Titre : Quand la haine prend le dessus sur l'amour
Résumé : Et si Mozart n'avait plus supporté l'attirance qu'il ressentait pour celui qui le méprisait… Et si Salieri avait vu sa vie chamboulée par l'arrivée d'une personne qu'il n'attendait pas… Pourquoi ne donnerait-on pas une chance aux deux compositeurs ?
Pov Mozart
Ce soir, c'était la première de Les noces de Figaro. J'étais tendu, je tenais à impressionner Salieri, non pas pour le contrarier, mais surtout pour lui faire mesurer l'ampleur de ma passion pour la musique. Peut-être trouverions-nous là un terrain d'entente…je l'espérais de tout mon être…
Pourquoi, me demanderez-vous, tout simplement parce que je n'arrive plus à me sortir le compositeur italien de la tête depuis qu'il s'était invité à mes répétitions avec cet incapable de Rosenberg. Ça n'avait rien à voir avec la prétendue rivalité que tout le monde nous prêtait, bien au contraire c'était souvent lui qui m'inspirait lors de mes nuits de travail acharné. J'avais composé tout le final en me remémorant ses yeux noisette…
D'autres hommes auraient put être troublés, effrayés ou même dégoûtés d'une telle attirance pour un homologue, mais je n'étais pas n'importe qui. J'étais tombé irrémédiablement amoureux de la flamme qui brûlait dans ses yeux. Nous étions le jour et la nuit, et pourtant j'étais persuadé que nous nous complèterions autant sur un plan privé que sur un plan professionnel. Inutile de préciser que je ne lui avais jamais soumis ma théorie. Le voir se rire de moi aurait été le pire des châtiments.
Je savais que le compositeur fétiche de l'empereur n'avait point aimé mon Enlèvement au Sérail, ce qui me peinait énormément. Ayant mis toute ma passion –pour lui en l'occurrence- dans mon dernier ouvrage, la peur nouait mes entrailles et je transpirai à grosses gouttes. Une ombre noire se dessina dans ma loge et j'inspirai un grand coup pour me donner la contenance nécessaire pour donner le change.
_ Salieri ! Mon ami ! Vous êtes donc venu admirer mon ouvrage ! Quel plaisir !m'exclamais-je en me forçant à donner une apparence décontractée.
_ Ou plutôt me repaître de votre chute, répondit froidement le compositeur italien. A vous voir vous agiter ainsi, je devine que vous n'êtes pas sûr de vous.
_ Cessez donc Salieri ! Avouez que vous aimez ma musique, sinon vous ne seriez pas là.
Le maestro secoua la tête, affligé, et s'avança vers la table pour se verser un verre d'absinthe. Je l'aurais bien imité mais je savais que ça n'arrangerait rien à mon cas. Toujours de dos à moi, Salieri reprit la parole de ce ton dur et glacial qu'il n'adressait qu'à moi.
_ Vous savez parfaitement que l'Empereur exige mon avis sur vos enfantillages. C'est là la seule raison de ma présence.
_ Vraiment ?insistais-je. Ne pouviez-vous donc pas reléguer cette ingrate tâche qu'est supporter mon vacarme à votre dévoué Rosenberg ?
Je fis exprès d'appuyer sur son nom, postillonnant un peu au passage. Même avec toute la bonne volonté du monde, je ne voyais pas comment j'aurais pu supporter cette vipère ne serait-ce qu'une seconde. La savoir si proche de Salieri était déjà une torture.
_ Surveillez vos propos Mozart. Je pourrais être tenté de le faire, sourit-il narquois.
_ La vérité, Salieri, c'est que vous ne me supportez pas parce que…, commençais-je en avançant vers lui avec un doigt accusateur.
Je m'apprêtai à épancher mes peines pour exorciser le doute de mon âme, mais les yeux du compositeur que chérissait mon cœur se détournèrent de moi, fixant quelque chose dans mon dos, et se mirent à étinceler d'un bonheur que je ne lui connaissais pas. Sans même savoir de quoi il s'agissait, j'étais déjà jaloux de l'objet de son attention.
_ Antonio, annonça une voix cristalline. On m'a dit que je pourrais te trouver ici.
Salieri me contourna sans plus me prêter la moindre attention. Je me retournai violemment pour faire face à celle qui nous avait dérangés dans une conversation vitale pour moi. Il fallait accorder à Salieri qu'il avait très bon goût en matière de femme. La jeune femme avait des cheveux aussi sombres que ceux de Salieri mais aux reflets chatoyants, ses yeux étaient d'un vert éclatant et sa robe écarlate ne faisait que souligner ses courbes alléchantes.
Le compositeur détenteur de mon cœur était sous le charme de cette sirène, baisant ses mains avec une adoration manifeste qui fit rougir la délicate femme. De mon côté, je fulminai de rage et de jalousie. Le cœur de Salieri était donc dévoué aux femmes…
_ Maria, je ne m'attendais pas à te voir si tôt, avoua Salieri avec une douceur infinie.
Ce ton, il ne l'avait encore jamais employé avec moi ! Cette enchanteresse bénéficiait de toute la capacité d'affection de Salieri alors que moi je ne récoltai que sa désapprobation et son mépris !
_ Je m'ennuyais à Londres, et comme j'ai eu vent de petits changements dans la cour, je me suis dit qu'il était grand temps que je vienne t'importuner un peu. Tu ne me présentes pas ton ami ?l'incita la jeune femme.
Cette ensorceleuse ne ressemblait en rien aux nobles que j'avais rencontrés. Elle faisait preuve d'une douceur naturelle et d'une sincérité rafraichissante. Salieri aurait put prendre exemple sur elle !
_ Perte de temps, répondit Salieri en retrouvant une part de sa froideur dont il ne se défaisait habituellement jamais. Allons plutôt rejoindre Rosenberg.
La jeune demoiselle afficha un air outré des manières de Salieri mais il l'emmena avant qu'elle ait le temps de lui faire des remontrances devant moi, me laissant encore plus seul que je ne l'étais avant leurs arrivées. Des larmes me brûlaient les yeux, j'avais l'impression qu'on venait de m'arracher le cœur. Même la trahison d'Aloysia n'était rien de comparable.
_ Mozart ?m'appela Da Ponte. Il faut y aller !
_ J'arrive, marmonnais-je la voix brisée par mes sanglots contenus.
J'ignorais sa compassion déprimante et entrai en scène. Saluant mon auditoire du jour, je repérai Salieri assis à côté de son amante, lui tenant la main avec une douceur qui lui était exclusivement réservée visiblement. Je me détournai rapidement d'eux pour ne pas m'effondrer devant mon public, commandant mon orchestre sans grand enthousiasme alors que les tableaux des Noces de Figaro s'enchainaient. Entre deux scènes, de petits murmures parcoururent la foule d'une façon étrangement persistante. Troublé par cette inhabituelle agitation, je tournai la tête en commandant machinalement mes musiciens et aperçu l'objet des murmures persévérants. Salieri avait quitté son siège, emportant avec lui celle qui faisait battre son cœur pour sortir de la pièce où se déroulaient mes Noces de Figaro.
De toutes les insultes, être snobé par LA référence auprès de l'empereur en matière de musique était la pire. Plus que ça, être méprisé pour son travail par l'être aimé et désiré, quand ce dernier en est la source d'inspiration, était une blessure dont on ne pouvait pas guérir. J'avais envie de tout arrêter, mais il me fallait limiter les dégâts, au moins pour Da Ponte. Les réactions furent mitigées à la fin de la représentation, mais je n'en n'avais que faire. Pour moi c'était un échec puisque Salieri n'avait pas aimé.
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Pov omniscient
Salieri ne pouvait s'empêcher d'être surpris par l'arrivée de son amie Maria. En réalité, elle n'était pas une simple amie… non elle était bien plus que ça… Maria avait grandi avec lui, leurs pères étant en étroite collaboration, et comme elle avait une voix sublime, le compositeur italien l'avait choisie pour chanteuse lyrique.
Mais il y avait encore plus qu'une collaboration artistique derrière leurs relations. En plus d'être de grands amis, ils avaient aussi été amants. Comme leurs ambitions et leurs goûts différaient sur plusieurs plans, ils avaient finis par emprunter des chemins différents, gardant une correspondance presque religieuse. Mis à part ce point, leur relation n'avait rien d'une passion enflammée. Oui, Antonio aimait Maria plus que tout, mais il n'en était pas amoureux et l'inverse était vrai aussi.
Leur affection réciproque avait beau être très forte, Antonio savait qu'elle n'était pas là pour des banalités. Il se doutait du sujet qui avait attiré son attention, Mozart… Il craignait déjà qu'elle découvre l'attraction contre-nature qu'il éprouvait pour le prodige autrichien. Qu'en penserait-elle ? Sans doute le renierait-elle ! Il se moquait bien que la cour l'apprenne, pour lui l'avis de sa si chère Maria comptait bien plus. Et cette conscience ! Cette conscience qui ne cessait de lui hurler qu'il était immonde ! Qu'il lui répétait sans cesse que la nature avait créé les hommes et les femmes pour qu'ils se complètent, et non que les hommes aiment d'autres hommes ! Le compositeur italien se trouvait ignoble.
Tout en étant sa plus grande force, Maria était aussi son inavouable faiblesse. Devant elle seule il délaissait sa carapace forgée d'hypocrisie et de manières de courtisans, elle seule savait le cerner dans le moindre repli de son âme torturée. Antonio savait que son amie ne tarderait pas à comprendre quel était le problème et il savait parfaitement qu'il ne pourrait rien faire pour l'en empêcher. Elle devait déjà avoir quelques soupçons…
Ce fut en ressassant ces pensées sombres que le compositeur patienta sur un fauteuil luxueux dans le salon de l'empereur Joseph II, Rosenberg à sa droite. Il était censé lui dire ce qu'il avait pensé du travail de Mozart sur Les Noces de Figaro, pour que l'empereur puisse juger de l'intérêt d'aller voir la pièce. Sa connaissance de la cour le laisser penser que la nouvelle de son départ au beau milieu de la représentation avait déjà fait le tour des courtisans. Rosenberg s'en félicitait, lui apprenant qu'il l'avait prestement imité pour ne plus avoir à subir cette ''affligeante hérésie''.
L'empereur arriva enfin, richement toiletté, et accueillit gaiment Salieri qu'il portait en grande estime. Il l'invita avec son intendant à partager un verre de vin de grand millésime, proposition qu'ils ne purent se permettre de refuser.
_ Alors mon bon Salieri, comment avez-vous trouvé le travail de Mozart hier ?l'interrogea l'empereur sans la moindre once de reproche.
_ Je tiens à m'excuser auprès de sa majesté, mais je n'y ai pas assisté dans son intégralité, lui annonça l'italien repentant.
_ Oh vraiment !s'étonna l'empereur qui n'était manifestement pas au courant. Expliquez-vous mon ami.
_ C'était une insulte à la noblesse votre majesté !éructa Rosenberg.
_ Rosenberg !le châtia l'empereur impatient. Je connais déjà votre haine envers Mozart, j'aimerais plutôt connaître l'avis d'un autre musicien. Etes-vous de l'avis de Rosenberg, Salieri ? Est-ce la raison pour laquelle vous n'êtes pas resté ?
_ Non, votre majesté. Je ne me serais pas permis de déroger à une de vos demandes sans raison valable.
_ Ah ! Je savais que vous m'étiez trop fidèle, fanfaronna l'empereur. Alors, quelle est donc la raison de vote départ mon bon ami ?
_ Une amie très chère est arrivée hier. Elle avait fait le voyage depuis Londres pour me voir, et elle était très lasse. Nous avons assisté à une première partie de la représentation, mais je la voyais mal en point et je ne pouvais pas prendre le risque de l'épuiser davantage de peur qu'elle ne finisse souffrante d'un mal persistant.
C'était la vérité, toute la vérité sur l'histoire. Maria n'avait pas voulu partir, mais Antonio l'y avait obligée car il craignait trop pour sa santé. L'empereur pardonna son compositeur et lui proposa un second verre de son millésime.
_ Alors dîtes-moi juste ce que vous avez pensé de ce que vous avez vu !
_ C'est dans la continuité de son travail, grimaça Salieri sans passion. Et vous savez ce que je pense de son travail…
_ Pure hérésie !intervint une nouvelle fois Rosenberg.
Salieri retint un soupir d'agacement. Rosenberg ne connaissait strictement rien en matière de musique et il se permettait pourtant de porter des jugements si durs sur le travail extraordinaire de Mozart. Il n'était pas mieux lui-même, s'il y réfléchissait sérieusement…
_ Il faudra vraiment que vous m'expliquiez les origines de votre rivalité, mon bon Salieri, poursuivit joyeusement l'empereur.
_ Nous ne partageons pas les mêmes valeurs, mentit le compositeur italien. Et ça se ressent dans nos musiques.
_ Fort bien. J'espère tout de même vous voir à la représentation de ce soir. J'apprécierai fort votre compagnie à mes côtés.
_ Ce sera un honneur pour moi, accepta respectueusement Salieri.
_ Alors l'affaire est entendue !trancha l'empereur. Je vous verrais donc ce soir, mon cher ami.
Salieri disposa après s'être incliné respectueusement. Il rentra en toute hâte, voulant s'assurer que Maria se reposer comme il lui avait demandé. Le compositeur fut accueillit par son majordome qui l'informa que son amie n'était pas dans sa chambre, qu'elle lisait auprès du feu. Antonio soupira, défait devant l'entêtement de celle qui fut son amante. Sans plus tarder, il la rejoignit au salon.
