Tous les ordinateurs de la Kaiba Corp. s'étaient mis à planter. Bien sûr, le personnel spécialisé en informatique présent sur place avait d'abord tenté de les réparer lui-même, mais il avait rapidement fallu se rendre à l'évidence : personne ne comprenait la raison du dysfonctionnement des ordinateurs. De toute leur carrière, ils n'avaient jamais vu l'écran grésiller de la sorte, s'éteindre puis se rallumer sans passer par l'écran de validation du mot de passe, comme pris de frénésie, ni afficher des lignes de code sorties de nulle part. Pas de doute, ils avaient besoin de leur patron pour régler le problème. Certes, le chef n'était pas commode, et il n'apprécierait certainement pas d'être dérangé un samedi après-midi par les employés sensés s'occuper de ce genre de problème. Mais il ne serait sans doute pas ravi non plus de constater que tous les postes informatiques du siège de sa société avaient grillé pendant le week-end. Ils s'étaient donc résolus à téléphoner chez lui.

D'abord, le patron n'avait pas répondu. C'était le week-end, et il était occupé à suivre des yeux une longue ligne tracée au crayon de couleur sur une page blanche, tout en tapant à moitié un rapport sur son ordinateur portable d'une main et en trempant une madeleine dans son café de l'autre. Si ses employés l'avaient vu à cet instant, assis en tailleur par terre à prendre son goûter et à regarder son petit frère dessiner à la table basse de leur salon, ils n'en n'auraient pas cru leurs yeux. Et pourtant, c'était bien le cas : le terrifiant Seto Kaiba aimait regarder son cadet tracer d'élégantes lignes au crayon sur des feuilles de papier, surtout en ces journées lumineuses où de clairs rayons de soleil entraient par les fenêtres et faisaient chatoyer le bois verni des meubles et les cheveux châtains du jeune homme. Ils bavardaient en même temps, et si les deux frères avaient essayé de se souvenir plus tard de quoi retournait la discussion, ils auraient été bien en peine de le dire. Leurs sujets de conversation étaient aussi variés qu'inépuisables, et, naturellement, ils ne se souvenaient pas de tout ce dont ils parlaient. Cela aurait pu être une journée douce et paisible, une de celles où on est détendu et heureux, si seulement le portable de l'aîné des deux frères ne s'était pas mis à sonner, quelque part dans le manoir. Au début, Seto et Makuba avaient tiqué mais fait semblant de ne rien entendre, jusqu'à ce que le jeune PDG ne se mette à se tortiller par terre, visiblement tenté d'aller répondre. Makuba lui avait jeté un coup d'oeil en biais, puis avait fini par soupirer :

"Seto, va décrocher ce téléphone, tu en meures d'envie.

-Mh. Désolé, Makuba. Je reviens tout de suite, avait promis le grand frère."

Il avait posé sa pâtisserie sur la table, déplié ses longues jambes et sa haute stature s'étaient éloignée en direction du bruit. Le temps qu'il se mette en marche, la sonnerie avait cessé mais elle ne tarda pas à retentir une nouvelle fois.

"Quoi ? avait-il grogné dans le combiné lorsqu'il était enfin parvenu à mettre la main sur son téléphone.

-Monsieur Kaiba, nous avons un problème avec les ordinateurs, avait lentement annoncé le pauvre hère chargé de prévenir le patron -ils avaient dû tirer à la courte paille car personne ne voulait s'en occuper.

-Vraiment ? Ça ne devrait pas être un souci pour vous, étant donné que c'est votre boulot de les réparer, persiffla Kaiba, qui sentait venir le nouveau samedi au bureau, tout en traversant le couloir pour regagner le salon.

-C'est que... nous demeurons tous impuissants face à ce dysfonctionnement, tenta de se justifier l'employé. Nous n'avons jamais rien vu de tel, Monsieur.

-Dans ce cas, je devrais peut-être tous vous renvoyer pour du personnel plus compétent ! Des employés qui sauraient faire leur travail en entier sans venir me déranger chez moi un samedi après-midi !"

Makuba leva un regard interrogateur sur lui. A entendre son frère s'exprimer de la sorte, il se doutait que l'appel venait de la Kaiba Corp., mais il ne savait pas quel était le problème.

"Nous sommes vraiment désolés, Monsieur, mais nous craignons que tout le système informatique ne tombe en panne, tenta de plaider le pauvre employé."

Le patron de la Kaiba Corp. souffla avec exaspération et se frotta les yeux de deux doigts fatigués.

"Très bien ! siffla-t-il. J'arrive dans dix minutes. Vous avez intérêt à ce que ce soit un vrai problème, sinon je vous virerai tous à coup de pied !

-Ou... Oui, Monsieur ! Nous vous attendons, Monsieur !"

Kaiba raccrocha en grommelant dans sa barbe.

"Qu'est-ce qui se passe, Seto ? s'enquit prudemment son petit frère en tripotant distraitement le crayon qu'il tenait à la main.

-Apparemment, il y a un souci avec les ordinateurs et ces incapables ne sont pas fichus de les réparer, lui rapporta brièvement le jeune PDG. Il va encore falloir que je fasse tout le travail moi-même !"

Tandis que son frère s'éloignait vers l'entrée pour revêtir son manteau, Makuba se leva de sa position sur le sol et trottina derrière lui en chaussettes.

"Je viens avec toi ! décréta-t-il en le rejoignant devant la porte.

-Comme tu veux, répondit Kaiba en saisissant les clés de sa voiture. Tu pourras bidouiller les ordinateurs et montrer à ces empotés ce que c'est d'être compétent !"

Makuba lui retourna le sourire carnassier qu'il lui adressait de toute sa hauteur et s'empara de sa veste sur le portant.

"On n'y va pas en limousine ? s'étonna-t-il en suivant son frère dehors.

-Pas le temps d'appeler le chauffeur, répliqua Kaiba. Je veux que ce problème soit réglé le plus vite possible."

A la Kaiba Corp., c'était le chaos. Quelques uns des employés spécialisés en informatique, en désespoir de cause, s'étaient risqués à retenter de réparer les ordinateurs, mais cela n'avait eu pour effet que de faire cracher une gerbe d'étincelles aux postes. Ils avaient compris qu'il ne fallait pas insister, quoi qu'ils se sentaient très piteux de se trouver là à ne rien faire en présence de leur patron. Celui-ci arriva dix minutes après qu'ils l'aient appelé au secours, comme il l'avait promis, et s'il n'avait pas perdu une seule seconde à sortir de sa voiture, ils se seraient sûrement précipités pour lui ouvrir la portière. Les dominant tous de son mètre quatre-vingt-sept, il fendit le hall de la Kaiba Corp. dans un envol de manteau blanc, la démarche impatiente et fière. Son vice-président le suivit en courant et se dépêcha de le rattraper pour écouter les explications paniquées d'un employé.

"Nous étions en train de travailler sur les postes informatiques comme d'habitude, Monsieur Kaiba, lorsqu'ils se sont tous mis à grésiller d'un seul coup, racontait-il fébrilement. Ils s'éteignent et se rallument sans que nous puissions les contrôler ! Nous ne savons pas ce qui se passe !

-Laissez-moi faire, lâcha le jeune PDG avec dédain. Ce problème sera réglé avant même que vous n'ayez eu le temps de comprendre ce que j'ai fait."

Si l'état des ordinateurs étonna Kaiba, il n'en montra rien et marqua à peine une pause sur le seuil de la salle informatique dans laquelle il entra. Les écrans grésillaient de vert et de jaune, avec des rayons blancs, et beaucoup affichèrent brièvement un écran noir avant de se rallumer. Le jeune homme s'approcha du premier poste qui se trouva sur son chemin et qui crachait une gerbe d'étincelles. Il fronça les sourcils. Le personnel informatique s'était massé à l'entrée de la pièce et l'observait. Makuba, le seul à l'avoir suivi, se tenait prudemment replié derrière lui.

"Makuba, reste en arrière, commanda le grand frère d'un ton sans appel. Ces ordinateurs ne m'inspirent rien qui vaille."

Il n'avait pas eu tôt fait de finir sa phrase que l'écran du poste s'éteignit, puis se ralluma. Mais au contraire des fois précédentes, il ne se remit pas à grésiller, ni à faire défiler des lignes de code. L'ordinateur afficha un écran noir brouillé de gris, comme les télévisions lorsqu'elles ne parviennent pas à capter un signal.

"Qu'est-ce qui se passe ? se demanda Kaiba, méfiant."

Puis, l'écran devint entièrement blanc durant quelques secondes. Le PDG allait s'approcher pour examiner l'ordinateur lorsqu'un visage brouillé apparut soudainement devant ses yeux interloqués. De ce visage, on ne distinguait d'une peau pâle, deux iris bleus et une crinière de cheveux verts, bien trop familiers aux deux frères Kaiba. Avant même qu'ils n'aient eu le temps de formuler le nom dans leur tête sans y croire vraiment, l'image devint nette et devant eux d'afficha bel et bien le visage de...

"Noah ?! s'écrièrent Seto et Makuba d'une même voix éberluée.

-Mais enfin, c'est impossible ! rugit l'aîné.

-Noah ! Noah, c'est bien toi ? Tu es vivant ?! couina le cadet en se précipitant vers l'ordinateur.

-Makuba, recule !"

Kaiba, reprenant rapidement le contrôle de ses émotions, attrapa son petit frère par l'épaule et le tira d'autorité près de lui.

"Seto ! Makuba ! commença leur frère adoptif de la même voix si juvénile et pourtant si pleine de hauteur qu'ils lui avaient connue. Si je me suis permis de m'infiltrer dans les ordinateurs de la Kaiba Corp., c'est que j'ai besoin de votre aide !"

Les deux interpelés s'interrompirent dans leurs gestes, qui consistaient à retenir Makuba d'un bras pour l'un et se dégager de la prise de Seto pour l'autre. Ils levèrent des yeux qui méfiants, qui pleins d'espoir, vers le visage de Noah dans l'ordinateur. Aucun des deux ne savait sur quel pied danser.

"Noah est sensé être mort ! tenta de se persuader Kaiba. Jamais il n'aurait pu survivre à l'explosion du sous-marin qui les a tués, lui et notre père, c'est impossible ! Alors comment se fait-il qu'il se trouve à cet instant sous nos yeux ?"

"Alors comme ça, Noah a survécu ? s'époustoufla Makuba, bien moins sceptique que son aîné. Mais que fait-il dans le serveur de la Kaiba Corp. ? Est-ce que c'est de cette façon qu'il a réussi à fuir le sous-marin avant l'explosion ?"

"Seto, Makuba, je suis resté pendant quelques temps dans le jeu d'aventures virtuelles que Seto a créé il y a plusieurs mois et où vous avez affronté les cinq Grands, leur annonça Noah. Et si j'entre en contact avec vous maintenant, c'est parce que la princesse Adéna a été enlevée. Et j'ai besoin de votre aide pour aller la sauver !"