Je poste un truc avant une heure du matin, c'est juste beau.

Bonjour femmes avides de yaoi et de trucs anti-catholiques sur des personnages fictifs, comment ça va ? :D

Je ne pensais pas repartir tout de suite avec une nouvelle fanfiction – nouveau Fruk, mais ça en fait, ça m'étonne pas, c'est pas l'inspiration pour mon OTP qui me manque. Surtout que j'ai encore le chapitre final de Malédiction à envoyer, mais rien à faire, ma nouvelle idée a prit de la place.

Tout d'abord, je tiens à préciser que l'idée originale ne m'est pas venu comme par enchantement. Je ne sais pas si vous l'avez aussi, vous, ce genre de prof' si littéraire qu'il aime vous apprendre la dureté de la vie... Moi en tout cas j'en ai un. Sympa mais bizarre. La base de cette nouvelle fanfiction provient d'un film – une de ces œuvres puputes qui veulent te dire que la vie est une merde – qui m'a fait shipé comme rarement deux personnages. Et bien sûr, mon esprit Hetalien ne l'a pas loupé...

Ce film, c'est « Detachment » de Tony Kaye. Vous le trouverez sans mal si ça vous intéresse, je vous préviens juste qu'il faut avoir l'esprit un peu accroché pour pouvoir supporter certaines scènes plutôt hardcore... -j'en ai pas voulu de ce chat avec le marteau, j'en ai pas voulu...- Et si jamais vous le regardez, vous reviendrez me dire ce que vous attendez du Fruk superposé à une partie de l'histoire originale !

En attendant j'espère ne pas faire les mêmes erreurs qu'avec Malédiction et vous souhaite une bonne lecture, si vous avez encore le courage – ahem, la bonté – de me suivre.

Disclaimer : les personnages d'Hetalia appartiendront toujours à seigneur Himayura. Faudrait que j'aille le prier, à force. « Detachment » m'a inspiré certaines scènes de cette fic.


Les rues de Paris, englouties par une heure tardive et l'obscurité d'un ciel de nuit noire, avaient toujours leur lot de quiétude comme d'inquiétude. Cette ville avait beau être grande, belle, avoir une réputation et une estime très hautes dans le monde, elle n'en restait pas moins truffée de dizaines de types personnes différents; ainsi donc, les bons comme les mauvais, comme les plus bizarres. Sortant d'une réflexion proche de la torpeur somnolente, Francis Bonnefoy cligna des yeux, ces derniers perdus dans le vide au-dessus de sa tête. Il baissa cette dernière, se rappelant qu'il était dans le métro qui le ramenait chez lui. Dans la rame, il y avait de ces dits gens un peu uniques, mais peut-être pas ceux qu'on aimerait croiser. Et la nuit, ils semblaient germé comme des champignons dans une chambre noire. Tels des Batman, ils sortaient pour faire de la ville leur territoire et se tassaient dans l'anonymat et l'inexistence le jour.

À quatre stations de sa destination, Francis tourna doucement la tête de gauche à droite, le regard bleu passant ainsi sur les passagers. Aucun pratiquement ne le lui rendit, exceptés peut-être un ou deux badauds qui se demandaient ce qu'un grand et jeune blond leur voulait. Mais le contact visuel ne dura pas, et ils retournèrent tous à leur portable ou leur musique, les écouteurs fichés dans les oreilles. Fatigué par cette ambiance vide d'harmonie, il tapota les doigts sur la large pochette à dessins qu'il avait posé à côté de lui, aussi grande qu'une valise. Elle n'y rentrerait même pas d'ailleurs. C'est pourquoi partout où il va avec, il se contente de la porter sous le bras.

Le train s'arrêta. Les portes s'ouvrirent. Personne n'entra ou ne sortit. Elles se refermèrent. Ils partirent de nouveau.

Encore un jour sans rien d'exceptionnel. Plus que trois stations et Francis allait pouvoir retrouver le bazar de son studio et sa tranquillité d'artiste. La seule chose qui l'enquiquinait était l'idée de devoir écouter les éventuels messages laissés sur sa boîte vocale, qui allaient encore lui rappeler le boulot à l'ordre. Un illustrateur, même en ayant la chance de pouvoir travailler chez lui, était hélas souvent prisé, et ce justement parce qu'il avait « toujours le temps ».

Il souffla doucement dans le vide, pressé d'être arrivé. Une fois encore, ses yeux s'adonnèrent à la recherche d'un point intéressant à fixer, histoire d'accélérer le temps. Lorsqu'une silhouette attira son attention.

Un jeune homme blond, sans doute grand mais recroquevillé sur son strapontin, faisait un peu tâche au milieu des autres. La jambe pendante, le pied touchant le sol, l'autre genou replié contre lui et les bras croisés abritant son visage, il semblait faire l'objet d'un malaise auquel personne d'autre ne faisait attention. Un de ces jeunes originaux qui se rebellaient contre l'entourage et niaient l'évidence de leur détresse. En tout cas, c'était l'image que Francis y lisait. Curieux de connaître à un moment ou un autre le visage de cette personne, il attendit que celle-ci daigne une fois lever le nez du creux de ses bras. Ce qu'elle fit, regardant par la vitre lorsque l'engin s'arrêta sur un nouveau quai.

De profil, ce garçon avait l'air plus mort qu'il y a quelques secondes. Pourtant il fixait l'extérieur du train comme s'il y cherchait quelque chose. D'ici, Francis pouvait voir son oreille percée, décorée de la reproduction d'un petit diamant brillant. À l'évidence, une paire de boucles d'oreilles comme celle-ci était trop voyante pour un homme. Si bien que l'illustrateur ne sut en détacher son regard. Regard qui croisa aussitôt le sien, lorsque le jeune inconnu tourna à nouveau la tête une fois le train reparti. Se produit alors un curieux événement.

Contrairement au reste de la rame, le blondinet trouva un autre point à fixer dans les orbes bleues de Francis. Croyant être devant quelque chose, celui-ci tourna un instant la tête, mais le regarda à nouveau en comprenant que, non, c'était bien lui qu'on fixait.

Ou qu'on dévorait du regard.

Inexplicablement, l'adolescent – en tout cas il avait l'air plus jeune que lui – s'était engagé dans un jeu de regards auquel Francis ne semblait pas pouvoir s'échapper. Au début, curieux, et croyant qu'il voulait lui dire quelque chose, il soutenait cette paire d'yeux émeraudes. Mais le silence, dérangé par les brouhaha des roues rapides sur les rails à l'extérieur, fut tout ce qu'il en tira comme résultat.

Plus que deux stations.

Francis abandonna rapidement l'idée de chercher une signification dans cet échange muet. Il ne regardait plus que le visage de son non-interlocuteur. À bien y regarder, même de loin, l'étranger avait les cheveux un peu en paille, si courts qu'ils avaient l'air pénibles à coiffer. Sur la lèvre inférieure, près de la commissure gauche, se trouvait également un anneau, pas plus large qu'un petit doigt. Un piercing ici placé pour faire joli. Argenté, pour mieux rendre la lumière. Pour bien se faire voir. Facile à remarquer.

Il vit la langue de l'individu passer sur ce tout petit anneau. Francis leva à nouveau les yeux vers les siens.

Plus qu'une station. Deux personnes quittèrent la rame lorsque les portent s'ouvrirent. Et lorsqu'elles se refermèrent, le garçon ne tourna pas la tête pour regarder dehors comme tout à l'heure. Son expression avait changé. Ses yeux, précédemment plissés par la fatigue, s'étaient un peu plus ouvert, cherchant un nouveau genre d'échange visuel. Au départ, Francis l'ignora, ne partageant pas le même intérêt. Sauf que, quelques secondes après, il leva à nouveau les yeux vers lui, se voulant discret. Mais l'autre n'avait pas bougé d'un pouce.

Il n'avait pas l'air de l'avoir quitté du regard une seule fois.

Quelque peu troublé, et curieux, Francis accepta l'échange, s'attendant peut-être à une éventuelle conversation. Un truc qui permettra à sa soirée d'avoir un tant soit peu de différence avec les précédentes, toutes aussi monotones les unes que les autres.

Sauf que.

Il comprit tout ce manège dés que le jeune homme se redressa sur son strapontin, se mettant un peu plus à l'aise, la tête légèrement tournée sur le côté. Il était peu vêtu, malgré la saison : un short en jean, légèrement abîmé au niveau des hanches, et qui ne recouvrait que son bassin ainsi qu'une petite partie des cuisses. Un t-shirt blanc un peu trop petit pour lui – de ce fait l'on pouvait voir son nombril ainsi que les fines courbes de son frêle torse - et à la faible lumière du train, visiblement tâché par on ne sait quelle substance qu'il a tenté d'effacer. En guise de chaussures, des bottines noires à talons plats, qui dépassaient tout juste les chevilles. Une tenue assez... indécente pour une nuit si fraîche.

En tout cas, la signification du jeu de regard devint tout de suite plus explicite.

La seule échappatoire qu'il y trouva fut cette nouvelle ouverture des portes à son arrêt. Sans attendre, Francis se leva, prit sa pochette sous le bras, et descendit de l'engin. Dès qu'il sortit dans la rue, la fraîcheur de l'hiver le frappa en plein visage. Son studio, un petit boui-boui bon à louer pour les étudiants, n'était plus qu'à cinq petites minutes à pied. Sauf qu'au bout de deux et trente secondes, il se rendit compte que, malgré le vide aux alentours, une série de pas résonnait derrière lui. On le suivait.

En tournant la tête, il reconnut le jeune homme du métro.

Maintenant qu'il le voyait debout, il remarqua qu'il n'était pas plus grand que lui. Quelques centimètres de moins, sans plus. À peine il eut posé les yeux sur lui que ce dernier adopta une marche plus provocante, langoureuse, et de ce fait, vulgaire.

- Où tu vas ? lui demanda-t-il en s'humidifiant les lèvres.

Francis se sentit davantage fatigué en se sachant dans la ligne de mire d'un prostitué. Il reprit sa marche.

- Chez moi.

- C'est vers où ? Je t'accompagne ?

- Non, soupire-t-il. Je rentre seul.

- Seul, c'est plutôt triste... En plus tu n'avais pas l'air bien dans le train. Un peu de compagnie devrait te convenir, non ? J'ai bien vu comment tu me regardais...

Et en plus, il est collant. Le garçon accéléra ses pas pour marcher à ses côtés.

- Je me ferai tout petit, je demande pas grand chose.

À part un chèque bien crade, pensa-t-il, mauvais.

- J'ai bien vu que tu en avais envie. Je te tente. Tu avais le regard fuyant mais c'est parce que tu n'osais pas. C'est pas grave, j'y suis habitué. On peut même brûler les étapes, pas besoin de chichi avec moi. Tu peux me le dire, que tu as pensé à des trucs sales.

Faisant la sourde oreille, Francis ne lui jeta même pas un regard. Le jeune inconnu se tortillait doucement sous son nez en parlant, accentuant ses mouvements de hanches en même temps que la fin de ses phrases. Cependant il restait de glace. Patient pour quelques secondes seulement, il fit le tour de sa personne et lui coupa la route.

- Pourquoi tu m'évites comme ça ?

- Tu n'as pas cours, demain ?

- Si tu veux, on peut aller boire quelque part, et ensuite je te raccompagne...

- Ne traînes pas comme ça dans la rue, gamin.

- Je suis majeur.

Francis fronça les sourcils.

- Reprend ta vie en main dans ce cas. En gagnant ton argent légalement.

Il aurait dû le convaincre. Pourtant, le blond serra sa manche.

- Oh, allez quoi, juste une nuit ! Tu paieras moins cher si tu veux !

Bonté divine.

- Écoute. Déjà, tu ne me tutoies pas. Ensuite, retourne chez toi. Là-bas tu as sans doute de quoi manger, dormir, mieux t'habiller, et tout ça gratuitement. J'en connais minimum un qui doit s'inquiéter pour toi. La personne qui a dû t'élever, veiller sur toi, et qui doit t'attendre chaque jour, chaque nuit, à s'en ronger les ongles. Alors file avant qu'il ne soit trop tard et va passer la nuit là où tu seras pleinement en sécurité.

À ces mots, il fit un brusque geste pour le faire lâcher, puis reprit sa route sans se retourner.

Se faire aborder par un prostitué sur le chemin du retour, il manquait plus que ça.

Las de sa journée, Francis composa le code pour entrer dans le modeste bâtiment qui abritait une vingtaine de studios où cohabitaient bon nombre d'étudiants et nouveaux salariés, dont lui. Quelques escaliers et un couloir étroit plus tard, il déverrouilla sa porte et n'alluma qu'une lumière pour poser ses affaires, appuyer sur le bouton du répondeur qui clignotait, et se changer dans la pièce de vie qui faisait office d'atelier et de chambre. En même temps qu'il ôta son écharpe et sa veste, la machine dicta de sa voix monotone en détachant les syllabes :

« Vous avez 3 nouveaux messages. -biiiip- Aujourd'hui, à 13 heures 49. Hey, Franny ! Ça fait une paye, vieux ! Tonio m'a dit que t'étais un peu surbooké en ce moment, mais tel que j'te connais, tu vas pas craquer sous tes dessins comme ça, hein ? En fait, West a besoin de tes talents pour la brochure du resto de Feli et de son frangin, il est censé l'installer mardi prochain, mais on a toujours pas de logo ! Tu peux faire ça, hein ? C'est l'awesome moi qui te le demande ! Et qui paie ! Rappelle-moi hein, qu'on s'arrange ! Allez, ciao mon blond ! »

Il défit les boutons de sa chemise, soupirant de fatigue.

« Aujourd'hui, à 15 heures 17. Bonjour . Cyril Peyraud, directeur des galeries Laroche à l'appareil. Je vous appelle pour le rendez-vous dont nous avons parlé l'autre jour. Une entrevue serait nécessaire pour que nous puissions nous mettre d'accord sur les effectifs de votre illustration à afficher. Veuillez me rappeler afin de fixer une date, de préférence pour la semaine prochaine. Au revoir. »

Il ôta ses chaussures sans les mains, les laissant à l'abandon prêt de son chevalet.

Que de messages répétitifs. Amicaux ou professionnels, ils avaient tous à voir avec son occupation. À croire qu'il n'était plus que ça aux yeux de tous. En même temps, ça faisait déjà quelques mois qu'il n'avait plus le temps pour autre chose. Une vie sociale par exemple, un truc qu'il met depuis longtemps entre parenthèses. Qu'il reporte à chaque fois sans pour autant penser à la dépoussiérer un peu de temps en temps.

« Aujourd'hui, à 16 heures 58. Francis ? Bonjour, c'est Jeanne. Eh bien... en fait, c'était juste pour te prévenir que je serai en ville demain. Je reste quelques semaines chez mes parents. Alors... je me demandais si on pouvait se voir pendant ce temps-là ? De ce que m'a dit ta sœur, tu es très occupé en ce moment, mais c'est juste histoire de se dire coucou, parler un peu du bon vieux temps ! Je te rappellerai demain, lorsque je serai installée. À bientôt ! »

Un sourire intérieur rappela à Francis que la vie n'était pas entièrement dégueulasse non plus.

Seulement, pour l'heure, il n'aspirait qu'à dormir. Alors, quelques secondes après s'être écroulé tel une baleine échouée en jean et torse nu sur un canapé miraculeusement vide de tout bazar, les paupières lourdes de l'illustrateur se fermèrent tout en le plongeant dans un sommeil lourd et profond.


La journée promettait d'être pleine.

Au réveil, Francis se jura d'être le plus productif possible avant que la nuit tombe. Il avait réécouté les messages conservés sur son répondeur concernant son travail – un peu moins de dix en comptant les deux précédents d'hier soir – et craqué ses phalanges en s'étirant, l'intention de bien s'avancer sur le bout des doigts. La motivation l'encourageait à ne pas se morfondre, écroulé sous les commandes, mais ce qui l'arrêta dans son élan matinal fut un coup de fil donné par Antonio, l'un de ses meilleurs amis.

Plus tard dans la journée, aux alentours de midi, Francis fut accueilli par un espagnol souriant, sur la terrasse d'un café en centre-ville. Tout deux passèrent une petite heure et demie ensemble, profitant d'un déjeuner à l'extérieur, prétexte à renouer un peu le contact. En effet, Antonio se plaignait de ne pas voir l'artiste aussi souvent que d'habitude.

- Je sais que tu as du travail Francis, mais quand même, un petit coup de fil pour me signaler que tu es en vie, c'est pas la mer à boire...

- Je le ferais volontiers si l'on abusait pas autant de mon téléphone. Le fixe comme le portable, je n'ai plus le loisir de les utiliser comme je veux... Dire que je m'étais faite installé la ligne justement pour que les proches soient les seuls à l'utiliser, il a fallu que certains parlent de moi et donnent le numéro à d'autres qui avaient besoin de mes services... Feliciano et Lovino, encore, je ne dis pas, mais...

- C'est pas une raison, défend-t-il. Tu dois prendre le temps de te poser, et de profiter un peu de tes amis...

- Oh mais, je me pose ! ria-t-il. Crois-moi Antonio, je suis parfaitement épanoui dans ce que je fais. Ça me bouffe le temps, c'est vrai, mais ça me convient. Cette semaine, ce sera encore un peu chargé, mais lundi prochain je vais me faire plaisir. On pourra voir ça avec Gil si tu veux.

- Ah bon, tu comptais pas passer la semaine avec Jeanne, plutôt ?

Francis leva les yeux de son assiette presque vide vers lui.

- Je vais essayer en tout cas.

- J'espère bien, elle vient exprès pour toi.

- Je ferai de mon mieux.

- Sa venue le mérite.

Oui bon ça va.

Toujours à se soucier de la vie d'autrui, de toutes façons. Sans plus de cérémonies, et parce qu'il s'était imposé un emploi du temps assez strict, Francis paya sa part et salua l'espagnol. Il devait se remettre dans le bain avant de perdre sa motivation. Fermant son esprit à tout désir de détente, l'illustrateur resta l'illustrateur.

Ainsi, il passa le reste de la journée à dessiner un logo de restaurant, faire des croquis pour imaginer la décoration de l'entrée de galeries commerciales, peindre un exemple pour la façade d'un club de théâtre, tracer les esquisses d'une future affiche de pub, continuer le schéma d'un cadre personnalisé pour l'intérieur d'une prochaine boutique de vêtements, et on passe du plus lourd...

Arrivait des jours comme ça où le jeune homme devait oublier qu'il y avait une vie à l'extérieur, et que rien d'autre n'existait hormis son petit studio dans lequel presque personne ne mettait les pieds, tellement il y avait peu de place pour y prendre un thé.

L'après-midi passa.

Dans cette petite pièce que le désordre engloutissait au fil des heures, Francis était quelqu'un d'autre.

Perdu dans ses couleurs, coupé de celles trop ternes dehors.

Le passage évident dans son petit monde étaient les tâches de peinture ou les traces de crayons qui teignaient ses doigts; qu'il ne lavait jamais entre-temps.

Puis, au coucher de soleil, il émergea de ses illusions. La tête tournée vers un pot de peinture noire presque vide, il pensa à l'éventualité d'être frustré un peu plus tard parce qu'il n'allait pas pouvoir finir son œuvre avant d'aller dormir. Il s'arma donc de sa veste, son écharpe, ainsi qu'un peu de courage pour braver le froid de l'hiver parisien.

Paris, au crépuscule.

Doucement, le monde du jour s'écrasait pour laisser place à celui du soir. Où des gens disparaissaient pour laisser la place à d'autres. Tels des loup-garous qui se transforment à la pleine lune. Le temps d'entrer dans un magasin adéquate à quelques pas de chez lui, d'accompagner son nouveau pot de peinture d'une nouvelle série de pinceaux neufs, d'une boîte de crayons pastel et d'un outil de mesure, la nuit était entièrement tombé sur la capitale. Pressé par le courant d'air glacial qui caressait ses joues à l'ouverture des portes automatiques, Francis se hâta, le menton dans l'écharpe et la tête rentrée dans les épaules, sur le chemin du retour.

Seulement, quelque chose attira son attention alors qu'il tremblait déjà de froid. Une silhouette mince, peu couverte, voire pas du tout, qui semblait attendre la venue de n'importe quoi. Contre un mur de brique, au milieu d'une rue déserte, le prostitué de la veille sortait une cigarette d'un paquet presque vide.

Comme s'il l'avait appelé, il tourna la tête vers Francis, la tige de tabac entre deux doigts.

Un échange de regard silencieux, au milieu de ces quelques mètres de distance.

- T'as du feu ?

Au moins, il n'avait plus cette allure détachée et vulgaire.

- J'ai arrêté.

- Ah, bon...

Le garçon plaça tout de même la cigarette entre ses lèvres, jusqu'à ce que l'artiste s'approcha pour la lui ôter, la jetant ensuite par terre. Ce à quoi le jeune fronça les sourcils.

- Ramasse.

- Ce n'est pas pour la ramasser que je l'ai jeté.

- Tu veux que ce soit moi qui me baisse, c'est ça ?

Il avait reprit un ton quelque peu enjôleur. Qui dégoûta Francis. La réaction évidente sur son visage découragea son interlocuteur à tenter quoi que ce soit d'autre. Cette fois, le message était passé.

- Qu'est ce que tu fais là ?

- Je me promène.

- Tu ne devrais pas être chez toi ?

- J'ai pas cours, demain.

Il tourna la tête, ignorant le ton sévère de l'adulte. À la lumière du lampadaire sous lequel il s'était installé, Francis remarqua la ligne de suçons presque creusée dans son cou. Sa peau semblait si blanche, fine et fragile, que les marques étaient pratiquement rouges. Il plissa les yeux, cherchant d'autres signes d'activité louche, puis baissa le regard sur sa tenue. Légère, similaire à celle qu'il portait hier soir. Francis se demanda chez quel genre de personne ce garçon a bien pu dormir pour repartir les mains vides, sans briquet ni vivres, après avoir laissé son corps aux mains d'un plaisir malsain et illégal. Puis, l'évidence.

En remontant un peu plus vers la mâchoire, on pouvait discerner une ligne rouge. Petite, mais bien présente. De ce qu'il savait des étreintes charnelles, il n'en avait jamais vu de telles pouvant provenir de l'acte.

A-t-on forcé ce garçon, comme quoi il n'a rien reçu en échange ? Ça expliquerait son côté un peu perdu, autrement il ne serait pas là à regarder les particules de poussière voler dans le faisceau de lumière.

Ce dernier le surprit dans sa contemplation.

- On a changé d'avis ?

- Quoi ? Non, sûrement pas.

Il haussa les épaules.

- Tu as combien sur toi ?

- Je t'ai dis que je ne marche pas là-dedans.

- C'est pas ça, c'est que... j'ai rien mangé. Juste pour ce soir, après je te demande rien d'autre.

Maintenant que le masque dragueur était tombé,le ton qu'employait le jeune homme semblait plus naturel; râleur, froid, têtu et je-m'en-foutiste. Au moins, ça sonnait sincère. Mais trop insolent pour que Francis soit suffisamment confiant au point de lui laisser de l'argent. Et puis, qui sait ce qu'il compte réellement en faire ? Acheter un nouveau briquet, une bouteille d'alcool – puisqu'il dit être majeur – ou même échanger le liquide contre quelque chose de pas net... Quand bien même aucune affaire de ce gamin ne le regardait, sa morale refusait de le laisser vagabonder avec quelques billets qu'il lui aura donné sous le coup de la bonté. Pour qu'il soit intentionnellement mal utilisé ? Jamais de la vie.

Le garçon le regarda, visiblement impatient. Il semblait se retenir de tendre la main pour réclamer.

- Et tu feras quoi après ?

- Bah... J'irai dormir.

- Où ça ?

- Je vais trouver...

- Chez un type que tu auras choisi en jouant à am stram gram ?

- Qu'est ce que ça peut te foutre.

Ça lui foutait que son altruisme, sa morale et son bon sens en seraient profondément affectés s'il n'agissait pas. Au risque de s'attirer les ennuis plus tard, en prime d'un possible enfer quotidien, il répondit :

- Je préfère encore te ramener chez moi.

- Faut savoir ce que tu veux...

- Je ne parle pas de ça. Juste qu'au moins, je t'aurais à l'oeil, tu dormiras bien et tu mangeras chaud.

- Oh que c'est gentil, fit-il sur le ton de la rigolade.

Mais le rebelle put lire sur les traits de Francis que ce dernier ne plaisantait pas. En effet, son idée le tentait de plus en plus. Quand bien même ça reviendrait à s'occuper d'un inconnu sortit d'on ne sait où, il aura arraché à un prostitué le triste avenir qui l'attend si jamais il ne retourne pas très vite dans le droit chemin. Et puis, retomber sur lui le lendemain de leur rencontre, comme ça, comme dans un mauvais film trop romancé, ça devait être un signe du destin. Dieu devait avoir abandonné ce garçon depuis longtemps et, jouant avec la notion des événements, l'a mit sur la route de l'artiste-peintre. « Vas-y, occupe-toi en, moi j'en ai ras le cul ». Et qu'il vous comprenait, seigneur. Mais lui au moins, même s'il n'en avait pas l'air, était plus tenace qu'il ne le laissait paraître. Ce n'était pas une crise pré-adulte qui allait lui barrer la route.

Il convaincu le jeune blond en contrant ses arguments de refus. L'excuse de ne pas vouloir suivre un inconnu sans savoir où il nous emmènera ensuite et pour quoi faire était totalement invalide pour un adolescent qui faisait le trottoir à chaque tombée de la nuit, et ce avec n'importe qui. Et puis, à voir son expression, il était pour lui difficile de le nier : la proposition était plutôt alléchante, pour un type paumé au milieu de la ville sans argent ni abri.

Ainsi, Francis laissa entrer pour la première fois depuis des mois son nouveau colocataire. Celui-ci, visiblement curieux de nature, ne put s'empêcher de jeter mille regards partout dans la pièce à vivre – qui, plus tôt, fut laissée à l'abandon par un français pressé de finir son œuvre.

- Ne fais pas attention au bazar, je vais ranger. Assied-toi.

Il lui donnait clairement l'ordre d'être docile. En même temps, il n'allait pas considérer un jeune prostitué comme n'importe quel invité. Et surtout, il était dorénavant son protégé. Et lui, une sorte de tuteur. Plus qu'à espérer qu'il ait toute sa tête, histoire de ne pas refaire son éducation. À ces mots, et sans résistance puérile, le concerné prit place sur le canapé épargné par le bazar qui, lui, avait surtout investi le parquet. Sage comme une image, sa tête tournait quelques fois pour regarder par la fenêtre, ou juste dénicher des yeux les petites affaires que son nouveau garant avait omis de récupérer dans ce capharnaüm. Ce dernier disparut dans une pièce voisine, puis en ressortit avec un sandwich bon marché, que l'on tire d'une petite barquette en plastique à cinq euros.

Le jeune haussa un sourcil en tendant la main, mais son hôte fut plus rapide.

- Tu ne discutes pas et tu prends ce que je te donne.

Moins qu'un invité, il était plutôt traité comme un chiot ramassé sur le bord de la route. Et s'il devait le nourrir, lui apprendre à se laver, à mieux s'habiller et à dormir correctement, il fallait avouer que la comparaison était plutôt juste. Il mangea en le regardant ranger, dans un silence auquel il n'était pas habitué. Les voitures qui roulaient et le vent froid qui sifflait dans ses oreilles, voilà ce à quoi il était confronté nuit et jour. Et maintenant, voilà qu'il grignote tranquillement chez un artiste sortit de nulle part qui l'accueillait chez lui. Avec la forte détermination de le changer. Ces gens qui vivaient encore avec espoir existaient donc toujours.

Une fois son rangement terminé, Francis s'éloigna encore pour rejoindre la salle de bains. À l'intérieur, il déposa une serviette propre, blanche et duveteuse sur le bord du lavabo, ainsi que quelques vêtements récemment repassés. À son retour, il remarqua que son protégé avait fini son « repas ».

- Va te laver, je m'occupe du reste.

Encore une fois, il obéit.

Car la surprise de s'être trouvé quelqu'un qui s'occupait de lui était trop grande.

Et puis, il fallait avouer que l'image d'une douche chaude le faisait languir.

L'illustrateur suivit ce jeune du regard disparaître à son tour dans la salle d'eau. La porte se ferma et, quelques secondes après, le bruit du rideau de douche et de l'eau le fit repartir dans ses occupations. Il voulait lui offrir un nouveau départ, et pour cela, lui réapprendre à prendre soin de son corps. Il allait devoir lui imposer un régime alimentaire suffisant pour cette maigreur, une hygiène propre pour le prévenir des maladies faciles à attraper dehors, et des vêtements plus appropriés pour accompagner. Il allait aussi devoir lui trouver une occupation. Francis n'était pas spécialement taillé pour s'occuper d'un rebelle du genre. Les enfants encore, ça passe, mais là on parle d'un jeune adulte... Qui possède des droits s'il est bien majeur, et qui peut s'en aller à tout moment sans qu'il n'ait le pouvoir de le retenir. Sinon il allait devoir le séquestrer, et ça, Francis refusait de s'y abaisser. Il ne vaudrait ainsi pas mieux que les hommes qui ont dû abuser de lui.

Comment le garder sans le faire fuir, mais en lui forçant un peu la main, tout en veillant à ne pas le dégoûter de ses tentatives de rabibochement avec la vie ?

Il venait de se lancer un défi assez complexe.

Nettoyant la peinture qui avait coulé de son chevalet et les pinceaux utilisés dans l'évier de la cuisine, il tendit l'oreille pour guetter les bruits que faisait son « invité » dans la salle de bain. Son eau à lui avait cessé de couler. Peu après, il entendit les pieds nus du gamin marcher sur le parquet. Il avait laissé ses vêtements vulgaires sur le réservoir des toilettes pour les troquer avec une chemise trop grande empruntée à son hôte, ainsi qu'un caleçon qui tenait tout juste. Sur lui, ça ressemblait plutôt à un short très court, mais il allait devoir s'en contenter. Une moue arborait son visage.

Mais la sensation d'être propre, d'avoir chaud et de porter des tissus doux ne lui était pas désagréable. À peine Francis le remarqua que celui-ci se dirigea vers le fond de la pièce. Il fit glisser une porte coulissante, dévoilant un petit espace semblable à celui d'un placard, cependant un peu plus grand que ce qu'on pourrait imaginer. Et à la place de vêtements se trouvait un lit. Simple, modeste, et qui ne pouvait sûrement pas accueillir deux personnes, même si elles se serraient l'une contre l'autre. Le garçon dût contourner Francis pour regarder à l'intérieur.

- Tu dors là... ?

- Plus maintenant. Entre.

- Euh, moi ? Mais c'est super exiguë.

- Et alors, je suis plus grand que toi. Ne fais pas de chichi et allonge-toi.

Il était dur dans ses mots, mais sa façon de parler n'était en rien contrariante. À l'évidence, cet homme voulait juste le chouchouter un minimum pour qu'il puisse passer une bonne nuit. Et ça, il n'était pas trop stupide pour le comprendre. Au contraire, il devait lui être reconnaissant.

Et ça franchement, Francis espérait de tout cœur qu'il le remarque.

Qu'il ne vienne pas lui faire une tête de boudin sous prétexte que quelque chose manquait. Ici, même s'il n'avait pas l'assortiment d'un palace, c'était plus que ce qu'un prostitué pouvait réclamer.

Et sans payer, nature ou espèce.

Le garçon s'allongea, redécouvrant la sensation de se plonger dans des draps propres et doux.

- Dors, maintenant.

En guise de « bonne nuit » ou de n'importe quelle autre réponse, le jeune rebelle tourna la tête et leva les yeux vers lui. Peut-être qu'il allait y lire un merci inaudible ? Dans tout les cas, Francis referma lentement la porte coulissante, empêchant toute lumière de déranger le sommeil réparateur de son protégé. Le premier depuis il ne sait combien de temps.

Il ne lui avait même pas demander son nom.

Tout ce qui préoccupait l'artiste pour l'instant, c'était l'état de ce jeune qui allait passé de « bouffeur de trottoir » à « garçon en difficulté ». Là allait être la plus dure étape. Réfléchissant à d'autres détails du genre, il retourna à son chevalet, laissé à l'abandon depuis tout à l'heure. L'ambiance avait changé.

Francis reprit son travail dans un silence volontaire, veillant à ne pas ennuyer le repos de cet inconnu qu'il avait ramassé dehors par bonté. Entre minuit et une heure du matin, ses paupières lui ordonnèrent d'interrompre encore son activité. Et c'est en comparant quelques croquis issus d'un carnet ignoré par le rangement qu'il s'écroula de fatigue sur le canapé.

La lumière de la cuisine, qui allait resté allumée toute la nuit, effleurait son visage. Le tableau parfait d'une nouvelle vie à deux étrangement imposée par le destin.


J'avoue avoir un peu bâclé la fin... Mais moins que d'habitude ! C'est bien non ? :D

En tout cas j'espère pouvoir réparer certaines de mes erreurs de fanfictionneuse avec et atteindre un peu mes objectifs. Histoire d'avoir de bons rendus quoi... -ahem- Sur ce, merci à vous si vous décidez de suivre, reviewer, de me baiser les pieds, montrez-moi que vous êtes des lecteurs aimants et sociales ~

Je vous salue de la main !