1818. Hebgen Lake, Montana

Les villageois s'étaient tous regroupés ce soir-là sur les bords du lac, torches à la main, sur les recommandations du pasteur. Cette nuit aurait lieu le procès de ces trois jeunes femmes. Voilà à peine quelques jours qu'elles étaient arrivées au village et elles n'avaient apporté que la mort.

"A MORT ! A MORT ! A MORT ! A MORT !"

"Du calme, mes amis !"

"Elles ont tué nos enfants ! Elles ne méritent pas de vivre !... Tuons-les !"

"Mes amis, écoutez-moi ! Nous sommes réunis aujourd'hui pour soumettre ces jeunes femmes au jugement divin..."

"Qu'est-ce que vous allez faire de nous ? Nous n'avons rien fait... Je vous le jure !..."

"Ne jure pas, impie ! Emmenez-la ! Ce sera la première..."

"NOOOOONNNN !"

Deux hommes la maintinrent solidement pendant que d'autres lui lièrent pieds et mains en ajoutant du lest. Désormais incapable de bouger par elle-même, la jeune fille en larmes fut transportée de force dans une barque avant d'être jetée en plein milieu du lac.

"SHERYN ! NOOONNNN ! Et vous, ça vous amuse de faire du mal comme ça ?! Elle était innocente... Elle n'avait rien fait !..."

"Laisse Dieu seul en juger !"

Il fit un petit signe de tête aux villageois qui lui répondirent par la négative. Elle n'avait pas reparu à la surface.

"SHEEEERRRRRYYYYNNN !"

"Dieu l'accueillera comme il se doit !..." (en se signant et baisant son chapelet)

"Je n'ai que faire de votre 'Dieu' ! Vous venez de tuer ma petite sœur ! Ne croyez pas vous en sortir comme ça !" (ivre de rage)

"Des menaces, sorcière ?"

"Prends-le comme tu veux, vieux fou ! Mais sache que ton Dieu ne pourra rien contre ma vengeance !"

"Assez parlé ! Attachez-la au bûcher et préparez l'autre !"

"Je vous tuerai tous, vous m'entendez ? Tous ! Vous et votre descendance !"

Ils installèrent la deuxième jeune femme sur un cheval, les mains liées dans le dos, et lui passèrent un nœud coulant autour du cou. Ils frappèrent la croupe de l'animal qui s'enfuit au galop, laissant la pauvre fille au bout de la corde. Elle se débattit vaillamment, même si elle savait qu'il n'y aurait aucune chance pour qu'elle s'en sorte. Au bout de quelques minutes, on entendit un craquement et son corps se raidit au bout de la branche. La dernière poussa un cri déchirant alors que les villageois mettaient le feu à la paille à ses pieds. Il y avait autant de larmes de tristesse que de larmes de colère dans ses yeux.

"Chrissy..."

Elle baissa la tête et se mit à rire, attisant la peur parmi la foule amassée autour d'elle.

"Vous pensez réellement qu'un malheureux feu de bois viendra à bout de moi ? Pauvres petits humains naïfs !... Le calvaire ne fait que commencer... Vous avez peut-être tué mes sœurs, mais vous vous êtes trompés. C'est moi la plus dangereuse des trois. Vous vous êtes attaqués à ma famille ! Ma vengeance sera terrible et rien ni personne ne pourra m'empêcher de faire un massacre !... AHAHAHAHAH ! AHAHAHAHAH !"

Les flammes commençaient à l'envelopper toute entière. Bientôt elle ne serait plus qu'une torche humaine. Bientôt elle ne serait plus qu'un brasier sans nom, et elle redeviendrait cendres.

"Je vous tuerai tous ! Soyez maudits ! Rendez-vous en Enfer !"

Et elle disparut dans les flammes au grand soulagement de tous. Cette nuit-là, on entendit des cris de liesse dans toute la région du lac. Dieu avait jugé ces impies. Tout irait mieux maintenant.

De nos jours. Hebgen Lake, Montana.

Des bulles apparurent à la surface de l'eau, venant troubler le calme qui y régnait alors. Le bouillonnement alla croissant, puis plus rien.

Sur les berges du lac, aux abords de la forêt, un groupe d'amis était venu profiter des beaux jours pour faire un peu de camping.

"Wow ! Quand ils disaient sur la brochure que la vue donnait un avant-goût de paradis, je ne m'attendais pas à ça !" (émerveillée)

"Du calme, Charlie ! T'as encore rien vu ! Attends un peu ce soir et tu sauras ce qu'est le paradis !"

"T'es immonde !" (en tapant du poing contre l'épaule du jeune homme)

"Ne fais pas ta prude ! Surtout toi ! T'es mal placée pour me faire la morale !... Et puis, c'est toi qui as insisté pour venir passer le week-end avec nous... Tu savais très bien à quoi t'attendre... A tes risques et périls !"

"Hugo, au lieu de dire des conneries, aide-nous plutôt à monter la tente !"

Le principal intéressé fit un large sourire et vint aider ses amis. Quant à Charlie, elle affichait une moue dégoûtée.

"Il est hors de question que je dorme avec ce pervers dans cette tente !"

"Désolée chérie, mais on en a qu'une ! Ce sont les joies du camping. Faudra faire avec ! Et puis, dis-toi qu'il ne s'agit que de deux malheureuses nuits..."

"Ah ! Ah ! Ah ! Je préfère encore dormir dehors... à la belle étoile... Au moins je suis sûre qu'il ne m'arrivera rien !..."

"Que tu dis ! Mais as-tu pensé aux bêtes sauvages ? Non. Franchement, ça ne serait pas prudent pour toi de ne pas partager la tente avec nous..."

"Et puis on promet d'être sages !"

"Ça suffit les gars ! Assez plaisanté ! Si ça continue comme ça, plus aucune fille ne voudra nous accompagner..."

A cette perspective sinistre, la bande de potes se figea littéralement sur place, arrachant un fou rire au jeune homme.

"Jason, t'es vraiment trop con !"

"Peut-être... mais un con intelligent. Avouez que vous n'y aviez pas pensé !" (sourire aux lèvres)

Les garçons haussèrent les épaules en soupirant. Evidemment non.

"Bon, c'est pas tout ça, mais il nous reste quatre heures avant que le soleil ne se couche... Que pensez-vous d'aller vous balader ?"

"T'es dingue ? Après tout ce qu'on vient de faire ?"

"Dylan, on vient simplement de monter une tente..."

"Exactement ! J'suis vanné, moi !"

"Et vous autres ?"

Jason voyait bien que son idée était loin de faire l'unanimité et ça le rendait un peu malade. Après tout, s'ils étaient venus ici, c'était pour profiter du paysage et du grand air pour se ressourcer... Pas pour fainéanter. Mais allez dire ça à ceux pour qui c'était un sport national ! Il soupira.

"Tant pis. J'irai seul ! Je serai de retour dans deux ou trois heures. Vous n'aurez qu'à préparer le dîner..."

"Tiens ! C'est une bonne idée, ça ! Qu'est-ce qu'on mange ?"

"Ça ne dépend que de toi, Andrew ! Qu'as-tu chassé ?"

Devant la mine déconfite du jeune homme, il pouffa et lui désigna le merveilleux objet qui se trouvait derrière lui : la glacière.

"Il n'y a plus qu'à réchauffer... ça sera dans vos cordes, vous pensez ?"

"Moque-toi ! Mais nous on ne va pas se perdre en pleine nature !"

"Tu sais que tu sais être comique quand tu veux, Daryl ?"

Ce dernier afficha son plus beau sourire, finissant de désespérer son ami qui les avait conduits ici. Jason leur fit un petit signe de la main et s'éloigna en soupirant.

A peine avait-il tourné les talons que la jeune fille, Charlie, partit faire bronzette sur l'herbe dans son maillot deux pièces, sous les sifflements et les regards admiratifs de ses amis.

"Hé Charlie ! N'hésite surtout pas si t'as besoin d'aide pour te badigeonner de crème !"

Sans même prendre la peine de se retourner, elle leur fit un doigt d'honneur et alla s'installer sur sa serviette, la poitrine en avant et les lunettes de soleil vissées sur le nez. Derrière elle, elle ne perçut que soupirs déçus et grognements. Elle sourit.

Cela faisait maintenant plus d'une heure que Jason flânait sur les rives du lac, s'attardant sur chaque paysage... sur chaque fleur, respirant à grandes bouffées cet air frais qui lui faisait tellement défaut. Il s'arrêta un instant et ferma les yeux pour mieux profiter de ce moment de paix et d'harmonie. Au milieu du lac, l'eau se remit à bouillonner de plus belle et avec force.

Aide-moi !

Jason rouvrit ses yeux. Il avait entendu... Il croyait avoir entendu une voix... Pourtant il ne voyait rien. Il n'y avait personne à des mètres à la ronde. Même pas ses amis.

"Y'a quelqu'un ?"

Il y eut de nouveau un silence.

AIDE-MOI !

Au milieu du lac, le bouillonnement avait cessé. En son lieu et place, un corps flottait à la surface, tête dans l'eau.

"Merde !"

Il regarda tout autour de lui. Personne. Personne n'avait entendu de voix et encore moins de cri. Lui seul pouvait aller secourir cette personne. Sans se poser plus de questions, il plongea dans les eaux transparentes du lac et nagea jusqu'à la forme. Une femme. C'était une femme. Mais elle n'avait pas l'air au meilleur de sa forme. Déjà ses lèvres avaient commencé à bleuir et son teint était pâle. Mais même comme ça, elle était magnifique ! Jason la prit par la taille et nagea jusqu'à la rive. Il y déposa le corps inerte de la jeune femme et commença à lui prodiguer les premiers soins.

Elle ne respirait plus. Il l'allongea sur le dos et entreprit un massage cardiaque. Toujours rien. Le pauvre bougre commençait à désespérer. Il n'avait tout de même pas sorti la belle des eaux pour qu'elle meure arrivée sur la terre ferme ! Il la regarda en soupirant. Dieu qu'elle était belle ! Si belle qu'il lui semblait être un crime de la toucher et de la réveiller. Le jeune homme hésita encore un peu et se décida finalement à lui faire du bouche-à-bouche. Il y mit toute son ardeur. Il voulait qu'elle vive ! Entre temps, il continuait les massages cardiaques, attendant avec espoir que la belle ouvre les yeux. Il allait arrêter quand soudain...

Jason s'affola. Il ne pouvait retirer ses lèvres de celles de la belle inconnue et il sentait un liquide froid envahir peu à peu ses poumons. Son sang se glaça dans ses veines. Il avait froid. Il n'arrivait plus à respirer. Il se sentait vidé. Il s'écroula sur la jeune femme, les yeux écarquillés de terreur. Il était mort.

Quant au reste du groupe, ils s'étaient confortablement installés à l'ombre dans la forêt, pour profiter au maximum de ces derniers instants de paresse. Bientôt viendrait le dîner et il faudrait tout préparer. Les garçons étaient restés seuls au camp, Charlie ayant prétexté une envie pressante. La brise jouait avec les branches des arbres et apportait un peu de fraîcheur.

Viens vers moi !

"Z'avez entendu ça les mecs ?"

"Quoi ?"

"La voix..."

Ses amis éclatèrent de rire.

"Une voix ?"

"Ouais. Elle était si douce... si sensuelle..." (d'un air rêveur)

"Arrête de fantasmer, Andrew ! Ici, on est au milieu de nulle part. Tu ne trouveras pas ta naïade dans le coin !"

Il fit une moue déçue et reprit sa place par terre.

Viens vers moi !

"Là, ne me dites pas que vous l'avez pas entendue !"

Ses amis froncèrent les sourcils. A part des oiseaux, ils n'avaient rien entendu.

"T'as dû te tromper ! Y'a rien ici ! T'es tout seul à l'entendre c'te voix !"

"Mais qui sait, peut-être que t'es comme Jeanne d'Arc !"

"Z'êtes vraiment trop cons !" (en s'éloignant)

"Ben quoi ? Fais pas cette tête ! Reviens !"

Le jeune homme lui fit signe qu'il n'en avait rien à foutre et partit à la recherche de cette voix enchanteresse. Au détour d'un chemin, non loin du campement, il croisa une magnifique jeune femme.

Viens vers moi !

Il était subjugué par sa beauté et restait comme prostré devant elle. Il ne bougea pas d'un cil lorsqu'elle se pencha vers lui et l'embrassa fougueusement. Il se débattit à peine. Sourire aux lèvres, elle le relâcha au bout de quelques secondes, visiblement mort. Puis elle reprit sa route en direction du campement des jeunes gens, usant de son charme et de sa voix. Elle se reput sur les corps des jeunes hommes qui l'avaient si généreusement invitée.

Entre temps, Charlie était revenue de sa virée, l'âme joyeuse, rêvant à la superbe soirée qui s'annonçait. Mais tout ce qu'elle vit en arrivant au campement, ce fut cette femme qui lâchait le corps d'Hugo au sol, mort. A dire vrai, tous ses amis semblaient morts, dispersés ici et là dans les bois. Totalement paniquée, elle eut à peine le temps de mettre sa main devant sa bouche et de verser des torrents de larmes qu'elle entendit une voix moqueuse derrière elle.

"Alors chérie, t'es perdue ? Tu sais, c'est vraiment pas beau d'espionner les gens comme ça... C'est même très vilain ! Hé Kelly, vise-moi un peu ce que j'ai trouvé ici !"

La jeune fille était terrorisée. Elle ne pouvait détacher ses yeux de ses amis, si rieurs il y a encore quelques minutes, et qui affichaient maintenant des teints blafards. On lisait la terreur sur leurs visages. C'était ce qui la frappait le plus. Comment une simple femme avait pu leur causer une telle frayeur ?

"Je vois que tu as trouvé de quoi t'amuser, toi aussi !" (avec un sourire malsain)

Charlie fronça les sourcils. C'était donc ça. Elle n'était qu'une simple amusette ! Elle regarda la jeune femme s'avancer vers elle. Elle aurait voulu s'enfuir, mais à sa plus grande terreur, elle était comme paralysée. Elle ouvrit la bouche pour parler, mais ses supplications moururent à ses lèvres et elle porta ses mains à son cou. Pourquoi était-ce si serré ? Pourquoi elle n'arrivait plus à respirer ? Elle ouvrit grands ses yeux à mesure qu'elle perdait le précieux oxygène et que son visage prenait une teinte violacée. Elle ne comprenait pas ce qu'il se passait. Elle ne comprenait pas pourquoi et comment on pouvait prendre un tel plaisir à faire souffrir autrui. Ses questions demeurèrent sans réponse. Quelque chose venait de se briser en elle, dans un craquement sinistre, et l'avait laissée sans voix et sans vie. Elle s'écroula au sol pour ne plus jamais se relever.

Les deux jeunes femmes l'observèrent avec application et éclatèrent de rire.

Pendant ce temps, sur l'herbe fraîche et humide de la rive, la jeune inconnue ouvrait grands ses yeux et poussait avec horreur le corps sans vie de ce jeune homme qui gisait sur elle. Affolée, elle se releva aussi vite que ses membres frêles le lui permettaient et s'enfuit au loin. De l'autre côté du lac, une autre jeune femme observait la scène en souriant.

"Bienvenue parmi nous, petite sœur !"