Chapitre 1: L'armoire du désordre

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Le camion freina brutalement.
Des cris se firent entendre ainsi que des coup de feu.
Puis vînt le silence pendant de longues secondes.

Mes yeux se fermèrent instinctivement quand la porte du container dans lequel j'étais enfermée et enchaînée s'ouvrit sur une flashlight. Les chaînes courant sur mes poignets cliquetèrent et raclèrent sur le métal et j'entendis sans mal un juron en anglais teinté d'espagnol malgré l'état d'affaiblissement dans lequel je me trouvais.

- Oh mon dieu chica, mais qu'est-ce qu'on t'a fait?

Je levais alors les yeux sur le policier se rapprochant de moi avec sa lampe torche toujours dirigée sur mon visage. Il se stoppa dans ses pas, ayant certainement vu le loup dans mon regard alors que tout ce que moi je voyais c'était des points noirs.

- Je vais appeler quelqu'un de compétant, chica. Tu comprends ce que je dis?

Je haussais la tête de haut en bas avant de me coucher sur le sol. J'étais tellement faible que je n'avais même plus la force de rester debout. La louve en moi était elle aussi épuisée et nous sombrâmes toutes deux dans un sommeil sans rêve.

Je me réveillais dans une chambre au plafond gris. Tournant la tête sur le côté je découvris des barreaux et sentis l'argent qu'ils contenaient ainsi qu'un escalier.
Une cave pour les loups-garou.
Mon précédant alpha en avait une dans le même genre, en bien moins aménagée et spacieuse. Une télé et un divan étaient présent aussi. Je me redressais sur le lit de camp dans lequel je me trouvais et m'assis sur le rebord, mes pieds touchant le sol froid, envoyant un arc électrique malvenu dans ma colonne me faisant frissoner. Je respirais profondément plusieurs secondes, ce simple effort m'ayant presque sappé les forces que j'avais récupérée. Un sandwich emballé dans du cellophane attendait sur une assiette avec une note me disant que je pouvais le manger. Ce que je fis.
Avant de me rendormir.
Ce manège dura un moment avant que je n'aperçoive enfin la propriétaire des lieux.

Elle était assise en tailleur derrière les barreaux quand je me réveillais pour la cinquième fois.

- Bonjour, dit-elle.

Je penchais la tête pour l'observer du coin de l'oeil tout en inspirant profondément. Il s'agissait d'une amérindienne qui ne sentait pas le loup. Mais elle était la chef. Je sentis un autre loup, caché certainement dans les escaliers, là où je ne pouvais le voir.

- Bonjour. (Mon accent français ainsi que ma voix graveleuse -on avait l'impression que j'avais une laryngite en permanence- sembla la surprendre avant qu'elle ne se reprenne) Tu es quoi? Pas un loup.

- Exact. Je suis une changeuse coyote.

Les rouages de mon cerveau se mirent en route. Il n'y avait qu'une seule femme indienne qui se transformait en coyote dans mes souvenirs. Je l'avais vu passer à la télé.

- Mercedes Thompson. Celle qui a échappé aux vampires italiens. Ou du moins ne les pas réduit en cendre comme elle le fait assez souvent avec ses ennemis.

J'entendis un ronflement de la part du loup caché qui ressemblait énormément à un rire.

- Son nom de famille est Hauptman à présent, répondit Mercedes en parlant d'elle à la troisième personne tout en levant les yeux au ciel.

- Ah, c'est vrai.

Je retins à grand peine une excuse. Elle n'aurait pas été vraie après tout. Et les loups détestaient les mensonges. C'était une des premières choses que j'avais apprises en devenant un loup-garou. Et pas de la plus douce des manières.

- Et tu peux m'appeler Mercy. Peux-tu nous dire ce qui t'es arrivé? Mon mari viendra te voir dès qu'il sera de retour de son voyage d'affaire.

- Cela risque d'être rapide : mon alpha, ou devrais-je dire mon ex-alpha, m'a vendu à je ne sais trop qui. Je ne sais pas où j'étais censée me retrouver ni avec qui. Ou quoi. Et franchement je m'en tampone le coquillage.

J'attendis quelques secondes le temps que ma révélation fasse son chemin, la cave étant devenue bien silencieuse. J'entendis des pas dans les escaliers et un homme grand mais fin comme un coureur, portant un jean et une chemise de cowboy fit son apparition.
Instinctivement je courbais la nuque. Il sentait le pouvoir, il était donc haut gradé dans la meute.
Et le pouvoir s'accompagnait d'une grande brutalité. Deuxième leçon apprise de ma vie de créature surnaturelle.
Il s'assit a côté de la coyote sans me regarder, faisant une blague sur le fait de commencer un pow-wow. S'en suivit un échange de nom d'oiseaux à propos de comboy et de peaux-rouges.
Au départ je ne compris pas ce qu'ils essayaient de faire.
Puis tout sembla ce mettre en place.
Ils essayaient de détendre l'atmosphère. De me faire me sentir en sécurité.
Je baissais les yeux au sol en esquissant un vague sourire. J'entremêlais les doigts sur mes genoux. J'avais plus l'habitude que les autres loups m'ignorent où alors me bousculent dans le meilleur des cas. La compassion n'était pas quelque chose à laquelle j'avais eu affaire ces dernières années, surtout en étant une femelle dans un monde composé quasiment exclusivement de mâles macho à souhait qui vivaient encore au moyen-âge en ce qui concernait la place d'une femme dans la société. Troisième leçon. Apprise et retenue de manière plutôt horrible.
Peut être que cela allait changer en étant ici, le loup ne semblant pas traiter la femme coyote avec irrespect.
J'étais une éternelle optimiste au fond de moi.
Je levais de nouveau les yeux sur les deux personnes présentes dans la cave.
L'homme se présenta alors, voyant que j'avais fini de remettre de l'ordre dans mes pensées.

- Moi c'est Warren. Je suis le second de la meute.

J'acquiesçais. Pas étonnant que son aura lui ait semblé aussi écrasante.

- Je dois me présenter moi aussi je suppose. Je m'appelle Maedbh Vasserdieu. Mais vous pouvez m'appeler Mab je suppose.

Mon estomac décida alors lui aussi de ce présenter dans un bruit d'enfer. Je plissais les lèvres, serrais les poings, le dos bien droit et fermais les yeux, profondément gênée et indignée. La coyote se leva prétextant aller me chercher à manger et mon trouillomètre se mit à grimper en flèche. Le seul fait que je restais pétrifiée sur le lit et que je ne me roulais pas au sol exposant ma gorge (et tout le reste) était la présence des barreaux entre moi et l'autre loup.

- Je ne vais pas te faire de mal petite, tenta l'homme d'une voix douce.

J'inspirais profondément.

- Je suis seule juge. Et de ce que j'ai pu voir, observer et expérimenter antérieurement mon cerveau ne vous différencie pas des précédentes rencontres que j'ai pu faire. Et toutes étaient mauvaises.

Il se gratta derrière le crâne, l'air maladroit.
Une voix grave ce fit alors entendre, tout en descendant les escaliers.

- J'espère bien prouver le contraire.

Je reconnu cette fois-ci sans peine l'alpha de la meute des tri-cities : Adam Hauptman. Il était encore plus beau que sur les rares photos que j'avais pu voir. Et il émanait de lui la même violence propre aux alpha. Je baissais rapidement les yeux, ma louve mal à l'aise.
Je sentis son regard sur moi, scannant chaque fibre de mon être. Et n'appréciant pas ce qu'il voyait. Son odeur se chargea de colère et je sentis les poils de ma nuque se hérisser et la sueur perler le long de mes tempes. J'étendis la porte de ma cage s'ouvrir. Ma louve s'agita quand je vis dans mon champs de vision le bout de ses chaussures.
Chaussures- soit dit en passant- qui devait valoir extrêmement chère.
Je sentis son pouvoir déferler sur moi.

- Regarde moi. (Je ne pus lutter dans l'état dans lequel je me trouvais) Personne dans la meute ne te fera du mal. Pas tant que je serais là. C'est compris?

J'acquiesçais et le pouvoir reflua, me laissant le souffle court. Mes mains serraient mes genoux avec force et je sus que j'aurais des bleus d'ici peu. Bleus qui disparaîtraient aussitôt grâce à la régénération accélérée des loups-garous.

- Tu resteras sous mon toit le temps de te refaire une santé. Ensuite nous parlerons de ce que tu désires faire. Pour le moment reprend des forces. Demain nous verrons si tu te sens assez en forme pour aller t'acheter des vêtements. Tu iras avec Honey. Elle est l'une de nos louves dominantes. Tu seras certainement plus à l'aise avec elle qu'avec un homme.

J'acquiesçais encore une fois avant d'être remontée dans la cuisine afin de manger les cookies préparés par Mercedes, mon cerveau tentant d'analyser le "louve dominante" sortit de la bouche d'Adam un peu plus tôt tout en synchronisant mes mains et ma bouche.
Je devais ressembler un hamster quand une tête couverte de cheveux orange fit apparition dans mon champ de vision.

- Tu dois être la nouvelle! Je m'appelle Jesse. Je suis la fille du grand méchant loup du coin.

Humaine, m'apprit mon nez alors qu'elle me tendait sa main. Je regardais ses doigts quelques secondes avant d'approcher ma main de la sienne.

- Tu es squelettique! s'exclama-t-elle la voix pleine d'inquiétude en me prenant la main afin de l'examiner. Je pensais que tu étais maigrichonne sous ce pull et ce survet' mais tu es un vrai squelette! Qu'est ce qui t'es arrivé?

Je lui adressais un sourire contrit.

- C'est une histoire trop triste pour les gens de ton âge. Peut-être un autre jour.

- Oh, ok.

Elle passa alors à autre chose grâce à un commentaire de Mercy et les deux firent la conversation alors que je mangeais comme un gouffre sans fond. Mes oreilles m'apprirent que la maison se remplissait de loups. J'allais certainement être intégrée à la meute ce soir sans attendre. Je me tassais un peu plus dans ma chaise tandis que des têtes passaient l'encadrement de la porte les unes après les autres pour me voir.
Finalement Mercy les menaça de leur mettre un coup de torchon mouillé afin qu'ils me laissent tranquille. Elle leur donna un plateau de cookie dans la foulée. J'entendis certains faire un commentaire à propos de la "frenchie", donc moi, mais je prêtais plus d'attention à la nourriture à ce moment là qu'à des commérages.
Au bout d'un moment je me frottais les yeux avant de bailler à m'en décrocher la mâchoire.
Ce fut apparemment le signal de départ pour le début de la cérémonie visant à m'intégrer à la meute.
Après voir mangé un morceau de la chair de l'alpha (beurk pour moi et miam pour la louve) je sentis courir en moi les liens de meute, ces derniers se tendant d'un coup quand la meute m'accepta à son tour. Je poussais un petit cri plaintif comme si on m'avait piqué avec une aiguille sans que je ne m'y attendes. Je n'aurais jamais glapit si j'avais été en meilleure forme.
Le son sembla inquiéter les autres loups.

- Ça va, dis-je, ne voulant pas qu'ils s'approchent d'avantage.

Ils durent sentir cette envie de ma part à travers les liens de meute car aucun ne fit un pas vers moi. Seul Adam me tendit un verre d'eau que je pris de mes mains tremblantes pour le ramener sur mes cuisses. L'activité reprit me donnant le tournis et je me repliais sur ma chaise dans la cuisine. Mes lourdes paupières me jouèrent ensuite un sale tour en se fermant toutes seules alors que je voulais juste me reposer quelques secondes à l'écart de tous.
Je ne me réveillais que le lendemain matin, le soleil en pleine figure, dans l'une des chambres du rez-de-chaussée.