Titre : Le prix d'un miracle

Fandom : The Avengers / movieverse

Disclaimer : Joss Whedon, Marvel Studios et Paramount Pictures.

Couple : Tony Stark/Steve Rogers

Rating : PG-13

Résumé : Noël approche mais les Avengers ne sont pas à la fête : ils sont attaqués par les médias, détestés par les New-Yorkais... et pour couronner le tout, Steve et Tony ne s'entendent toujours pas !

Note : Aujourd'hui, 1er décembre, c'est le Steve/Tony Day ! Un jour entier dédié au couple de superhéros le plus fun et le plus adorable, je me devais d'apporter ma modeste contribution. :)


LE PRIX D'UN MIRACLE

Chapitre un

« Iron Man ! Sur la droite ! fit la voix de Captain America à travers l'intercom.

— Oui oui », marmonna Tony tout en effectuant un virage serré dans la direction indiquée.

Il se retrouva face à une rue vide et laissa échapper un juron particulièrement coloré lorsqu'il se rendit compte que sa droite n'était pas forcément celle du capitaine. De l'autre côté, le contingent d'androïdes fonçait sur lui en formation serrée, toutes leurs armes pointées sur lui. Il parvint à en toucher quelques uns de ses répulseurs, mais se retrouva bientôt encerclé par ceux qui restaient. À la louche, ils devaient être une vingtaine...

« Vingt-quatre, monsieur, rectifia JARVIS tout en verrouillant les cibles.

— Que ferais-je sans toi... marmonna Tony en poussant un soupir exagéré. Allons, feu à volonté. »

Stabilisant son vol à la hauteur désirée, il leva les bras et arrosa copieusement ses assaillants de rayons laser et de micro-missiles. Chacun de ses tirs fit mouche.

Il revint ensuite dans l'avenue principale, zigzaguant entre les rares lampadaires qui demeuraient encore debout. Il repéra Hawkeye, perché sur le bord d'un immeuble de grand standing, décochant ses flèches explosives comme s'il se trouvait devant le stand d'une fête foraine. En contrebas de la rue, Captain America et Black Widow luttaient dos contre dos, se couvrant tour à tour l'un l'autre avant de lancer une attaque. Leurs mouvements étaient si fluides, si coordonnés que Tony en ressentit un minuscule pincement de jalousie. C'était injuste de voir que ces deux-là avaient parfaitement intégré le concept de travail d'équipe quand lui, Tony Stark, se débattait encore avec sa conscience et son instinct qui lui criaient à qui mieux mieux qu'il était incapable de jouer collectif. Même Barton avait trouvé son rôle, même le Hulk, bon sang ! Quant à Thor...

Un rugissement fit éclater les vitres des immeubles. Tony eut à peine de temps de s'écarter. Mjölnir trancha l'air vif de cette matinée hivernale, tout le long de l'avenue jusqu'au bataillon d'androïdes se massant de l'autre côté. Les éclairs foudroyèrent les robots avant de griller leurs circuits. Un strike parfait, songea-t-il.

« Il ferait merveille dans une équipe de bowling, nota Clint, faisant écho sans le savoir à ses pensées.

— Thor ferait merveille dans n'importe quelle équipe », marmonna-t-il, légèrement vexé.

Hawkeye, évidemment, sauta sur l'occasion pour le titiller.

« Serait-ce de l'amertume que je perçois dans ta voix, Stark ? fit-il d'un ton suintant d'ironie.

— Cause toujours Legolas, j'ai vu la façon dont tu regardais ma Corvette, l'autre jour.

— Tu aurais droit à ma reconnaissance éternelle si tu me laissais la conduire juste une après-midi.

— D'après ce que dit Coulson, ta reconnaissance n'a pas trop la cote sur le marché, en ce moment.

— Une heure, alors ?

— Hmm...

— Une demie-heure ? Un quart d'heure ?

— Tes supplications sont douce musique à mes oreilles, se moqua-t-il avec un sourire.

— Messieurs, concentrez-vous sur le combat ! Vous aurez tout le temps de nous faire partager vos opinions lors du débriefing. »

Les deux hommes partagèrent la même grimace résignée. On pouvait toujours compter sur leur leader sans peur et sans reproche pour recentrer le débat sur le boulot en cours. Et cela avec une exaspération parfaitement maîtrisée.

Tony songea à mettre sur le tapis l'histoire de droite et de gauche qui, non précisée, pouvait prêter à de fort fâcheuses confusions, lorsqu'un terrible grondement résonna derrière l'un des immeubles. Le Hulk ‒ ce ne pouvait être que le Hulk, vu que Thor venait d'effectuer un atterrissage spectaculaire et se relevait avec un rire bon enfant ‒ le Hulk, donc, devait en avoir eu assez de jouer dans son coin. Haussant un sourcil, Tony le vit jaillir du septième étage d'un building, brandissant l'un des androïdes par la jambe pour en chasser trois autres qui lui tournaient autour en le bombardant de rayons.

Le géant tomba en chute libre au milieu de la rue, se rétablit au dernier moment et usa d'un bus garé contre le trottoir comme d'un trempoline pour rebondir vers la façade opposée.

Le regard de Tony embrassa les environs. Bon. Ce n'étaient sans doute pas les pires dégâts qu'ils avaient causés durant leur toute nouvelle carrière de super-héros défendant la Terre contre les envahisseurs de tous poils et de tous univers. Cette bonne vieille ville de New York en avait vu d'autres et, Tony tenait à le préciser, l'immense sapin de Noël qui trônait sur l'esplanade du Rockefeller Center était toujours debout, bon pied bon œil.

Il grimaça en constatant que le Hulk venait de déraciner l'arbre enguirlandé pour effectuer un imposant balayage tout autour de lui.

La petite veine sur la tempe du directeur Fury était agitée de soubresauts rageurs, et malgré la meilleure volonté du monde, Tony était incapable de détourner le regard, poussant le bouchon jusqu'à comptabiliser les pulsations toutes les soixante secondes avant de calculer une moyenne.

Il entendait la voix de Coulson, quelque part sur sa droite. Celle de Steve, à l'autre bout de la table. Les interventions de Bruce, énoncées d'une voix fatiguée, et de Thor, pareilles à un roulement de tonnerre euphorique ‒ si cela pouvait exister, sinon Thor venait juste de l'inventer, après tout c'était un demi-dieu venu d'une autre galaxie. Seuls Natasha et Clint se taisaient, et Tony était certain que leur silence signifiait qu'ils avaient déjà remis leur rapport très confidentiel à l'agent Coulson.

« Avez-vous quelque chose à ajouter, monsieur Stark ? » s'enquit ce dernier.

Tony se redressa imperceptiblement ‒ avant de jurer en son for intérieur, et zut, SuperNanny commençait à avoir le même effet sur lui que son adorable et terrifiante Pepper.

« Juste une chose, crut-il bon de dire, parce qu'il était Tony Stark et qu'il n'était pas question de manquer une occasion d'enquiquiner son prochain. Le capitaine ici présent pourra-il préciser de quelle droite il parle la prochaine fois ? J'ai le sentiment que cela améliorerait beaucoup la coordination des mouvements de l'équipe...

— C'est pour cela que tu es parti dans l'autre sens ? s'exclama Steve, ses yeux bleus écarquillés d'une façon que Tony trouva irrésistiblement comique.

— La précision, Cap'. La précision est le maître mot.

— Vraiment ! Et moi qui croyais que ton esprit de contradiction se réjouissait d'aller une fois encore à l'encontre de mes ordres !

— Hypothèse intéressante. Dans ce cas, on le mettra sur le compte d'un réflexe inconscient de ma part.

— Messieurs ! Dois-je vous rappeler combien la situation est grave ? »

Tony fut tenté de répondre par l'affirmative, mais l'expression du directeur le dissuada de poursuivre dans la voie de la provocation.

« L'arbre de Noël, messieurs. L'arbre de Noël est tombé, lâcha Fury entre ses mâchoires serrées.

— J'en suis vraiment, vraiment désolé, dit Bruce d'un ton piteux.

— Malheureusement docteur, les Avengers ont atteint le point où les excuses et une aide financière conséquente ne suffisent plus, déclara l'agent Coulson.

— Ça sent si mauvais que ça ? demanda Clint.

— Regardez donc par vous-mêmes. »

Coulson se saisit d'une télécommande et actionna les écrans situés au fond de la salle de réunion. Plusieurs fenêtres s'illuminèrent.

« Comme vous le savez, le SHIELD surveille les sites d'informations et les réseaux sociaux. Nous tenons à analyser les données pouvant constituer des menaces sur la sécurité nationale et mondiale. Nous traquons également toutes les occurences ayant trait aux Avengers.

— Eh bien, vous devez avoir un sacré boulot vu le nombre toujours croissant de nos fans, railla Tony.

— À votre place, Stark, je commencerais à remettre en question la pertinence de mon ego. Vous n'avez pas que des fans, loin de là.

— Nous avons constaté une recrudescence alarmante des groupes "anti-Avengers" sur Facebook. Les forums croulent sous les messages négatifs, voire insultants. Et je vous épargnerai les petites phrases assassines qui émaillent Twitter en ce moment même.

— Franchement, il n'y a pas de quoi s'inquiéter. Ne dit-on pas que la popularité se mesure aussi au nombre de ses détracteurs ?

— Le problème, c'est que le poids de vos détracteurs commence à peser lourd dans la balance, dit Fury. Et si cela continue, il va être de plus en plus difficile d'intervenir sans courir le risque de se mettre toute la population de New York à dos.

— Écoutez, si c'est à cause du sapin de Noël, je ferai un geste et le remplacerai. Il sera plus grand et clignotera deux fois plus ! Il chantera même des chants de Noël si ça peut vous faire plaisir.

— Et que faites-vous des rues défoncées, des façades détruites et des véhicules bons pour la casse ? Des commerces mis en faillite ? Des assurances qui renoncent à rembourser leurs clients et mettent la clé sous la porte ? Des résidents qui voient leurs logements réduits en poussière ?!

— Vraiment, terriblement désolé... » marmonna le pauvre Bruce, les épaules affaissées sous le poids des dégâts et de la culpabilité.

Natasha lui serra le bras pour le réconforter.

« Ne me dites pas que vous allez payer aussi pour ça, ajouta Fury en le toisant d'un air mauvais.

— Les gens doivent bien comprendre qu'on ne peut pas à la fois combattre le Mal et faire le ménage ensuite, rétorqua Barton en se renversant sur sa chaise, l'air de s'en foutre royalement.

— Non, ils ne le comprendront pas, dit Steve en fronçant les sourcils. Ils ne voudront pas comprendre.

— Exactement, capitaine, renchérit le directeur. Ils veulent le beurre et l'argent du beurre. Personne n'y peut rien, c'est ainsi que le monde est fait. C'est donc à nous de nous adapter.

— Quoi, vous n'allez quand même pas nous demander de faire attention aux pots de fleurs pendant la bataille ! s'exclama Tony.

— Cela serait fort ennuyeux, acquiesça Thor avec une moue. Une perte de concentration de notre part pourrait apporter de plus grands dommages à cette charmante cité.

— Je sais, soupira Fury en se pinçant l'arête du nez. C'est pourquoi nous devons... vous devez regagner le cœur des citoyens de New York. Leur redonner foi en leurs héros. Et rebooster votre capital sympathie.

— Oh, rien que ça ! ironisa le Faucon.

— Et comment comptez-vous nous faire accomplir ce miracle ? s'enquit la Veuve Noire.

— Eh bien, dit Coulson, nous avons établi plusieurs scénarios possibles... »

Les jours suivants, les médias devinrent le terrain d'une âpre lutte entre les pro et les anti-Avengers. La dernière intervention des super-héros contre les androïdes venus d'une autre dimension (Fury soupçonnait le docteur Richards d'avoir loupé l'une de ses expérimentations hasardeuses sur le tissu spatio-temporel de leur univers) n'avait été, au final, que l'aboutissement d'une longue série de destructions du bien public et de dommages soi-disant collatéraux.

C'était une chose que de voir le monde en général, l'Amérique et New York en particulier libérés de la menace d'extraterrestres belliqueux et de dieux mégalomaniaques. C'en était une autre de constater qu'un groupe masqué, en combinaison de cuir ou armure ultra-perfectionnée, cape au vent et bouclier en main, venait de réduire à l'état de cratère fumant l'appartement dont vous aviez payé les dernières traites le mois précédent.

Bien sûr, ils pouvaient fort heureusement compter sur le noyau dur de leurs fans, sur leur soutien inconditionnel et leur enthousiasme communicatif. Des sittings et des manifestations fleurissaient un peu partout, devant le siège des médias locaux, en pleine rue, sur les places et les carrefours. Ils avaient même eu droit à un concert en leur faveur donné par les Rolling Stones. Natasha, qui l'eût cru, avait tenu à être prise en photo dans les bras de Mick Jagger.

Habitué à vivre sous les feux des projecteurs depuis sa naissance, Tony avait accepté de se prêter au jeu des interviews et contre-interviews avec une grâce et une bonne volonté stupéfiantes. Un sourire coquin et deux pirouettes verbales lui suffisaient généralement pour se mettre les journalistes et le public dans la poche.

Malgré son expérience dans le monde du spectacle, si lointaine et en même temps si proche, Steve devinait que sur ce terrain-là, le milliardaire le battait à plates coutures. Il aurait sans doute dû se sentir indigné, ou peut-être vexé de l'aisance avec laquelle Stark parvenait à manipuler l'opinion publique. En réalité, il était surtout soulagé de ne pas être celui sur qui l'attention était focalisée ; étonné aussi, de voir Tony jeter si volontiers sa personne en pâture à la presse... admiratif, enfin, et un peu mortifié de constater que le charme "made in Stark" fonctionnait également sur lui.

L'attirance qu'il éprouvait pour l'arrogant génie de leur équipe ne datait pas de ces derniers jours, même si son évidence ne lui avait pas sauté aux yeux dès le départ. Elle avait couvé sous une bonne couche de défiance doublée d'exaspération, l'une comme l'autre attisées par la litanie sans fin des sarcasmes acerbes et des références occultes auxquelles Stark faisait appel lorsqu'il tenait à se montrer vraiment odieux.

À présent, Steve se voyait forcé de reconnaître que ses sentiments pour le milliardaire venaient de dépasser le stade de simple béguin pour atteindre celui d'amour silencieux et impossible ‒ impossible car Tony avait toujours mis un point d'honneur à faire savoir combien il aimait la gent féminine, mais aussi et surtout parce qu'il avait enfin la chance d'être engagé dans une relation stable et durable avec miss Potts. Et Steve, qui appréciait beaucoup Pepper, aurait préféré passer soixante-dix nouvelles années sous la glace plutôt que de la faire souffrir en séduisant son petit ami (si l'on supposait bien sûr que Tony n'était pas réfractaire à faire des galipettes avec un joueur de son équipe.)

Le mieux qu'il puisse faire était de continuer à se taire, et de prétendre que rien n'avait changé entre eux.

Ce fut le département de gestion des communications extérieures et des relations publiques du SHIELD qui se chargea d'organiser la contre-attaque dans la presse et les médias. Tony joua donc le rôle de figure de proue, n'hésitant pas à s'inviter dans les talk-shows et apparaître dans des cérémonies et des galas auxquels il n'était sans doute même pas invité ‒ et encore, étant Tony Stark, il y avait fort à parier qu'il avait une place d'honneur dans la liste des hôtes.

Tout fonctionna à merveille pendant une semaine. Les journalistes furent incapables de restreindre l'accès du SHIELD à leurs plateaux de télévision et aux colonnes de leurs journaux, et le public se laissa embobiner avec une aisance que Steve trouva relativement perturbante. Il était facile de manipuler les foules ; cela lui rappela avec amertume les heures sombres de son temps. De temps à autre, Tony s'octroyait la compagnie de l'un de ses collègues. Parfois Natasha, dont la présence à elle seule dissuadait les plus téméraires de poser des questions embarrassantes. Mais c'était Thor qui figurait le plus souvent aux côtés du milliardaire ; la bienveillance du public à son égard n'avait pas baissé d'un point grâce à sa franchise désarmante, son éternelle bonne humeur et son style à la fois épique et désuet. Les gens l'adoraient, tout simplement.

(Bruce était interdit de plateau pour des raisons évidentes, et Clint avait une propension à raconter des détails hautement embarrassants sur l'agent Coulson lorsque les caméras étaient pointées sur lui.)

Bientôt cependant, l'élan de solidarité envers les Avengers retomba comme un soufflé sortant du four, et tout fut à recommencer, en particulier lorsque l'histoire du sapin de Noël fut ramenée sur le tapis.

La catastrophe survint par une belle soirée de décembre, au pied d'un grand escalier menant à l'un des hôtels les plus luxueux de la Grande Pomme.

Happy Hogan stoppa la limousine pile devant le tapis rouge, avec une précision qui aurait arraché à Steve une exclamation admirative s'il n'avait pas été si occupé à tirailler le nœud papillon lui étranglant la gorge. Vautré à côté de lui sur la banquette arrière, Tony le regardait faire avec un haussement de sourcil moqueur.

« Tu ressembles de plus en plus à une biquette conduite sur l'autel du sacrifice, Cap', ironisa-t-il.

— C'est peut-être parce que j'ai l'impression d'en être une », rétorqua-t-il en se forçant à éloigner ses mains de son propre cou.

Le milliardaire poussa un soupir.

« Tu n'avais pas besoin de venir si tu n'en avais pas envie. J'aurais très bien pu me rendre seul à cette soirée, ou me faire accompagner par notre mortellement charmante Veuve Noire.

— Natasha a déjà suffisamment donné de sa personne. Thor aussi. Il aurait été injuste que je ne m'investisse pas à un moment ou à un autre.

— Certes », fit l'autre avec un sourire en coin.

Steve déglutit avec peine lorsque son camarade lui indiqua, d'un signe de la main, qu'il était temps pour eux de sortir de l'abri rassurant de la limousine.

« Bonne chance, capitaine », dit Happy d'un ton compatissant.

Le blond inspira profondément et ouvrit la portière.

Les flashes des appareils photos l'aveuglèrent un bref instant lorsqu'il émergea de la voiture. Ses mâchoires se serrèrent, et il dut faire un effort pour avancer d'un pas et laisser à Tony la place de descendre à son tour. Il sentit la main de ce dernier se poser discrètement sur son poignet.

« Souris aux caméras, Cap'. Tu vas faire chuter notre pourcentage d'opinion favorable si tu as l'air en permanence constipé.

— Ce n'est pas drôle », rétorqua-t-il à voix basse, mais il s'empressa néanmoins de masquer sa gêne derrière un sourire figé.

Une forêt d'objectifs semblait avoir poussé de chaque côté du tapis. Les flashes crépitaient sans cesse et les appels fusaient de toutes parts en un flot continu. Chaque photographe voulait sa part dans cette curée médiatique : un cliché croustillant de Captain America étranglant Iron Man sur le perron de l'hôtel, ou bien une phrase malheureuse qui, sortie de son contexte, les ferait passer pour les pires mufles de la planète.

Sans se démonter, Tony avança d'un pas conquérant, saluant les uns sur son passage, gratifiant les autres d'un baiser assorti d'un clin d'œil. Ce ne fut qu'au bout de plusieurs secondes que Steve réalisa que le milliardaire avait passé son bras sous le sien et l'entraînait à sa suite.

« Par ici, monsieur Stark ! » s'exclama une voix féminine non loin d'eux.

Impossible de faire comme s'ils n'avaient rien entendu. Le ton était à la fois péremptoire et assuré, et n'aurait certainement pas déparé sur un champ de bataille.

Tony se retourna d'un mouvement fluide, s'apprêtant à saluer la femme qui venait de l'apostropher. Alarmé, Steve le vit perdre son sourire le temps d'une brève seconde.

« Ma parole ! s'écria Tony en resserrant imperceptiblement son étreinte sur le bras de Steve. Si ce n'est pas cette très chère...

— Christine Everhart, dit la blonde journaliste avec un sourire carnassier. C'est une maladie chez toi, que d'oublier systématiquement le nom des personnes que tu mets dans ton lit.

— Je n'avais pas oublié ton nom, chère Christine, rétorqua-t-il avec une grimace avant d'asséner. Je n'oublie jamais le nom de mes ennemis.

— Voilà qui est flatteur. En souvenir de nos brèves joutes nocturnes, me feras-tu la grâce de m'accorder quelques minutes ?

— Seulement si ta plume à papote ne déforme pas mes propos.

— Je sais me montrer professionnelle même avec les pires salauds, Tony, sourit-elle avant de diriger son attention ‒ ainsi qu'un regard appréciateur ‒ vers Steve. Je vois que tu n'as pas tardé à remplacer l'inénarrable miss Potts pour tenter quelque chose de plus... exotique. »

Steve se sentit rougir jusqu'à la racine de ses cheveux. Ce qui était sans doute la dernière chose à faire, car le sourire de la jeune femme se fit plus féroce encore.

« Pouvez-vous me dire votre nom, s'il vous plaît ? Comme vous avez pu le comprendre, Tony Stark ne doit même plus se souvenir de l'endroit où il vous a déniché.

— C'est ce que tu espères, n'est-ce pas ? répliqua le concerné avant même que Steve ait eu le temps d'ouvrir la bouche. Navré de te décevoir, mais ce jeune homme est loin, très loin d'être mon rendez-vous galant. Christine, permets-moi de te présenter Steve Rogers, le seul et unique Captain America.

— Oh... oh ! »

Christine battit des paupières, visiblement stupéfaite. Son dos, très droit jusque-là, s'arrondit légèrement sous le choc d'une révélation à laquelle elle ne s'attendait pas.

« Je suis... désolée, balbutia-t-elle. J'ai juste présumé... C'est un honneur de vous rencontrer.

— Enchanté, murmura faiblement Steve en serrant la main qu'elle lui tendait.

— Je suis sincère, dit-elle précipitamment. J'ai couvert plusieurs opérations en Afghanistan, l'année dernière. J'ai beaucoup de respect pour les soldats qui se sont engagés corps et âme afin de défendre notre nation. Au contraire de certains individus qui ne pensent qu'à leur narcissique petite personne, ajouta-t-elle en coulant un regard assassin en direction de Tony.

— Tout le monde ne peut pas être un parangon de vertu patriotique, répliqua-t-il d'un ton faussement indifférent.

— Je ne suis pas un parangon de vertu patriotique ! » riposta aussitôt Steve.

Christine huma doucement, considérant les deux super-héros d'un air pensif.

« J'ai entendu dire certaines choses... commença-t-elle.

— Tu prêtes attention aux ragots, maintenant ? dit Tony. Je croyais que c'était toi qui les initiais, non pas que tu les écoutais religieusement avant de les noter dans ton carnet. »

Elle l'ignora.

« J'ai entendu dire que tout n'était pas rose au pays des Avengers, reprit-elle. Il paraîtrait même que le bon capitaine et toi auriez des mots... voire des gestes assez agressifs l'un envers l'autre.

— Le capitaine et moi nous entendons comme larrons en foire ! rétorqua l'homme à l'armure en enroulant son bras autour des épaules de Steve, qui se raidit automatiquement.

— Vraiment ? D'après mes sources, votre mésentente est un secret de polichinelle. Je te connais Tony, tu es un électron libre incapable de travailler en équipe. Et sauf votre respect, capitaine, je pense qu'Iron Man n'est pas du genre à se laisser mener à la baguette et à suivre les ordres.

— Iron Man est un bon équipier... intervint le blond, mais Christine poursuivait déjà sur sa lancée.

— N'ai-je pas raison, Tony ? Ne me dis pas que tu suis tous les ordres à la lettre... ne me dis pas que vous tous, les Avengers, accomplissez un travail formidable en défendant le monde ! Parce que ce n'est pas du tout le cas.

— Es-tu devenue aveugle, Christine ? Tu n'as donc pas allumé ta télé dernièrement, tu n'as remarqué que nous vous avons sauvés d'une invasion de robots extraterrestres terriblement hostiles envers l'espèce humaine ? » s'exclama Tony, cette fois hors de lui.

Steve comprit, avec un temps de retard, que Christine Everhart venait de triompher. La jeune femme leva son micro et se tourna vers le caméraman qui se tenait près d'elle.

« Nous voici devant l'hôtel Mandarin Oriental qui reçoit ce soir une foule de célébrités pour un gala de charité. À mes côtés se trouvent Tony Stark, que l'on ne présente plus, et Steve Rogers, plus connu sous le nom de Captain America. Messieurs, peut-on décemment qualifier votre dernier acte d'héroïsme de succès lorsqu'on sait que les dégâts causés par vos actions s'élèvent à près de trois cent millions de dollars ?

— Tu nous as piégés, souffla Tony, si bas cependant que seul Steve put saisir ses paroles.

— Quels sont vos sentiments concernant les destructions occasionnées lors de l'attaque ? poursuivit Christine, imperturbable. Captain America, qu'avez-vous à dire au sujet de l'arbre de Noël ? »

Steve sursauta, hésita à répondre.

« Dommage collatéral, répondit Tony. Cela arrive dans toutes les zones de combat, non ? En Afghanistan, par exemple...

— Nous sommes en Amérique, monsieur Stark. Pas en Afghanistan. Aussi pouvons-nous exiger de nos soi-disants protecteurs qu'ils ne causent pas plus de dégâts que les menaces contre lesquelles ils sont censés nous défendre.

— Personne n'est à l'abri d'une petite erreur.

— Vous avez privé plusieurs de nos concitoyens de leur travail, de leur maison !

— Oh, pour l'amour du ciel ! Nous avons sauvé New York !

— Vous avez détruit le sapin du Rockefeller Center. Vous avez touché au symbole de Noël !

— Nous le remplacerons.

— Vous ne comprenez pas, monsieur Stark. Savez-vous combien d'enfants vous ont vu sur les écrans ce jour-là ? Combien d'entre eux ont pleuré en voyant ce grand et magnifique sapin jeté à bas par votre monstre incontrôlable ? »

Les lèvre de la journaliste se courbèrent en un sourire mielleux. Steve sentit un frisson remonter le long de sa colonne vertébrale.

« Vous avez fait pleurer des enfants, messieurs. »

Cette nuit-là, Steve ne trouva pas le sommeil. Les insomnies étaient loin d'être rares depuis qu'il avait été délivré de sa prison de glace et ramené à la vie. Et lorsqu'il parvenait à fermer les yeux, pour quelques heures, quelques minutes, les cauchemars recommençaient. La main de Bucky lui échappait, encore et encore. La voix de Peggy se brisait, puis disparaissait dans les crépitements du signal radio. La glace, enfin, la glace qui l'enveloppait comme une amante insensible et cruelle...

Il rejeta ses draps, se redressa et appuya son front contre ses poings serrés.

Les paroles d'Everhart avaient touché un point sensible chez lui. Peut-être aussi chez Stark, même si ce dernier avait refusé de montrer la moindre faiblesse. Il avait réussi à dépasser la rage que lui avait inspiré leur rencontre avec la journaliste, refoulant la honte de s'être laissé piégé comme un débutant et se glissant à nouveau dans le rôle du milliardaire arrogant et insouciant pour le reste de la soirée. À leur retour cependant, Tony n'avait pas décroché un mot, et avait planté Steve sur le seuil du garage pour s'enfermer dans son atelier.

Steve savait que les accusations de Christine avaient touché juste pour la bonne et simple raison qu'elles contenaient une part non négligeable de vérité.

Il se leva, sortit de sa chambre et monta sans bruit les étages qui le séparaient de la partie commune, où tous les résidents de la Tour avaient coutume de se réunir. Il s'assit sur le grand canapé, puis finit par glisser sur le sol. Sa main effleura le dessus de la table basse. Le verre poli s'illumina doucement, et un écran apparut. La voix synthétique de JARVIS résonna dans le silence de la pièce.

« Puis-je vous apporter mon aide, capitaine ?

— Pourrais-tu me montrer les dernières informations publiées sur les Avengers ?

— Avec plaisir, capitaine. »

Steve eut un petit sourire. Il avait fini par acquérir le concept d'intelligence artificielle, et comprenait que JARVIS n'éprouvait pas à proprement parler du plaisir, ou tout autre sentiment bien humain. C'était simplement sa manière de s'exprimer, encodée dans les programmes élaborés par Tony. Une suite infinie de zéros et de uns, qui s'était petit à petit muée en quelque chose ressemblant subtilement à une personnalité.

Plusieurs fenêtres s'affichèrent. Steve les observa longuement, reconnut pour la plupart les pages d'accueil de journaux en ligne et de sites d'information réputés fiables. Il les parcourut d'un air morne, grimaça en reconnaissant soudain un résumé peu élogieux de leur entretien avec miss Everhart.

Les articles n'étaient pas tendres avec eux. Certes, ils étaient forcés de reconnaître que les Avengers les protégeaient de menaces bien réelles, mais ils enchaînaient aussitôt sur les destructions qui accompagnaient inexorablement leurs interventions, chiffrant les dégâts avec un luxe de détails bien souvent inutiles, multipliant les témoignages des victimes, n'hésitant pas à forcer le trait pour tirer des larmes à leurs lecteurs.

Partout, la même conclusion se répétait, pratiquement avec les mêmes mots : les habitants de New York en avaient assez des Avengers. On commençait à se méfier d'eux, à les qualifier de dangers et de menaces, d'étrangers et de monstres. Steve songea à Clint et Natasha, qui avaient si longtemps vécu dans la trahison et la méfiance, et qui croyaient avoir enfin trouvé le hâvre de reconnaissance auquel ils avaient toujours secrètement aspiré. Il pensa à Thor, si loin des siens, et pourtant si prompt à défendre une planète insignifiante, aux habitants si remplis d'ingratitude et d'égoïsme. À Bruce, à cet homme si doux et si poli qui déployait une force inhumaine pour tenter d'apprivoiser la bête qui sommeillait au fond de lui-même.

À Tony enfin. Steve pourrait toujours faire semblant de le détester, prétendre qu'il voyait toujours en lui l'odieux personnage qui l'avait insulté sur le Héliporteur, les premiers jours. Aujourd'hui, il devinait les blessures dissimulées sous l'or et l'écarlate de l'armure. Il comprenait l'âme blessée derrière le masque d'orgueil, au point d'en être tombé amoureux.

« Merci, JARVIS », souffla Steve tandis que les fenêtres s'éteignaient les unes après les autres.

L'image du sapin tombé bravement au combat lui revint en mémoire.

Il imagina l'expression désespérée des enfants devant le désastre. Son cœur se serra. Les Avengers représentaient l'espoir d'un monde meilleur, certes, mais aussi et surtout des valeurs que les gens de ce futur décadent avaient depuis trop longtemps oubliées. Et lui, Steve Rogers, venait de fouler sous ses pieds ces mêmes valeurs qu'il s'était toujours targué de défendre.

Il fallait à tout prix remédier à la situation. Redonner espoir et confiance à la population de New York. Lui donner l'envie de croire à nouveau que les miracles existaient. Faire à nouveau briller l'étoile au sommet de l'arbre de Noël ‒ d'accord, l'image était quelque peu tirée par les cheveux et Steve lui-même grinça des dents ‒ mais l'intention était là. Les Avengers devaient tout mettre en œuvre pour retrouver leur statut de héros sans peur et sans reproche.

Une idée commença à germer dans son esprit, se fraya un chemin au milieu de ses pensées mélancoliques et attisa le feu de sa détermination.