Les jonctions entre les rails faisaient vibrer le wagon : à chaque passage, une secousse agitait la carcasse du lombric d'acier sillonnant Midgar. A l'intérieur, peu de gens, mais ce manque de voyageur était plus du à l'heure matinale qu'aux mauvaises conditions de voyage. Les habitants de la ville n'avaient de toutes façons pas le choix, le train urbain étant le seul moyen de transport reliant l'ensemble des parties de la cité. Mais à cette heure-ci, on croisait plutôt les veilleurs de nuit ayant achevé leur service ou les ingénieurs techniciens des réacteurs Mako allant prendre le relais de leurs confrères.
Dehors, même si le Soleil n'était pas encore levé, une lumière froide éclairait les rues. Tout semblait mort. La buée sur les fenêtres donnait l'impression d'un monde extérieur flou, comme un vestige énigmatique du passé qui défilait à toute vitesse. Le compartiment paraissait alors un endroit sûr, bien que mal isolé et laissant passer la froidure de l'hiver à travers les défauts de soudure de la carrosserie.
Un passager se démarquait des autres : un homme grand, très carré, dont la large stature était renforcée par un cache-poussière usé mais propre. Il se tenait droit sur un siège, adossé à la paroi interne du wagon, la tête légèrement envoyée en arrière, ses cheveux roux en brosse frottant contre la vitre. Son immobilité pouvait laisser penser qu'il dormait mais rien n'était moins sûr, étant donnée la paire de lunette de soleil qui dissimulait ses yeux. Impossible de connaître ses sentiments, impossible de sonder son âme. Ses lunettes surplombaient un visage inamical bien qu'inexpressif. Aucun muscle facial n'était contracté mais il dégageait une impression de brutalité, de grossièreté et d'antipathie. De cette manière, il ne risquait pas d'être dérangé durant le trajet. Seules les périodiques sursauts du wagon faisaient bouger ses mains gantées de cuir.
Il se retourna brusquement. Ce bruit incessant lui tapait sur les nerfs. Les mouvements du train lui faisaient entrevoir un danger à chaque instant. Durant le voyage, il n'avait cessé de tourner en tous sens dans le compartiment. Mais il était seul dans ce fichu wagon, peut-être même seul dans ce fichu train. Il alla se rasseoir et passa une main gelée dans sa longue chevelure. On n'était en sécurité nulle part : les terroristes, les Turks, la milice, … Les terroristes… C'était d'eux dont il allait être question ce matin, quand il allait se réunir avec ses collègues. AVALANCHE… Des actions de destruction de grande envergure entraînant une répression immédiate sur ceux qui tombaient sous la main des soldats. Il se sentait directement menacé par ce groupe, bien qu'il ne soit en aucun cas sa cible. Mais leurs opérations hasardeuses étaient un péril à court terme pour les siens. La situation était critique : la population de la ville serait la première touchée par ces actes, lui et son groupe en tête.
Il se releva. Il faisait horriblement froid dans ce wagon et il n'avait qu'une hâte : descendre sur le quai et se rendre au point de contact. Cela ne devait d'ailleurs pas tarder. Le réacteur à Mako n'était plus très loin et la gare se situait juste devant. Il n'aurait que quelques dizaines de mètres à faire pour rejoindre un endroit plus chaud et plus accueillant. Il essayait de se persuader qu'il était paralysé par le froid et non par la peur mais il n'y avait rien à faire, sa poitrine se comprimait peu à peu, il respirait difficilement. A force de se concentrer sur autre chose, il avait fini par ignorer l'exaspérant cliquetis des roues, il n'entendait d'ailleurs plus rien. Quand enfin le train arriva en gare, il ouvrit la porte du wagon et stationna sur la marche en attendant l'arrêt complet de celui-ci, face à l'extérieur. Quelques dizaines de mètres… Dans quelques minutes il serait à l'abri, au chaud…
Derrière lui, sans qu'il s'en fût aperçu, une autre personne était entrée dans le wagon, provenant de celui qui précédait. L'homme se dirigeait lui aussi vers la sortie, calmement, d'un pas pesant, faisant crisser ses chaussures vernies sur le sol. Contrairement à l'autre, il semblait serein mais des verres opaques cachaient ses yeux et par là même ses pensées. Il écarta alors les pans de son cache-poussière et sortit un fusil à canon scié qu'il pointa, sans ralentir sa course, sur la nuque de l'autre passager. Arrivé à sa hauteur, à bout portant, celui-ci n'avait toujours rien remarqué. Au moment où le train stoppa complètement, la grande brute pressa la détente, sans un mot, et le corps mutilé de sa victime s'affala brusquement sur le quai dans une flaque de sang rouge vif. L'homme rangea son arme et rajusta ses lunettes. En posant pied à terre, il remonta son col et esquissa un sourire : sa mission était un succès, il venait d'abattre le deuxième terroriste le plus recherché de Midgar, le chef d'un groupement désormais étêté, qui s'était rendu coupable d'assassinats et de destructions de bâtiments publics. Un perturbateur.
Mais ironie du sort, au même moment sortit du wagon de tête le terroriste LE plus recherché, numéro un sur la liste noire, un géant répondant au nom de Barret Wallace, qui se débarrassa de plusieurs soldats avant de se diriger vers le réacteur dans le but de l'anéantir. Mais l'homme au fusil leur tournait le dos, et même s'il l'avait su, il ne serait pas intervenu : ce n'était pas sa mission, il n'en avait pas reçu l'ordre.
En sortant de la gare, il acheta une fleur à une jeune demoiselle habillée de rose. Il la gratifia d'un large sourire. Il s'appelait Jéricho.
