Le Royaume des songes
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Disclaimer: Shaman King est l'oeuvre d'Hiroyuki Takei et ceci ne me rapportera rien, si ce n'est du fun.
Rating: T
Voilà un projet particulier, né de quelques drabbles, et notamment, le n°81 d'Instants sous verre, "Bounty Hunter".
Pas mal de gens ont imaginé ce que serait le Shaman Kingdom de Hao, en bien ou en mal. Les versions avec les X-Laws ou Sati qui gagneraient sont plus rares. Cette histoire, c'est donc une "uchronie", où Sati aurait remporté le Shaman Fight contre Hao et serait devenue reine. Et sa première décision serait de rétablir l'harmonie en jugeant toutes les mauvaises actions commises pendant le tournoi, notamment les meurtres, que ça soit par Hao et sa bande, ou par d'autres.
Attention, à l'origine, ce projet n'était pas linéaire et devait proposer un recueil de textes et de fragments à lire plus ou moins indépendamment, dans le même contexte d'après-guerre pas très joyeux. J'ai fini par abandonner cette idée. Passé les dix premiers chapitres, ça devient difficile de lire les textes indépendamment, maintenant que les personnages entrent en interaction les uns avec les autres. En plus, y a bel et bien un scénario qui se dessine dans ce gloubi-boulga mental. Par contre, j'envisage de créer un recueil annexe qui contiendrait des fragments que je voulais inclure mais qui ne sont pas très utiles à l'ensemble. Comme ça je pourrais couper la poire en deux, à la fois me concentrer sur l'intrigue ici et proposer ces textes en bonus à côté pour qui veut.
Dernier warning: divergences avec la fin officielle de SK, libertés prises avec les pouvoirs du roi et ignorance crasse sur le sujet du bouddhisme (je reste vague sur le sujet). L'ambiance est lourde, il y un peu de violence et des traumas de guerre. Mais parfois, il y a aussi des chapitres tout fluffy ! J'espère que ce grand écart ne sera pas trop perturbant. Bonne lecture !
Fragment 1
Le silence est le plus intense des liens (Rakist)
(Musique: Lead me home – Jamie N Commons)
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Rakist sentit tous ses poils se dresser sur sa chair en entendant le bruit. Il se leva précautionneusement, dents serrées. En apparence, il conservait un calme irréprochable. Mais au fond de lui-même, il était sur des charbons ardents. Est-ce qu'on y était? Ce moment, qu'il attendait depuis des jours, était-il arrivé? Il n'était pas vraiment prêt. Tant pis. Tout n'était qu'une question de chiffres, après tout. Si Sati avait commis l'erreur de lui envoyer quelqu'un de moins fort, il lui réglerait son compte, tout simplement. Il n'était plus à ça près.
Tendu, il serra la crosse de son arme. Lucifer, son vieil ami, n'attendait que son signal. Il avait récupéré aussi quelques munitions et un fusil de chasse, dans la ferme de l'autre jour. Celui-ci était sagement posé contre la paroi de pierre, derrière lui. Au cas où. Il courait quelques rumeurs sur les nouvelles armes des chiens de Sati. Des trucs pas très réglos, qui permettraient d'inhiber les pouvoirs shamaniques. Ou alors de capturer les fantômes, il n'était pas tout à fait sûr du procédé exact. Mais, quoi qu'il en soit, il voulait bien le croire, c'était Magna qui le lui avait dit. Et puis il l'avait entendu dire par Bill, aussi, quand il l'avait croisé, par hasard, trois jours plus tôt. Deux sources qui lui semblaient fiables. En plus, c'était logique: cela expliquait que Sati ait pu vaincre Hao.
Bref, il avait préféré s'assurer de disposer d'un plan B pour faire face si ça devait tourner à son désavantage, sur le plan shamanique.
Un rictus se peignit sur ses lèvres fines. Ses yeux se plissèrent et essayèrent de deviner une approche, une silhouette… Le silence était assourdissant. Pourtant, il y avait quelqu'un, il en était sûr. Quelqu'un qui ne faisait plus aucun bruit, mais qui s'était signalé, un peu avant, comme si… comme s'il savait. Ou alors c'était quelqu'un de maladroit. Ou de parfaitement innocent, sans mauvaises intentions, mais ça, il en doutait un peu. Peut-être même qu'ils étaient plusieurs.
L'ancien prêtre retint son souffle dans la nuit. La grotte dans laquelle il s'était réfugié le protégeait du froid, mais ne lui offrait aucune échappatoire s'il était encerclé. Il avait hésité, avant de sauter sur l'occasion. C'était jouer gros. Il pouvait très bien finir comme ça, coincé comme un rat dans son trou. Sauf que lui n'avait pas la ressource de pouvoir creuser dans l'autre sens pour s'enfuir. Le point positif, songea-t-il, c'est qu'il n'avait pas allumé de feu. Avec un peu de chance, l'autre ou les autres ne feraient pas attention à ce trou d'ombre dans la montagne.
Une minute passa, d'une lenteur désespérante. Au moment où Rakist se disait qu'il s'était peut-être trompé, une voix, beaucoup plus proche qu'il ne l'aurait cru, taillada le silence, froide et tranchante comme l'acier.
– C'est bon, y a rien.
Le sang de Rakist ne fit qu'un tour.
– Vu le bruit que tu as fait, c'est heureux, fit remarquer une autre voix, pondérée et plus lointaine celle-là.
Un ricanement lui répondit.
– Faut te détendre un peu, mec.
Son compagnon rétorqua, un peu plus froidement:
– Et toi, il faudrait que tu prennes conscience de tes limites.
Rakist inspira un peu d'air. Il avait vraiment bien fait de ne pas allumer de feu.
La première voix, il l'avait reconnue instantanément. La deuxième… il n'était pas sûr. Un des Gandharas, il avait oublié son nom. Il savait qui c'était, par contre, ça oui. Il avait assisté à son duel, contre une des équipes alliées du frère du Seigneur Hao. Une défaite, d'ailleurs. Mais le type était fort. Et son fantôme n'était pas mauvais. Rakist se souvenait d'avoir regardé sa cloche oracle pendant le match et d'avoir été surpris par le niveau. Ce gars le dépassait largement. Au point qu'il n'était pas vraiment sûr du résultat, s'il avait dû l'affronter seul à seul. Il aurait eu l'avantage de la surprise, de l'expérience, peut-être. Et encore.
Mais alors, s'ils étaient deux, c'était pas la peine. Surtout si l'autre le connaissait d'aussi près.
Un petit sourire lui vint aux lèvres. Il n'était pas surpris qu'elle ait pu tirer son épingle du jeu aussi joliment.
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Un soupir se fit entendre, suivi d'un bruit sourd. Quelqu'un venait de s'asseoir par terre assez rudement. Bientôt, un parfum très identifiable s'échappa de l'extérieur et monta à ses narines.
Ses foutues cigarettes.
– Ne t'installe pas trop vite, on a de la route, observa l'homme.
– Rabat-joie, répliqua Canna mollement. T'en veux?
– Non.
Ses pieds grattèrent le sol et Rakist devina sa grimace de dédain.
– Vous autres, du Gandhara, vous êtes si…
– Quoi?
– Propres.
Pause goguenarde.
– Ça te pose un problème?
– C'était juste une remarque.
L'odeur de cigarette envahit la grotte, forte et entêtante. Rakist n'osait même pas remuer un orteil.
Canna, Canna. C'était vraiment pas de chance. Canna connaissait ses attaques, ses défenses, ses failles. Tout. Canna ne lâchait jamais sa proie, jusqu'à lui faire rendre gorge, comme un chien d'attaque. Canna était une sacrée vicieuse quand elle se battait, et si elle n'avait pas les points pour le battre, son copain Gandhara les aurait. Pourtant, plus les minutes s'écoulaient, plus il avait l'impression qu'ils ne se doutaient pas de sa présence. Il avait une chance de s'en tirer s'ils étaient vraiment pressés. S'ils partaient vite sans repérer la grotte. Après tout, il faisait nuit, c'était jouable. Tendu, mais jouable.
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Rakist ignorait quel sort Sati réservait au second de Hao et, à vrai dire, il avait préféré mettre les voiles avant de l'apprendre. Rester à présent que son ancien chef était tombé n'avait aucun sens. Cependant, bien qu'il ait réussi à s'enfuir, il n'avait aucune idée de ce qu'il allait faire désormais.
Hao ne lui en tenait pas rigueur, mais il l'avait toujours su: Rakist était le plus "tiède" de ses compagnons. Il ne le vénérait pas comme les autres de sa bande, qui ne juraient que par lui, les Peyote, les Blocken, les Bill, ou les petits. Était-ce pour mieux le surveiller que Hao l'avait pris dans son équipe? Il n'en savait rien, mais il appréciait cette franchise, entre eux. Pas de chichis, pas de méfiance, pas de mélos, non plus. Hao avait tout son respect, Rakist obéissait chacune de ses instructions, il le suivait discrètement, toujours trois pas en arrière, cela suffisait. Le problème, c'est que Hao n'avait rien prévu pour le cas où il tomberait. Il ne s'y attendait pas du tout, bien sûr. Personne ne s'y attendait.
Et Rakist, lui, ne savait plus où aller.
Continuer le combat? Hmm. Quel combat, d'abord? Sans leur chef, il n'y avait plus de guerre à mener. Hao était leur but ultime.
Aider les autres à s'enfuir? Ha oui. Rakist avait entendu dire que Sati faisait pourchasser les X-Laws aussi bien que les adeptes de Hao. Ça serait drôle, s'il tombait sur eux un jour, s'ils devaient s'entraider. Rakist pensait "drôle", mais en réalité, il redoutait terriblement que cela n'arrive. Il en était presque à souhaiter entendre la nouvelle de la capture de Marco ou de Jeanne. Encore que, il lui semblait que l'Iron Maiden avait déjà été prise. Il n'en était pas certain, c'était encore une rumeur, une de plus.
– C'est bon, tu as fini de prendre ta pause? ronchonna soudain la voix du Gandhara.
– Mais je faisais que t'attendre, Jackson, riposta la jeune femme.
Jackson. Voilà le nom que Rakist cherchait.
Canna fit crisser ses semelles et il devina qu'elle devait écraser son mégot.
– Par où on prend, à ton avis?
– Essayons par-là, si quelqu'un est passé, il aura dû se cacher en bordure des montagnes. On y est moins exposé.
Un bref soulagement envahit l'ex-prêtre embusqué. Manifestement, ils cherchaient quelqu'un: lui parmi les autres, sans doute, mais ce n'était pas sur ses trousses en particulier qu'ils s'étaient lancés.
Déjà, ça voulait dire que ce n'était pas Bill qui l'avait balancé.
Canna se leva et s'étira en bâillant. Rakist se demanda ce qui s'était passé pour qu'elle se retrouve du côté de Sati. Il ne pouvait l'imaginer choisissant la philosophie des Gandharas de son plein gré. C'était une alliance pragmatique, forcément. Peut-être avait-elle mis en avant le fait que Hao avait tenté de dévorer son âme et celle de Marion et de Mathilda. Peut-être avait-elle été capturée, tout compte fait, peut-être était-elle obligée de faire ça. Ça expliquerait aussi la présence de Jackson pour la surveiller. Peut-être même qu'ils la faisaient chanter en se servant des deux petites. Si on voulait briser Canna, c'était avec elles qu'il fallait commencer.
– Bon, allons-y, mais essaie de faire moins de bruit que tout à l'heure.
Canna ignora cette pique et fit cliqueter son briquet.
Rakist commençait à se détendre. Son esprit se focalisait à nouveau sur des choses idiotes. La sueur avait collé sa chemise à sa peau. Il faisait chaud. Cela sentait un peu le rat mort dans la grotte. Quelque chose le chiffonnait, cependant. Depuis le début. Quelque chose qu'il avait remarqué dès qu'il avait reconnu la voix de Canna, et qui l'avait à nouveau piqueté dans un des replis de sa pensée, à la dernière remarque de Jackson. Qu'est-ce qui le dérangeait? Qu'est-ce qui ne collait pas? Un détail infime. Un élément secondaire. Une bribe de rien du tout. Ah oui, voilà.
Du plus loin qu'il la connaissait, Canna avait toujours été extrêmement silencieuse.
– On devrait quand même vérifier ça avant de partir, lança-t-elle soudain.
Rakist se remit instantanément sur le qui-vive. "ça" ne pouvait être qu'une chose: son refuge. Il eut un sourire fataliste.
Ah, c'était pas passé loin.
Les pas de Canna se rapprochèrent, crissèrent quand elle s'arrêta à l'entrée de la grotte. Un léger cliquetis résonna: elle jouait encore avec son briquet. Elle tenait certainement une de ses clopes de l'autre main, prête à l'enflammer en cas de pépin. Rakist savait qu'elle était rapide. Il l'avait vue s'allumer une cigarette en une demi-seconde, une fois. Et gagner contre Peyote, Zen et Ryo en un claquement de doigts.
Elle était là, toute proche. Il pouvait pratiquement l'entendre respirer. Sa sueur, elle allait sentir l'odeur de sa sueur. La saleté humaine avait un parfum reconnaissable entre tous, au milieu de la nature. Encore que, Canna avait les narines encrassées par ses mauvaises habitudes. Alors, elle allait percevoir sa présence. Capter son souffle. Ou son rythme cardiaque, affolé. Il s'en voulait de réagir ainsi au stress, comme n'importe quel être humain. Au moins ses mains ne tremblaient pas.
Un soupir franchit l'orée de la grotte. L'expiration légère de Canna. Son regard était posé sur les ténèbres. Rakist le sentait passer et repasser sur lui comme un faisceau brûlant. Il avait encore sa chance, pourtant. Elle ne voyait pas si bien dans la nuit. Il était vêtu de noir dans l'obscurité, ombre parmi les ombres, et il n'y avait pas de lune pour révéler l'éclat métallique de son revolver.
– Canna? lança Jackson.
Elle sursauta. Il l'entendit avaler sa salive. Elle était si proche… Rakist, tétanisé, se sentit étrangement ému par la présence de son ancienne camarade… Un frottement retentit dans la nuit, comme si elle tendait la main vers lui. Un frisson le parcourut: être touché, même par inadvertance, serait une catastrophe. Pour autant, la proximité de Canna le soulageait presque de la solitude qui était la sienne depuis la chute de Hao. Il n'arrivait pas à la voir comme une ennemie.
– Canna? répéta Jackson. Tout va bien?
Rakist n'osait même plus cligner des yeux. Il avait l'impression de sentir l'haleine de Canna lui effleurer le visage. Des pensées folles lui traversèrent l'esprit, de celles qui nous assaillent lorsque un six tonnes nous arrive dessus. C'était la fin. Elle allait allumer sa clope, le voir, savoir qu'elle avait eu raison, attaquer, appeler Jackson. Il y avait une cannette de soda dans son sac, il aurait bien aimé la boire. Il avait complètement oublié de prendre des allumettes supplémentaires en cambriolant la ferme, l'autre soir. Sati le ferait-elle torturer? Exécuter pour l'exemple? Dévorerait-elle son âme? Symboliquement, ça serait fort. À moins que la sentence ne soit plus lourde encore? Était-ce possible? Il réalisa qu'il n'avait aucune idée de jusqu'où pouvaient aller les pouvoirs de Sati, désormais, strictement aucune.
Soudain, la présence de Canna disparut.
La jeune femme s'éloigna de quelques pas. Sa voix, plus lointaine, lança à Jackson:
– C'est rien.
– T'en as mis, un temps.
– J'ai cru voir quelque chose. En fait, c'était un mulot. Je l'ai vu se barrer.
Sa voix ne laissait filtrer aucune émotion.
– Très bien. Allons-y.
Leurs pas moururent, aspirés par la nuit.
Rakist attendit longtemps, longtemps, longtemps encore, avant de se laisser aller, tout doucement, contre la paroi. Il se sentit faible. Ses jambes tremblantes ne le portaient plus. Il rejeta la tête en arrière contre la pierre, inspira à pleins poumons, se laissa même aller à rire. Un petit rire sec, qui sonna de manière effrayante, dans la grotte. Comme un crissement sur une ardoise.
Un mulot, hein?
Je t'en dois une, Bismarck, pensa-t-il.
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