Note:

Vous avez peut-être lus Alice aux pays des Merveilles de Lewis Carroll, vus le dessin animé ou encore l'adaptation de Tim Burton. Mais la version que je vous présente aujourd'hui est quelque peu différente. Par précaution, je la met en rating M car je sais d'avance qu'elle pourra être assez choquante par moments. Je vous offre ma version, Alice se perds au royaume des fous, et si la trame de base est la même, le récit suivant n'est pas une histoire pour enfants...


Chapitre 1: Down the rabbit hole.

Le jardin de leur propriété en bordure de Londres était modeste et banal. Les quelques arbres plantés par son père au printemps dernier n'étaient pas assez grands pour leur faire de l'ombre et le soleil tapait fort en cette lourde journée du mois d'août. Assise à même le sol malgré la désapprobation de sa sœur aînée Alice arrachait des touffes d'herbes tout en fredonnant un air que sa mère avait l'habitude de jouer au piano. Elle aurait pu aller s'asseoir au pied d'un arbre de la forêt qui bordait le jardin mais ses parents le lui avait formellement interdit.

A quelques mètres d'elle, assise à la table de jardin, à l'abris du soleil sous son ombrelle en dentelle blanche, sa sœur Margarette semblait absorbée par la lecture d'un énorme volume brun. Alice avait toujours admiré la beauté de sa sœur. Elle enviait ses grands yeux noirs, ses magnifiques boucles brunes qui encadraient son visage de porcelaine et les robes de dentelles toujours si féminines qu'elle savait si bien choisir.

« Alice, veux-tu bien te taire ? s'exaspéra Margarette en levant les yeux de son livre.

_ Qu'est-ce que tu lis ?

_ Un livre d'histoire.

_ Et de quoi parle-t-il ?

_ D'histoire, répliqua-t-elle sèchement.

_ C'est plutôt vague… De quelle période de l'histoire ?

_ Des enjeux politiques de la révolution française.

_ Ça a l'air ennuyeux à mourir… »

Margarette gratifia sa sœur d'un regard noir et se replongea dans sa lecture. C'était tous les étés pareil. Ses parents s'offraient des vacances exotiques aux quatre coins du monde et elle restait coincée ici avec une sœur beaucoup trop sérieuse pour être amusante. Les jours se suivaient et se ressemblaient tristement. Si seulement il pouvait se passer quelque chose, n'importe quoi !

« Maggie ?

_ Quoi ?! s'énerva son ainée.

_ Est-ce que tu as déjà fait quelque chose de fou ?

_ Pardon ?

_ Je veux dire… Quelque chose d'un peu risqué, qui change de d'habitude.

_ Non, assura durement Margarette. Les actes insensé sont réservés enfants inconscients des conséquences de leurs actes. Je ne suis plus une enfant. »

Alice regretta d'avoir posé cette question. La réponse était évidente, sa sœur ne supportait pas tout ce qui sortait de l'ordinaire. Le simple fait que l'ancien service à thé ait été remplacé par un nouveau le mois dernier l'avait profondément troublée.

Voyant sa petite sœur perdue dans ses réflexions, la jeune femme reposa son livre sur la table et choisis soigneusement ses mots avant de prendre la parole.

« Toi non plus tu n'es plus une enfant, Alice. Tu vas avoir dix-huit ans, il est plus que temps pour toi de grandir.

_ Pourquoi ? demanda-t-elle en relevant les yeux vers sa sœur.

_ C'est comme ça, c'est tout. Personne n'y échappe. Grandir c'est abandonner ses rêves d'enfants et commencer à vivre dans la réalité, répondit doucement Margarette. Ça veut aussi dire oublier ces flirts indécents et penser au mariage, ajouta-t-elle plus durement.

_ Je ne suis pas d'accord, riposta platement Alice en tournant le dos à sa sœur. »

Peu importait l'opinion de sa sœur, elle vivait dans un monde hypocrite qu'elle n'arrivait pas à comprendre. Dans son monde à elle, tout serait en constante évolution. Les choses ne seraient pas ce qu'elles sont et personne ne l'obligerait à épouser un lord pour devenir la parfaite petite maitresse de maison qu'elle était destinée à devenir.

Oui, dans son monde, personne ne lui donnerait d'ordre ou ne lui interdirait quoi que ce soit ! Son attention se porta sur le sentier qui s'enfonçait dans cette forêt qu'elle ne devait pas visiter. Comment pourraient-ils l'empêcher d'aller s'y promener si elle le désirait ? Prise d'une pulsion de révolte, elle se leva, aplatit sa robe bleue du plat de la main et avança d'un pas assuré vers la forêt.

« Alice ! l'apostropha sa sœur. Où comptes-tu aller comme ça, jeune fille ?

_ Je vais simplement faire un tour. Je serais revenue pour l'heure du thé.

_ Penses-tu vraiment que je vais te laisser aller là-bas ?

_ Et bien je pense que oui. Nous savons toutes les deux que tu as bien trop peur pour me courir après dans cette sombre forêt pleines d'animaux sauvages. Alors je vais y aller et tu n'auras qu'à m'attendre là. »

Margarette ouvrit la bouche pour protester, puis la referma avant de se replonger dans son livre, frustrée par son incapacité à agir. Satisfaite d'avoir eu le dernier mot, Alice emprunta le chemin et s'enfonça dans la forêt.

Quelques rayons de soleil passaient entre les feuilles des arbres, dessinant des taches lumineuses sur le sol et donnant une couleur chaleureuse aux lieux. Le bruit subtile d'un ruisseau parvint à ses oreilles. Alice avait chaud et ne résista pas à l'envie de plonger ses pieds dans l'eau froide.

Elle quitta donc le sentier pour s'aventurer dans la forêt, en direction de bruit de l'eau. Une montée d'adrénaline lui fit accélérer le pas jusqu'à ce qu'elle se mette à courir, sautant au-dessus des racines, slalomant entre les arbres, se baissant pour éviter les branches. Elle se sentait comme une aventurière et cette sensation la grisait complètement. Pour la première fois de sa vie, elle se sentait libre.

Quand elle arriva enfin au pied du ruisseau, elle se laissa tomber dans l'herbe et plongea ses mains dans l'eau froide. Elle s'aspergea le visage, le cou, les bras. Cette fraicheur était délicieuse sur sa peau brûlante. Elle retira souliers et bas puis posa ses pieds dans l'eau qui lui arrivait aux genoux, trempant le bas de sa robe. Puis, sans aucune raison apparente, Alice éclata de rire. Pas un de ses rires discrets et cristallins qu'elle était obligée de contrôler en société mais un rire sonore, naturel, joyeux.

Son rire se transforma en un sourire surpris quand elle aperçut quelqu'un de l'autre côté du cours d'eau. C'était un homme de petite taille, trapu, aux oreilles décollées et disproportionnées et à la calvitie naissante. Il était habillé comme un parfait gentleman bien que les boutons de son gilet semblait prêt à exploser sous la pression d'un ventre plus que rebondi. Il semblait paniqué, à quatre pattes dans les hautes herbes semblant chercher quelque chose avec concentration si bien qu'il ne semblait même pas avoir remarqué sa présence.

« Vous cherchez quelque chose ? demanda la jeune fille assez fort pour que sa voix couvre le bruit du ruisseau. »

Ses parents, comme tous les bons parents, lui avaient interdit de parler avec des inconnus. Encore une interdiction. Il y avait tellement de gens intéressants à rencontrer, là, dehors, pourquoi s'en priver ?

Le petit homme leva son regard affolé vers elle, lui faisant légèrement penser à un lapin pris au piège.

« Ma montre ! Ma montre a disparu et je dois être terriblement en retard ! »

La détresse de l'inconnu ému la jeune fille, si bien qu'elle prit appuis sur les plus gros cailloux du ruisseaux et rejoignit l'étrange personnage sur la rive opposée. Elle ne put s'empêcher de sourire en remarquant que les deux dents de devant de l'individu était légèrement avancées.

Un reflet lumineux attira son attention. A côté d'une pierre, se trouvait une très belle montre gousset en argent, gravée d'arabesque et de spirales, sur laquelle se reflétaient les rayons du soleil. Elle prit soigneusement l'objet en main et le présenta à son propriétaire.

« C'est celle-ci ?

_ Mais oui, c'est elle ! s'exclama le petit personnage en récupérant la montre. Je vous remercie du fond du cœur, ma chère ! Oh grands dieux ! Déjà trois heures et quart ! Je suis affreusement en retard ! »

Sur ce, le monsieur à la montre escalada un rocher d'un saut agile pour quelqu'un de sa corpulence et disparu en courant derrière un arbre.

Où se rendait-il comme ça, au beau milieu de la forêt ? Y avait-il un grande fête surprise ou une sorte de réunion secrète très importante ? Tiraillée par la curiosité, Alice décida de le suivre. Au diable sa sœur et au diable l'heure du thé ! Elle voulait vivre une grande aventure et c'était sa chance, elle ne la laisserait pas passer !

C'est donc les cheveux emmêlés, pieds nus, sans bas, couverte de terre et vêtu d'une robe à moitié trempée qu'elle se lança à la poursuite de l'homme-lapin (surnom qu'elle venait de lui trouver et qui lui semblait parfaitement approprié d'autant plus qu'il n'avait pas pris la peine de lui dire son nom).

Elle prit bien cinq minute avant de rattraper le petit homme. Comment pouvait-il courir aussi vite ? Elle s'enfonçait encore et encore dans la forêt et derrière l'excitation, un pointe de peur semblait grandir lentement. Alors qu'elle était maintenant certaine de ne pas pouvoir retrouver son chemin, l'homme-lapin s'arrêta net et inspecta rapidement les environs pour être sûr que personne ne l'avait suivi.

Alice se dissimula derrière un chêne centenaire et observa la scène qui se déroulait sous ses yeux avec étonnement et incompréhension. Le petit homme avança devant la souche d'un arbre calciné, qui abritait un trou entre ses racines apparentes. Il se pencha et disparu dans l'ouverture.

Elle ne pouvait plus faire machine arrière, elle ne retrouverait jamais son chemin seule et elle mourrait ici, au milieu de nulle part, si elle restait là. La jeune fille inspira profondément, prit son courage à deux mains et avança là où l'inconnu se tenait quelques secondes plus tôt. Elle ne devait pas perdre de temps si elle voulait retrouver sa trace. Elle se pencha au-dessus du trou, ne voyant que les ténèbres. Son cœur s'emballa, l'excitation avait définitivement laissé sa place à la peur, une peur qui la prenait aux tripes.

« C'est comme un pansement, se résonna-t-elle, il faut l'arracher vite, sans réfléchir. »

Alice ferma les yeux et avança dans le néant. Ne sentant pas le sol sous ses pieds, elle essaya de se raccrocher à une racine mais celle-ci craqua sous son poids et elle chuta. Une chute effrayante et interminable qui remuait chaque parcelle de son corps, qui égratignait sa peau quand elle se rapprochait trop de la paroi du puits sans fond. Elle aurait voulu hurler mais l'air semblait avoir quitté ses poumons et sa gorge endolorie était terriblement sèche. Tout ça ne pouvait pas être réel ! Elle devait forcément être en train de rêver !

Alors qu'elle était persuadée qu'elle allait mourir, sa chute ralentit et le puits s'éclaira sous une multitudes de bougies. Elle eut alors le loisir d'admirer les étagères garnies de livres colorées, de pots de confitures et de bouteilles aux liquides colorés. Elle en attrapa une et bu avidement ce qui se révéla être une excellente grenadine. Elle reposa la bouteille sur une étagère et finit enfin de tomber.

Elle posa un pied à terre, puis l'autre se posant aussi doucement qu'une plume. Elle pénétra dans une pièce ronde et inhospitalière. Les murs étaient d'un bois sombre tout comme le parquet et la pièce était éclairée par un unique lustre plein de poussière. Sur les murs, des portes se dessinaient dans le même bois sombre aux moulures classiques. Il y avait 13 portes, toutes identiques. Quant au puits par lequel elle était venue, il avait mystérieusement disparu.

Au milieu de la salle, trônait une table en verre, avec un pied en fer forgé, sur laquelle seuls deux objets étaient posés : une clé et une petite bouteille, remplie d'une liquide ambré, avec une petite étiquette attachée au bouchon de liège « buvez-moi ». La bouteille était certainement un piège destiné à l'empoisonner. La jeune fille s'empara de la clé et tenta vainement d'ouvrir les portes une par une mais elles demeuraient toutes fermées.

Alice allait abandonner quand elle remarqua des écritures au-dessus des portes. Un mot pour chaque porte. Penser. Avec. L'insouciance. D'un. Enfant. Visiteurs. Si. Vous. Voulez. Sortir. Alors. Vous. Devez.

« Visiteurs, si vous voulez sortir, alors vous devez penser avec l'insouciance d'un enfant, murmura Alice. »

L'insouciance d'un enfant ? Qu'aurait-elle fait en entrant dans cette pièce si elle avait eu dix ans de moins ? Si elle n'avait pas conscience du danger ? C'était évident, elle aurait vidé la petite bouteille qui l'aurait bien plus intéressée que la clé.

Alice revint vers la table, posa la clé et fit rouler le flacon entre ses doigts faisant tanguer le liquide doré. Elle fit sauter le bouchon avec son doigt et respira l'odeur du breuvage. Ça sentait les jours d'été passés dans la maison de sa grand-mère, ces jours bien loin où le jardin résonnait de rire enfantins, où flottait dans l'air une odeur d'herbe fraichement coupée et de gâteau aux fruits qu'on a mis à refroidir sur le rebord de la fenêtre. Sans hésiter plus longtemps, elle vida la fiole. De toute façon, elle n'avait plus rien à perdre.

Elle reposa le flacon sur la table, attendant que le breuvage fasse effet et fut très déçue de ne constater absolument aucun changement. Elle ferma les yeux comme pour se sortir d'un mauvais rêve. Quand elle les rouvrirait, elle serait de retour dans le jardin, aux côtés de Margarette.

« Ça ne peut être qu'un rêve, se rassura-t-elle, sa voix résonnant dans la salle ronde. »

Elle ouvrit un œil, lentement, puis le deuxième. Elle n'avait pas bougé, elle était toujours piégée dans la salle. Quelque chose attira son attention, quelque chose qui n'était pas là avant, elle en était sûre. C'était juste en face d'elle, incrustée dans le bois d'une porte, celle qui avait le mot « sortir » gravé dans son chambranle. C'était une petite serrure aux couleurs de l'arc-en-ciel, comme ce qu'on pouvait voir dans les flaques d'eau au soleil, après une averse.

La jeune fille récupéra la clé et l'inséra dans la serrure colorée. Elle rentrait parfaitement. Deux tours de clé vers la droite et la serrure se déverrouilla dans un « clic » satisfait.

Alice inspira profondément pour calmer son rythme cardiaque qui s'était emballé. Elle mourrait d'impatience de découvrir ce qui se trouvait de l'autre côté de la porte. Et si elle se jetait dans la gueule du loup en ouvrant cette porte ? Si sa sœur avait été là, elle lui aurait défendue de tourner la poignée, jugeant cela beaucoup trop risqué. Mais Margarette n'était pas là et il n'y avait pas d'autres portes de sortie. La jeune fille fît taire ses doutes et poussa la porte.