Chapitre 1 : Harponnage
« Hourrah ! La première du voyage ! Une bonne journée de pêche ! »
Elizabeth soupira. L'équipage du baleinier Orion avait tué ce jour-là sa première baleine depuis son départ. Les hommes dispersés dans plusieurs canots avaient encerclé l'animal et les harponneurs l'avaient achevé. Mais la baleine plongeait plusieurs fois avant d'agoniser, et les hommes l'harponnaient à nouveau dès qu'elle refaisait surface. Cette tuerie avait duré plus d'une heure.
Pendant ce temps, Elizabeth était resté sur le bateau, dans sa cabine au pont inférieur à lire. D'ailleurs, en y repensant, elle se félicita d'avoir emporté quelques bouquins. Elle avait observé quelques minutes la lente mise à mort de l'animal, mais n'y tenant plus, elle s'était retirée.
Elle émergea sur le pont supérieur pour découvrir que les hommes étaient en train de remorquer l'animal jusqu'au bateau. Elizabeth écarta négligemment une mèche de ses longs cheveux ondulés de son visage et observa l'immensité de l'océan Atlantique en se demanda quand est-ce qu'ils arriveraient enfin à Boston. Ses yeux noisette se fixèrent au loin sur l'immensité de l'océan qui s'étendait devant elle, sa frêle silhouette attirant les regards des membres de l'équipage.
Le capitaine de l'Orion, Jake Williams, lui avait affirmé que le voyage ne durerait que quelques semaines. Elizabeth n'avait jamais pris la mer avant, et elle languissait de remettre pied à terre. Cela faisait déjà trois semaines qu'ils naviguaient.
« Vous allez bien Mademoiselle Connors ? »
La jeune femme sursauta, porta instinctivement une main sur son cœur, et se tourna vers son interlocuteur.
« Seigneur, Harry… vous m'avez fait une peur bleue »
« Je ne voulais pas vous effrayez Elizabeth, vous m'en voyez désolé. Mais vous semblez toujours avoir la tête dans la lune ! »
Harry était le mari de Sarah, une amie qui travaillait avec elle au dispensaire à Londres. C'était grâce à Sarah et à Harry qu'elle avait pu embarquer sur l'Orion afin de rejoindre Boston où il était prévu que le baleinier fasse escale. Harry était un homme de courte taille, les cheveux bruns et les yeux bleus, il s'attirait rapidement la sympathie des gens car il était de bonne nature, rieur et enjoué. Il était âgé de 34 ans, le même âge qu'Elizabeth.
« C'est vrai Harry » concéda-t-elle « il n'empêche que vous ne devriez pas vous faufiler ainsi sans bruit derrière les gens »
Entendant son ton moqueur et voyant qu'elle plaisantait, Harry lui sourit gentiment.
« Pourquoi n'êtes-vous pas resté admirer le spectacle ? Je vous ai vu descendre quelques minutes à peine après le début du harponnage. C'est dommage, parce que la capture d'une baleine est un moment superbe de chasse »
« Sans vouloir vous vexez Harry, je ne partage pas votre point de vue. Je trouve cette pratique barbare. Mais bon, il faut faire marcher le commerce. A l'avenir, si cela ne vous dérange pas, je préfèrerai ne pas assister à la mise à mort de ces pauvres bêtes »
« Vous avez raison, je conçois bien évidemment que ce n'est point un spectacle pour une dame. Sur ces mots, excusez-moi Elizabeth, mais je me dois d'aller aider les hommes pour le dépeçage de notre prise »
« Bien sûr, allez-y. A plus tard » ajouta Elizabeth.
Elle frémit à l'idée de l'horrible scène du dépeçage du pauvre animal, et ne voulait en aucun cas y assister. Pourtant, en travaillant au dispensaire en tant qu'aide soignante, elle avait plus ou moins l'habitude de voir du sang, des plaies profondes, de la gangrène… Heureusement, la plupart des patients ne présentaient pas de blessures vraiment graves ou alors ils étaient justes atteins de quelques maladies courantes et banales.
Elizabeth ressentit soudain une vague de tristesse et de douleur, car elle savait qu'elle ne reviendrait pas en Angleterre avant plusieurs années. Elle avait dû tout abandonner. Sa famille, ses amis et son travail pour s'exiler en Amérique.
« J'espère que tout va bien se passer maintenant… » pensa-t-elle.
Voilà quelques minutes qu'elle observait les flots de l'océan, le regard perdu dans le vague. L'odeur salée de la mer lui parvenait et le doux bruit des vaguelettes soulevées par une légère brise la réconfortait. C'était une mer calme en cette fin d'après-midi. Ils avaient jeté l'ancre lorsqu'ils avaient repéré la baleine, et depuis le bateau était immobilisé. Le soleil déclinait à l'horizon, et les nuages prenaient une teinte orangée typique des couchers de soleil.
« Quel moment merveilleux » songea Elizabeth.
Le capitaine s'approcha d'elle. Il était plutôt grand, des cheveux autrefois bruns qui viraient maintenant au gris, et des yeux marrons. Il avait à peu près la soixantaine. Elizabeth pensa que lorsqu'il était plus jeune, il devait être séduisant et bel homme.
« Nous allons rester ici pour la nuit » l'informa-t-il.
« Nous ne naviguerons point cette nuit ? » demanda-t-elle, étonnée.
« Non, les hommes sont fatigués après cette capture, ils ont besoin de se reposer. Il restera cependant quelques hommes sur le pont supérieur pour faire le gué. Sur ce, je vous souhaite bonne nuit mademoiselle Connors »
« Bonne nuit Capitaine » répondit-elle poliment.
La journée touchait à sa fin et la jeune femme redescendit dans sa cabine se coucher après avoir salué Harry et l'équipage.
