Oubliettes
Il avait l'impression tenace d'avoir oublié quelque chose. Quelque chose de très important qu'il n'aurait pas du oublier.
Sa fille se précipita alors vers lui.
- Hermione !
Le père eut un grand sourire en rattrapant dans ses bras sa fille unique. Il laissa de côté ce qui le taraudait un moment, tout entier à sa fille, son bijou, sa chérie.
- Papa ! Maman dit qu'il fait beau alors on pourrait aller au parc ! Je veux faire du toboggan, papa !
La petite Hermione zozotait un peu. Son père la trouvait adorable avec ses petites mains, son corps de petite fille de cinq ans, ses cheveux bouclés, ébouriffés même, autour de son visage, ses minuscules tâches de rousseur, ses grands yeux bruns, vivants, intelligents, son sourire et le trou que lui faisait sa dernière dent de lait envolée.
- On ne dit pas « je veux » mon ange, on dit « je voudrais » ou « j'aimerais », quand on est une petite fille polie.
- Mais papa, je ne suis pas un ange, j'ai pas d'ailes ! Pourquoi je suis pas magique, moi ?
L'homme cligna des yeux, ébahi. Sa fille était toujours aussi réfractaire à ses leçons de politesse. Ce n'était cependant pas son attitude qui le choquait.
« Pourquoi je suis pas magique, moi ? »
La phrase tournait et retournait dans sa tête, embrouillant ses idées. Sa fille n'était pas magique, évidemment, les sorciers et les sorcières n'existaient pas, n'est-ce pas ?
- Alors, papa ?
- Hein ? Heu, oui, quoi, mon ange ? demanda le père, brusquement tiré de ses pensées.
- Pourquoi je suis pas magique, papa ?
L'homme sourit gentiment. A ses yeux, sa fille n'avait pas besoin de magie pour être adorable. Il l'aimait de toute son âme. Son sourire illumina son visage, rappellant à la mère de l'enfant, qui les observait depuis la cuisine, pourquoi elle était tombée amoureuse de son mari. Il ne possédait aucun pouvoir magique, ce n'était qu'un homme simple, des plus banals, mais c'était le sien. Elle l'avait voulu, l'avait choisi, l'avait aimé, l'avait épousé, et, pour la deuxième fois, elle avait porté son enfant, sa si précieuse Hermione. Sa fille unique.
Depuis la cuisine, l'expression d'amour paisible qui flottait sur le visage de la femme se troubla. Qu'avait-elle pensé, à l'instant ?
- Mais tu es magique, mon coeur, répondit le père à la petite Hermione dans le salon. Tu as ta propre magie, mon chou.
L'enfant médita un instant sur ces paroles. Une question germa dans son esprit, qu'elle posa immédiatement.
- Alors je peux faire apparaitre une grande soeur pour jouer avec moi ?
L'homme sourit gentiment. Hermione était fille unique et le vivait mal. Elle rêvait d'une grande fratrie. Malheureusement ses parents étaient désormais trop vieux pour avoir d'autres enfants. La petite Hermione le savait parfaitement mais cette vérité n'en était pas moins douloureuse.
- Ma chérie, tu as déjà une soeur.
Les mots franchirent ses lèvres sans qu'il les ai pensé. Il voulut les rattraper, trop tard. Qu'avait-il dit ?
Sa fille éclata en sanglots. De vrais pleurs d'enfants blessé, pas les larmes acides d'un caprice.
- J'ai pas de soeur ! cria-t-elle au milieu de ses larmes.
Son père la prit immédiatement dans ses bras. Qu'avait-il dit, par tous les diables ? Sa femme s'avança, une main sur son ventre, inquiète.
- Est-ce que ça t'arrives aussi ? demanda-t-elle, légèrement paniquée.
- J'ai la sensation d'avoir oublié quelque chose en permanence ! s'exclama son mari, anxieux et frustré. Je dis n'importe quoi et je blesse notre fille !
- Oubliettes !
Leurs visages crispés se détendirent aussitôt. La petite Hermione cessa de pleurer.
- Dis, papa, on y va, au parc ?
Depuis la fenêtre, invisible pour ceux à l'intérieur de la pièce, Hermione Granger Weasley eut un sourire triste.
