Never Forgive Me

Pourquoi tu n'es jamais revenu ?

En toute franchise, Gabriel devait répondre que la raison n'était pas tout à fait claire dans sa tête.

Une partie de la raison, la plus évidente, celle qui lui montait spontanément aux lèvres, c'était qu'il avait eu peur. De ce que ferait Michel. Parce que si le Prince des Archanges était capable d'envoyer au fin fond de l'Enfer la personne qu'il aimait plus que tout – pas la peine de nier, le Messager avait l'œil pour ces choses-là – alors il était capable de s'en prendre aussi à ses cadets.

Gabriel avait réellement eu peur que son grand frère lui fasse du mal. Il savait qu'il ressemblait beaucoup trop à Lucifer – pas seulement le visage, c'était aussi dans l'attitude, l'insolence dont il faisait preuve, l'indolence affectée, le goût pour la justice rendue de manière brutale et marquante, le goût du jeu avec les victimes, aussi.

Vraiment, qu'est-ce qui aurait empêché Michel de prendre des mesures pour empêcher une seconde Chute de l'Etoile du Matin ?

Une autre partie de la raison, c'était la Terre elle-même. Les humains. Et les différences criantes d'avec les anges.

De par leur statut d'immortels, les anges évoluaient très lentement. Ils ne pensaient pas souvent à changer, ou à s'adapter – pourquoi l'auraient-ils fait, puisqu'ils étaient en mesure de plier l'Univers à leur bon plaisir ? Et les humains étaient tout le contraire.

Oui, vraiment tout le contraire. Ils s'agitaient dans tous les sens, criaient, riaient, pleuraient, baisaient et mouraient sans prendre de pause. C'était étourdissant, c'était addictif. C'était un tour de montagne russe, c'était une défonce à l'acide et Gabriel ne pouvait plus arrêter. Il était devenu un junkie de l'humanité. Ils étaient juste tellement… tellement humains.

Et puis, il y avait la dernière partie de la raison. Celle qu'il ne s'était avoué que tout bas : la façon dont sa famille accueillerait son retour.

Il savait qu'il se prendrait une engueulade monstre – ça, il avait l'habitude, vu toutes les conneries qu'il avait faites au temps de son insouciance. Il suffisait de coucher les ailes, de serrer les dents et de promettre en croisant les doigts qu'on ne recommencerait plus, oui, oui, je suis vraiment désolé.

C'était ce qui allait venir après qui l'effrayait. C'était ce qui se passerait après l'engueulade dont il ne voulait pas et qu'il fuyait.

Les anges avaient la rancune tenace – il n'y avait qu'à voir comment ils considéraient ceux de leurs frères et sœurs ayant subi la déchéance. Mais c'était pour ceux qui avaient commis des crimes impardonnables à leurs yeux. Gabriel s'était seulement enfui. D'accord, il s'était fait passer pour une idole. Mais il n'avait pas cherché à rejoindre Lucifer, et il restait un Archange. Certains membres de sa famille lui auraient peut-être tourné le dos, mais il savait que la grande majorité accueillerait son retour à bras ouverts – il avait été très populaire avant son départ.

Il ne pouvait pas accepter ça.

Il ne pouvait pas retourner à la maison et laisser ses frères et sœurs lui pardonner. Il avait trop honte – honte d'être parti, honte d'avoir laisser tomber sa famille, honte de leur préférer les humains.

Il ne pouvait pas les laisser voir ce qu'il était devenu.

Il valait encore mieux qu'il meure loin de tous les regards. Avant qu'ils ne se rendent compte qu'il était encore vivant. Avant qu'ils ne lui pardonnent.

Il les avait abandonnés. Il ne pouvait pas être pardonné.