"L'obscurité ne chasse pas l'obscurité, seule la lumière peut le faire."
Martin Luther King
Il faut le dire, les cours étaient d'un ennui mortel.
Mes doigts ne tenaient pas en place, comme s'ils bougeaient avec leur propre volonté. Ils tapaient sur mon cahier, se tordaient dans tous les sens, s'arrachaient des petits bouts de peau à s'en faire saigner, grattaient la saleté sur ma table, tordaient ma règles, faisaient tourner mon stylo ou déchiquetaient ma gomme. J'essayai de souffler, inspirer, expirer, encore une fois, encore une autre, toujours un peu plus. Le résultat étaient toujours le même. Les mots continuaient de danser sur le tableau, dans les livres et sous mon stylo. Je continuai de louper des moments, comme si mon cerveau s'absentait pour quelques temps, faisait la sieste. Mes mains continuaient de bouger, mes pieds suivaient le rythme quand je ne les coinçais pas sous la chaise.
L'Ombre était toujours là.
- C'est un cas plutôt unique en son genre, avait dit le médecin, je n'ai jamais vu quelqu'un associer autant de pathologie en même temps. Mais ne t'inquiète pas mon petit Gaara, ce n'est qu'une question d'habitude à prendre, ton avenir ne sera pas mis en danger si tu t'adaptes.
Dyslexie. Trouble de l'attention. Hyperactivité. Hallucination chronique.
« Dans ton genre, tu es une sacré merde effectivement. »
L'Ombre était à mes côtés, depuis toujours, chaque seconde de chaque minute de chaque heure de chaque jour de ma vie. Silhouette humaine floue, aussi noire que l'encre, sans visage distinct, sans yeux ni bouche, pourtant j'entendais sa voix continuellement.
J'étais bien le seul d'ailleurs.
- Monsieur No Sabaku, pouvez vous répétez ce que je viens de dire ?
J'ai levé la tête, le vieil homme chauve et bedonnant qui nous donnait cours d'histoire me regardait fixement avec sa face de taupe et ses yeux de chouette. J'étais au fond de la classe, dans un coin près de la porte, la plupart des autres élèves me regardaient à moitié retournés, curieux pour certains, moqueurs pour les autres. Tous connaissaient déjà la réponse à la question posée.
- Non désolé.
Je n'étais pas désolé, il savait bien que j'avais du mal à me concentrer (c'était un euphémisme), et j'avais l'impression qu'à chaque fois que la classe était un peu dissipée, c'était moi qui prenais.
- Et pourquoi ne pouvez-vous pas me le dire ?
Il savait pourquoi, il le savait très bien. C'était juste une remise en place, une humiliation de plus. L'Ombre ricanait à côté de moi. Je serrai les poings de frustration, je voulais me lever, lui dire mes quatre vérités et me barrer en claquant la porte. Neji, mon voisin et seul ami, me regardait l'air de dire que je devrais me calmer pour éviter les emmerdes. Je soufflais, ça n'arrangea rien mais je ne pouvais rien y faire de toute façon. Que ce prof de merde aille se faire foutre, lui et tous les autres.
- Parce que je n'écoutais pas.
L'Ombre riait à gorge déployée, j'avais envie de lui dire de la fermer, mais on m'aurait pris pour un taré si ce n'est pas déjà le cas. Mes poings s'étaient desserrés, du coup mes doigts se tordaient de nouveaux dans tous les sens possibles et inimaginables.
- Continuez comme ça si vous voulez rester en terminal toute votre vie. Vous en êtes déjà à votre deuxième essaies, jamais deux sans trois.
Cette fois, Neji a plaqué sa main discrètement sur mon bras pour m'empêcher de me lever. Il savait pour mon impulsivité, pour ma colère permanente, pour l'Ombre qui riait de moi. Lui aussi en était à sa deuxième année, mais aucun prof ne l'avait jamais emmerdé pour ça. Comme quoi j'avais vraiment une tête à claque ou alors l'Ombre écrivait sur mon font chaque matin « Frappez moi je suis maso ».
Comme si elle m'avait entendu, elle m'a regardé. L'Ombre souriait de toutes ses dents, ou du moins c'était l'impression que j'avais. Mon psychologue me disait qu'elle était l'incarnation de mon stress, de ma conscience et de mes peurs. Que je pouvais décider n'importe quand qu'elle s'en aille. Le problème c'est que je n'avais toujours pas compris comment, même après des années et des années d'essaies, d'effort pour la faire disparaître, cette grande silhouette noire n'avait jamais cillé, pas même une seule seconde.
« Tu es un vrai naze Gaara ! »
J'avais envie de lui répondre que ça, je le savais déjà.
À la pause déjeuner, Neji et moi avons acheté rapidement des sandwichs puis nous sommes allés sur le toit, théoriquement l'accès nous y était interdit mais nous avions réussi à amadouer (et quand je dis on, je dis Neji) une concierge qui approchait de l'âge de la retraite et qui nous passait les clés tous les jours sans trop poser de questions. L'Ombre me suivait, comme si elle ne pouvait aller nulle part sans moi. Devant Neji, je lui répondais ouvertement ce que je pensais, sachant très bien que mon ami ne me jugerait pas sur le fait que je parlais à une chose qui n'existait pas.
De toute façon, Neji était aussi décalé que moi avec ses longs cheveux noirs qui cachaient la majeure partie de son visage, son uniforme toujours impeccable, comme s'il le repassait chaque matin avant de partir en cour et son air distant, presque froid. Il ne parlait pas beaucoup et avait pratiquement toujours un livre à la main. La seule raison qui avait fait qu'il avait redoublé était le fait qu'il séchait souvent pour aller bouquiner tranquillement, mais il était très intelligent et très consciencieux. Mais le plus perturbant chez lui était ses yeux gris sans iris noires, ce qui faisait que beaucoup pensait qu'il était aveugle. Mais apparemment c'était juste une malformation ou une maladie génétique, je n'avais pas bien compris.
« Il est juste aussi bizarre que toi ! Vous êtes de vrais monstres ! »
- Mais ta gueule ! hurlai-je et Neji sursauta à peine, il était habitué.
La plupart du temps, j'essayais de prendre sur moi, de ne pas m'énerver, de ne pas réagir, de l'ignorer mais j'y arrivais rarement et puis aujourd'hui était une mauvaise journée, un jour sans comme je les appelais.
« Avec toi tous les jours sont des jours sans. »
Je ne répliquai pas et mordis dans mon sandwich plus violemment qu'il ne l'avait mérité. Le seul moment où l'Ombre me laissait tranquille c'était quand je dormais, en y repensant c'était ironique : quitter la noirceur pour l'obscurité. Quoi que je fasse, le noir dirigeait ma vie. Je laissais mon esprit vagabonder et mon cerveau à accélérer le temps, me faisant presque oublier que j'existais. Quand j'ai pris conscience que je loupais la meilleure partie de ma journée, je me suis replacé dans cette réalité. Je regardais ma montre rapidement, ça allait bientôt sonner, toujours trop tôt à mon goût comme d'habitude.
- Aller viens mec, on va être en retard.
Neji se leva, sans se détacher de son livre, jamais je ne l'aurais dérangé autrement dans sa lecture ou lui aurait reproché d'y prêter plus d'attention qu'à moi, après tout lui ne me disait rien quand je parlais avec mon Ombre. Quand nous sommes arrivés de nouveaux en classe, les cours n'avaient pas encore commencé et notre professeure d'anglais n'était pas encore là. Je m'assis au fond, à ma place habituelle, mais mes yeux ne pouvaient pas quitter une chevelure entre le châtain et le brun descendant en cascade, dégradée, volumineuse et semblant être aussi douce que de la soie.
La plus belle fille de la classe me tournait le dos.
J'aurais même dit du lycée mais Neji me disait que tout était subjectif. Pourtant moi, je la trouvais tout simplement magnifique. Ni trop petite, ni trop grande, un visage doux avec des pommettes hautes et des joues pleines sans être grosses. Elle était l'un des rares choses sur lesquelles je pouvais me concentrer plus de quelques secondes. Quelqu'un l'appela à quelques rangées de moi, elle se retourna et ses yeux chocolat chaud croisèrent les miens pendant une demi-seconde.
Mon cœur rata un battement.
Tenten.
« Tu as autant de chance qu'elle remarque ton existence que de voler. »
Je le savais, je n'étais qu'un idiot.
« Arrête de baver, tu fais pitié. »
Ça aussi je le savais...
« En plus elle a un copain, il est trois fois plus beau que toi et lui ne parle pas à une ombre.»
Ça aussi...
« T'es vraiment une sous merde ! »
Mes mains tremblaient, je haïssais cette Ombre, mon Ombre noire, la vérité sortant de sa bouche me faisait trop mal, m'anéantissait chaque fois un peu plus, je voulais qu'elle parte, qu'elle me laisse enfin libre, que mes médicaments marchent, que je sois seul dans ma tête, que mes mains se posent enfin un peu, que les mots arrêtent de danser, se mélanger et me rire au nez. Je voulais que le destin arrête de se foutre de ma gueule.
Je voulais Tenten.
Juste lui parler au moins une fois, qu'elle me sourie, rie de mes blagues, se blottisse dans mes bras, qu'elle me raconte sa vie, ses soucis, ses rêves, ses envies, qu'elle me fasse danser, me boude puis m'embrasse comme si c'était la chose la plus naturelle au monde, la faire sentir bien, en sécurité. Je voulais pleurer et je voulais aimer.
« Idiot. »
Pas besoin de me le dire, je le savais.
Elle s'était retournée de nouveau, mais j'entendais de ma place sa voix douce, chaude et rassurante. Jamais cette voix ne s'était adressée à moi comme pour la plupart des élèves. J'avais envie de lui dire beaucoup de chose et qu'elle me dise beaucoup de chose aussi. Puis son copain arriva derrière elle et l'enlaça comme il le faisait souvent à mon grand malheur, puis l'a embrassée tout aussi simplement. Il ne l'avait jamais fait devant moi, je les évitais toujours quand je les voyais à deux, pour ne pas souffrir inutilement. Mais là, je n'avais pas pu détacher mes yeux de son visage, de ses paupières fermés, de ses lèvres douces collées à d'autres que les miennes. J'entendis presque ma poitrine se déchirer, le bruit était si intense que je m'étonnai que le reste du monde ne m'ait pas déjà regardé étonné. La rage et la jalousie brûlaient dans mon ventre comme de la lave en fusion. Mon corps tout entier semblait trembler, comme si j'étais moi-même la source d'une catastrophe naturelle. Neji avait détaché le regard de son livre et me tenait le bras, comme s'il voulait m'empêcher de me lever et d'aller tabasser ce type.
« Tu te ferais massacrer. »
- La ferme, murmurai-je.
- Calme toi, me disait Neji, l'écoute pas ça ne sert à rien.
La cloche sonna, les élèves semblaient se clamer, préparant leurs affaires, sans me voir, sans voir ma colère, sans voir l'Ombre. Quand la professeure d'anglais entra, je fis tout mon possible pour me contrôler, pour ne pas piquer une crise, pour ne pas tout briser autour de moi, pour ne pas passer pour un dingue. Mais la colère me consumait, j'avais besoin de casser quelque chose, de frapper quelqu'un, de courir jusqu'à en crever. Le psychologue disait que ma mauvaise gestion de la colère était aussi dangereuse pour mon entourage que pour moi-même. Je n'explosais pas, j'implosais toujours, je détruisais tout sur mon passage, comme un ouragan, un volcan en éruption, un tsunami, les trois en même temps. L'Ombre s'était placée devant mon champ de vision, mon monde était devenu obscurité.
L'Ombre aimait ma colère, elle aimait la noirceur de mon âme, elle aimait me voir perdre le contrôle.
- Calme-toi, répéta Neji sans hausser le ton.
Il semblait très calme, mais sa main sur mon bras était ferme, résolue. Pourtant l'Ombre se fichait de tout ce qu'il disait, elle me narguait riait, encore et encore. J'étais un imbécile, un moins que rien, je voulais effacer cette journée, toutes les journées de ma vie, je voulais crever, tuer l'obscurité et plonger dans un oubli tout aussi noir.
Mais je ne pouvais pas, alors je me suis levé violemment et je suis sorti en claquant la porte comme j'avais eu envie de le faire le matin même. Je laissais un silence de plomb derrière moi mais l'obscurité me suivait, détraquait mes émotions, déchirait en miette mon cœur et emplissait ma tête de hurlement. Je me suis mis à courir, courir pour échapper à la banalité de ma vie, courir pour fuir cette classe, ces gens, cette fille, mon seul ami, courir le plus loin possible, toujours plus loin, encore plus loin, courir pour fuir ma colère, ma jalousie, ma peur et ma tristesse. Courir pour semer l'Ombre et l'obscurité.
Je voulais faire demi-tour et me battre, mais mes mains ne cessaient de se tordre et de trembler, se fracassant et se brisant l'une contre l'autre. Mais je voulais tout de même y retourner pour hurler, utiliser ma voix à la briser, être tellement vulgaire que j'en deviendrai laid. Les mots, ils gagnent toujours, mais je savais que j'allais perdre.
Alors je courrais, comme l'imbécile que j'avais toujours été.
J'ai quitté le lycée en trombe, sans croiser personne. De toute façon, il me semblait que personne n'aurait pu m'arrêter, j'étais comme aveugle et sourd, fou de colère. Je ne dirigeai pas mon corps, il prenait un chemin qu'il connaissait bien, me ramenait chez moi car il ne savait pas où aller sinon. Mes yeux étaient brouillés par la rage, je devais être ridicule à courir ainsi comme un fou, un cinglé de plus dans ce monde de timbré. Quand j'ai fait face à la porte de mon immeuble une dizaine de minutes plus tard (enfin je crois),j'ai tapé presque machinalement le code aussi rapidement que fortement avant que les chiffres ne se mettent à danser à leur tour. Je n'ai pas eu la patience d'attendre l'ascenseur, j'ai commencé à monter quatre par quatre les marches des escaliers, manquant de tomber et de me fracasser le crâne plusieurs fois.
« Tombe, tombe, tombe, tombe, tombe, tombe, tombe, tombe, tombe, tombe, tombe, tombe, tombe, tombe, tombe, tombe, tombe, tombe, tombe, tombe, tombe, tombe, tombe, tombe, tombe... »
Une fois devant mon appartement, j'ai eu toute la peine du monde à tenir les clés fermement et réussir à ouvrir la porte. L'Ombre continuait à délirer, comme si toute la noirceur de mes émotions la rendait ivre folle. Il n'y avait personne chez moi, mes parents travaillaient et mon demi-frère et ma demi-sœur étaient encore à la fac. Je me suis précipité dans ma chambre, la fermant de l'intérieur. Je me suis affalé sur mon lit et une fois la tête dans mon oreiller j'ai hurlé de toutes mes forces, de toute mon âme, de tout mon être.
« Hurle, hurle, hurle, hurle, hurle, hurle, hurle, hurle, hurle, hurle, hurle, hurle, hurle, hurle, hurle, hurle, hurle, hurle, hurle, hurle, hurle, hurle, hurle, hurle, hurle, hurle, hurle, hurle, hurle... »
- TA GUEULE ! CRÈVE ! CRÈVE ! CRÈVE ! CRÈVE !
« Tu ne peux rien contre moi ! Tu es impuissant ! Tu n'es qu'un moins que rien ! Un fou ! Un débile ! Personne ne t'aimera jamais ! Que tu crèves ou non maintenant le reste du monde s'en fichera !»
- TA GUEULE !
J'étais un volcan, une bombe nucléaire, un astéroïde, un trou noir. Je voulais l'étrangler, faire souffrir cette Ombre de malheur, briser la fenêtre, défoncer la porte. Pendant ce qui m'a semblé une éternité, je suis resté ainsi, la tête dans l'oreiller, à essayer de calmer mon rythme cardiaque et ma respiration. Finalement, j'ai relevé la tête et j'ai croisé mon regard dans le miroir : mes cheveux rouges partaient dans tous les sens, ma peau était aussi pâle que celle d'un cadavre habituellement mais là elle avait viré à l'écarlate surtout au niveau de mes joues, mes lèvres saignaient à force de les avoir mordues, mes yeux étaient cernés, rouges, gonflés et perdus.
Je faisais peur.
- Ta colère ne vient pas souvent de là où tu crois, avait dit mon psychologue une fois, elle est beaucoup plus profonde, comme si elle était toujours là prête à surgir pour tout et n'importe quoi. C'est pour ça que n'importe quelle petite contrariété te fait perdre le contrôle. Mais c'est comme pour l'Ombre, il suffit que tu veuilles que ça s'arrête pour que effectivement tout soit fini.
Sauf que je n'y arrivais pas. Rien n'était sous mon contrôle, j'étais le pantin de mes émotions, le pantin de l'Ombre, le pantin de ma propre noirceur. Je me suis rallongé sur mon lit et ai fermé les yeux, secoué par des soubresauts, même si mes larmes ne coulaient plus. Je voulais pleurer et je voulais aimer, mais toutes mes larmes ont été épuisées.
Je voulais que l'Ombre me laisse tranquille.
Je me sentais si seul...
Les heures ont passé sans que je ne bouge, une vraie torture que je m'imposais, oubliant l'Ombre et les problèmes. J'essayai de penser à autre chose, à la tranquillité de la mer, à la chaleur du soleil, à une brise de printemps fraîche et agréable, à la morsure de la neige, à la mélancolie de la pluie, à tous les bruits de la nuit.
Je pensais à la lumière.
Je pensais à Tenten.
Était-ce pour cela que je n'arrivais à détacher mon regard de son visage ? À oublier sa manière de sourire ? Au fait qu'elle tapait régulièrement du pied en cour comme si elle entendait une musique qui ne nous parvenait pas ? À ne pas frissonner à chaque fois qu'elle passait à côté de moi et que je sentais son parfum ? Était-ce par ce qu'elle était à elle toute seule une lumière aussi lumineuse que le soleil mais aussi douce que la lune ? Parce qu'elle était tout ce que je n'étais pas et tout ce que je ne serais jamais ? Parce qu'à chaque fois que je la voyais j'oubliais que je n'étais qu'ombre et obscurité ?
Oui, c'était sûrement pour ça.
« Tu ne l'aimes pas vraiment alors, ce n'est qu'une illusion. »
- Elle au moins est réelle, contrairement à toi, ai-je dis en me levant.
Je ne savais pas ce que je faisais, ma colère était tombée mais mon corps ne supportait rester allonger plus longtemps, j'avais besoin de marcher, bouger, aller ailleurs qu'ici. Je ne voulais pas être là quand mes parents rentreraient et qu'ils apprendraient que j'avais séché les cours. Je ne voulais pas qu'ils sachent que j'avais fait une nouvelle crise, que je ne contrôlais rien.
J'ai descendu moins rapidement les escaliers, occupant mes mains à jouer avec un élastique que j'avais emporté. Une fois en bas, j'ai laissé mes pieds vivre leur vie, me guidant vers le centre ville. Les cours devraient être terminés donc mon uniforme ne choquerait personne. J'avais pris mes écouteurs et passait d'une musique à l'autre sans vraiment être satisfait de ce que je trouvais, finalement j'ai laissé mon téléphone décider à ma place sans vraiment faire attention à ce que j'écoutais.
L'Ombre marchait à mes côtés, silencieuse et pensive. La musique était l'une des rares choses qui me coupait d'elle. Elle semblait presque en sommeil, comme ma colère.
Une fois en ville, j'ai continuai à déambuler sans faire attention à là où j'allais, tant que je bougeais rien n'avait d'importance. Je voulais que la ville m'avale, je voulais me perdre à jamais, me balader ainsi toujours, je ne voulais plus rien ressentir sinon mes pieds frappant le macadam ou trébuchant sur les trottoirs.
« Quoi qu'il arrive je serais toujours là. »
Je l'ignorai, lui donnant moins d'importance qu'elle n'en n'avait. Ma crise de tout à l'heure m'avait épuisé, vidé de toute énergie et toute envie de répondre, mais je savais que si je m'arrêtai ce serait dix fois pire. Mon corps et ma tête étaient rarement d'accord.
Et ce fut parce que mon esprit était bien loin que j'ai percuté quelqu'un. Cette personne a fait tomber tous les sachets qu'elle avait en main, des courses qui semblaient lourdes. Je me suis immédiatement baissé pour les ramasser, tout était si mécanique chez moi. C'est peut-être pour ça que je n'avais vu que cette personne portait l'uniforme de mon école.
- Gaara ?
J'ai relevé la tête et quand j'ai reconnu le visage en face de moi, j'ai cru que j'allais vomir mon repas du midi vu comment mon estomac s'était tordu. Vous avez déjà vu une fontaine de chocolat ? Ses yeux en étaient la représentation même. La douceur à l'état pur. Il faut le dire, j'ai totalement buggé. Ma bouche s'est presque ouverte de surprise, je devais avoir l'air totalement con.
- Je m'appelle Tenten, je ne sais pas si tu le sais mais je suis dans ta classe.
Elle avait vraiment une voix gentille. J'avais envie de lui dire que bien sûr je savais comment elle s'appelait, comment n'aurais-je pas pu la remarquer ? Mais mon cerveau semblait faire grève. J'étais seul au commande, enfin presque.
« Tu es ridicule, elle doit avoir pitié. »
- Euh... Oui... Je sais... Heu... Comment tu t'appelles...
L'Ombre riait, se plaçant à côté de Tenten, comme pour bien me prouver que la différence était visible. Elle qui n'était que douceur à côté d'un monstre noir sans âme ni compassion.
- Ah c'est vrai ? (sa voix était chaude sans être grave) Je ne pensais pas vu qu'on ne s'était jamais parlé.
Elle m'a souri gentiment, j'avais comme l'impression d'être un enfant devant une fée, elle me charmait, m'entourait de magie et dès qu'elle partirait ma vie redeviendrait sombre. Je me suis soudain rendu compte que j'avais encore ses courses à la main, elles étaient aussi lourdes qu'il m'avait semblé et j'avais dû mal à l'imaginer porter ça toute seule.
- Tu veux que je... commençais-je difficilement (ma voix partant complètement dans les aigus), que je t'aide ?
Elle me regarda deux secondes sans comprendre avant de voir elle aussi que je portais les sacs, ses yeux allaient et venaient entre eux et moi et finalement elle haussa les épaules :
- Tu sais, j'ai l'habitude, ça ne me dérange pas vraiment.
« Elle ne veut pas que tu restes, arrête de rêver. »
Ma déception devait se lire sur mon visage, j'étais un livre ouvert d'après ma mère. Chaque sentiment était si bien retranscrit que même un aveugle aurait pu lire facilement en moi. Gêné, je lui ai rendu ses sachets, incapable de faire une remarque cool ou de paraître attirant. Comme dirait l'Ombre, je suis vraiment un minable.
- Bon, bah à demain, ai-je réussi à formuler non sans difficulté.
- Oui, à demain, j'espère qu'on se parlera plus maintenant.
Elle avait dit ça avec tellement de gentillesse que j'ai réussi à ignorer l'Ombre qui me parler de pitié ou quelque chose dans le genre. Quand elle s'est éloignée de moi, je n'ai pas pu détacher mes yeux de sa silhouette en uniforme, trimbalant à la fois son sac et ses courses. Je n'arrêtai pas de me dire : "Elle m'a parlé !" juste avant de me dire : "Je suis vraiment con ! ". Alors qu'elle n'avait toujours pas quitté la rue, il s'est mis à pleuvoir et en même temps mon cerveau a remarqué une chose qui me semblait impensable. Mes mains étaient dans mes poches. Elles ne jouaient pas avec l'élastique, ne tiraient pas sur mes écouteurs, ne se tortillaient pas, ne s'arrachaient pas de bout de peau, ne se tordaient pas dans tous les sens encore et encore, jusqu'à ce que la douleur me fasse grimacer.
Elles étaient immobiles.
Et au loin, Tenten marchait sous la pluie, frêle comme une fée sous un poids bien trop grand.
Je ne sais pas ce qui m'a pris. Encore un coup de mon impulsivité je crois. Mais alors que l'Ombre recommençait sa litanie habituelle, je me suis mis à courir pour rejoindre Tenten, atteindre sa lumière. Une fois à sa hauteur, je lui ai attrapé le bras, elle s'est retournée surprise et a froncé les sourcils dans un geste que j'ai immédiatement trouvé craquant.
- Gaa...
- Je n'ai rien d'autres à faire et comme j'ai vu qu'il pleuvait je me suis dit que ce serait une bonne idée que je t'aide enfin si tu veux bien si tu ne veux pas je comprendrais mais bon les sacs sont plutôt lourds et tu es toute seule donc je me suis dis que ce serait peut-être mieux pour toi et puis ça ne me dérange pas de marcher un peu j'aime la pluie et j'aime marcher en plus ça me gênerait de te laisser comme ça sans t'aider j'arrêterai pas d'y pensais ce soir en me disant qu'à cause de moi tu serais peut-être malade alors que j'aurais pu t'aider...
J'avais parlé d'une traite, sans reprendre ma respiration et sans faire de pose. Ma main toujours sur la manche de son uniforme qui commençait être mouillé. Elle me fixait de ses grands yeux chocolat, la bouche entrouverte comme si elle ne savait pas comment réagir. Avais-je été trop insistant ? Lui avais-je fait peur ? Voulait-t-elle que je la lâche ?
« Regarde toi, on dirait un stalker »
J'allais reculer quand elle s'est mis à rire à mon grand étonnement et ainsi qu'à celui de l'Ombre. Ce fut à mon tour de la regarder sans comprendre, de me demander ce que je devais faire. Rire ? Reculer ? M'enfuir en espérant que son copain me laisse tranquille demain ? M'excuser ? J'allais opter pour la dernière option lorsqu'elle m'a devancé :
- Je ne t'avais jamais entendu autant parlé en une seule fois !
Elle avait un grand sourire, même sous cette pluie, même devant moi. L'Ombre elle-même se taisait, incapable du moindre son, à l'écoute de ses paroles. Se rendait-elle compte que j'étais pendu à ses lèvres, prêt à faire tout ce qu'elle me demandait ?
Non, sûrement pas.
- C'est gentil de vouloir m'aider, je n'habite pas loin tu sais. Ça ne te dérange vraiment pas ?
Ma gorge était trop serré pour émettre le moindre bruit compréhensible, alors j'ai secoué doucement la tête de gauche à droite. Mon ventre était noué par l'appréhension, c'était comme si elle tenait une arme braquée sur moi, la main sur la gâchette, un geste de sa part me mettait à terre, un autre me sauvait la vie.
- Okay alors on y va ? m'invita t-elle en me tendant deux sachets sur les cinq qu'elle avait.
- Okay.
On marchait plutôt rapidement, pour être le moins mouillés possible, j'aurais aimé juste arrêter le temps quelques secondes. Je ne savais pas quoi lui dire mais le silence ne semblait pas la gêner contrairement à moi. D'habitude j'étais un adepte du silence mais là j'avais tellement de question à lui poser que je ne savais pas par où commencer. J'étais mort de peur.
« Un vrai petit chienchien à sa maman, tu es pitoyable. »
- Pourquoi tu es parti en courant tout à l'heure ?
J'ai failli lâcher les sachets tellement je fus surpris qu'elle me posa cette question. Elle marchait à mes côtés tout en me regardant droit dans les yeux. Et moi, dans ma sincère médiocrité, je ne savais pas quoi lui répondre. Je ne voulais pas lui dire la vérité, mais je ne voulais pas lui mentir non plus, j'étais comme déchiré, j'avais trop peur de sa réaction, qu'elle se moque de moi, reprenne ses sachets et me plante là comme l'imbécile que j'étais.
Alors j'ai opté pour une nuance, ni noir ni blanc :
- De temps en temps... J'ai comme des accès de colère... Je ne maîtrise pas bien mes émotions... Et quand c'est comme ça, j'ai besoin d'être seul pour me calmer...
Je guettais le moindre tic sur son visage qui pourrait montrer son dégoût, mais elle semblait plutôt pensive, ce qui m'inquiéta encore plus.
- Et qu'est-ce qui t'a mis en colère ?
Je ne pouvais lui répondre, pas à ça. Je ne voulais pas avouer être jaloux de son copain alors que l'on ne s'était jamais parlé avant aujourd'hui, je ne savais pas quoi faire, ni quoi dire alors j'ai juste baissé les yeux, presque honteux.
- Tu n'es pas obligé de me le dire si tu n'as pas envie.
J'ai relevé la tête et j'ai de nouveau croisé ses yeux, armes fatales. Toute ma résistance a fondue comme neige au soleil, j'étais si vulnérable face à elle, plus que face à l'Ombre qui était si discrète que j'aurais presque pu l'oublier.
- Disons que... J'ai envie de faire beaucoup de chose mais je ne les fais jamais... C'est comme si j'étais pied et poings liés et que ma conscience me tire chaque jour un peu plus vers le bas...
Son regard m'encourageait à dire plus, à me confier. La pluie tombait le long de son visage, mouillait ses cheveux, la faisait frissonner mais pourtant elle me fixait et m'écoutait attentivement comme si elle n'avait rien de plus important à faire à ce moment précis.
- Imagine un instant, que chaque heure de ta vie, ta propre ombre se nourrisse de tes malheurs et de tes émotions négatives, qu'elle les amplifie et te fasse oublier tout le reste... C'est ce qui m'arrive, alors des fois je réagis excessivement à un petit rien, comme si j'allais à l'hôpital à chaque fois que je me cognais si tu préfère...
Elle hocha la tête et détourna le regard sans s'arrêter, pendant presque vingt secondes elle ne dit rien et mon existence fut une vraie torture. Me pensait-elle donc fou ? Allait-elle me rire au nez ? Ou pire me haïr ?
Mais au bout de ses vingt secondes de souffrance, elle prit la parole :
- Gaara, cette ombre est-ce qu'elle est... réelle ?
- Oui... répondis-je dans un souffle, pour moi elle est réelle.
Elle baissa les yeux, fixant ses pieds qui avançaient moins rapidement qu'avant. Une goutte d'eau perlait sur ses lèvres, je n'avais qu'une envie : l'attraper.
- Est-ce qu'elle te parle ?
- Oui, tout le temps.
- Et qu'est-ce qu'elle te dit ?
Son expression était si touchante, si différente de tout ce que j'avais pu voir auparavant, ce n'était pas de la pité, mais de la compassion.
- Elle me traite d'idiot, de minable, mets en avant tous mes défauts, toute ma bizarrerie, me dit toutes les vérités que je ne veux pas entendre, elle aime me voir souffrir. C'est comme si c'était ma conscience sauf que contrairement aux autres je la vois. J'ai l'impression d'être une ébauche, un être qui n'aurait pas du exister. Si Dieu existe et que nous sommes ses œuvres, je suis une rature qu'il a oublié d'effacer. Il suffit de me regarder pour comprendre que je suis une anomalie...
Je guettais sa réaction, ses prochains mots, le moindre de ses gestes. Une nouvelle fois elle garda le silence, comme si elle cherchait à assembler ses mots et ses idées, me jetant quelques coup d'œil pour finalement regarder droit devant elle. Quand elle prit la parole, je me suis rendu compte que je retenais mon souffle.
- Gaara... Je ne pense pas que cette ombre soit ta conscience, ta propre conscience ne te voudrait pas du mal... Je pense que c'est plutôt toi qui te dévalorise, alors qu'il n'y a aucune raison. Tu es quelqu'un de gentil et j'aimerai être ton amie, ça m'embête de te voir souffrir parce que tu te sens inférieur... Je veux juste que tu comprennes que personne n'est parfait alors si tu te sous-estime personne ne te contredira, il faut que tu croies en toi pour avancer dans la vie et surtout que tu crois en les autres pour que eux-mêmes puissent te soutenir... Il y a un tas de raison qui fait qu'on devrait être terrifié, en colère ou triste, mais vivre n'en n'aie pas une.
Elle a fait une pause, reprenant son souffle, replaçant une mèche de cheveux. Ses joues étaient rouges, ses lèvres humides, sa voix saccadée, comme si ses mots n'étaient pas adressé qu'à moi, que c'était une idée longuement réfléchie, qu'elle essayait de se convaincre elle-même.
- Je pense qu'il y a du bon en chacun de nous, personne n'est complètement noir et personne n'est totalement blanc non plus. Il n'y a ni méchant, ni gentil. Tout est une question de point de vue et tu ne seras jamais jugé pour qui tu es mais pour tes gestes. Alors si tu as vraiment envie de faire quelque chose, fais-le parce que sinon tu le regretteras toute ta vie, tu ne seras jamais toi-même et tu ne seras jamais heureux... Je ne sais pas si ce que je dis est clair, ça me fait bizarre de te dire ça, mais je crois que c'est important que les gens sachent la vérité... Tu comprends ?
Il y a des moments comme ça dans l'existence qui peuvent changer le cour d'un destin : un avion qui se rate, un oubli, une chute, une blessure, une victoire, pour moi ce fut une personne, quelques phrases dites sous la pluie, un sourire, un regard, une once de compassion et de compréhension. Tenten me regarda à nouveau, mais son visage était flou. Pas à cause de la pluie, pas à cause de la rage, pas à cause de la peur ou la fatigue.
Je pleurais.
Son expression a semblé changer, mais je n'étais pas sûr à cause des larmes. Elle s'est stoppée, a posé ses sacs et m'a pris dans ses bras. Elle semblait si fragile et petite par rapport à moi, pourtant c'était elle qui me soutenait. C'était comme si elle dispersait un peu de sa lumière dans mon obscurité.
J'étais comme un enfant à qui l'on annonçait qu'il faut croire en ses rêves, totalement abasourdi et incrédule. La pluie se fit moins forte puis s'arrêta mais Tenten ne me lâcha pas, alors que j'étais secoué par les sanglots elle continuait de me tenir fermement.
Je pleurais de joie.
Je commençais à aimer, sans que ce ne soit illusoire.
Et l'Ombre s'était tue.
Voilà cet OS est fini, j'espère qu'il vous aura plus ^^
Il a été fait pour ce concours (ici)
Il est un peu différent de ceux que je fais habituellement donc n'hésitez pas à me dire
si vous avez aimé ou non, si vous avez vu des fautes d'orthographes choquantes
et si vous voulez que j'en refasse dans ce style :)
Je suis donc arrivée deuxième avec une note moyenne de 18.75, je passe donc au second round ! :D
