Coucou ! Oui, je suis déjà de retour avec une nouvelle histoire ! Cette histoire est parti d'une idée toute bête mais aussi bête fut-elle au premier abord, elle s'est avérée bien plus difficile à exécuter que je ne l'aurais cru. Je me retrouve donc à écrire à la troisième personne, c'est une expérience nouvelle et étrangement, elle change radicalement ma façon de procéder. Bref, tout est nouveau et grisant ! Bonne lecture !
Forgive them,
even if they are not sorry...
/
Pardonne-leur,
même s'ils ne sont pas désolés...
Les choix n'ont plus la signification qu'ils avaient autrefois. Jadis, ils étaient la représentation même de la liberté et plus on en amassait, plus nous étions apte à agir selon notre bon vouloir. Avec toute la liberté collectionnée au fil des ans. À présent les choix ont une connotation funèbre, leur race a évolué et aujourd'hui nous en comptons plusieurs espèces. Il y a ces choix qui ne nous paraissent pas vraiment être ce qu'ils prétendent, ceux que nous faisons sans liberté, car ''nous n'avons pas réellement le choix'', ces options qui nous enferment, des choix par défaut, des libertés corrompues qui n'apportent que solitude et désarroi. Puis il y a cette nouvelle espèce de liberté engendrée on ne sait trop comment, le choix de ne pas choisir, de refuser la liberté pour en gagner une autre. Un néant que l'on ne peut nommer sans emprunter un jargon médical étriqué tant il semble vaste. Une maladie en soit, une liberté différente, unique en son genre.
Il l'a bien vite découverte, cette liberté. Sans le vouloir, sans vouloir quoi que ce soit. Car en vérité, il n'a pas toujours été comme cela. Qu'était la définition de ''cela'' ? Vide, idiot, végétatif, un légume qui a fini de pousser, un enfant engendré par mère nature et expulsé d'un autre vagin, jeté en pâture aux mains avides des hommes qui l'éduquèrent comme on peut l'attendre d'eux, le gavant d'un régime bien précis prioritairement composé de mensonge, d'hypocrisie et de connaissance ridicule. L'enfant grandit, choyé, préservé de tout et de rien à la fois. Puis vint ce jour d'une importance capitale dans l'existence de chaque enfant, ils le convoquèrent dans une pièce décorée avec goût et réserve, le salon. La propriétaire du vagin usurpateur et la figure paternelle étaient tous deux silencieusement assis, la douce lumière de l'après-midi conférant une atmosphère chaude, chargée de rayons orangés et gonflée de pollen à cet instant qui se fanera sous peu en souvenir.
La femme d'une beauté simple portait une longue robe d'été d'une noirceur délicate de par le tissu léger et raffiné de son vêtement. Ses longues jambes étaient croisées, ses mains osseuses, méticuleusement manucurées, reposaient sur ses genoux, la posture droite et fière qu'elle adoptait en présence de son époux couvrant l'irréprochable douceur qu'elle réservait à ses enfants. Rien n'aurait laissé croire qu'elle périraient deux ans plus tard d'une maladie d'une originalité moindre : le cancer. Son nom de jeune fille n'était autre que Meredith Heath.
Son bien-aimé lui faisait face, homme d'une beauté banale, voire même relativement inexistante, sa moustache frémissant convulsivement car c'était un homme dur, un de ces hommes se figurant qu'il est plus convenant d'éduquer sa progéniture à coup de principes, de valeurs morales et de ceinture quand la situation le nécessite. Oh il n'y avait nulle conscience pour cet homme-là ! Seuls les actes comptaient et ainsi chaque agissement répondait à un autre, eût-il s'agit de battre son enfant (fait très régulier et encouragé en ces temps heureux) que l'on ne parlait que d'un simple mécanisme de cause à effet. Il se nommait Jacoby Watson. Ils firent asseoir leur fils de dix-huit ans sur le canapé, aux côtés de sa mère. Cet enfant qui n'a pas toujours été ce qu'il deviendra bien des étés plus tard. John Watson était un adolescent d'une blondeur juvénile, sa petite taille était compensée par une carrure robuste, des épaules larges, des bras déjà finement musclés, un physique d'homme que sa figure d'enfant ne manquait pas de décrédibiliser. Il attendit silencieusement qu'un de ses géniteurs prenne la parole du fait qu'il était une véritable éponge et que le respect, la politesse et les principes prêchés par son père étaient noyés en lui, baignés et dilués à ses propres fluides corporels. De sa mère, il avait hérité d'une bonté, d'une sensibilité sans borne et fort heureusement, d'une face agréable à contempler. Aussi, les yeux de son médecin de père, l'observèrent non sans fierté avant qu'il ne décrète d'une voix grave et intransigeante :
« Ta mère et moi avons décidé que tu ferais médecine. »
Il n'y avait pour John rien de surprenant à cela, la solennité de l'instant ayant failli le déboussoler alors qu'il était bien conscient qu'il n'avait jamais eu d'autre avenir professionnel que celui emprunté par le chef de famille. D'autant plus que leur entourage s'extasiait à chaque instant devant ses grandes mains aux doigts de pianiste : « Il n'y a rien de mieux pour tenir un scalpel ! » Déclaraient-ils, un sourire d'une hypocrisie corrosive déformant inhumainement leurs chairs. Mais il n'était pas contre, il acceptait cette décision car il lui était inconcevable, voire déroutant, d'envisager autre profession. John Watson était obéissant, à l'écoute, droit et loyal. Un suiveur qui ne traçait pas son chemin mais marchait sur les traces de ses prédécesseurs, allant non pas là où son cœur le guidait mais bien là où les autres voulaient qu'ils se rende aussi accepta-t-il le choix de ses parents d'une voix conciliante, sans peur ni regret :
« D'accord. »
Il n'eut pas le temps d'inspirer, ni même d'envisager de le faire que ses parents l'inscrivaient dans une faculté de médecine d'une renommée suffisante. Il était leur plus grande fierté, leur seule et unique chance. Dans cette optique, l'argent n'est que peu de chose. Car Jacoby Watson n'eut aucun remord lorsqu'il fit un emprunt à la banque de la ville afin d'assurer la scolarité et par là même, l'avenir de son fils aîné. Il n'y avait pas d'autre avenir à ''sécuriser'' à ses yeux et ce bien qu'il ait un autre enfant, Harriet. Une enfant bien difficile selon lui. Si son frère absorbait les principes et les coutumes, elle les rejetait sans scrupule. Il lui arrivait même de penser que les seules particules d'intelligence contenues dans la matrice maternelle avaient été absorbées dans leur entièreté par John et qu'il ne restait plus à cette pauvre petite, qu'une imbécillité qu'aucune éducation ne pourra jamais atténuer.
Il couva donc son seul enfant d'une attention enviable pour certains et peu éthique pour d'autres. Mais jamais, John ne s'y opposa. Ses fréquentations étaient dictées et validées par son paternel, ses notes scrupuleusement suivies, sa vie rondement menée et huilée à la perfection en une machine dantesque dont il ne pouvait et ne souhaitait pas imaginer les innombrables rouages. Watson senior alla jusqu'à choisir le sujet de sa thèse, sans qu'il ne formule aucune objection. Il lui était impossible de se décider pour quoique ce soit et sans l'intervention de son père, nul doute qu'il n'aurait pas obtenu son doctorat. John n'était pas sans ignorer la raison de son handicap à cet instant précis : il n'avait tout bonnement aucune inspiration, pas la plus petite ébauche d'imagination. Ce n'était pas son choix, la médecine ne l'inspirait en aucune façon et il ne ressentait pas la plus infime affection à son égard.
Tous accueillirent sa réussite comme on eût accueilli le retour de Jésus en personne, peut-être lui était même adressé plus d'émoi et de larmes que n'en provoquera jamais le produit de l'immaculée conception. Sa famille organisa un dîner sans prétention qui prit bien vite des airs de garden-party, voire, de rassemblement du plus bas palier de l'échelle sociale où mieux valait pour sa maigre réputation être vu, bière à la main. À vingt-six ans, John était prêt à vivre une vie dont il s'était totalement défait émotionnellement, elle ne lui avait jamais appartenu après tout. Plus d'une fois, il crut être atteint de trouble mental mais il n'en était rien. Son seul problème était une solitude impitoyable, récurrente, parfaitement douloureuse et alors que ses yeux se posaient sur la foule se pavanant et croassant bêtement des compliments insensés, il se vit quitter l'arbre sur lequel il était appuyé, hurler en s'en briser la voix, arracher les pans de son costume, briser le bol de punch, fracasser les chaises pliantes et réduire en miettes les massifs d'hortensias. Il se vit détruire chaque façade, et faux-semblant, il se vit créer l'indignation sur chacune de ces horribles faces. Un sourire étrange apparut sur ses lèvres tandis qu'il n'en faisait rien, se contentant de porter son verre à ses lèvres. Quelle impression produisait la liberté ?
Comment le saurait-il ? Y avait-il un être sur cette terre libre d'agir comme bon lui semble ? Fantaisies ! Foutaises !
« John. » Appela la voix rauque de son père comme celui-ci se glissait à ses côtés attirant le regard de son fils sur lui.
Seigneur, que cet homme vieillissait ! N'envisageait-il pas de suivre sa femme dans un futur proche ? Meredith l'attendait depuis bien trop longtemps et assurément Harriet n'attendait que cela elle aussi, quoique, ce ne fusse pas pour des raisons similaires.
« Oui ? » S'enquit poliment le diplômé.
« Nous avons à parler. »
« Je te suis. »
Emboîtant le pas à son père, ils s'éclipsèrent tous deux de leur propre soirée et ce sans que nul ne s'en aperçoive. L'attention du blond était rivée sur son père alors qu'ils progressaient dans le couloir menant au bureau du plus âgé. Le dos voûté, la démarche peu assurée, le haut du crâne impeccablement dégarni de Jacoby sautant aux yeux du docteur, jaillissant de la pénombre du corridor, blessant les rétines de son fils. John aimait son père mais il lui était difficile de comprendre son attachement féroce à la vie. Lorsque Meredith périt un banal matin de printemps, il eut la certitude que sa mère avait emporté son époux avec elle, l'unique amour de sa vie. À présent, il ne lui manquait plus que l'enveloppe charnelle de celui-ci et John ne la lui aurait pas refusée s'il avait été en mesure d'intervenir dans cette sombre histoire. Cependant, il ne se voyait pas convaincre son père, malade, affaibli mais surtout entêté que mieux valait pour lui de se laisser aller pour de bon et de rejoindre sa femme. Tout à ses pensées, il ne prit conscience d'être arrivé à destination qu'au moment où son père lui indiqua de s'asseoir. Un silence confortable régnait dans la pièce, la musique étouffée de la réception baignant l'atmosphère d'une quiétude chaude, presque étouffante.
« Dis-moi John, que comptes-tu faire à présent ? » Entama sereinement son père, ses doigts caressant sa moustache.
Contenant sa surprise il répondit sincèrement :
« Eh bien, on avait convenu que j'ouvrirais un cabinet. Je comptais donc en ouvrir un. »
« Tu n'as pas d'autres projets ? Pas la moindre envie ? » Poursuivit Jacoby avec toute l'instance qu'il semblait être en mesure de produire.
« Pas vraiment, non. »
« Aucune fille ne t'intéresse ? Paula Archer est une belle jeune femme et elle paraît t'apprécier. »
« Papa... je n'ai personne. Paula est gentille et... jolie mais je ne veux pas l'épouser ou quoi que ce soit. » Déclara le médecin, un aplomb dont il ne se sentait pas capable parcourant son corps.
« C'est très bien. »
« Pardon ? » S'étonna-t-il.
« Tu m'as bien entendu, ne me fait pas me répéter mon garçon. » Asséna assez durement le patriarche avant de bien vite reprendre sur un ton plus tempéré : « Tu aimes notre patrie n'est-ce pas ? »
Le jeune homme ne put s'empêcher d'ouvrir la bouche d'hébétude. Aimer sa patrie ? Ses hobbys se comptaient sur les doigts d'une main, il n'était même pas certain d'apprécier (non pas ''aimer'') la vie, qu'irait-il donc faire d'une patrie ? Toutefois, ce n'était pas la bonne réponse, c'était la sienne et au cours de son existence, il avait appris que sa version des choses n'était jamais la bonne. De ce fait il répondit d'une voix modelée :
« Oui. Le Royaume-Uni, la reine, j'aime tout cela. »
« Bien. Très bien. Il faut que tu saches que c'est un réel honneur pour un anglais digne de ce nom que de porter les couleurs de sa patrie et de la représenter par-delà les frontières. »
« Certainement. » Approuva John sans en penser mot.
« Parfait. Les Watson ont toujours entretenu une relation très étroite avec ce beau pays, ils ont tous fait l'armée, sans exception. »
« Qu'essaies-tu de me dire papa ? » Questionna franchement le blond, sachant exactement ce que son père tentait de lui faire comprendre, ne le sachant que trop bien d'ailleurs.
Des éclats de voix percèrent les cloisons murales, rebondissant sans bruit contre la bulle d'intimité glaciale englobant les deux protagonistes. John n'en croyait pas ses oreilles tandis que son père l'observait négligemment, les doigts enfouis dans l'amas capillaire au-dessus de ses lèvres. Lorsque leurs échanges prenaient cette tournure inconfortable, ils n'étaient pas sans ignorer que le premier à défendre ses intérêts, ou même simplement à ouvrir la bouche afin d'apaiser la situation, perdrait. Cependant, ce n'était plus un échange sans conséquence dont la conclusion serait le choix d'un sujet de thèse, d'une université ou d'une banalité professionnelle quelconque. C'était de sa vie toute entière dont il s'agissait, la durée et peut-être la fin de son existence.
« Je ne peux pas. Je ne le ferai pas. »
« Ne sois pas effronté. » Avertit sèchement le paternel.
« Tu... N'as-tu jamais envisagé le fait que tu pourrais m'en demander trop ? Que tu dépassais peut-être les limites ? » S'enquit John, peinant à contenir sa rage, les mains crispées sur les accoudoirs de son siège, une envie folle de faire exploser sa colère vibrant dans chacun de ses muscles.
« Tu es mon fils, c'est mon devoir de t'en demander trop. »
« Mais enfin papa, j'ai fait tout ce que tu souhaitais ! Tout ! Va donc éduquer ton second enfant ! Je suis un adulte, je n'ai plus besoin de... peu importe ce dont il s'agit, garde-le ! » S'écria subitement le docteur, à bout, l'air et les mots lui manquant cruellement tant il voulait trahir ces agissements abjects à présent qu'il en avait l'occasion mais surtout pour ne pas gaspiller ce courage électrisant ses neurones, cette audace qui ne se représentera certainement plus.
« Un adulte dis-tu ? T'es-tu regardé ? Tu t'émoustilles et t'agites comme un enfant en bas âge, prêt à taper du pied au moindre caprice. Le comportement décevant de ta sœur est compréhensible, elle n'a pas été aussi gâtée que toi. Et voilà qu'au lieu de lui faire honneur en usant de l'attention que nous lui avons refusé, tu la nargues. Je ne t'ai pas éduqué de cette façon. Je n'ai pas élevé un gamin pourri jusqu'à la moelle. » Rugit Jacoby Watson en une tornade d'indignation méprisante, foudroyant son fils sur place, les vents de son offuscation balayant promptement tout signe de rébellion de sorte qu'il ne resta plus chez le blond qu'un amas de débris et gravas enduit de honte.
« Je… suis désolé. Je ne pensais… pas ce que j'ai dit. » Balbutia piteusement celui-ci, sa tête dodelinant sur elle-même avant de s'enfouir dans ses épaules.
Le fait est qu'il le pensait, il n'aurait pas modifié la moindre syllabe si cela était à refaire. Mais c'était bel et bien terminé. Il n'avait pas le choix, d'ailleurs, il ignorait même ce que cela signifiait.
Tout fut donc dit et il s'enrôla dans l'armée anglaise la semaine suivante en tant que médecin militaire. Pour s'en sortir lui avait-on dit, il devait obéir sans poser de question. Aussi absurde fut la remarque, il ne put s'empêcher de penser qu'il avait d'ores et déjà reçu la formation nécessaire pour ''s'en sortir'' sans embûche.
L'échange qu'il entretint avec son père lors de la garden-party célébrant sa réussite s'inscrivit dans les annales de son existence car après celui-ci, John Watson ne fut plus qu'un réceptacle creux où nulle pensée ne s'élevait, il n'y avait plus que le silence entre les ordres et le temps qu'il mettait pour les exécuter. Il ne rêvât plus à rien, n'aspira plus à une quelconque parodie de destinée. La liberté n'existait pas, elle n'était qu'un poids que traînait l'humanité depuis bien trop longtemps. Cette illusion ne se jouerait plus de lui. Il en était certain. Aussi son état d'esprit en était à ce stade lorsqu'elle arriva. La balle. Il y a ceux qui s'inscrivent à l'armée sans avoir la chance ou le malheur de connaître la guerre et puis il y a ceux qui, à peine enrôlés, la voient déjà venir. Trois ans qu'il était en service et deux ans qu'il survivait en Afghanistan. L'embuscade leur tomba dessus comme toutes celles de leur état : en les prenant par surprise. Ils couraient sans trop savoir où ils se rendaient, se protégeant sans bouclier qui vaille cette appellation, aveuglés par un brouillard opaque de poussière nacrée. Lui qui était en retrait, sauvant un soldat dont il n'avait pas pris la peine de se souvenir du nom, lui qui n'avait pas dégainé son arme, la sentit plus qu'il ne la vît. Une chaleur à l'épaule, une caresse du vent, ses tissus, cette multitude de filaments d'un rouge écarlate se déliant pour ouvrir la voie, sans négociation, ni résistance. Ses jambes se dérobèrent sous lui. « On m'a tiré dessus. » Pensa-t-il inutilement, une terreur sans nom envahissant sa conscience toute entière. Au sol, il contempla cette étendue d'un bleu azur raturé de fines lames d'un blanc pur, son pouls s'apaisant graduellement, la douleur diluée par un alcool inconnu, l'ivresse d'une mort future soignant amoureusement ses plaies et rassurant cette peur enfantine troublée, éveillée de son sommeil candide en sursaut. Quel ciel merveilleux. Ils se faisaient tuer sous le plus beau ciel qu'il lui ait jamais été donné de voir. Il allait mourir sous un paradis qu'il ne s'était pas donné la peine d'observer. John Watson se fit alors la réflexion qui changea tout, celle qui le fit devenir ce qu'il devait être. Il se promit que s'il venait à survivre, si Dieu lui permettait de voir un nouveau jour se lever : il serait libre.
Et voilà ! Vous aimez ? Dites-moi tout !
Bisous
A.
