Prologue

Des rochers gelés, trappes naturelles ne demandant qu'à saisir le pied du randonneur imprudent, dévalaient la montagne dans une avalanche figée. Observant le gouffre, une jeune Brétonne s'interrogeait sur la pertinence de son trajet. Éviter les routes lui avait paru judicieux, mais les dénivelés aléatoires de Bordeciel rendaient ardu l'itinéraire qu'elle s'était composé.

Soupirante, elle rebroussa chemin en sortant sa carte. Le plus rapide moyen d'atteindre Faillaise était certainement Helgen, suivi d'une séance supplémentaire d'alpinisme. Elle grogna en pensant aux heures d'escalade qui l'attendaient encore et rangea sa carte dans une humeur toute aussi maussade.

À peine avait-elle fait trois pas qu'un second grognement, celui d'un animal sauvage, se répercuta sur les parois rocheuses. Elle se figea. Une seule créature, à sa connaissance, produisait ce cri rauque, augure de douleurs intenses. Tournant la tête de quelques menus degrés, elle croisa les orbes sombres, agressives, qui servaient d'yeux à un ours brun.

Ses griffes noires jetées en avant, il attaqua sa proie sans attendre. La victime paniqua comme jamais. De gauche et de droite s'élevaient des murs pierreux, et à l'arrière l'attendait une chute vertigineuse. Pas d'échappatoire.

Elle dégaina son arc, arma une flèche de ses doigts tremblants et, incapable de se remémorer ses années d'entraînement, manqua lamentablement sa cible. Entre mourir déchiquetée par un féroce prédateur et peut-être mourir , la réflexion ne trouvait pas sa place. La Brétonne se tourna vers le gouffre, déglutit avec peine et, alarmée par le galop massif qui se rapprochait bien trop vite, se laissa glisser dans le vide.

Ses mains s'écorchaient sur les aspérités de la colline, ses chaussures se trouaient, mais sa chute restait contrôlée. Un peu. Soudainement, un roc plus imposant que les autres la freina pour de bon à seulement quelques mètres du sol. Tremblante, elle adopta une position tenable et examina ses paumes sanguinolentes, soufflant dessus en serrant les dents.

Si elle devait, une fois dans sa vie, donner raison à son père, cela concernerait l'utilité des sorts de guérison. Le manque de connaissances en magie de soin demeurait un handicap lors des longs voyages en solitaire. Heureusement, son arc restait à portée de main pour tout le reste. Une flèche bien placée réglait beaucoup de problèmes en ces temps troublés, et si ça ne suffisait pas, une dague dissimulée s'occupait des désagréments restants. À l'exception des ours.

Des voix autoritaires interrompirent ses réflexions. Une dispute s'était élevée dans un bosquet peu éloigné, et c'est alors que la jeune fille remarqua le groupe de soldats impériaux, retranché dans les fourrés. Le différend ne concernait que broutilles et le supérieur des deux militaires énervés eut tôt fait de les calmer. Du moins, c'est ce que l'espionne improvisée comprit depuis son perchoir. Heureusement pour elle, ils ne la virent, ni ne l'entendirent, leur attention totalement accaparée par la route.

Les renseignements qu'elle avait récoltés sur Bordeciel avant d'y mettre pied ne présageaient que peu de bonnes choses s'ils la trouvaient, à commencer par la réputation xénophobe des nordiques. Nul doute possible, une jeune Brétonne en cavale, affublée de vêtements tout aussi brétons, aux abords de la frontière pour ne rien arranger, éveillerait les soupçons. L'idée de croupir en prison, ou pire, d'être réexpédiée chez elle, lui arrachèrent un spasme nerveux.

Elle inspecta hâtivement les alentours, à la recherche d'une sortie de secours, et aperçut un petit attroupement de chevaux, trois ou quatre, invisibles depuis la route, à peine décelables depuis son caillou salvateur. Ils appartenaient, à l'évidence, aux soldats, qui avaient jugé inutile de laisser un garde près des montures. Comme des chasseurs s'apprêtant à abattre une harde de biches, ces hommes allaient embusquer des gens que la Brétonne ne connaissait pas.

Pour être honnête, rien ne l'intéressait moins que le sort de ces quelconques bandits, renégats ou autres criminels. L'occasion de voler un cheval ne se présentait que rarement sur les routes, et les écuries des grandes villes disposaient d'une sécurité trop performante pour tenter le larcin. Dès que les soldats se jetteraient sur l'ennemi, elle profiterait de la bataille pour rejoindre la terre ferme discrètement et accomplir son méfait en toute impunité.

Il ne restait qu'à attendre. C'est ce qu'elle fit. Elle attendit. Sa seule distraction, ayant omis d'emporter de la lecture, résidait en l'impatience vrombissante des soldats en contrebas. Elle en voyait certains serrer les cuisses, d'autres piquer du nez, d'autres encore attarder leurs yeux sur les nuages éparses.

C'est alors qu'un frisson parcourut la troupe armée; l'ennemi était en vue. Ils saisirent leurs épées, arcs et boucliers, réajustèrent leurs casques et se mirent en position. La voleuse les imita, se préparant à quitter les hauteurs pour la sécurité des buissons, mais se laissa distraire par la cible des impériaux.

En fait de bandits, ils s'agissait d'une escorte, avec à sa tête un homme droit, un homme qui exhalait le pouvoir. Il rappelait sensiblement à la jeune fille les nobles de Hauteroche, avec leurs airs de dominants, leurs moues suffisantes et leurs rictus hautains. Une grosse différence subsistait toutefois entre ces gens et cet homme-là : le respect qu'il imposait n'usait d'aucun artifice, autour de lui planait une atmosphère naturellement chargée d'autorité, à vous rendre mal-à-l'aise.

Au grand dam de la Brétonne, l'homme leva les yeux. Il fronça les sourcils, et bien que plusieurs dizaines de mètres les séparent, elle eut l'impression qu'il la découpait du regard, qu'il lui ouvrait la tête et devinait chacune de ses pensées. Elle détestait ça. Paradoxalement, la culpabilité étreignait sa gorge avec de plus en plus de fermeté. Malgré ses envies de liberté, elle n'en restait pas moins humaine, et observer tous ces hommes s'en aller à l'abattoir l'horripilait.

Il l'avait vue de toute manière, autant en faire bon usage. Elle se redressa, tentant avec de grands gestes d'indiquer aux proies que le danger se trouvait juste devant. L'homme, surpris par cette vive réaction, immobilisa son cheval, incitant ses subordonnés à faire de même. Ceux-ci remarquèrent presque aussitôt les mouvements effrénés de leur bienfaitrice, malheureusement les impériaux suivirent la tendance et, un à un, ils se retournèrent, les yeux en l'air. Comprenant la situation, la jeune fille abandonna toute prudence et hurla de toute la force de ses poumons:

"Ils vous tendent une embuscade !"

La réponse n'attendit pas, une flèche impériale se brisa contre la roche, manquant de faire basculer l'imprudente. Les hostilités s'engagèrent entre les deux troupes, mais malgré leur piège saboté, les impériaux détenaient l'avantage du nombre. Pas une minute à perdre, la fuyarde glissa le long de la paroi et s'élança avec vélocité à l'assaut des chevaux.

Elle étouffa une exclamation en n'en découvrant plus qu'un accroché au tronc. À côté du destrier, un nordique encrassé, une dague à la main, s'apprêtait à monter la bête. Pas question ! La voleuse le renversa d'un coup d'arc et se jeta sur la monture, mais son opposant n'abandonna pas ainsi. Il la saisit, la tira à bas de la selle et le pugilat commença. Il s'avéra fort inégal, le Nordique la dépassant autant en poids qu'en hauteur, mais s'interrompit prestement lorsqu'un mur d'épées les encercla, érigé par des soldats impériaux, esquintés, mais visiblement victorieux.

Les prisonniers étaient peu nombreux, trois charrettes suffisaient à tous les transporter. Dépouillée de tout, de son arc, sa dague, son argent, ses vêtements, et juste affublée d'une bête toile de jute qui n'assurait aucun réconfort face au vent du nord, la malchanceuse grognait des insultes pour couvrir les claquements de ses dents.

En face d'elle, deux personnes : le voleur qui avait réduit ses chances de fuite à néant, et un des soldats vaincus. À sa droite, elle essayait de ne pas trop regarder. Cet homme-là, bâillonné pour une raison qui lui échappait, la dévisageait intensément. Pour dissimuler son embarras, elle déversa son mécontentement sur le voleur :

"C'était quoi cette idée de chasser les chevaux ! À quoi bon perdre du temps quand il suffit d'en choper un et de se barrer !

- Réfléchis, Brétonne ! Sans leurs chevaux, pas moyen de me rattraper ! C'est de ta faute si ça a foiré !

- Aucun de nous deux serait là si t'avais pas été aussi con, face de ragnard !"

Un officier les pacifia d'une lourde menace et continua son avancée. Tentant de calmer l'atmosphère, le soldat devant elle entama une conversation :

"Même si ça n'a pas changé grand-chose au dénouement final, merci de nous avoir avertis, au moins nous avons pu combattre à la loyale, plus ou moins. Au fait, je m'appelle Ralof".

Elle lui décocha un sourire las, mais réajusta vite son expression morose. Les yeux perçants de cet homme-là n'en finissaient pas de l'agacer. Même avec ses mains restreintes derrière son dos courbé, même avec sa voix emprisonnée derrière un tissu crasseux, même avec le large hématome qui se développait sous son œil gauche, il l'impressionnait presque autant qu'un ours. Presque.

"C'est qui lui ?" grogna-t-elle en désignant le concerné.

Ralof se renfrogna, visiblement vexé par cette nonchalance. Inspirant profondément, il se redressa, bomba le torse et déclara fièrement:

"Vous vous trouvez devant Ulfric Sombrage, jarl de Vendeaume et véritable Haut-Roi de Bordeciel !"

Il avait élevé la voix en disant ces derniers mots, comme pour défier les impériaux. Le voleur, lui, sembla tout à coup s'agiter, tricotant l'air entre ses doigts.

"Vous avez dit… Ulfric Sombrage ? Le chef de la rébellion ?"

Son timbre grinçait, ses mots se perdaient dans les aigus.

"Mais alors… S'ils vous ont attrapés… Ils nous emmènent… Par les Divins !"

Il se terra dans un mutisme terrifié, ce qui ne fit rien pour rassurer la Brétonne. Emprisonnée, elle se serait évadée d'une manière ou d'une autre, exportée, elle serait repartie sur les routes, mais le but des impériaux semblait plus radical que ce qu'elle avait envisagé. Des remparts apparurent entre les arbres.

"Ah, Helgen, souffla Ralof, j'y ai courtisé une fille, autrefois. Je me demande si Vilod met encore des genièvres dans son hydromel."

La Brétonne frissonna devant cette apparente insouciance. Comment pouvait-il penser à cela alors qu'on les menait vers… vers… Ses joues perdirent leur teinte. Elle qui voulait atteindre Helgen, voilà qu'elle y entamait son dernier voyage.

Une fois le centre de la ville atteint, les prisonniers furent déchargés. Un Impérial récitait une liste de noms, attendant que les personnes appelées s'avancent. Rien d'inattendu ne se produisit, jusqu'à ce que…

"Lokir de Rorikbourg".

Le voleur se recroquevilla.

"Non. Non ! Nous ne sommes pas avec eux ! Pas des rebelles ! Vous ne pouvez pas ! Vous ne m'aurez pas !"

Il s'élança, l'œil fou et la jambe légère, mais les archers eurent tôt fait d'abréger son calvaire. L'esprit embrumé par cette scène macabre, la prisonnière n'entendit pas tout de suite l'impérial qui la hélait.

"Vous n'êtes pas sur la liste, comment vous appelez-vous ?

- Euh… Je… "

Il fallait leur donner un pseudonyme. Pas question de divulguer le nom dont ses parents l'avaient fagotée. Elle n'était pas cette personne et mourir sous leur bannière ne l'enchantait guère. Elle se rappela le surnom qu'elle avait inventé des années auparavant, celui que ses amis - des chasseurs que ses parents méprisaient - utilisaient en riant.

Leurs questions lui revenaient : pourquoi n'aimait-elle pas sa famille ? Son père était respecté, pourquoi refusait-elle de reconnaître leur lien ? Elle n'aimait guère répondre à cela, parce que la réponse lui paraissait évidente. Elle n'était pas la fille de Roderic Riscel, du moins pas celle qu'il désirait forger à coups d'érudition et de mariages arrangés. Fixant son regard dans celui de l'impérial, elle déclara d'une voix assurée:

"Mon nom est Siltafiir Viingnu".

À suivre…

Siltafiir Viingnu. Si vous voulez savoir ce que signifie ce nom, restez branchés à cette fanfiction ! Ou cherchez sur internet, ce sera sûrement plus rapide.

Sinon, vous avez pu découvrir mon interprétation de l'origine Brétonne. Voilà, tout est dit.

Merci d'avoir lu :)