Chapitre 1: L'annonce
C'est la nausée qui réveilla Kyoya ce matin-là. Un écœurement sans origine connue. Ce n'était pas la première fois. Ces derniers temps, ça devenait récurrent. Il se leva nonchalamment de son lit pour rejoindre la salle de bain d'en l'espoir d'y vomir ce qui le rendait malade, s'appuyant sur les meubles pour marcher. Mais comme toutes les autres fois, bien que la nausée ne le quittait pas, il ne vomissait pas. Pour apaiser son dégout, il respirait plus bruyamment et plus profondément qu'à l'accoutumé. Les mains serré sur le lavabo craquelé, il releva légèrement la tête et croisa son regard dans le miroir accroché au mur devant lui.
Il se regardait avec fatigue et lassitude. Il avait bien changé. Sa peau s'était ridée sur son front. De profonds sillons marquaient ses joues en plus des cicatrices qu'il avait eu enfant. Des petites pattes doigts plissaient le coin de ses yeux. Sa peau était pâle et très fine. Ses cheveux, comme ses sourcils, avaient pris une teinte blanchâtre même si quelques cheveux verts rappelaient ça et là son ancienne tignasse. Seuls ses yeux n'avaient pas changé. Ils étaient toujours d'un bleu profond et mystérieux. Le contraste de leur vivacité avec le reste de son corps vieillissant était saisissant. En effet, Kyoya marchait courbé désormais par l'arthrose et l'ostéoporose. Sa peau qui traçait autrefois la perfection de son corps finement musclé s'était détendue et affinée. Sur ses mains, ses bras, son cou, de nombreuses veines étaient à présent bien visibles.
Lorsque sa nausée ce fut calmée, il entreprit de retourner se coucher. Il marchait lentement vers son lit, s'appuyant sur tous les meubles que ses bras pouvaient trouver sur son passage. Au bout de quelques minutes, il l'atteignit enfin et s'y allongea avec lassitude. Il pestait contre lui-même. Lui qui autrefois pouvait gravir des montagnes avait à présent du mal à traverser les 3 pas de son studio qui séparait son lit de sa salle de bain.
Oui, il vivait encore dans un studio. Le même studio qui l'avait abrité étudiant alors qu'il commençait à travailler. Ce minable appartement de 12 mètres carré avait déjà été un progrès phénoménal pour lui qui n'avait même pas de toit au commencement de sa vie. Par la suite, il n'avait pas déménagé. Il n'en avait jamais ressenti l'utilité. Il vivait toujours comme un étudiant. Un étudiant de 87 ans.
Il tourna paresseusement la tête vers son réveil : 9h17. Il soupira. Il allait devoir se lever. Il avait rendez-vous à l'hôpital à 11h30 ce matin pour qu'il lui donne les résultats de ses analyses d'il y a une semaine. L'hôpital n'était pas bien loin mais vu la rapidité avec laquelle il marchait, 2 heures ne lui serait pas de trop. Il se releva donc paresseusement et commença à s'habiller. Un simple pantalon beige élimé, usé et déchiré en bas. Un simple pull noir à col roulé. Il avait renoncé à ses anciens T-shirts courts, l'âge le rendant trop frileux. Il enfila ses chaussures et sa veste, pris soin de prendre une écharpe, se saisit de sa canne qui reposait près de son lit et sortit. Il jeta un coup d'œil à la pendule de l'entrée en sortant. 9h53. Il était vraiment lent pour s'habiller. Il referma la porte de son appartement en glissant les clés dans sa poche et s'approcha de l'ascenseur. Il pestait encore contre sa faiblesse. Autrefois, il aurait descendu les 6 étages de l'immeuble par les escaliers en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire mais aujourd'hui, il avait trop peur de se rompre les os. Il se résignait donc à attendre l'ascenseur. A descendre avec des inconnus plus jeunes que lui mais trop paresseux pour prendre les escaliers. Lorsqu'il sortit enfin de l'immeuble, il hésita. Il regarda sa montre : 10h22. Il avait vraiment mis tant de temps seulement pour sortir de son immeuble ? Et maintenant ? Devait-il prendre le bus pour 2 arrêts ou marcher jusque-là ? Avant, il n'aurait même pas hésité. Mais les simples gestes qu'il avait fait ce matin l'avaient déjà épuisé. Il doutait que son corps tienne jusqu'à l'hôpital. Mais sa nausée était revenue et prendre les transports en commun quand on a envie de vomir n'était pas conseillé. En plus du mouvement du véhicule, la chaleur artificielle du chauffage, les odeurs qui se mêlent, les bruits des conversations avaient le don de lui donner envie de vomir même s'il n'en avait pas envie au départ. Finalement il renonça à prendre le bus. Au mépris de la douleur qu'il ressentait dans son dos et sa jambe gauche, Kyoya se força à marcher vers l'hôpital.
Quand il arriva enfin sur place, il avait eu l'impression d'avoir couru un marathon. Il était parfaitement exténué mais aussi fier de sa performance : il était à l'heure !
On l'installa dans la salle d'attente de son médecin et il attendit. Evidemment, le médecin, lui, était toujours en retard !
Une heure plus tard, le médecin arriva tout sourire en priant Kyoya de l'excuser pour l'attente. Kyoya lui répondit que ce n'était pas grave. Après tout, rien ne l'attendait. Le médecin voulu l'aider pour l'accompagner dans son cabinet mais Kyoya refusa tout net. Il se leva lui-même et marcha péniblement jusqu'au cabinet que lui indiquait son médecin, seul.
Le médecin l'invita à s'assoir sur une chaise en face du bureau.
-Alors…, commença-t-il. Monsieur Tategami…
Il consulta rapidement le dossier. Et poursuivi :
-Monsieur Tategami, je suis navrée de vous apprendre que vos résultats ne sont pas très bons.
-C'est-à-dire ?
Le médecin le jaugea un instant, sans doute pour vérifier qu'il était apte à supporter l'information. Tout ça n'annonçait rien de bon. Apparemment, Kyoya semblait suffisamment résistant pour qu'il continue :
-Vos résultats indiquent la présence d'une tumeur dans votre foie. Vos nausées y sont directement liées.
Kyoya resta stoïque et demanda simplement.
-Et vous m'opérez quand ?
-Nous pourrions vous opérez mais cela ne ferait que retarder le processus car nous avons trouvé de nombreuses métastases dans vos poumons, vos reins et votre cœur. Vous opérer vous affaiblirait inutilement mais ne pourrait pas vous guérir. De toute façon, il n'est pas de la politique de l'hôpital d'opérer aussi lourdement des personnes de votre âge.
-Je vois. , répondit Kyoya toujours stoïque.
Son visage ne laissait transparaître aucune émotion. L'annonce de sa mort prochaine suite à une maladie des plus graves ne semblait pas, d'extérieur, le gêner outre mesure.
-Et quand ? , demanda-t-il
-Heu quand quoi ? , répondit le médecin
-Quand vais-je mourir ?, repris Kyoya.
-Et bien, c'est difficile à dire… Disons environ 3 mois.
Kyoya n'était pas dupe. Il savait que si le médecin lui disait 3 mois, il lui en donnait en vérité seulement 1. Il le remercia rapidement et repartit le plus vite qu'il put avec sa lente et boitillante démarche.
