtre, à ce propos."
Ce que le prêtre fit avec réticence, puis ils se mirent en route.
La salle était grande, suffisamment pour qu'ils entendent régulièrement le 'plic' distinctif d'une goutte qui chutait du plafond, mais n'avait heureusement qu'une sortie : un couloir modérément large, qui semblait s'enfoncer vers le cœur de la montagne (si Matthieu faisait confiance à son sens de l'orientation).
Rapidement, ils se trouvèrent face à un embranchement : devant eux, le chemin se mettait à descendre abruptement (il semblait que ça avait été un escalier, il y a... Longtemps. L'érosion avait fait son office, et seuls les plus discrets indices en demeuraient.) ; sur leur droite, le chemin était bloqué par un genre de barrière d'énergie. C'était un cul de sac, de toute évidence, mais on pouvait tout de même distinguer...
"Un téléporteur ?" s'exclama l'élu. "Dans ce trou à rat ? Vous êtes sérieux ?"
"Montre un peu plus de respect. Nous ne savons pas qui a construit ce lieu, mais un ange est apparu à frère Marc pour lui dire d'apporter le cristal avec lequel tu es né ici. Cela suffit à en faire un lieu sacré", le reprit sévèrement l'évêque.
"Toutes mes excuses. Je trouvais simplement ça curieux", répondit Matthieu, soumis. Il fixa la barrière quelques secondes de plus. "Eh, c'est quoi ce truc..." commença-t-il, avant d'apercevoir le regard glacial que lui jetait l'ecclésiastique. "Enfin, l'objet que l'on peut apercevoir derrière la barrière... Juste là... Vous pensez qu'il a un lien avec elle ? Je ne vois pas ce qu'il fout... Fich... Ferait là, sinon."
L'évêque plissa ses yeux fatigués par l'âge. "Peut être bien... Mais on ne peut pas l'atteindre..."
Bien sûr que si, on peut !" l'élu ramassa une pierre qui traînait par là et la jeta en direction du truc. Le caillou vola bien droit, mais fut proprement désintégré par le champ de force.
"Bah. Suffit qu'on aille explorer le chemin qu'il y a devant nous !" lança Patrick, repérant l'air de profonde déception qu'affichait Matthieu.
Ils descendirent donc la pente (non, malgré les quelques restes ci et là, on ne pouvait décemment pas appeler ça des marches) prudemment, l'évêque s'appuyant sur le petit prêtre, la courge s'appuyant sur le mur, et l'élu se moquant intérieurement de ce dernier. Comprenez la courge : il ne portait pas suffisamment d'intérêt au mur pour en rire.
Après de longues minutes de marche (qui ne les emmenèrent pas bien loin : mais qu'ils étaient lents !), le sol redevint à peu près plat, mais l'atmosphère s'était inexplicablement chargée.
"L'air est différent de celui là haut..." remarqua Marc d'une voix tremblante.
Soudain, un noctule surgit de l'obscurité et fonça sur le petit groupe, arrachant un cri au prêtre peureux. Matthieu s'écarta simplement et l'animal passa son chemin sans demander son reste. Il fronça les sourcils. "Mais qu'est-ce qui lui prend, lui ?" Trois autres suivirent le premier : l'élu en abattit un qui aurait autrement percuté l'évêque. Ces pauvres bêtes semblaient terrifiées, et il n'aurait sans doute pas pris la peine d'éviter le vieil homme aux réflexes amoindris.
La raison de leur peur apparut bientôt : deux zombies et un fantôme avançaient tranquillement dans le couloir. Quelle morgue ! Comme si le lieu leur appartenait !
L'élu fit quelques pas en avant et se mit en garde, alors que la courge tremblait comme une feuille. Fort heureusement, le couloir était suffisamment étroit pour qu'il puisse le bloquer à lui seul sans trop de mal. "Marc ! Je tiens l'avant. Vous et l'évêque, cramez la gueule de ces machins avec votre lumière sacrée, ou chaispasquoi !" Il aurait pu préciser à Patrick de garder la lumière allumée, mais il lui faisait nettement plus confiance qu'à la courge pour garder la tête sur les épaules.
Les deux zombies furent sur lui en premier. Il para le premier coup de griffe sans mal (ces trucs étaient fichtrement lents... Presque autant que le prêtre peureux lorsqu'il s'agissait de descendre une pente un peu raide. C'était dire !), mais sa lame se ficha dans l'os. Un coup sec en arrière lui permit de la récupérer, accompagnée d'un avant bras moribond mais encore tortillard. Matthieu fronça le nez mais ne s'attarda pas sur son dégoût : apercevant un mouvement du coin de l'œil, il leva sa lame, en ayant la présence d'esprit de mettre le plat en avant : il en résulta un magnifique grincement et un bout de chair qui vient s'écraser à ses pieds.
Allez savoir pourquoi, mais un squelette de zombie, c'était solide.
Il approcha son arme de sa jambe, envoyant un bon coup de genou dans le bras parasite qui s'y trouvait. Ce dernier fit mine de s'agripper à son mollet : de son autre jambe, il le plaqua sèchement au sol, éclatant quelques phalanges, et le jeta au loin d'un coup de pied bien senti. Le reste du corps, toujours aussi traînard, le suivit des yeux et partit à sa poursuite, tandis que son compagnon semblait prêt à ouvrir le côté de l'élu, qui avait baissé sa garde. Ce dernier s'apprêtait à parer lorsqu'il entendit la voix encore mal assurée de la courge.
"Ph-Photon !"
Selon lui, le seul fait que le sort se déclenchât après une incantation aussi bancale tenait du miracle. Alors, évidemment, des miracles, il ne pouvait y en avoir plus d'un à la fois : c'est le zombie qui se trouva pris dans la boule lumineuse, et disparut sans demander son reste.
"Non ! Le fantôme, le fantôme bougre d'abruti ! J'aurais pu m'occuper de celui là tout seul !"
En parlant de fantôme, il avait finalement rejoint les réjouissances (c'est à se demander s'il n'avait pas été arrêté en chemin par sa tante Pietra, celle qui vous parle pendant des heures de son chien Kiki, et à qui vous ne pouvez pas poliment dire que vous vous en cognez comme de votre premier couteau parce que vous espérez toucher son héritage), et entreprit de concasser l'élu de quelques coups de marteau bien sentis. Matthieu bloqua ceux qu'il put, mais fut contraint de battre en retraite de quelques pas : à ce rythme, il ne lui faudrait pas longtemps avant d'exposer l'évêque.
Malgré le peu d'efficacité qu'il prévoyait, l'élu décida finalement de rendre quelques coups : après une esquive assez osée (il sentit un courant d'air près de sa joue, et si l'être avait eu le bras un peu plus long, il aurait sans doute pu dire au revoir à ses orteils chéris (mais dans la douleur)), il lui envoya un bon coup d'estoc dans le nez (quelque part entre la bouche et les yeux, seuls traits visibles sur le revenant).
Cela lui fit l'impression de transpercer de l'air. Ou de l'eau, peut être, à la limite. Et en réponse, le fantôme émit un bruit étrange et assez régulier.
"Mais c'est qu'il se fout de ma gueule, en plus ? Tu vas voir ce que..."
La voix de l'évêque l'interrompit dans ce début d'invective.
"Recule !" Ce n'était pas le genre d'ordre que l'on hésitait à suivre. L'élu sauta en arrière. "Lance sacrée !"
Une lumière aveuglante (qui avait une forme de lance, si on voulait) vint transpercer l'être éthéré, qui pour le coup avait perdu l'envie de rire. Quatre autres se joignirent bientôt à la fête, ne laissant de ce qui avait été autrefois été un fier mort-vivant que quelques lambeaux translucides. Matthieu courut encore quelques mètres dans le couloir pour découvrir non sans joie le dernier zombie de la paire, à genoux, cherchant visiblement quelque chose par terre. Il put donc, littéralement, le poignarder dans le dos, tout en lâchant un "Crève, truc." du meilleur aloi.
Il revint sur ses pas, et constata que l'évêque avait l'air bien mal en point : Il respirait fort, et semblait avoir des difficultés à tenir debout (plus que d'habitude). Surprenant son regard inquiet, il le rassura : "Tout va bien. Je suis juste un peu vieux pour ce genre de choses."
"Essayez de vous ménager. Vous n'avez pas de sort plus faible en réserve ?"
"Si... Tu verras bien assez tôt."
"Bien. En route."
Evidemment, la courge protesta. "Si tôt ? Avec l'évêque dans cet état ? As-tu perdu la tête, Elu ?"
Ce dernier soupira avant de répondre. "Non. Simplement, je doute que le trio que nous venons d'abattre soit la seule épreuve que la Déesse veuille nous imposer. Si on reste ici, on est sûr d'en voir d'autres débarquer. Pour moi, moins on en castagne et mieux ce sera."
"Certes... Mais, on est avantagés, ici ! Qu'est-ce que tu diras s'ils nous encerclent en peu plus loin, parce que tu as voulu te précipiter ?"
" "Ca ne serait pas arrivé si on avait couru plus vite." Je croyais que vous trouviez l'atmosphère oppressante, ici ?"
"C'est le cas... Mais..."
"Mais plus vite on aura tout exploré, plus vite on pourra repartir. N'est-ce pas ?"
"Certes..."
"Alors en route."
Ils reprirent leur formation : l'élu et la courge en tête de procession, l'évêque et Patrick en arrière, le premier s'appuyant sur le second. Ils progressèrent sans incident, remarquant juste un bruit d'écoulement qui devenait de plus en plus fort. Et pour cause : après un énième coude, le couloir débouchait sur une vaste salle, propre aux échos, abritant une charmante rivière souterraine, un genre de mousse phosphorescente qui recouvrait, entre autres, un pont de pierre ; et un autel.
"C'est ravissant..." dit Patrick, songeur. Il éteignit son globe lumineux : on y voyait pas comme en plein jour, mais la lumière jaunâtre dégagée par la mousse était largement suffisante pour s'orienter. Matthieu songeait qu'au contraire, c'était plutôt laid, et que la lumière laissait apparaître l'eau plus noire qu'elle n'était, mais garda ses pensées pour lui et dirigea la petite troupe par dessus les eaux.
"Eh, vous trouvez pas ça curieux ?" demanda l'élu.
"Quoi donc ?" fit le prêtre courtaud, toujours manifestement absorbé par... On ne sait quoi, dans la salle.
"Jusqu'à présent, tous les signes de civilisation qu'on a croisés étaient pluriséculaires... Tellement vieux qu'on les voyait à peine. Et là, qu'a-t-on ? Un pont flambant neuf !" Il jeta un œil à ses compagnons. "Non ? Ça vous choque pas ?".
Patrick plissa les yeux et s'accoupit. L'évêque sembla y réfléchir, pendant que la courge surenchérissait : "Il a pas tort, le petit... Surtout que la rivière ne peut pas couler là depuis bien longtemps, les berges ne sont presque pas érodées... Et pourquoi aurait-on construit un pont au dessus de terre bien ferme ?"
"Ca pouvait être afin de faciliter la circulation, tout simplement... Si les deux axes étaient très fréquentés, on les fait se croiser à deux niveaux différents plutôt que de forcer les charettes à céder le passage à d'autres..." répliqua distraitement Patrick. Il semblait éprouver la résistance la mousse, la reniflait...
"Mais qu'est-ce que vous foutez ?"
"C'est sans doute la Déesse qui a choisi de protéger ce lieu sacré", dirent respectivement l'élu et l'évêque, à peu près au même moment.
"Sauf votre respect, Monseigneur, la Déesse est endormie. Je doute qu'elle soit en état de s'occuper de quelque lieu, tout sacré qu'il soit."
" "Vous devez me réveiller, car si je venais à m'endormir, le monde serait détruit.". Ce sont ses mots. Puisque le monde est encore là, la déesse n'est pas encore pleinement endormie."
"Si vous voulez. Toujours est-il que je ne sais pas de quoi est constitué ce pont, mais ce n'est pas de la pierre." En effet : il avait arraché une partie de la mousse colorée, pour révéler... Un truc. Pas de la pierre, de toute évidence : c'était tout noir et tout lisse. "Et ça ne me surprendrait pas que les berges soient couvertes de la même substance."
Les autres regardèrent le pont en silence, que l'élu finit par briser : "De là à dire qu'il y a quelqu'un qui se fout assez cosmiquement de notre gueule, il n'y a qu'un pas."
"Surveille ton langage, Elu."
"Mes excuses, Monseigneur."
Les quatre hommes s'entre-regardèrent pendant quelques minutes supplémentaires avant que l'un deux (je vous laisse deviner qui) ne rompe à nouveau le silence. "Je suppose qu'on ne peut rien faire de cette information ?" "Non." "Bon. Continuons, alors." Ceux qui étaient accroupis se relevèrent, et ils se mirent à étudier l'autel. En fait d'autel, il y en avait trois, rigoureusement identiques : même forme, même couleur, présentant le même anneau surmonté du même joyau. Devant eux se dressait une stèle, gravée en langue des anges. "Seul le vertueux aura l'anneau du sorcier." (après traduction : le texte original contenait en effet un double sens, qu'il est impossible de retranscrire ici). "Hm... Une énigme", commenta l'évêque. "C'est celui du milieu", dit l'élu. "Peux-tu t'expliquer ?" lui demanda Patrick. "C'est facile. "La vertu est dans le juste milieu." Donc, le bon est l'anneau du milieu." Il tendit le bras pour s'en saisir, mais Marc l'arrêta d'une main maladroite. "Attends ! Tu sautes trop vite aux conclusions ! Et imagine un peu que tu aies fait une erreur ? On n'a pas la moindre idée de ce qui pourrait arriver !" "Je n'ai pas envie d'y réfléchir plus longtemps", répondit-il. Il se dégagea et se saisit de l'anneau central, puis compta mentalement jusqu'à vingt pour bien marquer le coup. "Vous voyez ? Aucun problème." Il chaussa l'anneau au majeur de sa main gauche, pour ne pas charger la main qu'il utilisait pour manier l'épée. "Retournons à la barrière et finissons-en." Ils revinrent donc sur leurs pas, Marc toujours persuadé que la foudre de Martel allait s'abattre sur eux, Matthieu levant les yeux à chaque fois qu'il prenait la parole. Arrivés au pied de la côte (ou pente, selon le sens dans lequel on considérait l'obstacle), il en pointa le sommet d'un doigt tremblant. "Tu vois ! Je t'avais dit que tu avais été trop hâtif !" fit-il, hystérique.
Matthieu suivit son doigt du regard et force fut de constater qu'il n'avait pas tort, le bougre : un petit paquet de zombies les attendait là haut. Comment s'étaient-ils retrouvés là ? Ils n'avaient pas rencontré de fourche entre ici et la salle aux anneaux, et n'avaient croisé personne... Cela voudrait dire que les morts vivants, pendant qu'ils discutaient de la nature du pont, s'étaient glissés dans le couloir, silencieusement, et avaient grimpé la haut pour leur tendre une embuscade ? Non, c'était trop gros, il préférait encore croire à l'hypothèse de la génération spontanée, quitte à reconnaître qu'il y avait une part de responsabilité.
Pendant qu'il échafaudait ce semblant de théorie, les zombies n'avaient pas bougé d'un pouce. Ils semblaient renâcler à l'idée d'abandonner l'avantage que leur conférait la hauteur. Ils n'étaient pas si bêtes...
Mais à quel point étaient-ils bêtes, justement ?
"Patrick. Pouvez-vous déplacer ce globe comme bon vous semble ?"
"A peu près, oui... Tant que ce n'est pas trop loin..."
"Par exemple, pourriez-vous l'emmener en haut de la côte ?"
"Oh, oui, largement ! Mais pour quoi faire ?"
"Une petite expérience."
Le prêtre s'exécuta. Et... Oui ! Il semblait avoir tapé dans le mille : les morts-vivants le suivaient des yeux. Sous les encouragements de l'élu, Patrick emmena le globe un peu plus loin, et mieux que des yeux, c'était tout leur corps squelettique qu'ils tournaient vers la lumière. Comme des gros tournesols, mais en plus moche.
"Bien. Voici ce qu'on va faire. Patrick, vous allez emmener lentement ce globe lumineux aussi loin que vous le pouvez, pour que les zombies le suivent. Ensuite, nous monterons la pente. Si, arrivés en haut, on n'y voit goutte, vous ramènerez la lumière fissa, on désactivera la barrière, et on plongera dans le téléporteur. L'épreuve étant terminée, on peut espérer qu'ils auront disparu d'eux mêmes quand nous sortirons... Sinon, on avisera."
Évidemment, la courge se mit à claquer des genoux. "Mais... Si on fait ça, on sera dans le noir !" geignit-il.
L'élu soupira. "Oui, Marc. C'est le principe. Attirés pas la lumière, ils ne nous verront pas et on pourra passer sans mal."
"Et si jamais d'autres apparaissent autour de nous, et qu'on ne les voit pas ? Qu'est-ce qu'on pourra faire ?"
"Je ne sais pas. Je ne pense pas que ça arrivera, honnêtement, on ne sait pas d'où sortent ceux-là, mais ils ont certainement une bonne raison d'être là", dit-il, contrairement à ce qu'il pensait : il ne voulait pas l'effrayer plus qu'il ne l'était déjà. Mais même cet argument ne lui convenait pas, et il semblait chercher une autre excuse, que l'élu ne lui laissa pas le temps de trouver. "Vous préférez combattre..." Il compta rapidement. "Huit zombies, en étant désavantagés par la hauteur, et en devant éviter les cadavres qui ne manqueront pas de rouler au bas de la pente ?"
"Non... Mais..."
"Alors on fait comme ça. Oh, et je précise, juste au cas où, que le but étant d'être discret, je ne veux pas entendre un mot d'ici à ce qu'on soit tous arrivés en haut."
Il fit un signe de tête à Patrick, et la lumière se fit de plus en plus ténue, jusqu'à ce qu'ils fussent dans le noir complet. Un moment plus tard, il sentit une main sur son épaule, qu'il interpréta comme un signal de Patrick ; ils pouvaient avancer. Un glapissement lui indiqua que la courge en avait reçu un similaire.
Ils grimpèrent prudemment, et la montée fut longue - plus longue qu'à l'aller, trouvait l'élu. Tout à coup, celui-ci sentit un courant d'air près de son visage. Il leva brusquement son épée et dut faire montre de tout son sang froid pour retenir un cri de panique alors qu'il se sentait perdre l'équilibre ; équilibre qu'il perdit finalement pour chuter lourdement en arrière. Il y parvint, tout comme il parvint à s'empêcher de rouler au bas de la pente en s'agrippant à un mur bienvenu. Il se releva promptement pour éviter à ses camarades de trébucher sur lui, et reprit son ascension.
Peu après, le sol redevint plat. Il progressa de quelques mètres puis s'adossa au mur pour attendre le reste de la troupe, plus lent. Ils n'avaient pas pris la peine de se mettre d'accord sur un signal : Patrick, handicapé qu'il était pas l'évêque, arriverait certainement le dernier, il rallumerait la lumière.
Son hypothèse trouva bientôt confirmation dans le claquement de genoux qui semblait accompagner la courge où qu'elle aille désormais. L'élu fut tenté de lui faire remarquer que s'il était un zombie, il aurait eu dix fois le temps de le grignoter, guidé qu'il était par ce tintamarre, mais préféra respecter ses propres consignes.
Quelque temps plus tard, c'était les pas de Patrick et de l'évêque qu'il entendit les rejoindre : le premier se fit donc un plaisir de les éclairer par une discrète loupiote, pour ne pas les aveugler après ce long moment passé dans l'obscurité totale. Ce faisant, ils purent voir qu'il n'était pas seuls : huit figures décharnées les accompagnaient.
"Bordel", songea l'élu, "ils n'ont pas marché loin !" Il égorgea aussitôt un de leurs ennemis, tandis que Marc préférait pousser un glapissement horrifié et faire tomber son arme à terre. Pourquoi pas.
Matthieu entreprit de se tailler un chemin à coups d'épée et d'épaule vers le vieillard et sa canne. L'une de ses victimes trébucha et roula au bas de la pente, où ce qu'elle ferait n'était plus de son ressort.
"Monseigneur, pouvez vous déf... Nous débarrasser de autres ?" demanda-t-il à l'intéressé lorsqu'il l'eut rejoint. Il considéra sa respiration haletante comme une réponse assez claire. "Bien. Chargez-vous de la lumière, à ce moment là. Quant à vous, Patrick, faites leur regretter d'être revenus au monde !"
Ce dernier, hélas, se mit aussitôt à incanter, les plongeant dans le noir complet. Marc poussa un autre cri, tandis que l'élu sentait quelque chose lui lacérer bras et poignet droit. Lorsque la lumière revint, il constata qu'il était couvert de sang, et que ça faisait un mal de chien, le rendant incapable de manier convenablement son épée. "Et soignez-nous, aussi", fit-il au prêtre courtaud.
En attendant de récupérer l'usage de son bras, il saisit un zombie (de la main gauche, forcément), grimaça au contact spongieux et grouillant de la chair putréfiée, et le jeta rejoindre son camarade, qui devait certainement se sentir seul (tant on sait que les zombies sont des animaux grégaires : ils attaquent toujours par paires, par dizaines, par centaines, les bougres. Le zombie seul est un être très malheureux.). Un photon se chargea d'éliminer un quatrième adversaire (du côté de Marc, cette fois, qui essayait tant bien que mal d'accorder aux mages le calme nécessaire à leurs incantations). S'aidant de sa main gauche, et en tordant la bouche à cause de la douleur, l'élu transperça l'estomac d'un autre de ces êtres agressifs, répandant ce faisant un peu d'acide et des restes qu'il préférait ne pas chercher à identifier.
"Premiers soins."
Patrick avait continué à travailler, et son poignet ce sentait bien mieux. Il l'étrenna d'un moulinet et de deux coups rapides, qui privèrent le zombie face à lui d'un bras et d'une tête (rassurez-vous : il n'en avait qu'une). Un coup de poing bien senti envoya un dernier mort-vivant se briser quelques os indispensables sur une saillie bien placée.
Du côté de la courge, il n'en restait plus qu'un, qu'ils eurent tôt fait de défaire. Le calme revint sur le couloir, qui était comme ils l'avaient trouvé en venant (si ce n'était les six cadavres supplémentaire qui traînaient).
"Bien. Occupons-nous un peu de cette barrière, maintenant... Comment vous le faites fonctionner, ce machin ?" fit l'élu.
"Ton langage, Elu", le reprit l'évêque. "Il te faut le tendre devant toi, et... Plie-le à ta volonté."
Matthieu considérait ça flou. Il tendit la main gauche. Sans qu'il eût l'impression de faire quoi que ce soit, une boule de feu en sortit et vint frapper l'objet, qui devait être un générateur après tout, puisque la barrière disparut.
"Ah. Comme ça. Ok", fit-il. Il espérait ne pas avoir à s'en resservir sous la pression, dans la mesure où il n'avait pas la moindre idée de ce qu'il avait pu faire.
"Quittons cet endroit", dit Marc.
"Ouais", renchérit l'élu. "Moi aussi, j'ai hâte de me tirer.".
"Ton langage !" fit l'évêque, mais l'élu avait déjà pénétré dans le téléporteur.
