Ce matin, je me réveille, la peur au ventre, la gorge nouée. J'angoisse. Mon cœur tambourine dans ma poitrine jusque dans ma tête, et je halète, encore prisonnière de l'horrible cauchemar qui vient de me réveiller.
Je regarde près de moi mon grand frère de dix-sept ans, Milo, et j'hésite à le réveiller, mais me trouve aussitôt stupide. Si il peut dormir, qu'il le fasse… Je ne peux décider de le priver de sommeil parce que je ne trouve pas celui-ci. De l'autre côté, mon petit frère, Moriyasu, semble si adorable, ses longues mèches noires de jais étalées sur le tissu de notre grand lit.
A douze ans, il s'apprête à vivre sa première Moisson… Mon frère a toujours voulu le protéger de cette dure réalité, et j'ai fait de même. Mais nous ne pouvons rien faire contre cela. Enfin, je ne peux rien faire. Milo peut, lui, se porter volontaire. Tous deux se ressemblent tellement. Les mêmes cheveux couleur de nuit, les mêmes yeux framboise, couleur peu commune, mais qui leur va si bien…
Je détonne, au milieu de cette fratrie de garçons, sombres, intelligents. Si ils ont tous deux hérité du physique de mon père, ou du moins de ses cheveux, leurs yeux étant un trait leur étant propre, j'ai eu les boucles rousses de ma mère, et ses prunelles d'émeraude aux reflets de jade, si belles…
C'est bien la seule chose dans mon apparence qui me fait sourire. Une peau légèrement dorée par le soleil de mon District, duquel je profite chaque fois que je le peux, au sortir de l'usine de textiles, complète un visage aux traits fins et réguliers.
Enfin, une silhouette plutôt mince et des mains fines aux longs doigts me caractérisent. Vive, agile, mais désespérément faible.
Et si j'entre dans l'arène, je n'en sortirai jamais, je le sais, mon frère aîné le sait, mes parents également. Ma mère en tout cas. Mon père était un rebelle, il est mort pendant les jours obscurs, il y a treize ans, alors que je n'étais encore qu'une enfant, et Milo un petit garçon de cinq ans. Il n'a jamais connu Moriyasu, né quelques mois après son horrible assassinat, et depuis ce jour, Milo et moi avons endossé ce rôle, à deux. Ensemble, nous avons aidé maman, élevé Moriyasu, travaillé. Mais je ne suis jamais devenue totalement indépendante…
Un bruissement de tissu près de moi me fait lever la tête, et une main rassurante se pose sur ma joue, l'autre bras de mon aîné entourant mes épaules. C'est seulement à ce moment que je réalise à quel point je tremble. Depuis toujours, ou plutôt depuis la perte de papa, j'ai commencé à avoir ces crises, oscillant silencieusement d'avant en arrière, poussant des cris muets, selon Milo. Celui-ci demande :
« Ca va, Mina ? »
J'hoche la tête, avec lenteur, et me serre un peu plus contre lui. Il me rend une étreinte chaleureuse, réconfortante, fraternelle, et peu à peu, je reprends mon calme. Il sait ce qui me met dans cet état. Il le ressent aussi, mais a toujours mieux su le cacher. Dehors, le soleil est déjà levé, et il nous reste encore du travail avant le tirage au sort… Je me lève à regret, dévoilant un haut large, crème, et un short noir, et il fait de même, ses habits, très semblables, tombant sur son corps musclé que je vois même à travers le vêtement. Il roule d'ailleurs les mécaniques, et je lui envoie un coup de poing léger dans le bras, ainsi qu'un :
« Frimeur ! »
Puis nous nous dirigeons vers la cuisine, où notre mère, Maria, s'affaire déjà à préparer le petit-déjeuner. Une fois n'est pas coutume, nous mangeons plutôt bien, le jour de la Moisson.
Ce matin, des œufs, un pour chacun, grésillent sur le feu, accompagnés de tranches de bacon, et sur la table, du pain en forme de tresse, au fromage. Le pain traditionnel du District, mon œuvre de la veille au soir. Juste à côté, deux pommes.
La moitié nous vient de vols, car mon frère et moi pratiquons des… Activités illégales, l'autre moitié, de travaux divers, nous épuisant, mais nous permettant de manger à peu près bien, et certains jours comme la Moisson, carrément bien.
Sur un autre feu, des perdrix cuisent doucement, ainsi que des légumes, pour ce soir. Mon frère a l'habitude de grimper pour chasser sur les façades… Sans lui, nous serions sans doute tous morts de faim…
Je souris à maman, heureuse qu'elle soit là, et m'assieds à la table, coupant un des fruits en deux pour en lancer une moitié à Milo, croquant dans ma part avec voracité.
Finalement, je reprends mon ouvrage pour l'usine, qu'on nous autorise, pour une fois, à achever chez nous, une fine dentelle. Les stylistes du Capitole adorent ce matériau, délicat, que nous produisons à la main.
Je continue donc d'entrelacer les fils violets, mon frère accomplissant la même action avec des fils crème, en silence, un long moment, seulement interrompu par l'arrivée de Moriyasu, qui, debout dans l'entrée de la petite cuisine-salle à manger, sourit faiblement.
Maman lui rend son sourire, et il se précipite dans ses bras ouverts, bientôt rejoint par Milo, et par moi.
Mais je remarque vite l'heure : déjà onze heures !
Nous mangeons un peu, et finalement, je me dirige vers l'extérieur, où nous avons monté une cabine de douche, et tiré de l'eau, hier soir, pour une toilette un peu plus approfondie que celle de tous les jours…
Enfin, je tresse ma tignasse rousse, et enfile une robe blanche, ornée de dentelle, un cadeau de l'atelier. Une toute petite quantité de ce matériel, tous les deux ans. Milo, en chemise émeraude et pantalon noir, me rejoint vite, ainsi que Moriyasu, vêtu d'un haut bleu pastel qui fait ressortir son innocence.
Le charme, l'innocence, et… La douceur ? La tendresse ? Je ne sais comment me décrire.
Finalement, nous nous mettons tous les trois en route pour la grande place, maman nous suivant, un peu plus loin, silencieuse, renfermée, tentant de se préparer à la possibilité de la perte d'un de ses enfants…
