C'était un matin venteux et bien trop froid pour se balader, mais avec un peu de courage et si on prenait la peine de passer de l'autre côté de la rivière gelée, on se retrouvait dans la vieille zone industrielle, dont les usines avaient, pour la plupart, fermées des années auparavant. De chaque côté des rues, se dessinaient des habitations à l'allure modeste. Pour certaines d'entre elles, des planches de bois avaient été placées sur les fenêtres, réparations de fortune, qui, faute de laisser passer la lumière du jour, avaient au moins le mérite de tenir chaud. La pauvreté ambiante était quasi palpable. Des réverbères cassés aux pavés d'un autre temps dont étaient faites les ruelles, tout semblait triste et délabré. C'est en s'aventurant plus loin, au fond de l'impasse du Tisseur que le rugissement du vent faisait place à un autre son, plus humain.

Nous étions le 9 janvier 1960, et Eileen était occupée à donner la vie à son fils, en plein milieu de son salon. Tobias, le père de l'enfant, avait déserté la petite maison dès le début du travail, se contentant d'aller chercher une voisine âgée, ancienne infirmière ayant déjà exercé pendant la guerre. Mais c'était mieux ainsi, elle n'aurait pas à craindre ses réactions, car, si le niveau sonore avait tendance à monter très vite du côté de son mari, elle, par contre, avait plutôt intérêt à se faire discrète, chose difficile lorsqu'on accouche dans de telles conditions. Entre deux contractions, dans une vaine tentative de distraction, elle prit le temps de repenser au passé, se demandant ce qui l'avait conduit à vivre ainsi.

Toujours en conflit avec des parents uniquement capables de se moquer de sa passion pour les bavboules qui « jetait le ridicule sur leur noble lignée ». Elle avait passé la plus grande partie de son adolescence à provoquer le courroux patriarcal à la moindre occasion. Points culminants de sa rébellion, sa fuite et son mariage avec Tobias avaient fini de ruiner toute possibilité de réconciliation. Les choses auraient, peut-être, fini autrement, si elle avait su. La famille n'avait, ainsi, jamais été son fort, alors, elle se voyait mal devenir mère et, si élever un enfant dans ce quartier ne constituait pas sa plus grande crainte, lui infliger de grandir aux côtés de son père, semblait un bien plus sombre destin. Il lui restait tout de même une maigre consolation, si l'enfant ne naissait pas Cracmol et vivait jusqu'à ses onze ans, il aurait toujours Poudlard.

On pourrait se demander pourquoi elle avait choisi cette vie. La raison en est simple, lors de leur rencontre, Tobias l'avait littéralement séduite, bien que n'ayant pas grand-chose pour lui. Certes grand et brun, il était surtout maigrichon, pour ne pas dire osseux, doté de cheveux noirs à l'aspect luisant et d'une dentition prématurément jaunie, qui se faisaient voler la vedette par un nez crochu qui lui ôtait tout espoir de conquête. Alors comment un individu si dépourvu de charme avait-il réussi à l'enlever à sa famille ? C'était justement là le problème, Eileen voulait partir, vite et les promesses vides de sens que le jeune homme lui avait faite constituaient son principal atout. A l'époque, elle ne voyait sa rencontre avec Tobias que comme un signe du destin, c'était sa clé pour la liberté. Une erreur qu'elle et son fils allaient probablement payer toute leur vie.

C'est aux alentours de dix heures, qu'elle entendit pour la première fois les cris de son enfant, que son époux et elle avaient décidé de nommer Severus Rogue.