Nouvelle version de cette histoire que j'avais déjà commencé à publier sur ce site. Cependant, les premiers chapitres ne me plaisaient plus et j'ai donc souhaité la réécrire.

En espérant qu'elle vous plaise, je vous souhaite une bonne lecture.


TIME OF FOUNDERS

Tome 1 : Par Quatre Chemins

Chapitre 1

Rowena


— Ah, Rowena, vous voilà enfin ! s'enthousiasma une voix un brin réprobatrice dans la cacophonie sonore qui régnait au rez-de-chaussée du château des Serdaigle.

En quelques enjambées, Guilhem Serdaigle fendit la foule qui le séparait de sa fille et vint se placer à ses côtés dans l'encablure de la porte de leur salon de réception.

— Veuillez m'excuser, Père, répondit poliment la jeune femme. Cysla paraissait indécise quant à la façon de me coiffer, expliqua-t-elle, lissant dans le même temps les pans soyeux de sa robe pourpre.

Les yeux d'un bleu ardent de Lord Serdaigle lorgnèrent du côté de sa longue chevelure ébène, tressée avec soin par l'adolescente qu'il avait engagée à cet effet quelques mois plus tôt. Il ne me croit pas, songea Rowena en retenant un sourire amusé. Comment lui en vouloir ? Il ne sait que trop bien de quoi je serais capable pour me soustraire à ses fameuses réceptions mondaines !

Elle avait toujours haït les grandes fêtes que son père donnait deux fois l'an dans leur demeure familiale. Lorsque son âge le lui permettait encore, elle refusait purement et simplement de s'y rendre mais, le temps des caprices étant révolu, c'était aujourd'hui au moyen de ruses variées qu'elle tentait d'éviter d'y assister. Quand elle n'était pas indisposée, c'était sa robe ou sa coiffure qui s'avéraient inadéquates ; et toutes ces coïncidences avaient fini par mettre la puce à l'oreille de Guilhem.

— Elle a eu raison, finit par conclure celui-ci. Vous êtes ravissante.

— Je vous retourne le compliment, dit Rowena en jetant un bref regard à la robe myosotis finement brodée de fils d'argent que portait son père.

Flatté, Guilhem rosit de plaisir avant de s'éloigner en lui souhaitant de passer une agréable soirée. Rowena le considéra du coin de l'œil alors qu'il s'arrêtait pour saluer un de ses vieux amis, vêtu de la même manière que lui. La jeune femme avait beau trouver ridicule cette nouvelle manie que son père et quelques autres avaient de troquer leurs vêtements traditionnels contre ces robes amples – certes magnifiques mais peu pratiques –, elle se gardait bien de faire tout commentaire. Elle savait parfaitement que ce n'était qu'un effet de mode ; le résultat de l'animosité qui, depuis plusieurs décennies, grandissait entre moldus et sorciers, poussant ces derniers à se reclure entre eux et à affirmer leur différence à grand renfort d'accoutrements et de pratiques risibles.

— J'ignorais que ton père et toi partagiez vos vêtements... ironisa justement quelqu'un à son oreille.
— Nick ! se scandalisa Rowena en se retournant d'un bond vers le nouveau venu.

Le visage rieur, Nicholas Ollivander se tenait à quelques pas d'elle, resplendissant dans des habits tout à fait normaux.

— Nul besoin de faire semblant avec moi, Rowena : je sais bien que tu trouves aussi amusant que moi cette nouvelle lubie qu'ont nos pères...
— Ce n'est pas une raison pour qu'un autre que toi s'en rende compte, insista la jeune Serdaigle.

Rowena connaissait Nick depuis aussi longtemps qu'elle s'en souvenait. Guilhem Serdaigle ayant toujours aimé être entouré de personnalités aussi influentes que lui, c'était tout naturellement qu'il s'était rapproché de Lysander Ollivander, le père de Nicholas, qui, par sa qualité d'unique fabricant de baguette d'Europe de l'Ouest, disposait d'un avis écouté et approuvé par l'ensemble des sorciers. Aussi avait-il offert aux Ollivander un manoir situé dans les environs de l'imposant château des Serdaigle, officiellement pour leur permettre de se reposer de l'effervescence citadine, mais surtout pour renforcer ses liens avec l'une des familles sorcières les plus importantes du pays. Et, si les relations des deux patriarches restaient purement superficielles, la plus sincère des amitiés liait Nick et Rowena depuis leur plus tendre enfance.

— Combien de temps resterez-vous dans la région ? interrogea Rowena tandis qu'ils s'aventuraient parmi les groupes d'invités.
— Peu de temps, je le crains... L'été touche déjà à sa fin et Mère ne supporte plus de passer l'hiver à la campagne.

Tout en répondant, il s'empara de deux coupes sur le plateau d'un serveur qui passait par là et en tendit une à son amie.

— Oh, fit celle-ci, déçue. C'est dommage, vous venez à peine de vous y installer !

— Nous étions censés arriver bien plus tôt, lui confia Nick, mais nous avons fait une escale de quelques jours chez Greenbriar.
— Tiens donc ! s'exclama Rowena en prenant une gorgée du lait aromatisé à la liqueur de pomme que contenait son verre. Cela m'étonne qu'il vous ait accueillis à si peu de jours de son fameux tournoi d'automne... Le manoir devait être en pleins préparatifs !
— Visiblement, la nouvelle baguette que mon père a mise au point pour lui valait bien ce sacrifice... Ou, du moins, les commentaires admiratifs qu'il recevra sans doute à son sujet lors de son tournoi !

Les deux jeunes gens rirent doucement. Robert Greenbriar était depuis longtemps la risée de l'aristocratie sorcière. Contrairement aux Ollivander qui avaient gagné leur place dans la haute société avec leur savoir-faire mythique, lui n'avait réussi à s'y introduire que par un mariage douteux avec une jeune noble souffreteuse qui l'avait laissé pour veuf quelques semaines à peine après leurs noces. Son goût du luxe et de l'or avaient suffi à parfaire sa réputation de bourgeois arriviste. Pour autant, le tournoi de duels à la baguette qu'il organisait chaque année lors de l'équinoxe d'automne n'en était pas moins l'un des événements majeurs de la saison pour les sorciers.

— Il m'a d'ailleurs encore demandé d'y participer, reprit Nick en sirotant sa coupe d'un air pensif.
— Et tu as une nouvelle fois refusé ? devina sans peine Rowena.
— Je tiens à mon honneur ! s'écria le jeune homme. Je m'y suis déjà fait battre deux fois par ce bellâtre de Gryffondor, je n'ai nulle envie de réitérer l'expérience ! Cela fait six années qu'il concoure et six années qu'il gagne, un tel risque de défaite ne m'attire point !

Rowena se mordit la lèvre pour ne pas laisser échapper un ricanement. La rancœur que Nick entretenait à l'égard de Godric Gryffondor n'était un secret pour personne, pas plus que les talents de duelliste de celui-ci qui, pourtant issu d'une noblesse inférieure à la sienne, s'était fait un nom chez les Serdaigle et leurs semblables grâce à ses nombreuses victoires dans divers tournois. Cela ne l'empêchait pas de refuser chacune des invitations de Guilhem – qui souhaitait rencontrer ce sorcier déjà légendaire –, ni de, à ce qu'on disait, préférer les duels d'escrime à ceux de magie.

— Peut-être t'es-tu amélioré depuis votre dernier affrontement ? suggéra la jeune femme en posant une main compatissante sur l'épaule de son ami.
— Auquel cas il n'aura pas manqué de faire de même, assura Nick. Mon seul espoir de victoire résiderait dans l'examen des matériaux de sa baguette afin d'en trouver la faiblesse... Mais bien évidemment, les examens de ce genre sont interdits lors de la compétition.

Cette fois, Rowena ne put retenir un éclat de rire moqueur.

— Cesse donc d'y penser ! Parle-moi plutôt des dernières recherches de ton père. Est-il vrai qu'il songe à cesser les alliages dans le cœur de ses baguettes pour miser entièrement sur les compétences d'un seul et même matériau ?
— C'est ce que ces dernières recherches laissent penser, en effet. Il a déjà réalisé une baguette composée uniquement de bois de houx et de ventricule de dragon, et les résultats sont plus que satisfaisants ! Cela permettrait de les rendre plus accessibles aux sorciers qui ne peuvent pas s'en offrir une pour l'instant.
— J'admire tant ceux qui ne se servent que de la magie sans baguette ! s'extasia Rowena. Je sais bien qu'ils n'ont pas d'autre solution mais, tout de même, quel effort cela doit être !
— Quel danger, surtout ! rétorqua sombrement Nick. Par les temps qui courent, risquer ainsi un débordement de ses pouvoirs... !

Il ne finit pas sa phrase, mais Rowena comprit sans mal ce qu'il sous-entendait. Les bûchers à l'intention de sorcières – qu'elles soient véritablement douées de magie ou non – fleurissaient dans tout le pays dès qu'un phénomène étrange se produisait. La moindre étrangeté devenait un motif de mise à mort et, bien que les murs de son château la protègent soigneusement, l'héritière des Serdaigle ne pouvait s'empêcher d'en être effrayée. Elle en venait même à se demander si l'époque où sorciers et moldus vivaient en tolérance les uns des autres que sa mère lui dépeignais dans de longs récits lorsqu'elle était enfant avait jamais existée...

— L'ignorance des moldus est si affligeante... souffla-t-elle, la mine assombrie.
— Pas plus que l'exclusion volontaire des sorciers, affirma Nick en haussant les épaules.

Un silence lourd d'incertitudes les enveloppa. L'avenir du monde sorcier était hasardeux en ces temps de troubles, ils en étaient tous deux conscients malgré l'environnement privilégié dans lequel ils évoluaient.

— Et si nous parlions d'un sujet plus joyeux ? proposa Nick après quelques minutes. Sais-tu que, durant notre séjour à Greenbriar, se trouvait en même temps que nous un drôle de bonhomme ? glissa-t-il.

Cela suffit à piquer la curiosité sans bornes de Rowena.

— Comment ça ?
— Il m'a entretenu un après-midi durant du potentiel des rapaces nocturnes comme transmetteurs de courrier...
— Ça alors ! s'écria-t-elle moqueusement. Quelle drôle d'idée... Les corbeaux et les pigeons conviennent pourtant parfaitement à la tâche !
— Admets toutefois que certaines lettres sont inexplicablement égarées dans la nature...
— Toute méthode possède ses failles, déclara-t-elle sagement.
— Certes, admit Nick. Mais ce bougre là m'expliquait qu'il avait déjà effectué plusieurs essais et que jamais l'un des oiseaux n'avait perdu la missive ! Si je me souviens bien, il projette même d'installer un élevage d'hiboux et de chouettes dans un petit village écossais...
— Sottise ! Que va-t-il donc dire aux moldus pour leur expliquer cette étrange concentration de rapaces ?
— Il m'a assuré que le village dont il parlait n'était habité que par des sorciers. Il s'agissait auparavant d'un abattoir moldu spécialisée dans la viande de porc, mais les propriétaires l'ont mystérieusement abandonné voilà une décennie et une sorcière s'y est installé, attirant par la même occasion plusieurs de nos semblables.

Rowena doutait qu'un tel village puisse exister mais n'osa pas remettre en cause la parole de cet homme qu'elle ne connaissait même pas. Elle préféra laisser son regard se perdre sur les faces enjouées qui faisaient vibrer la salle de réception de la demeure sous leurs rires et leurs conversations bruyantes.

Tiens donc ! s'exclama-t-elle intérieurement en reconnaissant Lord Ackerley et son fils, Jonas, en intense conversation avec son père. Guilhem ne portait pas les Ackerley dans son cœur, mais la politesse l'obligeait à les inviter lors de ses somptueuses réceptions. De les inviter, oui, mais pas de leur faire la conversation !s'étonna Rowena. Que peuvent-ils bien mijoter, tous les trois ?

Elle n'eut pas le temps d'y réfléchir plus longtemps. Déjà, l'heure du banquet était arrivée et le flot des convives se déversait dans la salle à manger du château. Elle ne put qu'attraper sa coupe avant que Nick ne lui fasse suivre le mouvement de la foule en ouvrant les paris sur le nombre de plats que compterait le menu cette année.