Tout est-il permis?
(Participation au concours 2005 du site Naniwa, section 'Heiji et Kazuha.')
D'un
claquement sourd, la porte d'entrée de l'appartement se
ferme.
« Je suis rentrée! » fait une
voix de jeune femme.
Sa voix est fluide, forte et présente.
On l'imagine facilement nous crier dessus ou encore, si l'on est
très sage, nous chanter une berceuse. Mais…
Son japonais
est un peu bizarre à l'oreille…
Ça, c'est
parce qu'elle a un accent. Ce dernier proclame fièrement son
appartenance à la population du Kansai. Le Kansai, comme tout
le monde ne le sait pas, n'est pas le nom d'un autre pays, ni
même d'un continent, mais celui d'une région. Son
accent a tout de japonais, et la frustration perceptible dans sa voix
a tout de son tempérament enflammé.
Kazuha Toyama,
17 ans, vient de rentrer du lycée.
N'entendant pas de
réponse, la jeune femme à queue de cheval enlève
ses souliers, enfile ses chaussons, et se dirige vers la cuisine,
sourcils froncés.
Il y a un papier sur la table.
D'un
soupir de frustration, ses clés se retrouvent projetés
avec force sur le comptoir.
Elle s'assoit, l'air maussade mais
résigné, prends la feuille dans ses mains et se mets à
lire.
« Idiot… » souffle-t-elle.
Son
air maussade a disparu. Des larmes se sont formées aux coins
de ses yeux.
Elle repose la lettre et s'essuie les yeux. Prenant
une respiration profonde, elle se lève et va dans sa chambre.
Elle en ressort cinq minutes après, ayant changé ses
vêtements.
Elle se dirige vers le petit autel bouddhique
installé dans un coin, s'y agenouille et allume un bâton
d'encens.
« Bonjour, maman. » Dit-elle
avec un petit sourire triste… Elle s'adresse au cadre photo, mise
sur la petite étagère, où l'on voit une femme
d'age moyen, un sourire charmeur aux lèvres et des yeux
étrangement familiers…
Kazuha a les yeux de sa
mère.
Après avoir prié, elle se remet sur
pieds et se dirige de nouveau vers la cuisine, où elle allume
la radio, afin de la distraire de certaines pensées, tout en
cuisinant le repas du soir.
Prévoyante, elle a déjà
acheté tout le nécessaire pour le dîner, et cela
ne lui prend pas longtemps avant qu'elle ne soit entrain de
découper les légumes.
Sa mauvaise humeur commence à
passer, et elle chantonne même en écoutant la chanson
qui passe à la radio.
Le téléphone
sonne.
Kazuha pose son couteau, baisse la radio, et va
répondre.
Elle sait que ça ne peut être que
lui.
« Allô? » Dit-elle, sa voix donne la fausse impression qu'elle meure d'ennui… Ou bout intérieurement de rage.
Son interlocuteur retient son souffle.
Visiblement, il assume que c'est la deuxième solution.
« Ah…
Kazuha? C'est moi. Tu as lu mon mot je présume? »
Ses
sourcils se froncent, elle a un sourire aux lèvres…
« Oui,
Papa. » Le petit chouilla de reproche dans le P majuscule
ne passe pas inaperçu.
Tandis que ce dernier se perd en
explicatifs et autres au bout du fil, sa jeune fille ne peut
s'empêcher de se demander comment cela se fait que son père
soit un policier enhardi, habitué à déceler le
mensonge et les schémas manipulateurs de criminels divers et
variés, et que malgré cela, il tombe droit dans le
panneau quand son enfant unique lui tend le piège du 'sens
toi coupable'.
Il avait promis de l'accompagner au temple ce
soir, et elle s'était assurée qu'il n'avait pas
fait une promesse en l'air et qu'il s'en souviendrait…
Ils
avaient tous les deux oubliés la nature erratique de son
travail.
Finalement, la jeune femme prend pitié de son
pauvre père, et l'interromps.
« J'ai compris
papa, pas la peine de continuer à t'excuser… Promet moi
juste de ne pas rentrer trop tard et prend soin de toi. On ira
ensemble dés que tu seras rentré si tu veux. »
Soulagé,
le père répond en conséquence… Et change le
sujet.
« On m'a dit que le jeune Heiji passait son
permis de moto demain matin… Il m'avait l'air assez fatigué,
la dernière fois que je l'ai vu, tu penses que ça
ira? »
Voilà qui est inhabituel… Son père,
se soucier d'un examen de son jeune ami d'enfance? Heiji est
peut-être un idiot, mais ce n'est pas un incapable.
« Bien
sur que ça ira! D'ailleurs je lui ai fait promettre de bien
se coucher tôt ce soir… Mais je peux te demander pourquoi tu
me demandes ça? » Sa voix pris le ton qu'elle
employait 'oh' si souvent quand elle soupçonnait son père
de lui cacher quelque chose.
« Euh, bien… C'est juste que s'il a son permis, j'aurai à m'inquiéter à l'idée de mon unique fille tombant de sa moto! » Il dit cela sur le ton rapide de quelqu'un qui sait qu'il sort une bêtise et qu'a envie de finir avant qu'on ne vienne le réprimander.
« Papa! » Réprimandes placées…
« Allez, ce n'est pas tout Kazu-chan, mais je dois y aller. A plus tard! »
« Attends un peu toi… ! » Trop tard, son père avait déjà raccroché.
Kazuha
soupire, mais ne peut s'empêcher de sourire… Si son père
est capable de la taquiner de la sorte, c'est qu'il n'est plus
aussi déprimé que son mot le lui avait fait croire. Sa
mère avait beau être décédée depuis
dix ans maintenant, cela n'empêchait pas l'anniversaire de
sa mort d'être un temps difficile, tout autant pour le père
que pour la fille.
Enfin bon… La conversation avec son père
sur son meilleur ami a ramené ses pensées au présent,
et elle ne peut s'empêcher de se demander ce que sa mère
aurait pensé du jeune fils du préfet tel qu'il est
maintenant.
C'est en chantonnant qu'elle retourne à la
cuisine, s'occuper de son repas, et de mettre une portion de coté
pour son père quand il sera rentré.
C'est alors
qu'elle met le poisson à cuire que le bulletin d'information
remplace la musique.
Elle arrête de chanter pour écouter,
un drôle de pressentiment se faisant sentir au creux de son
cœur.
Le présentateur radio parle d'un homicide…
Elle
baisse le gaz, sans pour autant se retourner…
C'est une news
en direct…
'Faites que cela ne soit pas… Faites que ce ne soit pas…' prie-t-elle dans sa tête.
La voix annonce la
présence d'un jeune lycéen.
« Non… »
Dit-elle, ses yeux incrédules…
D'un jeune détective
lycéen, fierté de la région…
« Heiji! »
Crie-t-elle en se retournant vers le poste.
C'est à cet
instant précis que le journaliste choisit de dire son
pronostic quant à quand le jeune prodige aura résolue
l'affaire…
Cela se voit que ce n'est pas lui qui aura
affaire à une Kazuha enragée le lendemain!
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Et c'est ainsi que le lendemain, dans leur salle de classe…
« Idiot! Imbécile! Regarde-toi, on dirait un zombie! »
Croulant
sous l'avalanche d'insultes, le jeune homme au teint bronzé,
à moitié accroupi, lève les bras au-dessus de sa
tête pour se protéger de ses cris et de l'éventuel
coup de poing…
« Sotte… »
Fait-il d'une voix enrouée… « Ce n'est
pas la peine de hurler…! » Il gémit à
chacun des hurlements qui lui perce les tympans…
« Oh que si! Tu n'étais pas censé passer ton permis de moto là! Monsieur je l'ai déjà raté deux fois…! » Visiblement, Kazuha ne ressent aucune pitié pour le jeune détective.
« Laisse moi t'expliquer, Kazu-… » Il est interrompu par une nouvelle salve de décibels…
« Oh! Je n'ai pas besoin d'explications! »
Ses camarades de
classe, normalement habitués à leur disputes, sont
entrain de les regarder comme s'ils étaient des
extra-terrestres. Il est rare de voir la jeune fille être aussi
insistante malgré l'état visiblement affaibli du chef
de l'équipe de Kendo.
Même leur enseignant, qui
venait à peine de rentrer dans la salle, retient son souffle
en voyant Kazuha prendre un cahier dans la main.
« Idiot, idiot, idiot! » Dit-elle en accentuant chaque mot par un coup de cahier. « Tu m'avais promis que cette fois ci tu dormirais bien la veille pour ton permis! Mais qu'est-ce que tu fais? Monsieur se fait à nouveau embrigader dans une affaire de meurtre! À ce rythme là tu n'auras jamais ton permis! »
Interrompant son sermon d'un signe de la
main, Heiji Hattori, cheveux en bataille et des poches noires sous
les yeux, s'aide d'une table pour se mettre debout et sortir
quelque chose de son blouson.
C'est un rectangle cartonné,
qu'il lui met sous le nez… Elle le regarde, lis le texte qui y
est inscrit, puis reste muette et bouche bée, avant de se
tourner vers son ami…
« Et maintenant… » Dit ce dernier, en s'asseyant à sa place, « Je crois que nous avons un cours à commencer… »
Voyant
une ouverture, le professeur tousse et entame bruyamment son
cours…
Lentement, Kazuha s'assoit, encore éberluée
par ce qu'elle croyait impossible.
A coté d'elle, Heiji
se met à ronfler doucement…
La journée s'achève sans que Kazuha n'ait pu extraire d'explication valable de Heiji quant à la présence d'un permis de moto à son nom dans la poche de son blouson. Ce n'est pas possible, se dit-elle, comment peut-il avoir un permis à 8 heures du matin, alors qu'il est censé passer son test à 8 heures et demi! Elle avait eu beau le suivre toute la journée, il était soit trop occupé à répondre aux questions de ses camarades de classe concernant l'affaire de la veille, soit entrain de récupérer le sommeil dont la dite affaire l'avait privé. Autant dire qu'elle meure de curiosité maintenant… Et les théories qui lui viennent en tête sont toutes plus loufoques les unes que les autres.
Cependant, le signal de fin des cours vient de se
faire entendre. La jeune fille, qui n'est pas d'une nature
patiente, sourit. Voilà l'instant qu'elle attendait.
Les
élèves sortent en groupes, discutant de leur journée,
content de pouvoir quitter le lycée… Elle se retourne vers
la table de Heiji. Il n'y est déjà plus…
'Merde!' pense-t-elle, en rangeant rapidement ses cahiers dans son sac. Elle espérait pouvoir le questionner immédiatement. Elle sort de la salle en marchant à la vitesse où on hésite à dire qu'elle court, regardant de droite à gauche, cherchant le jeune homme au teint mat.
Voilà autre chose d'étrange. En général, il l'attendait toujours à la fin des cours. Ils rentraient un bout de chemin ensemble, se taquinant, ou se criant dessus mutuellement. Il n'y avait pas d'activités de club aujourd'hui alors à moins d'une affaire…
Non! Faites qu'il n'y ait pas une
nouvelle affaire! Il y en a eu bien trop à son goût ces
derniers temps!
Maintenant elle court vraiment à sa
recherche.
« Hé! » Interpellée,
ça lui prend un moment pour réaliser qu'on lui avait
attrapé le bras.
« Idiote! » fait son
ami, maintenant bien mieux reposé. Ses yeux verts pétillent
de nouveau de malice et de vitalité. « Où
crois-tu aller comme ça? »
« Heiji! » Elle regarde avec de grands yeux sa tête recouverte par un casque de motoriste.
« Hé, j'ai eu mon permis tu sais! Attrape. » Il lui lance un autre casque, plus petit.
« Normalement vaudrait mieux que tu portes un blouson, mais je crois qu'on va passer pour cette fois… »
« Comment? » Fait-elle. Elle a encore du mal à comprendre où il veut en venir.
« Montes! » Lui dit Heiji. Il indique la moto qu'il tient à ses cotés. « Je te ramène chez toi. » Et à ces mots, il chevauche sa Honda, montrant l'exemple.
Voyant se rabattre sa visière, elle se gonfle la joue, faisant la moue comme une enfant, avant de rabattre le casque sur sa tête, et de s'asseoir derrière lui… Non sans remarquer qu'il a son pendentif autour du cou.
« Tu vas m'expliquer comment t'as eu ton permis? » Crie-t-elle à travers son casque. Elle a l'impression d'être coupée du monde, tellement il masque bien les autres sons.
« Plus tard» lui réponds-t-il. « Pour l'instant, accroche-toi bien! »
Et, tout doucement d'abord, il pousse la moto
en avant… Avant de démarrer l'engin dans un vacarme
sûrement assourdissant sans casque. Elle comprend maintenant ce
qu'il voulait dire par 'Accroche toi!'
Un peu mal à
l'aise, elle serre les dents, à moitié contre le
presque-vacarme, et à moitié contre cette sensation
imminente qu'elle va tomber. Traître souvenir de la blague de
son père la veille, ça ne l'aide pas à se
sentir rassurée! Elle sert ses bras encore plus autour du
torse de Heiji. Sa présence rassurante lui permet de ne pas
penser à la gravité, de ne pas penser au goudron dur et
noir en dessous.
Son ami semble ressentir son angoisse, il
ralentit. Appuyé contre son dos, elle risque un œil ouvert,
pour regarder à travers la visière. Des formes floues,
passent rapidement devant ses yeux. Pendant un court instant, elle
ressent de la joie…
Cela, c'est avant que Heiji ne se penche, l'entraînant avec lui, vu qu'il a trouvé un moyen de maintenir ses bras pile poil où ils sont sur son torse. Bien serrés.
Plusieurs tournants terrifiants plus tard, ils s'arrêtent, et tous deux enlèvent leurs casques pour soupirer un grand coup et respirer du bon air frais. Avant de se crier dessus l'un l'autre.
« Heiji! T'aurais pu me prévenir pour les tournants! T'étais obligé de nous faire pencher autant! »
Heiji ne se laisse pas
marcher dessus.
« Idiote! C'était ça où
on se cassait la gueule par terre! T'es censé te pencher
avec moi d'ailleurs! Et en passant, t'étais forcée
de me serrer autant le torse? J'en avais du mal à
respirer! »
À ces mots, tous deux rougissent en
se rendant compte de ce qu'il vient de dire, et détournent
leurs regards.
« Mais…? » Ce n'était pas devant chez Kazuha, cela était certain. Sentant le silence surpris de son amie, Heiji se penche en avant sur son guidon.
« Je pensais que tu voudrais passer par ici avant de rentrer. » Souffle-t-il, son sourire confiant et des yeux gentils remplacent son air renfrogné d'avant.
C'est le portail d'un petit temple. Personne ne l'utilise, et il n'y a vraiment que pour Kazuha qu'il porte l'appellation de Temple. Laissant le casque sur le siège de la moto, elle s'avance doucement, vers la petite construction. Cela ressemble à un petit Temple miniature. De tendres souvenirs de son enfance l'assaillent. Des moments passés avec sa mère, à apprendre la confection de talismans, à arroser des fleurs, jouer dans des parcs ou chanter des chansons. Des souvenirs d'avant l'accident qui avait ôté la vie à madame Toyama… D'avant qu'elle ne fasse la connaissance de Heiji…
Elle ne lui en
avait parlé pourtant que très rarement… Et ce n'est
pas comme si elle avait mentionné que c'était
l'anniversaire de sa mort…
S'agenouillant, elle retire
quelques mauvaises herbes du pied de la construction, enlève
quelques toiles d'araignée, et un peu de poussière.
Heiji,
de sa moto, l'observe d'un sourire de chat satisfait. Elle semble
contente, perdue dans sa nostalgie, donc il est content.
Une fois
sa nostalgie satisfaite, Kazuha retourne vers son ami, un merveilleux
sourire au lèvres.
« On rentre? » Fait-il.
« Oui… Mais avant! » Elle l'empêche de remettre son casque. « Expliques moi comment t'as eu ton permis avant même de passer l'exam! » Elle fronce les sourcils pour montrer que la question n'est pas optionnelle.
« Tu n'as pas écouté quand je parlais de l'affaire d'hier soir, hein? » Fait-il, un air hautain infectant son sourire taquin. « Mon examinateur était l'un des suspects, et pour empêcher le coupable de fuir, je l'ai pourchassé en moto, avec mon permis temporaire. L'examinateur m'a vu et m'a automatiquement accordé le permis. J'ai été le collecter juste avant de venir au lycée. »
À cela,
Kazuha ouvre grand les yeux d'admiration… Avant qu'un petit
détail n'attire son attention immédiate… Sa moto
s'était trouvée au lycée pour quand il allait
rentrer non? Mais alors…
« Un instant, ce matin?
Alors que tu tombais littéralement de sommeil! Tu n'as pas
blessé quelqu'un au moins? » Voyant l'air peu
rassuré de Heiji, elle poursuit. « Ne me dis pas
que t'es allé sur les trottoirs tout de même! »
« J'ai peut-être pris un raccourci ou deux… » Réponds-t-il, en essayant, sans grand succès, de se rendre tout petit…
Kazuha ne peut s'empêcher d'avoir
une image mentale de son ami, à moitié endormi, au
guidon de sa Honda, traversant des trottoirs en diagonale, passant de
justesse à coté d'un inconnu ou deux.
'Vraiment,
il ne changera jamais…' pense-t-elle. Pas étonnant qu'elle
trouve qu'il a besoin d'une grande sœur pour le
surveiller…
« HEIJI! Espèce d'Imbécile! »
« Aïe! Mais ça fait mal Idiote! »
Et voilà comment Heiji a eu son permis de moto.
--:--
Dagron.
Fini le vendredi 20 mai 2005.
