À deux
Des jumeaux vrais ne sont qu'un seul être dont la monstruosité est d'occuper deux places différentes dans l'espace
Michel Tournier.
Seul. C'est un mot qui, dorénavant, me convient plutôt bien. Avant, nous étions deux. Toujours deux. Deux à énerver maman. Deux à ne pas écouter les professeurs. Deux à faire des bêtises à longueur de journée. Deux à inventer des objets farfelus mais toujours drôles. Deux à rire. Deux à sourire. Deux à vivre. Deux. Tout le temps.
Nous avons partagé le même ventre durant neuf mois. Nous avons partagé les mêmes tâches de rousseurs et les mêmes cheveux roux, les mêmes yeux bleus, le même humour… La même personne, mais divisée en deux. C'était lui et moi et non moi sans lui.
Cependant, cette putain de vie en a décidé autrement. Ou plutôt cette putain de mort… Je ne sais pas, je ne sais plus. J'ai juste la certitude que la vie nous aimés. Elle riait avec nous, souriait avec nous. Le matin, quand on se levait, elle nous accompagnait toute la journée. Même la nuit elle nous surveillait, elle nous bordait avant de nous raconter des histoires.
Elle a livré un combat dès notre naissance avec cette affreuse mort dont tout le monde a peur, et au bout de vingt belles années, elle pose le pied à terre, et s'avoue vaincue.
Mais seulement pour lui. Elle a réussi à me sauver. J'aurais tellement aimé qu'elle échoue pour nous deux. Que je reste avec lui, que nous partagions la même mort, que nous partagions tout, comme avant.
À sa mort, je me suis senti seul. Dévasté. Perdu. Je ne savais plus quoi faire. Et les choses ne s'arrangeaient pas. Mes parents faisaient comme s'il n'était pas mort. Ron me regardait sans arrêt avec un regard peiné. Hermione me disait de ne pas "franchir le pas". Comme si je voulais mourir...
Je sais que Fred n'aurait jamais voulu que je le rejoigne. Il aurait préféré que je le représente sur Terre avec nos farces, que je continu d'inventer des blagues et de m'occuper de notre boutique.
Mais pour le moment, je dois faire mon deuil. J'exaucerai ses vœux, après. Pour le moment, je pleurs sa mort.
Beaucoup sont restés à mes côtés pour m'aider : professeurs, amis, famille... Puis, elle.
Elle est venue avec son sourire triste et sa peau chocolat et elle m'a pris la main sans rien dire. Au début c'était tout le temps comme ça. Pas de parole... Je savais juste qu'elle s'appelait Angelina, Fred ayant dansé avec elle lors du bal de Noël. Je ne savais pas grand-chose d'elle, mais son prénom me suffisait. Pour le moment...
Au fur et à mesure qu'on restait ensemble, je découvrais des choses sur elle. Elle ne me les disait pas, mais je les devinais. Par exemple, je sais qu'elle n'aime pas le chocolat, elle n'en prend jamais quand ses amies lui en propose. Je sais qu'elle aime le violet car elle porte beaucoup d'habits de cette couleur. Je sais aussi qu'elle aimait beaucoup Fred. Comme moi.
.
Aujourd'hui je vais mieux. Je suis sur le quai 9 3/4 avec Angelinaà mes bras. Elle porte une bague à son annulaire gauche, prouvant son amour pour moi et le mien pour elle. Une fillette rousse à la peau mate lui tient la jambe, le pouce dans la bouche, elle dit bonjour avec ses mains à son grand frère, Fred II, qui part pour Poudlard.
Je vais beaucoup mieux maintenant que je suis entouré d'une femme et de deux enfants. Maintenant que j'ai une nouvelle famille. Et que je sais qu'il est toujours là, le sourire aux lèvres, pour veiller sur moi et ma petite famille.
Certes, la vie a perdu, mais elle n'a pas laissé la mort gagner. Parce que nous sommes toujours là, à deux.
